96. Le cri de l'ange
Le 18 avril 3918 AD, tout de suite au moment où Troyd entra dans la chambre où il comptait violenter Misha Doyle, celui-ci remarqua qu'elle ne se trouvait pas dans la pièce, tel que prévu. Les menottes n'avaient même pas été attachées. Le bâillon réservé à la jeune femme avait été jeté par terre.
— C'est quoi cette mauvaise plaisanterie ?! grogna-t-il quand il s'approcha du lit. Que quelqu'un me dise où se trouve ma pute avant que je me fâche !
Il reçut une fléchette paralysante dans la nuque et tomba sur le dos. Il sentit alors quelqu'un lui enlever son pantalon et on lui trancha son membre en pleine érection. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit. Des larmes coulèrent cependant de ses yeux. Il baissa ces derniers et remarqua le sourire narquois d'une naine. Celle-ci tenait une dague dans sa main et le morceau de chair humaine dans l'autre main.
— Voici un cadeau de la part du Roi Davis et de Dame Floraine, dit-elle.
Elle s'avança vers Troyd et lui enfonça son présent dans la bouche. Il avait envie de vomir. Elle le força à mastiquer avant de lui donner un coup de pied dans la tête. Ensuite, elle lui cracha dessus.
— Ça va Priya, il a compris la leçon, fit Misha qui sortit d'en dessous du lit.
La jeune femme s'était changée. Elle ne portait plus ses vêtements de paysanne, mais un uniforme d'infiltration. Cette dernière arborait un simple chandail noir et un pantalon gris foncé. Elle tenait dans sa main, un trousseau de clés qu'elle avait dérobé du garde mort, à leur gauche.
— Allons libérer ces filles, ordonna la naine. Nous devrons faire vite avant que les autres gardes reviennent. Ne traînons pas.
— D'accord ! répliqua son interlocutrice. Votre mari ne devrait plus tarder...
— Il a intérêt. C'est quand même le meilleur archer de toute l'armée !
Priya Lightwood était une petite brunette à la peau légèrement bronzée. Elle avait des yeux d'un brun clair avec un petit nez retroussé. Cela lui donnait une allure espiègle. Cette femme était reconnue pour être une grande amie de Lucas Markios et avait pour mission d'ouvrir la voie pour les soldats qui résistaient à l'extérieur du château.
Leur but serait d'occuper celui-ci, afin de réclamer le trône, en plus de libérer les victimes innocentes. Misha n'avait été qu'un leurre dans leur plan. Elle avait joué la demoiselle chaste et pure qui allait se faire baiser par le cruel tyran ; mais à la dernière minute, Priya était sortie de sa cachette et avait stoppé le garde qui aurait mis son amie dans une fâcheuse position.
— Que faisons-nous de cette ordure ? dit Misha, qui pointa Troyd du regard.
— Jetons-là aux cachots et libérons les autres, proposa Priya. Nous nous occuperons de lui plus tard.
— Tu ne l'as vraiment pas manqué, en tout cas...
Toutes deux s'échangèrent un regard discret avant de glousser.
Troyd jura qu'il allait se venger, une fois l'effet du paralysant dissipé. Il commencerait par la naine par l'arrière, puis lui enfoncerait la tête quelque part. Celui-ci imaginait tous les pires châtiments qu'il lui ferait endurer, par la suite.
Il se mit à rigoler et recracha ce qu'on lui avait mis dans la bouche. Il pouvait enfin recommencer à articuler ses mots. Peu importe ce qu'elle lui avait injecté, cela semblait déjà se dissiper tranquillement.
— Vous vous croyez... malines... mais vous avez torts... vous allez crever, pouffiasses... se moqua celui-ci. C'est moi qui vous le dis...
— Tu n'es pas en position de nous faire des menaces, crétin, répondit Priya. Je t'ai déjà émasculé, tu n'as aucun pouvoir sur nous. Sinon, ça t'a fait quoi de goûter à ton propre instrument ? Elle est plus petite que je l'imaginais...
Cette provocation avait fonctionné, car Troyd grognait et lui balançait plusieurs insultes à la figure. Elle sourit tandis qu'elle sortit une autre fléchette de la petite pochette qu'elle avait reliée à sa ceinture. Celle-là, elle la planta directement dans le ventre de la crapule. Il cessa de gesticuler, puis elle sortit de la même pochette une seringue déjà préparée et une aiguille qu'elle attacha à celle-ci. Le contenu du petit objet en plastique contenait un puissant sédatif qu'on lui avait offert, avant le début de cette mission. Elle injecta le tout dans la cuisse gauche de l'homme.
— Ne serait-ce pas plus simple de le tuer ? demanda Misha, déroutée.
— Non, ce n'est pas comme ça que nous procédons à Lanartis. Il sera jugé devant le Conseil Royal, ou ce qu'il en reste. Nous passerons au vote et nous déciderons son sort à ce moment-là.
— Ouais bah, tu as tué le garde plus tôt...
— Ce type était un démon, Mish'. Pas une grosse perte, si tu veux mon avis.
— Et les autres monstres, on en fait quoi ?
— Ceux-là n'ont pas d'importance. Nous avons reçu la directive de capturer Troyd vivant et d'ouvrir un passage pour nos alliés. On doit y aller, maintenant... Te sens-tu prête ?
— Oui, je te suis.
Priya ligota alors Troyd par les pieds avec une corde et le traîna en dehors de la chambre. Le corps du barbare laissa une trace de sang derrière lui. Normalement, il ne serait pas prudent de ne pas faire attention à ce genre de détail, mais la naine n'était pas la seule à représenter l'armée, à l'intérieur de ces murs. Déjà, elle pouvait entendre des bruits de lames depuis la salle du trône.
— Ah tiens, tiens... quelques-uns de mes hommes ont déjà commencé à combattre, remarqua-t-elle. As-tu une arme, Mish' ?
— N... Non... couina son interlocutrice.
— Va prendre l'épée du garde et va libérer les autres jeunes femmes. Ensuite, rejoins-moi aux cachots.
— Tout de suite, chef !
Misha, qui avait survécu au carnage des démons et des disciples des renégats, avait rejoint la milice improvisée des survivants d'Archenwald. Cela faisait des jours qu'ils avaient planifiés de s'infiltrer à l'intérieur du château. Leurs supérieurs étaient nuls autres que le Roi Davis et la Dame Floraine en personne. On avait fait exécuter leurs sosies, par erreur. Leurs sacrifices ne seraient jamais oubliés.
Le véritable roi de Lanartis et son épouse s'étaient fait passer pour de simples paysans, dans leur cachette secrète. Quand était venu le temps de discuter des stratégies de guerre, ils s'étaient rassemblés avec tous leurs soldats et la milice autour de leur grande table et leur avaient donné toutes sortes de directives. Ce jour-là, ils avaient rassemblé suffisamment de volontaires afin de réclamer le château.
Les sbires de Troyd étaient forts et dangereux, mais il ne fallait jamais sous-estimer la population d'Archenwald. Cette ville regorgeait de quelques passages secrets que seul la famille royale et quelques soldats étaient disposés de connaître les emplacements. Ce fut de cette manière qu'ils avaient sauvé plusieurs personnes et qu'ils s'étaient rassemblés dans une partie cachée des égouts.
Tandis que Priya traînait le corps inconscient du tyran à travers la salle de trône, elle se souvint avoir entendu la voix d'un inconnu, un peu plus tôt. Celle-ci venait des couloirs. C'était un vieil homme et il avait discuté avec le despote pendant un moment. Elle se demandait où était passé l'intrus. Il s'était probablement échappé avant que la plupart des membres de la milice aient commencé à infiltrer les lieux. Elle jeta un coup d'œil rapide sur tout le sang qui avait été versé à travers la grande pièce et grimaça de dégoût.
Priya n'en revenait pas que quelques semaines plus tôt, elle avait assisté à une cérémonie à laquelle Sa Majesté Davis avait élevé l'un de ses soldats au rang de chevalier. C'était l'un des anciens rangs de cette nation qui avait beaucoup de valeur aux yeux des soldats. Non seulement étaient-ils aussi importants que tous les autres grades supérieurs, mais ils étaient reconnus à travers la nation comme des héros. Une bonne partie de ces chevaliers protégeaient le roi et son épouse, en cet instant. Les autres n'avaient pas eu cette chance. Ils avaient tous péri lors du raid des disciples. Priya eut une pensée pour ceux-là, alors qu'elle continuait son trajet.
— Par ici ! fit quelqu'un en face de la naine.
Elle sortit de ses pensées et vit un homme-lapin à la fourrure grise qui lui faisait signe d'approcher. Il se trouvait tout près des escaliers qui menaient aux cachots, où l'on jetait les pires crapules du royaume. L'hybride en question était nul autre que Boris Lightwood, son mari. Ils s'étaient rencontrés, plusieurs années plus tôt, avant même que Lucas n'arrive à Lanartis.
— Te voilà, toi ! lança-t-elle en traînant Troyd derrière elle.
Son interlocuteur était un chasseur d'Aöryn, le même village que Cassandra Appleseed. Il était parti de la république, presque quinze ans plus tôt. Il avait voulu changer d'air, avait-il formulé, une fois, et avait désiré voyager un peu. Il avait fini par rencontrer Priya sur la route et ils avaient pris quelques contrats ensemble, jusqu'au moment où les deux mercenaires avaient rencontré une jeune femme maigrichonne et perturbée, qui avait besoin d'aide.
La voyageuse avait souffert d'une sévère dépression. Ils en avaient pris soin pendant quelques mois, alors qu'elle avait rempli quelques contrats avec eux. Graduellement, ils s'étaient tissés tous trois des liens solides et un jour, la jeune femme leur avait révélé qu'elle songeait à s'affirmer en tant qu'homme trans. Lors de sa transition, ils l'avaient baptisé Lucas, en hommage au pays où ils s'étaient rencontrés. La lumière dans les yeux de leur ami, lorsqu'il avait reçu son prénom, n'avait fait que confirmé qu'il avait fait le bon choix. Ils avaient fini par rejoindre l'armée de Lanartis et avaient continué à travailler en équipe, jusqu'au jour où il avait disparu.
— J'espère pour nous que Lucas soit en sécurité, soupira-t-elle alors qu'ils descendaient les escaliers. S'il voyait l'état dans lequel le château se trouve en ce moment, il aurait une crise cardiaque !
— Ne t'en fais pas pour lui, répondit son mari. Je suis certain qu'il finira par se manifester, une fois qu'il aura terminé sa mission.
— Ça fait quand même plusieurs semaines... Et s'il était mort ?
— Ne raconte pas de bêtises, Pri'. Lucas a sûrement dû s'égarer, comme toujours. Tu sais à quel point il a un très mauvais sens de l'orientation...
Priya soupira et secoua la tête.
— Une fois ce stupide conflit terminé, je demanderais la permission au roi et à son épouse de me laisser mener une équipe au sud de la province. Nous finirons bien par trouver ce qui s'est passé à notre ami !
— Allons chérie, nous sommes en guerre...
— Qu'essaies-tu d'insinuer par là ?
— Il a de fortes chances qu'il soit mort.
Frustrée, Priya lui donna une petite tape sur le dos, tout au-dessus de sa petite queue touffue de lapin. Il couina de douleur et se retourna vers elle, vexé. Il retourna ensuite ses yeux dorés en bas des escaliers et continua son chemin, posant rapidement ses pattes sur chaque marche. Celui-ci n'avait jamais trouvé de chaussures pour ses pieds, il ne portait que des protections métalliques autour de ses chevilles. Les créatures de son espèce étaient beaucoup plus humaines que bêtes, mais il leur arrivait cependant d'avoir des traits uniques à leurs races. Par exemple, Boris avait des mains presque humanoïdes et pour cette raison, cela lui permettait de tenir des armes.
— Estime-toi heureux que tu sois mon époux, sinon je t'en voudrais VRAIMENT d'abandonner notre meilleur ami ainsi ! grogna-t-elle.
Il haussa les épaules.
— Comment se porte notre nouvelle recrue ? demanda-t-il à l'attention de Misha.
— Mish'? Elle était un peu secouée lorsque je l'ai trouvée, mais tel que prévu, elle avait déjà fait une prise au garde et l'avait balancé contre le mur. Je lui ai brisé la nuque lorsqu'il s'est relevé et je me suis caché dans l'ombre, pendant qu'elle a glissé sous le lit. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que la grosse andouille ne rentre dans la chambre.
— Et comment t'es-tu rendu au couloir, déjà ?
— J'ai emprunté le passage secret de l'aile est du château.
— Bien joué.
Il s'arrêta alors en bas des escaliers et fit signe à sa compagne de s'arrêter. Il sortit ensuite une flèche de son carquois et prépara son arc. Ils entrèrent aussitôt aux cachots et il visa un premier garde dans la nuque. Il décocha sa flèche et retira aussitôt un autre projectile, puis se tourna vers un second démon vêtu d'armure. Celui-là fonça dans leur direction lorsqu'il remarqua que son ami venait de périr.
La majorité des sbires de Troyd ne traînaient pas à l'intérieur du château ; ils rôdaient dans les ruelles d'Archenwald et détruisaient ou incendiaient tout sur leur passage. Le tyran avait beau être un général autrefois, il n'était pas si futé que ça. Il n'était bon qu'à deux choses : se battre et obéir. Sinon, il passait ses journées à agresser les dames qu'on osait lui mettre sous la main...
— Eh ! Vous êtes venus nous sauver ? demanda la vieille dame qu'on avait enfermée, un peu plus tôt. Je vous reconnais ! Vous êtes des soldats !
— Oui, ne vous en faites pas, nous avons commencé à vider le château des intrus, répondit Boris. Priya ? As-tu le trousseau de clés ?
— Non, Mish' l'a sur elle. Il y a probablement un passe-partout sur l'un de ces gardes. Vérifie, donc...
Boris rangea son arc. Ses longues oreilles ne détectaient aucun son étranger, à part celui des prisonniers et du crépitement des flammes dans la cheminée au fond de la pièce. Il s'approcha du premier garde qui avait été abattu et y trouva un autre trousseau de clés. Il se chargea alors de libérer les victimes, une par une, pendant que son épouse verrouillait Troyd dans l'une des cellules vides. Avant de refermer la porte, toutefois, elle passa des menottes magiques au tyran, et s'assura que ses mains fussent sorties de la cellule. Avec ces entraves, il ne pourrait pas tellement bouger, ni lancer de sorts, car elles avaient été conçues spécialement pour empêcher les mages criminels de faire appel à la magie.
— Et voilà ! Une bonne chose de faite, commenta Priya. On fait quoi maintenant ?
— Emmenons ces gens en sécurité, proposa Boris. J'entends toujours des bruits de combats à l'étage d'au-dessus...
— Ne vous en faites pas pour nous, Monsieur Lightwood, dit un jeune cuistot en uniforme. Nous nous défendrons !
— Je préférerais que vous restiez ici pour le moment, mentionna Boris. Les renforts ne vont pas tarder à arriver. Le roi et la reine sont en route pour le château, pendant que nous nous parlons.
— Comment ça ? interrogea la vieille cuisinière. Ne sont-ils pas décédés ?
— Non, l'armée des dieux renégats s'est emparée de leurs sosies. Mais soyez sans crainte. Nous sommes prêts à lancer la contre-attaque.
Priya esquissa un sourire aux paroles de son époux. Il n'était pas le capitaine de leur escouade pour rien. Plusieurs de leurs concepts avaient été empruntés par la république de Baldt, mais leurs groupes étaient beaucoup plus gros que là-bas. Boris s'occupait d'une équipe de vingt soldats, tous aussi habiles que lui, et Priya en faisait partie. Normalement, Lucas gérait leur équipe, mais puisqu'il était absent, on avait nommé Boris pour le remplacer.
— Merci Monsieur Lightwood, dit le cuistot qui lui avait adressé la parole, un instant plus tôt. Je commençai à perdre espoir... Me voilà rassuré !
— Oh, par Athéna... pleura la vieille dame. Ils sont vivants...
La pauvre dame qui s'était fait malmener par les démons et les gardes de Troyd, un peu plus tôt dans la journée, était heureuse. Elle croyait que son monde s'était écroulé et qu'elle allait mourir. La présence des deux soldats l'apaisait.
— Oui et ils sont furieux, précisa Priya. Nous nous sommes fait avoir par les renégats, mais nous n'en avons pas fini avec leurs conneries. Ils vont comprendre ce soir qu'il ne faut jamais sous-estimer notre nation...
Malheureusement, le roi et la reine ne récupérèrent pas leur château ce soir-là, tel que prévu, mais réussirent à fuir la ville d'Archenwald en compagnie de plusieurs soldats. Leur cachette fut trouvée par le mage Randell Tabris qui leur avait envoyé ses acolytes afin de tuer la plupart d'entre eux. Boris et Priya Lightwood durent prendre la fuite, mais pas avant d'avoir escorté les prisonniers jusqu'à leurs troupes. La nation de Lanartis ne serait peut-être pas libérée ; mais pour eux, cette défaite n'était pas entièrement sans compensation. Les survivants décidèrent d'éviter les combats et de foncer vers l'ouest, en direction de la république. Le président de Baldt les accueillerait à bras ouvert.
¤*¤*¤
Le 18 juin 3918 AD, le combat faisait rage au sud de Baldt. Plusieurs anges étaient apparus au-dessus de la cité et avaient invoqué un gigantesque champ de force pour la protéger.
Un représentant du Saint Royaume se présenta alors au bureau du président, escorté par quelques brigadiers qui avaient fait sa rencontre, cet après-midi-là. Ce dernier leur avait expliqué que l'au-delà avait remarqué les nombreux efforts de la ville afin de mettre un terme à cette guerre et que pour cette raison, ils désiraient les aider. Artael trouvait ce raisonnement particulièrement louche, mais ne pouvait pas refuser l'aide de ces créatures ailées.
— Vous dites que mon frère Nash est en route pour nous aider ? demanda le président, installé derrière son pupitre. Comment va-t-il ?
— Il est en pleine forme, Monsieur Markios, dit l'ange à la tête rasée. Celui-ci est en retard, malheureusement, ainsi que le reste de nos renforts. J'ai le regret de vous annoncer que tous les membres de la Septième Brigade sont morts, lors de leur mission dans le monde obscur. Néanmoins...
— Quoi... comment ?! s'exclama le président.
— Ils vont bien, je vous assure... seulement, ils sont des anges désormais et travaillent présentement pour nous. Nous les avons reconstitués dans des incubateurs dans lesquels on a modelé de nouveaux corps par-dessus leurs âmes. Ils devaient normalement me suivre et votre frère devait vous expliquer la situation, cependant il a décidé de me jouer un tour.
— Ah bon ? Pourquoi ça ?
— Parce qu'il se trouve en cet instant dans une dimension entre la nôtre et la vôtre. Celle-là est réservée aux divinités et aux anges qui souhaitent s'entraîner. Mes collègues et moi, nous avons compris qu'il avait programmé la salle, bien avant de venir ici. Là-bas, le temps se déroule différemment, donc quelques années pour eux deviendraient une journée entière pour nous. Cependant, j'ai cru comprendre qu'il a modifié la machine afin de nous quitter que quelques minutes seulement. Ça fait maintenant une demi-heure qu'ils sont partis.
— Croyez-vous qu'il se soit passé quelque chose, Cyrus ?
L'ange chauve secoua la tête et se passa une main dans sa barbichette.
— Votre frère a encore beaucoup de choses à apprendre du Saint Royaume, mais j'ai bien peur hélas que le Conclave des dieux n'apprécie pas ses initiatives.
— Où voulez-vous en venir ? demanda Kyran, à côté du président.
Ce dernier n'avait pas beaucoup dormi durant les derniers jours, tellement il était inquiet pour la sûreté de la république.
— Nash Markios est désormais le Dieu de l'Olympe et celui qui remplace le Zeus précédent, sur le trône, déclara Cyrus. Cette information devait normalement rester confidentielle, mais puisque nos mondes vont bientôt coopérer sur deux fronts différents, je crois que je n'ai plus vraiment le choix de tout vous dévoiler.
Artael soupira, une main dans sa longue chevelure. Le Conclave souhaitait faire de leur monde, un endroit où cohabiteraient leurs races conciliantes, en plus des anges. Cela semblait trop beau pour être vrai. Était-ce le début de l'apocalypse telle qu'annoncé dans la bible d'Athéna ? Un jour, il était dit que les anges descendraient du ciel et que les démons rôderaient par milliers sur les terres d'Aeglys. Ce jour-là serait la fin du monde, ou bien, celui du renouveau ; d'après ce qu'avaient dit plusieurs analystes de la religion athénienne. Un frisson parcourut le dos d'Artael, alors que Cyrus l'observait en silence.
— En attendant le retour de mon roi, je suis chargé de veiller sur vous, Monsieur le Président, dit Cyrus. Je ferais tout en mon pouvoir pour qu'il ne vous arrive rien. Votre collaboration avec notre roi sera essentielle afin de combattre les forces des ténèbres. J'espère que vous comprenez...
— Même s'il n'était pas un dieu, j'aurais aidé Nash sans hésiter, répliqua Artael. Il s'agit de mon frère cadet. Jamais je ne pourrais lui refuser quoi que ce soit. Surtout pas depuis qu'il se soit fait tuer par notre frère Troyd.
— Très bien, soupira l'ange. Dans ce cas, vous m'en voyez ravis. Mes hommes et moi serons à votre disposition jusqu'à ce que vous n'ayez plus besoin de nos services. Avez-vous quelques questions à me poser, monsieur ?
Artael hésita, mais son fils Kyran était curieux.
— Qu'est-il arrivé à la Septième Brigade, au juste ? interrogea-t-il en poussant ses lunettes sur son nez. Voilà des mois que nous avons perdus tout contact avec eux. Mon frère n'aurait jamais pris autant de temps à nous écrire.
— Tout porte à croire que les renégats ont cherché à se débarrasser des porteurs, tout comme les esprits élémentaires, expliqua Cyrus. Ils ont invoqué le néant afin de les exterminer, mais à la dernière minute, nos machines les ont tous sauvés et nous avons pu les reconstituer dans ces dernières. Seulement, nous n'avions pas le choix de les transformer en anges, puisque vous avez terriblement besoin d'aide avec les démons. Son Altesse Zeus, dit Nash, a décidé de les entraîner, je crois. Voilà pourquoi ils ne sont pas ici.
Cette conversation rafraîchissait les souvenirs du président et du conseiller.
— Ça me revient enfin, tout ça, dit Kyran. Flint avait en sa compagnie, une louve blanche, il y a quatre ans de cela. Elle était aussi liée à Nash, avant son décès, si je ne me trompe pas.
— En effet, répliqua Artael. Il s'agit de Dia, l'esprit de la lumière.
— Comment se fait-il que nous ayons tout oublié ?
Cyrus leur expliqua alors comment les agents des renégats avaient brouillé les souvenirs de tout le monde et qu'ils avaient enfermé les créatures magiques en enfer. Ensuite, il leur expliqua comment ce maléfice avait été rompu aussitôt que Dia avait remis les pieds dans cette dimension.
— Ces gens ont travaillé dans nos rangs, jusqu'à très récemment, poursuivit-il. Ils nous ont empêchés de voir les véritables rapports, stipulant que votre monde était attaqué et que les esprits, ainsi que les porteurs étaient tous prisonniers. Nous avons été bernés par leurs subterfuges... Je vous demande sincèrement pardon, au nom de tous les anges qui devaient veiller sur vous.
Artael se leva de sa chaise et partit chercher une bouteille de whisky dans l'un de ses tiroirs de bureau. Il avait besoin de réfléchir un peu.
— Vous en voulez ? demanda-t-il à leur invité.
— Non, merci, Monsieur le Président. Je ne bois pas d'alcool.
Pendant que le quinquagénaire se servait, Kyran reprit la discussion.
— Vous dites que c'était votre devoir de veiller sur nous, commenta celui-ci. Pourquoi donc ? Les anges devaient-ils exterminer les démons, discrètement ?
— En principe, oui, déclara Cyrus. Mais hélas, les choses ont empiré de jour en jour. Habituellement, le Saint Royaume aurait envoyé quelques anges invisibles pour assister les esprits élémentaires, cependant il est trop tard désormais. Nous dévoiler au grand jour était notre dernier recours. Avec votre armée et nos anges, nous pourrons protéger cette ville.
— Et que fait Athéna, dans tout ça ? continua le conseiller. Pourquoi n'est-elle pas parmi nous, à protéger son monde ?
Contrairement à son père, Kyran ignorait que Diana Markios était nul autre que la Déesse Athéna. Cette dernière avait tout dévoilé à son ex-fiancé en rêve, quelque temps après la première invasion du culte – soit quatre ans plus tôt. Artael s'était promis de ne pas dévoiler son secret au grand jour. Toutefois, il savait que ses enfants n'étaient pas des êtres humains, mais des anges.
— Votre mère ? demanda Cyrus. Celle-ci ne peut pas se libérer, malheureusement. Le Conclave des dieux a jugé qu'elle les a trop désobéi, dernièrement. Pour cette raison, elle devra assister les combats à partir de nos centres des commandes.
Kyran cligna des yeux à quelques reprises.
— Ma mère s'appelle Diana, dit-il. Je ne sais pas à quel jeu vous jouez, mais elle ne peut pas être ma déesse...
Cyrus réalisa son erreur et se tourna vers le président, perturbé. Artael soupira et but son whisky, cul-sec.
— Kyran... je crois que c'est le moment de tout te dévoiler, déclara son père. Mais avant cela, j'aimerais que nous soyons en compagnie de Sarah. Elle mérite aussi de savoir ce que je m'apprête à te dire.
— Oh, fils de put... lâcha Kyran, lorsqu'il se rendit compte que Cyrus disait la vérité.
Il soupira et s'excusa auprès de leur invité. Il était furieux contre son père de leur avoir caché un secret si important, mais il comprenait que c'était surtout pour les protéger qu'il avait fait cela.
Kyran avait déjà compris, malgré tout, qu'il était le fils biologique d'Athéna. Sa sœur allait sûrement péter un câble, quand elle apprendrait cette nouvelle. Il craignait aussi pour sa santé mentale. Ce fut avec la tête lourde d'idées noires qu'il descendit au deuxième étage, où Sarah gardait Sakura et Yuki, à l'appartement de Misaki Megumi. Tous les religieux et religieuses, y compris le Père Shalom, avaient été déplacés au palais présidentiel, afin d'être protégés.
— Prions pour que Sarah ne perde pas connaissance, soupira son frère.
¤*¤*¤
— Par les chiottes de Poséidon ! dit la nonne à son père, avant de se couvrir la bouche. Oh miséricordes, mon langage... pardonnez-moi !
Elle fit quelques signes religieux de ses mains et s'agenouilla devant le bureau de son père, aux côtés de l'ange qu'elle venait de rencontrer. La religieuse avait été remplacée par une servante qui était passée devant la porte de chambre de Misaki, lorsque Kyran lui avait demandé de veiller sur les enfants pour elle.
Dès leur retour à la salle de bureau du président, celui-ci leur avait raconté le reste de son histoire avec Athéna. Kyran avait lâché un long soupir et s'était assis sur l'un des bancs des invités. Ensuite, Sarah avait réagi comme son frère l'avait prédit.
— T... Tu... plaisantes... n'est-ce p... pas, Papa ? s'exclama-t-elle nerveusement. Je ne p... peux pas être la f... fille d'Athéna... Oh... Oh ma Déesse...
— Vous lui ressemblez comme deux gouttes d'eau, madame, dit Cyrus qui pencha son regard vers elle.
Elle sursauta et déglutit. La pauvre jeune femme avait complètement oublié la présence de l'ange chauve, dans cette pièce.
— Qui... qui êtes-vous ? couina-t-elle nerveusement.
— Je suis le garde du corps de votre oncle Nash, mais aussi celui de votre père, pour quelque temps, déclara celui-ci. Vous pouvez m'appeler Cyrus Braun.
— Alors Kyran ne plaisantait pas lorsqu'il disait que Tonton Nash est toujours... vivant... soupira celle-ci. J'ai la tête qui tourne...
Elle prit son chapelet d'une main et embrassa celui-ci. Ensuite, elle murmura une prière. La nonne ferma les yeux un moment et récita l'Ave Athéna qu'elle avait apprise par cœur, depuis qu'elle était toute petite.
— Vous parlez latin ? constata l'ange. Même nous, nous n'utilisons plus cette langue au Saint Royaume. C'est si étrange que vous connaissiez cette langue.
— Ah, c'est ainsi que vous appelez ce langage ? interrogea Kyran. Il n'y avait pas de mot dans notre langue pour la définir.
— C'est probablement parce que notre système a oublié de vous inspirer cette locution, ajouta Cyrus. Tout comme vous devriez savoir que votre langue actuelle est le français. Les dieux ont vraiment été paresseux lorsqu'ils vous ont programmés... Je devrais en glisser deux mots à votre oncle.
— Le français ? répéta Artael, déboussolé. J'ignorais que nos langues avaient des termes aussi bizarres. Comme c'est marrant...
— Et vos prénoms sont généralement très anglophones, si vous voulez mon avis, fit le garde du corps. Ces langues sont parlées couramment sur certaines planètes, à part le latin, bien sûr. En me promenant dans votre ville, un peu plus tôt, j'ai remarqué que certains d'entre vous parliez même le japonais... c'est fascinant...
— Japonais... marmonna Kyran pour lui-même.
Il haussa d'un sourcil, aussi confus que son père.
— Il parle sûrement des gens des îles, prononça Artrael. Mais il est vrai que nos noms n'ont pas les mêmes sons que les mots communs que nous employons. À l'origine, Lanartis utilisait une langue très développée de Mytira, et c'est de leur pays que nos noms prennent leurs racines. Ça veut donc dire que l'anglais est une langue couramment parlée, là-bas.
— J'ai toujours appelé ça le mytirien, pour être honnête avec toi, répliqua Kyran.
— Certains professeurs de l'Académie de Xu Fahn ont longuement débattu sur la langue commune et se sont demandés si nous ne devions pas l'appeler le lanartisien, mais ils ont préféré abandonner tout ça, ajouta son père.
— Voilà qui est fascinant...
Pendant que son père et son frère se perdaient dans une discussion de langues, Sarah essayait de garder son sang-froid. Elle tremblait de rage et de désespoir. Toute sa vie n'avait été qu'un mensonge. La nonne, toujours agenouillée, se recouvrit le visage. Elle sanglota. Cyrus fut le seul à remarquer quelque chose d'anormal en elle, même si son père et son frère n'y voyaient que de la tristesse.
— Reculez, ordonna l'ange chauve aux hommes.
— Sarah... ? Qu'est-ce qui t'arrive ? prononça Artael, qui ressentit émaner une magie puissante de sa fille.
Cyrus bondit sur le président et le couvrit. Il renversa Kyran en même temps, alors que de Sarah sortit une lumière aveuglante. Le plafond au-dessus de leurs têtes éclata en plusieurs morceaux et la nonne s'envola dans les airs tandis qu'elle hurlait à pleins poumons. Ce cri résonna si fort qu'ils durent tous se couvrir les oreilles. Artael et Kyran étaient abasourdis par tant de puissance. Sarah avait fait éclater plusieurs pièces au-dessus d'elle et de nombreux morceaux tombèrent dans la salle de bureau.
Lorsque la poussière retomba, autour d'eux, Cyrus fit disparaître le bouclier magique qui les entourait tous trois et leva son visage vers le trou au plafond.
— Je n'y crois pas... s'exprima-t-il. Votre fille a défoncé le toit du palais...
Dans sa main tomba une simple plume noire corbeau. Il secoua la tête.
— C'est quoi ça ? formula Kyran.
— Ce que je craignais, répondit Cyrus. Le Conclave ne sera pas content...
Il se tourna vers le président et son fils.
— Où voulez-vous en venir ? demanda Artael.
— Cette révélation lui a été si traumatisante qu'elle en est devenue un ange déchu, relata Cyrus. J'ai bien peur que nous ayons commis un horrible sacrilège...
Il observa la plume noire dans sa main gauche et se prit la bouche avec sa main droite. Kyran devait bien l'admettre, jamais, il n'aurait cru que par la faute de cette révélation, cela corromprait une fervente croyante d'Athéna au point d'en faire une créature du mal..
Perdu dans ses pensées, Cyrus ne remarqua même pas la tuile en céramique qui tomba du plafond, pour ensuite se fracasser sur sa tête. Il lâcha la plume noire, perdit connaissance et s'écrasa aussitôt aux pieds de ses protégés.
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