97. Plumes noires

Le cri effroyable d'une dame en pleurs attira tous les regards au ciel. Un ange aux plumes noires fonçait tout droit au sommet du champ de force gigantesque et l'attaquait de l'intérieur. Cette femme, c'était Sarah Markios, autrefois la nonne que tout le monde chérissait et aimait à l'église d'Athéna. Son cœur, noirci comme le charbon, s'était émietté. Trahie, abandonnée, morte de l'intérieur : sa vie n'était qu'un tissu de mensonges. Ses pouvoirs n'avaient plus rien de beau à ses yeux ; ils lui avaient été légués par une déesse menteuse et manipulatrice !

Dans un deuxième cri de rage étonnant, la protection divine des anges éclata et de nombreuses bêtes qui rampaient au-dessus de cette bulle de verre magique, tombèrent en direction de la ville. Sarah, quant à elle, disparut dans l'obscurité de la nuit, elle ne se retourna même pas pour voir les dégâts que causaient déjà les monstres dans sa ville natale.

Au centre-ville, une naine et un homme-lapin protégeaient des civils qui couraient en direction du palais présidentiel. Ces deux-là venaient tout droit de Lanartis et servaient normalement de gardes personnels pour le Roi Davis et Dame Floraine, mais avaient reçu l'ordre d'assister les brigadiers durant ce carnage. Ils étaient accompagnés de plusieurs soldats qui avaient survécu à l'invasion d'Archenwald. Quelques gargouilles s'approchèrent d'eux, rapidement.

— Boris, à ta gauche ! lança Priya.

— D'accord ! répondit son mari.

Boris tomba face à face avec une chauve-souris cyclope. Cette espèce était de plus en plus fréquente, car il en avait tué plus d'une trentaine depuis ce matin-là. Elles lançaient des ondes magiques violentes avec leurs regards. Il pouvait les abattre facilement. Le seul problème était qu'il allait bientôt manquer de flèches. Il allait devoir improviser. Il prit donc les deux nunchakus qu'il avait empruntés dans le bâtiment d'entraînement de Baldt et fonça tout droit vers son adversaire. Telle une fusée, il détruisit la chauve-souris monstrueuse et s'attaqua la plus énorme des gargouilles.

Priya sortit alors un flacon rouge de sa petite sacoche et la jeta en direction d'une dizaine de gobelins et une gargouille. L'objet éclata et désintégra ces monstres dans une explosion de flammes. Elle passa ensuite d'autres flacons de ce genre à ses compagnons. Il s'agissait de bombes élémentaires, l'une de ses spécialités qu'elle avait emmenées de Mytira. Là-bas, ils étaient des experts en objets magiques.

— Dégagez le terrain ! ordonna Boris. Je vais tenter quelque chose !

Ses soldats obéirent et il courut vers le gazon avant de plonger directement dans la terre qu'il creusa avec ses puissantes pattes — un tour de magie qu'il avait appris, plusieurs années plus tôt. Un instant plus tard, il réapparut sous une autre gargouille, moins grosse que la précédente et lui donna un solide coup de pied dans la gueule.

— Toujours pratique, ton pouvoir ! dit la naine, enjouée.

— Remercie plutôt Mère Nature ! fit ce dernier.

Il se retourna et reprit son souffle, tandis que plusieurs araignées géantes rampaient dans sa direction. Il grimaça de dégoût. Il n'aimait pas ces créatures. Il leur lancerait bien des bombes magiques, mais il n'en avait pas sur lui.

— Couvrez-moi ! lança-t-il à ses compagnons. Je dois boire ça !

Il leur montra un flacon de potion magique et recula de quelques pas, afin d'éviter le coup de lame d'un squelette ranimé.

Priya fonça dans le mort-vivant et l'abattit avec deux coups de ses dagues bien affilées. L'épée du monstre tomba par terre.

— Ah, je n'y crois pas ! grogna-t-elle. Ils gagnent de plus en plus de terrains !

— Ne perdez surtout pas courage, Madame Lightwood ! cria l'une de ses subordonnées. Nous pouvons y arriver !

— Ces bâtards sont en train d'endommager l'académie ! lança un brigadier à leur droite. Il faut les arrêter !

— Simon, reviens ici tout de suite ! fit une jeune femme.

Un immense ogre défonça l'immeuble auquel se trouvait la taverne près de la fontaine publique. Il empoigna le dénommé Simon et lui arracha la tête avec ses mâchoires. La brigadière poussa un cri de terreur et se cacha derrière deux soldats qui pointaient déjà leurs armes vers l'énorme créature.

— Tout est perdu... ! brailla la pauvre demoiselle. Nous sommes fichus !

Priya soupira. Cette pauvre brigadière n'avait pas tort. Voilà depuis des heures qu'ils luttaient contre ces créatures ténébreuses. Elle n'arrivait pas à imaginer comment ils survivraient tous ces monstres, maintenant que le champ de force avait éclaté. La naine se mit en position défensive et se prépara pour la prochaine créature qui viendrait dans sa direction.

Pendant ce temps, Boris bondit sur le toit d'un immeuble et ressortit son arc avec lequel il lança plusieurs flèches qu'il venait de construire avec sa magie élémentaire. L'homme-lapin n'avait pas l'intention d'abandonner le combat. Cela inspira ses camarades à faire comme lui.

¤*¤*¤

La ville se faisait envahir à une vitesse hallucinante. Les nombreux soldats et brigadiers rassemblés en face des marches du palais furent encerclés par ces monstres et devaient tout faire pour que ces derniers n'y pénétrèrent pas. Après tout, plusieurs civils s'étaient réfugiés entre ces murs. Des anges se joignirent au groupe. Du sang et des tripes volaient dans tous les sens.

Le ciel crépusculaire ne présageait rien de bon, car tous les combattants présents sur place, cette nuit-là, comprirent qu'ils ne verraient pas l'aurore. Les dieux renégats avaient gagné cette guerre. Il ne manquait plus qu'ils atteignent le palais et qu'ils le renversent comme ils l'avaient fait à Lanartis.

À l'entrée sud de Baldt qui avait été détruite plus d'une heure plus tôt, une jeune femme aux cheveux noirs et au regard pétillant était vêtue de dentelles. Ses vêtements ressemblaient à ceux d'une servante. Sa peau était blanche et ses lèvres étaient rouges et pulpeuses. Au fil des années, le corps de Narcissa Tabris avait légèrement changé, afin de prendre des traits plus similaires à ceux que la déesse souhaitait.

Perséphone n'avait pas eu besoin de faire transporter son corps depuis l'enfer. Il était venu à elle à travers cette transformation. Son âme avait fusionné à celle du golem ; le processus avait été assez simple pour elle. Étrangement, elle avait développé un penchant pour les vêtements de servantes. Sa nouvelle garde-robe en était pleine. Elle était malgré tout reconnaissante pour le sacrifice de sa fille.

— Ah ! Qu'il soit bon de rentrer chez soi ! s'exprima-t-elle. J'ai déjà hâte de me débarrasser des vermines qui occupent mon joli palais !

À sa droite, un grand homme avec une queue de cheval noir, se promenait à dos de jument. Il posa son regard sur la déesse, puis retourna son attention vers la ville. Il portait une armure en métal sombre et à son dos était attaché un bouclier et une épée. Il ne portait pas de heaume, mais son allure imposante faisait fuir la plupart des soldats et des brigadiers qui l'apercevaient. De cet homme se dégageait une énergie malsaine, qui leur glaçait le sang. Il avait des yeux dorés et un visage fin, mais il n'inspirait aucune confiance. Un papillon bleu se posa sur le gantelet qui ne tenait pas les rennes de sa jument.

— Oh ? formula-t-il. Je vois...

— Que raconte-t-il de nouveau, ton ami ? interrogea alors Perséphone.

— Un ange déchu a été aperçu dans le ciel, pile au moment où le champ de force a éclaté, répondit l'être ténébreux.

— Ah bon ? Ils sont rares, ceux-là.

— Il s'agit de Sarah Markios, d'après lui. Cette dernière aurait appris l'identité secrète de sa mère et aurait rejeté sa religion avant de se transformer.

— Ah... voilà qui change tout ! Nous devrions penser à la recruter dans nos rangs !

— Avec tout le respect que je te dois, ma chère Persie, nous avons un plan à suivre. Nous ne pouvons pas nous permettre de changer de direction.

— Oh ça va Thane, pas besoin de me faire la morale...

Thane était le surnom que Perséphone donnait à Thanatos, l'incarnation de la mort.

Derrière eux, un jeune homme, plus petit qu'eux, était entouré de leurs troupes. Il avait les mains dans les poches de son sarrau de scientifique et portait une longue cape qui lui recouvrait une partie du crâne. Il avait une chevelure blanche, des yeux rouge sang et des lèvres dans les mêmes teintes. Comme Misaki Megumi, c'était un albinos. Contrairement à ses deux acolytes, il était désintéressé par tout ce qu'il voyait. Il ne faisait que suivre leurs ordres. Il bâilla et souleva les mains pour les mettre derrière sa tête.

— Je m'ennuie... soupira-t-il.

— Patience, Hypnos, dit Thanatos. Nous serons bientôt arrivés au palais. Tu pourras dormir comme bon te semble lorsqu'on se sera occupé de cette ville. Je sais que tu es fatigué, mais nous devons continuer...

Perséphone était distraite et n'écoutait pas vraiment leur conversation.

— Quel dommage que cet abruti de Troyd ne pourra pas être des nôtres, gloussa-t-elle. Je lui avais bien dit qu'il ne fallait pas mettre sa queue n'importe où. Mais m'a-t-il écouté ? Non... Que ça lui serve de leçon !

— Le pauvre est tellement humilié qu'il ne sort même plus d'Archenwald, mentionna Thanatos. C'est marrant, en fait. On s'attendait qu'il soit celui qui tuerait Artael, mais là il nous fait une dépression... Quel homme misérable !

Perséphone se mit un poing sous le menton et se tourna vers son interlocuteur.

— Allons, mon chou... prononça-t-elle. Voudrais-tu que je te fasse subir le même châtiment qu'à notre serviteur machiste ?

Thanatos écarquilla des yeux et couvrit ses parties intimes, par réflexe. Le papillon bleu qui s'était posé sur sa main, s'était envolé, quelques secondes plus tôt. Le dieu ténébreux n'osait pas le dire tout haut, mais il était assez fier de ce corps et n'avait pas du tout envie qu'on le charcute.

— Ta masculinité est si fragile, mon pauvre... poursuivit Perséphone. On voit bien qui de nous deux domine l'autre au lit... Pas vrai Hypnos ?

Elle tourna son regard vers l'homme vêtu de la longue cape et celui-ci roula des yeux avant de hausser les épaules.

— Pfft, tu es toujours aussi indifférent... grogna la déesse. Il faudrait qu'on te trouve une petite amie ou quelque chose dans le genre. Rien ne t'excite.

— Je n'ai pas besoin de partenaire, merci... répondit-il.

Perséphone secoua la tête et se tourna vers ses démons inactifs.

— Vous là, que faites-vous à bayer aux corneilles ? Il y a une ville à saccager ! Bougez vos fesses, bande de fainéants !

— Oui, madame ! lança l'un de ses sbires.

Parmi ces démons, des disciples vêtus de capes noires avançaient vers la ville et incendiaient tout sur leur passage. La déesse caqueta de joie tandis qu'elle assistait au spectacle. Elle savourait enfin sa petite victoire personnelle.

Puis, à son grand étonnement, un cri strident résonna dans ses tympans. Au-dessus d'elle, l'ange déchu les avait trouvés. Son cri était si brutal que les oreilles de certaines créatures éclatèrent.

— Bon sang ! tonna Thanatos. On dirait une banshee !

— Elle a perdu le contrôle de son âme, c'est certain ! déclara Perséphone qui créa un champ de force autour d'eux. Quelle puissance !

En un flash éclatant, Sarah disparut derrière le trio et cria une troisième fois, ce qui assomma Hypnos. L'ange aux plumes noires s'envola ensuite dans les airs et tua plus d'une vingtaine de démons avec deux ondes magiques. Dans la confusion, elle élimina aussi des brigadiers qui combattaient ces derniers. La déchue ne faisait plus la différence entre le bien et le mal. Enragée et en larmes, elle souhaitait que tous ces gens disparaissent de son champ de vision. Elle était guidée par son cœur brisé, la raison l'avait quittée. Elle avait même fait éclater l'église, un moment plus tôt.

— Mais... ! C'est qu'elle est beaucoup plus déjantée que nous, ma parole ! s'exclama Perséphone. Il me la faut pour ma collection !

— Je te le déconseille avidement, dit Thanatos avant de mettre une main devant son amante. Cet ange est trop instable.

— Non, mais imagine tout ce que l'on pourrait accomplir avec une créature aussi puissante qu'elle ! Nous devons absolument la convertir à notre cause !

— Tu réalises qu'il s'agit de la petite-fille de notre ennemi, n'est-ce pas ?

— Pfft, il me semblait bien que j'avais oublié un détail...

Elle se mit une main sur la joue et renforça le champ de force autour d'eux.

— Alors, on fait quoi ? demanda-t-elle. On la tue ?

— Tu pourrais tout aussi bien absorber ses pouvoirs, proposa Thanatos.

Sarah fonça dans le champ de force et fusilla Perséphone du regard. La déesse recula d'un pas, lorsqu'elle vit que les deux yeux de la nonne étaient aussi noirs que la nuit.

— Ooooh... quelle puissance, prononça Perséphone. J'ai presque envie de faire d'elle, mon propre petit chien de garde...

L'ange déchu lui fit un petit sourire mesquin avant de passer ses mains à travers le champ de force. Elle empoigna alors la nuque de Perséphone et tenta de l'étrangler. Pendant qu'elle suffoquait, cette dernière essaya de se défendre. Thanatos descendit de sa jument et sortit son épée afin de foncer vers leur assaillante.

D'un coup de tête, Sarah envoya une onde psychique dans le ventre du Dieu de la Mort. Le guerrier fut propulsé dans les airs et tomba plusieurs mètres plus loin. Il invoqua une horde de papillons de toutes les couleurs qu'il envoya en direction de Sarah. La religieuse possédée ouvrit la bouche et lança un puissant faisceau lumineux qui désintégra la plupart d'entre eux. Elle lâcha Perséphone et fit un bond dans les airs. Ensuite, elle s'enfuit après avoir battu des ailes, dans une puissance hallucinante.

Perséphone reprit son souffle, agenouillée. Elle l'avait échappé belle. Elle se massa la nuque alors que trois plumes noires tombèrent devant elle.

— Persie ! hurla Thanatos, qui courait vers son acolyte.

— Changement de programme... s'exprima la déesse, avant de tousser. On doit tuer cette chose...

Elle pouvait à peine respirer. Le champ de force avait disparu lorsque Perséphone avait perdu sa concentration. Si la puissance de Sarah était aussi grande que celle d'un dieu, que serait-elle capable de faire, une fois qu'elle aurait atteint son plein potentiel ? Perséphone ne pouvait pas laisser échapper cette chance. Il lui fallait la puissance de cet ange.

Quand elle se releva, elle remarqua que la déchue avait détruit près de trente pour cent de leur troupe actuelle. Elle écarquilla les yeux avec fascination. La dernière fois qu'elle avait été aussi ébranlée fut quatre ans plus tôt, lorsqu'elle avait trouvé le moyen de prendre possession du corps de Narcissa.

— Que fait-on de la ville ? demanda Thanatos.

— Laissons-la à nos seigneurs démons, déclara son interlocutrice. Ils sauront quoi en faire. De toute manière, ce monde nous appartient désormais...

— Et Hypnos ? On ne peut quand même pas le laisser là...

— Emporte-le. Nous avons une déchue à trouver...

— Très bien. Tes désirs sont des ordres, ma reine.

Perséphone plaça une longue mèche de cheveux derrière son oreille et se tourna vers son interlocuteur.

— Ma reine ? répéta celle-ci. N'était-ce pas toi, le pauvre fou, qui a autrefois tenté de s'approprier mes terres en enfer ?

— Je n'ai jamais dit que j'abandonnerais, ma douce... Seulement, j'ai changé ma cible... Ce ne sont plus tes terres que je désire...

Les joues de la déesse rougirent timidement. Elle n'était pas à son aise, car elle ne savait pas sur quel pied danser avec ce dieu. Il la désirait tout autant qu'il voulait toute une dimension, rien que pour lui. Une partie d'elle ne souhaitait pas trahir la mémoire de son ex-époux, Hadès. Toutefois, depuis que Thanatos et elle s'étaient déclarés leurs flammes, ces deux rivaux étaient devenus inséparables.

— Encore à jouer le charmeur avec moi ? dit-elle, avant de hausser un sourcil. Décidément, tu es beaucoup plus patient que je l'imaginais...

— Je ferais tout pour toi, ma belle...

Il s'agenouilla devant la divinité et lui embrassa la main. Il ressentait un profond désir de la prendre dans ses bras et de l'enlacer contre lui.

— Oh... je vais mourir de honte... marmonna-t-elle. Thane... tu étais le meilleur ami de mon mari... Allons...

— Je sais, répondit celui-ci. Mais Hadès ne voudrait pas que tu pleures sa mort éternellement. Il voudrait que tu profites pleinement de la vie. Il m'a aussi fait promettre de toujours garder un œil sur toi.

La déesse renégate retira délicatement sa main.

— C'est bien tout ça, mais tu as attaqué mes terres... grogna-t-elle. Hypnos et toi n'aviez pas à vous en prendre à la citadelle de Califlos.

Thanatos hocha la tête et posa son regard dans les yeux de Perséphone. Il se releva ensuite et s'approcha légèrement d'elle. Elle ne pouvait s'empêcher de trouver son regard envoûtant. Elle se mordilla la lèvre inférieure.

— Tout ça, c'était parce que nous étions en désaccord sur la façon de gérer nos terres. Mais j'ai pris conscience que la tienne est la meilleure voie qui soit... Laisse-moi devenir ton bras droit, ma douce... Je suis ton instrument de la mort, après tout. Ensemble, nous pourrions conquérir l'univers... J'ose espérer que tu accepteras un jour de m'épouser. Je rêve de passer le reste de ma vie à tes côtés...

Le cœur de Perséphone fit un bond dans sa poitrine. Elle cligna des yeux à quelques reprises. Elle avait une irrésistible envie d'embrasser son amant, mais qu'en était-il de leurs quêtes respectives de pouvoir ? Il lui avait déjà fait la grande proposition, quelques heures plus tôt. Elle n'était pas certaine que ce soit une bonne idée de se marier au beau milieu d'une guerre, mais ce n'était pas l'envie qui lui manquait.

Perséphone rougit et déglutit alors qu'il s'approcha un peu plus de son visage. Il s'attendait à une réponse de sa part. Leurs lèvres étaient sur le point de se toucher, lorsque Hypnos gémit de douleur, derrière eux.

— Réalisez-vous que nous sommes entourés de cadavres ? grogna celui-ci, pendant qu'il se relevait. Ouille... ma tête...

L'effet de cette phrase fut instantané. Le dieu et la déesse firent volte-face, gênés par leurs actions. Quelques démons les observaient, intrigués par la scène. Thanatos leur ordonna de déguerpir et de s'en tenir au plan, alors que Perséphone était rouge de honte. Elle se racla la gorge et se tourna en direction des montagnes. Sarah s'était éloigné par là.

— Commençons nos recherches, dit-elle, d'un ton autoritaire.

— Où allons-nous ? interrogea Hypnos.

— On t'expliquera sur la route, viens.

Hypnos, le plus jeune du trio, décida de hausser les épaules et d'écouter ses supérieurs. Contrairement à eux, il avait l'air d'un adolescent, mais avait en réalité plus de deux mille ans. Ces derniers mois, il avait tout fait pour rendre service aux renégats, mais commençait à se demander s'il avait vraiment envie de continuer tout cela. Il n'aimait pas la guerre autant que ses camarades et préférait passer ses journées à dormir. Tout ce qu'il voulait en cet instant, c'était faire une sieste dans un bon lit douillet. Ce fut avec lassitude qu'il suivit son frère et la déesse machiavélique.

¤*¤*¤

— Nooooon ! grogna Athéna. Incroyable ! Comment peuvent-ils être aussi maladroits !?

Elle donna un coup de poing sur son bureau, alors qu'elle observait à travers la boule de cristal où elle pouvait voir toutes les activités des citoyens de son monde. Elle venait de voir Artael dévoiler, inconsidérément, à Sarah qu'elle vénérait en fait sa propre mère – en autres termes, elle. Tout ça, c'était la faute de Cyrus. Il avait eu une bien mauvaise influence sur le président de Baldt. Cette révélation avait tellement révolté Sarah que son esprit avait sombré dans la folie. Athéna ne ressentait plus la présence de la nonne en elle.

— Que se passe-t-il, Votre Altesse ? demanda un garde qui entra à l'intérieur de son bureau, en alerte. Quelque chose ne va pas ?

— C'est encore Cyrus Braun qui n'a pas pensé aux conséquences de ses gestes ! grogna Athéna. Par sa faute, nous avons une déchue à traquer !

— Ah non... Qui est-ce ?

— Ma fille, Sarah. Elle a perdu le contrôle de ses pouvoirs lorsqu'elle s'est sentie trahie par sa foi. Nous devons la sauver !

Athéna s'apprêtait à sortir de la pièce, lorsque l'ange se mit devant elle.

— Je regrette, Votre Altesse, mais j'ai reçu l'ordre de vous empêcher de partir...

Le garde bloqua la sortie avec ses bras et ses ailes.

— Vous avez promis au Conclave que vous ne feriez rien ! ajouta-t-il. Vous devez faire confiance au Roi Zeus !

— J'en ai que faire, des ordres du Conclave ! aboya-t-elle. C'est de ma fille, dont on parle ! Dégage de ma route, tout de suite !

L'ange n'eut pas le temps d'esquiver une puissante bourrasque qui lui avait été destinée. Elle l'envoya planer dans les airs, il se cogna la tête contre le plafond, alors qu'elle fonçait tout droit au couloir. La salle des portails n'était pas si loin que ça. Elle n'avait qu'à traverser la porte pour activer les machines, puis foncer tout droit dans la grande masse d'énergie.

— Athéna ! lança un soldat près de la porte de la grande pièce. Faites demi-tour tout de suite ! Retournez dans votre chambre, immédiatement !

C'était un vétéran de guerre qui avait autrefois servi son père adoptif. Il était l'un des rares soldats à lui tenir tête lorsqu'elle désobéissait au Conclave. Elle avait beaucoup de respect pour ce dernier, mais là, ce n'était pas le moment de la contredire. Elle fit apparaître une lance cristalline d'une main et s'avança vers le vieil homme ailé. Ensuite, elle échangea un coup avec l'épée de celui-ci.

— Dégagez de mon chemin, Samuel, ou je jure que vous allez le payer ! ordonna cette dernière. Ma fille est en danger !

— Le Conclave me l'interdit, mademoiselle ! Retournez dans votre chambre, je vous prie. Vous avez déjà du pain sur la planche avec vos obligations, ne compliquez pas les choses durant l'absence de notre roi !

— Mais que se passe-t-il dans cette salle ? Pourquoi la porte est-elle fermée ?

— Quelques représentants du Conclave sont venus faire le ménage, madame.

— Le ménage ? Il n'y a que les ingénieurs qui s'occupent de cette salle. Vous mentez ! Laissez-moi passer ou je me fâche !

Elle échangea d'autres coups avec son adversaire, puis elle finit par l'envoyer s'écraser contre un mur avec une puissante onde psychique. Ensuite, elle défonça la porte de la salle des portails, d'un puissant coup de pied.

Vêtue d'une simple robe de chambre blanche et démaquillée depuis ce matin-là, la princesse guerrière n'avait plus de temps à perdre. Elle marcha en direction des ordinateurs lorsqu'elle réalisa avec horreur que quatre individus qui avaient autrefois travaillé avec son père, étaient en train de créer une nouvelle couche terrestre par-dessus Aeglys.

Devant elle se tenait un immense hologramme relié aux machines de la pièce. Au fond de la salle, un ingénieur obéissait aux ordres des quatre divinités. Athéna reconnaissait le processus pour l'avoir utilisé, jadis.

— Que faites-vous à ma planète !? aboya la déesse.

L'un des dieux se tourna vers Athéna et secoua la tête.

— Nous reprenons ce qui revient de droit au Conclave, dit-il. Nous avons pris la décision de bannir Nash Markios ainsi que ses anges sur une nouvelle planète que nous allons construire par-dessus Aeglys, où vous n'aurez plus à vous soucier des démons. Nous comptons bien sûr effacer tous leurs souvenirs de cette guerre.

— Quoi !? aboya la princesse. Mais c'est quoi de ce plan foireux ?!

— Nous n'avons pas le choix, continua son interlocuteur. Les démons qui circulent sur votre création risquent à tout moment d'envahir le Saint Royaume.

— Je vous interdis de toucher à ma planète et mes sujets !

— Vous n'avez aucun ordre à nous donner. Un tout nouveau Zeus est déjà en sélection pour représenter la nouvelle planète que nous nous apprêtons à créer. Estimez-vous heureuse que votre père était l'un de nos plus loyaux collaborateurs. Sinon, vous seriez déjà prisonnière de cette dimension.

— Comment osez-vous !? Je croyais que vous aviez changé !

— Peut-être, mais vos enfants prenaient beaucoup trop de décisions dangereuses. Nous avons décidé à la dernière minute d'intervenir. Le départ de vos brigadiers... pour Aeglys, était une excellente opportunité pour nous d'agir.

— Mais c'est de la folie ! Vous avez trahi l'Olympe !

Le dieu s'approcha d'Athéna d'un pas précipité et la gifla du revers au visage.

— Au contraire ! Nous sommes en train de préserver la dynastie de vos ancêtres ! Vous devriez avoir honte d'avoir traîné toutes leurs traditions dans la boue ! La première Athéna n'était pas aussi écervelée que vous ! Maintenant, si vous n'arrêtez pas, je vais devoir directement vous jeter en enfer !

Folle de rage, la princesse foudroya le dieu avec toute la puissance mentale qu'elle pouvait dégager de son corps. Les trois autres divinités se dégagèrent, car ils ne voulaient pas interrompre le duel. Athéna poussa son adversaire en direction du portail qui était toujours actif. Il la repoussa avec une puissante flamme, mais elle riposta avec un jet d'eau de grande taille. Le représentant du Conclave fut propulsé dans l'immense masse d'énergie magique et disparut dans ce dernier.

Athéna allait se retourner pour attaquer les trois autres dieux, mais elle reçut un coup de pied dans le ventre. Elle vit que l'un d'entre eux s'était porté volontaire afin de lui donner une sévère correction.

— Refermez le portail, pauvre fou ! ordonna cet homme à l'ingénieur.

— Vous le paierez cher ! hurla Athéna, avant de disparaître dans le portail.

Le dieu venait de repousser la princesse dans la sphère lumineuse et soupira de soulagement. Il s'essuya le front et se tourna vers ses confrères.

— Bannissons tous les olympiens actuels, un coup parti, proposa-t-il. Nous ne voulons pas de révolte, d'accord ?

— Oui, chef ! fit l'un de ses collègues. Nous devrons être prudents, par contre. Plusieurs anges de ce secteur sont toujours loyaux envers eux...

— Ça ne fait rien. La majorité sont loyaux envers les membres du Conclave. Il est temps pour nous de reprendre en main notre Sanctuaire.

— Je suis du même avis. Désolé pour votre frère... Il n'a pas mérité d'être banni comme les autres...

— Ne vous en faites pas pour lui. Son sacrifice ne sera jamais oublié pour notre cause. Tâchons de mettre un terme à cette folie, au plus vite.

Ses deux collègues hochèrent leurs têtes en même temps, puis ils s'approchèrent de l'ingénieur terrifié. Celui-ci ne leur avait pas encore dit qu'il avait envoyé Nash, Lucas et les membres de la Septième Brigade dans la zone d'entraînements, en compagnie des esprits élémentaires. Lorsqu'il avait compris ce que les représentants du Conclave comptaient faire à Aeglys, il avait prié en silence pour que le défunt Roi Zeus le pardonne.

— Oh... pendant que j'y pense... mentionna le responsable des trois divinités, à l'ingénieur. N'oubliez pas de restreindre leurs pouvoirs. Nous ne voulons pas qu'ils se souviennent de leurs origines, après tout.

— O... Oui monsieur...

L'expert des machines reprit aussitôt son travail, ressentit couler une perle de sueur sur sa nuque et pria encore une fois. Cette fois, il demandait pardon au Créateur pour le crime qu'il avait commit, sous l'influence de ces quatre divinités sans vergogne.

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