Chapitre 11-2 Ne te perds pas
Fabian, resté en retrait, s’approcha au trot, le visage indéchiffrable. En silence, je m’agenouillai au pied du chef de l’escouade et fouillai ses poches tout en détaillant sa tenue. J’en sortis une missive dont le cachet avait été descellé au canif. Elle portait le sceau du Haut-Conseiller de Méthinie. À mesure que je parcourus les lignes, le sang déserta mon visage.
— J’ignorais que tu goutais au massacre, m’apostropha placidement mon compagnon, lui aussi penché sur un cadavre.
Je lui jetai la lettre à la figure avec un haut le cœur. Mes yeux détaillaient amèrement le champ de bataille. Non, je n’étais pas cruelle. Tel était l’héritage de la magie, de ma magie.
— Ce sont ces hommes et tous ceux qui suivent aveuglément leur meneur qui ont massacré ma famille, sifflai-je. Regarde leur vêtement, ils viennent de Cordélie. S’ils peuvent se payer du satin brodé de fil d’or, c’est que leurs petites affaires doivent rapporter. Pourtant, ils n’ont pas hésité une seconde à répondre à l’appel de cette chasse à l’homme.
— À la femme, plutôt, corrigea laconiquement le jeune homme.
Il se releva prestement, me rendit la missive, le visage grave.
— Si c’est une traque, alors il vaudrait mieux ne pas trainer dans le coin et accomplir notre mission le plus rapidement possible. Surtout que cette lettre n’a pas été écrite par le conseiller, son sceau n’a pour but que de la rendre officielle.
Il me tourna le dos pour remonter à cheval, mais il s’immobilisa finalement et revint sur ses pas.
— Toutes mes condoléances pour ta famille, mais la vengeance ne les ramènera pas, murmura-t-il après un instant d’hésitation.
Ses mots tournoyèrent dans mon esprit, y apposèrent leur marque au fer rouge. Etait-ce véritablement la vengeance que j’avais cherché ce soir ? Etait-ce pour cela qu’ôter la vie ne me soulevait pas le cœur. Etais-je en train de trahir la Terre et mes principes en m’engageant sur cette pente ?
— En selle, princesse, le soleil nous attend pour se coucher !
Je secouai la tête et enfourchai Eclipse, murée dans un silence tourmenté. Nous atteignîmes Ports Bahiri au petit matin. Nous avions chevauché toute la nuit. Nous nous mêlâmes aux voyageurs venus pour profiter de la fête de l’Aurore. Les festivités débutaient le soir même. Fabian nous dénicha une auberge de bonne réputation, située loin des faubourgs plus mal famés.
Nous profitâmes d’une bonne douche et d’un repas digne de ce nom ainsi que d’une liste non exhaustive d’adresse à ne pas manquer pour profiter comme il se devait des célébrations. Je profitai de ces quelques heures de répit pour étudier avec attention le plan de la ville. L’exploitation se situait à deux kilomètres à l’ouest de Ports Bahiri, ses possessions englobaient un accès au lac sur un demi-kilomètre.
Le plan ne détaillait pas un système de défense particulier, ni même l’existence d’une quelconque muraille. La seule avait été construite autour de la demeure du propriétaire, un certain Silva Comodor. D’après les renseignements obtenus par Fabian, il était célibataire, sans enfant, et sans famille connue. Peu de témoignages probants purent être récoltés, car il ne descendait que rarement en ville et personne ne paraissait en mesure de le décrire précisément. Silva Comodor était un fantôme, ou une couverture, plus probablement.
J’ignorai ce qu’il se dissimulait derrière la façade légale de cette exploitation, mais je m’attendais au pire. J’avais étudié les rapports des médecins de Cordélie et ils n’étaient pas de bon augure. Ils rapportaient différents symptômes allant en s’aggravant. Ceux-ci débutaient par l’engourdissement des muscles, des malaises, puis de fortes fièvres, des difficultés à respirer, des convulsions et enfin, l’arrêt du cœur. Ils mentionnaient aussi d’étranges nervures rosées qui apparaissaient sur la poitrine lorsque la fièvre s’empirait et viraient au violacés peu avant le décès.
Je ne connaissais aucune plante ayant des propriétés aussi étendues et craignais de ne parvenir à constituer aucun antidote pleinement efficace. Je relis une dernière fois toutes les informations contenues dans mon ordre de mission et reposai le feuillet dans ma sacoche. Afin de me vider la tête, je sortis mon épée de son fourreau et entrepris de l’aiguiser. C’était ce que m’aurait conseillé Caleb.
— Prête princesse ? s’écria soudainement Fabian qui venait de pénétrer dans ma chambre.
À travers la vitre, je discernais le jour tomber.
— Mieux que toi, j’espère, tu m’as l’air d’avoir bien profité de ta journée de repos.
Le col défait de sa chemise boutonnée de travers et ses cheveux ébouriffés m’indiquaient aisément les activités qui avaient occupé sa journée. Je sanglai mes armes et ajustai ma cape de fourrure par-dessus, tandis qu’il s’adossait nonchalamment à l’encadrement de la porte, un grand sourire aux lèvres.
— Oh je t’en prie, princesse ! ricana le jeune homme. Tu devrais essayer, tu sais, ça te décoincerait un peu !
Joignant le geste à la parole, il s’approcha d’un bond et passa sa main sur ma mâchoire, la glissa jusqu’au col de ma tunique.
— Je suis sûre que ça te plairait, susurra-t-il, les pupilles brillantes.
Je saisis aussitôt son poignet et empoignai son col de mon autre main. Il ne se débattit pas. Cela dit, l’odeur immonde qui se dégageait de ses lèvres entrouvertes et son torse luisant de sueur donnaient une idée de son état d’ébriété avancé.
— Tu as bu, grondai-je.
— Ne me fais pas croire que ça te choque, il faut bien se fondre dans la masse. La plupart seront bien plus éméchés que ça quand les festivités commenceront.
Voilà pourquoi je détestais ce genre de « fête ».
— Ne va pas croire que je sois ivre, princesse, murmura soudain sa voix au creux de mon oreille, il m’en faudrait bien plus pour oublier de surveiller tes arrières.
J’écarquillai les yeux et repoussai violemment l’espion au sourire narquois. Vexée de m’être laissée bernée, la gifle claqua sèchement contre sa joue.
— Si tu es assez abruti pour me servir ce genre paroles creuses, alors tu es suffisamment sobre pour retenir de ne plus jamais recommencer.
Je plantai le jeune homme à la pommette en feu au milieu de la pièce, furibonde. Je descendis les marches quatre à quatre, saluai tout juste l’aubergiste et quittai l’auberge sans me retourner. Mon arc et mon épée étaient dissimulés sous ma cape de velours bordeaux. Un palefrenier attendait sur les pavés avec les rênes de nos chevaux. Je lui pris ceux d’Eclipse avec un sourire aimable et m’enfonçai dans les rues de Ports Bahiri sans attendre Fabian.
Le spectacle qui s’offrit à mes yeux me surprit agréablement. Point d’ivrogne au regard salace, contrairement aux dires de mon intraitable compagnon de mission, mais seulement un flot bigarré de visiteurs aux yeux pétillant d’émerveillement. Des lanternes aux couleurs de l’aube brillaient à intervalles réguliers le long des rues. Les tambours battaient un rythme entrainant au loin et leur son résonnaient en chacun de nous sur plusieurs centaines de mètres. Une clameur montait des abords du lacs où se concentraient les numéros.
Pour ma part, je flânai une petite heure dans les ruelles illuminées, jusqu’au coucher du soleil. La nuit me dissimulerait à la vue d’une éventuelle embuscade. Alors que je m’apprêtai à guider Eclipse à l’écart du centre-ville, une main happa mon poignet. Je fis volte-face.
— Ne t’emballe pas,… m’admonesta Fabian
— Tu es venu t’excuser ? l’interrompis-je avec hargne.
Il pinça les lèvres alors que je fusillai du regard. Puis, il consentit à acquiescer hâtivement.
— C’était stupide de ma part.
L’aveu lui coutait visiblement.
— En effet, renchéris-je.
Puis, la pitié parvint à m’arracher un sourire en coin.
— Enfin, l’important est que je puisse compter sur toi, j’imagine.
Il esquissa un sourire crispé. Je remarquai qu’il esquivait systématiquement mon regard. Son ego lui jouerait des tours un jour. Dans un élan de bonté, je crochetai son menton et le forçai à tourner la tête.
— Si je ne suis pas revenue à l’auberge pour minuit, c’est que j’aurais besoin d’un coup de main, entendu ?
— Entendu.
Je reculai d’un pas et lui pressai l’épaule, un sourire amusé aux lèvres.
— Alors souhaite-moi bonne chance, joli cœur, ajoutai-je avec un clin d’œil.
Pour toute réponse, il s’inclina bien bas.
— Bonne chance, princesse.
Je réprimai une grimace agacée et hochai la tête, avant de monter à cheval. D’une pression des chevilles, il s’élança au trot sur les rues pavées. J’espérais bien que cette mission s’achève ce soir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top