94. Le plan des dieux

Le 18 septembre 3917 AD, soit un lundi soir, le Roi Zeus et le Général Nash Markios marchaient côte à côte dans les jardins privés du souverain de l'Olympe. Ensemble, ils avaient combattu, durant les dernières années, contre les nombreux démons qui avaient envahi l'énorme château des êtres divins, aussi connu sous le nom du Sanctuaire. Nash était devenu un ange et avait travaillé pendant un temps pour la Déesse Athéna. Cependant, son père adoptif avait remarqué que ce dernier avait un talent inné pour diriger les gens.

Graduellement, Zeus avait fait intégrer Nash dans l'armée et il avait grimpé rapidement dans les rangs. Il le considérait à ce jour comme son frère d'armes et aussi son ami le plus loyal. Ils se parlaient de tout et se rendaient souvent à une taverne de la ville céleste, où ils partageaient des festins qu'on préparait à leur honneur, chaque fois qu'ils revenaient vainqueurs des champs de batailles.

Ce jour-là, ils commémoraient leur victoire contre l'armée de Méphistophélès VIII, qui avait tenté s'assiéger Élysia, la ville située près du Sanctuaire. Le suzerain démon et ses soldats monstrueux avaient grimpé le long des murs qui séparaient le paradis et l'enfer du monde spirituel. Ensuite, ils avaient défoncé la grande clôture magique où Cerbère, le chien de garde à trois têtes, devait protéger la porte d'entrée. Le pauvre molosse avait été blessé, mais avait sonné l'alerte à la ville céleste.

Rapidement, les démons avaient envahi la ville et tué plusieurs anges, mais Zeus et Nash, présents dans les parages, étaient passés à l'action. Les anges soldats les avaient rejoints rapidement et ils étaient parvenus à repousser leurs ennemis d'où ils venaient. Ils avaient perdu beaucoup de braves gens, ce jour-là, mais le camp ennemi avait payé de son sang – une majorité d'entre eux avait péri.

Au soir venu, Zeus avait demandé à Nash de l'accompagner à son jardin privé, derrière sa chambre. Il lui avait servi un verre de vin, pendant que le jeune général s'était penché près d'un lit de lys blancs.

— Ah tiens... vous cultivez l'emblème de ma nation, monseigneur ? demanda Nash. Je ne savais pas que vous aimiez les lys blancs...

— C'est Athéna qui m'a demandé de les planter pour toi, mon garçon, expliqua le dieu. Elle savait qu'ils te plairaient. Je tenais à t'offrir ce jardin, puisque je sais que tu as commencé à aimer le jardinage, depuis ton arrivée parmi nous.

— Ah bon ? Pourquoi donc ?

— Je me fais vieux, à vrai dire... Je ne sais pas si tu as remarqué mes nombreuses rides, mais je compte bientôt prendre ma retraite. Il est temps pour moi de passer à autre chose. Le Conclave des dieux songe à me trouver un successeur et je crois qu'il serait temps, pour moi de donner à mes amis, quelques souvenirs.

— Vous ? Vieux ? Vous dites n'importe quoi, Votre Majesté. Vous êtes l'homme le plus fort et le plus en santé que je connaisse en ce monde.

Le Roi de l'Olympe gloussa, une main en poche.

— Peut-être ai-je l'air d'un homme de quarante ans, sous tes yeux, mais j'ai plus de quatre mille ans, ajouta-t-il. N'oublie pas que nous conservons nos apparences, jeunes, grâce à la magie du Saint Royaume. J'étais moi aussi un ange, avant qu'on me nomme à la place de mon cousin.

— Je m'en souviens, répondit son interlocuteur. Athéna m'en a parlé quelques mois après mon arrivée. À vrai dire, ça m'a choqué lorsque j'ai appris que tout le monde ici pouvait devenir un dieu...

— En effet... Au début, les divinités étaient tous des individus choisis parmi nos progénitures, cependant les gens de nos factions sélectionnent désormais les proches des familles royales, s'ils n'ont pas de frères ou de sœurs, ou d'enfants. La plupart de mes frères sont tous morts, donc il n'y a personne de mon propre sang pour me remplacer. Athéna pourrait devenir la reine titulaire de l'Olympe, si elle le souhaitait, mais la Princesse Artémis pourrait aussi bien jouer le rôle.

— Oh... Je suis désolé pour Apollon, monseigneur... Lorsque j'étais l'assistant de votre fille, elle m'en parlait souvent.

— Je suis encore plus désolé que ses enfants aient fui le paradis... Ils devaient se sentir coupables, à sa mort. Je préférerais ne pas en parler, pour aujourd'hui.

— Très bien, je vous demande pardon.

Le vieux roi roula les yeux pendant qu'il remplissait sa coupe de vin qu'il avait déjà bu d'un trait. Il retourna alors son attention vers Nash.

— Pour la dernière fois, mon garçon, tu peux me tutoyer, déclara le Dieu de la Foudre. Nous sommes entre amis.

— Oh, je sais, mais je me suis fait réprimander par votre garde du corps, la dernière fois que je l'ai fait près de lui...

Il pointa du regard l'ange imposant qui se tenait près de la porte de sortie vers le jardin privé qui poussait dans une serre intérieure. La pièce avait été jumelée aux appartements de Zeus, mais celui-ci avait fait construire une porte pour les invités et les citoyens de sa faction. Le roi appréciait de partager cet endroit avec ses sujets, mais n'avait plus envie de s'en occuper, dernièrement.

— Oh, ne t'en fais pas pour lui, répondit le dirigeant de l'Olympe. Cyrus est mon garde le plus loyal qui soit et aussi mon intendant. C'est lui qui s'occupe de mon image publique depuis plus de trente ans. Son prédécesseur était son père, vois-tu ? Mais celui-ci est mort en voulant me protéger d'une attaque terroriste au Sanctuaire. Le pauvre s'est pris un sort foudroyant dans le crâne...

— Oh... pauvre Cyrus... fit Nash.

— Ne t'en fais pas pour lui, c'est un honneur pour ce garçon d'avoir pris la relève de son père. Toutefois, je me demande s'il va un jour se trouver une épouse... Il me semble si seul. Pourrais-tu en faire ton ami ? Il n'est pas très bavard, mais il aime bien jouer aux cartes et boire un peu de bière, durant ses temps libres. Je suis certain que vous vous entendrez.

— Peut-être, mais j'ai une bonne section de l'armée qui m'attend quotidiennement. Les entraînements de nos soldats ne peuvent malheureusement pas attendre, avec tous les démons qui sont à nos portes.

— Je comprends et je t'en remercie... cependant...

Alors qu'il était sur le point de verser un peu de vin dans la coupe de Nash, qui avait déjà bu quelques gorgées, le dieu échappa la bouteille qui se fracassa au sol. Du sang venait d'éclabousser au visage de Nash. Ce dernier baissa son regard avec horreur et remarqua une lame cristalline qui venait de transpercer le torse du souverain. Zeus tomba au sol, affaibli, alors qu'une figure transparente passa devant Nash et s'éloigna vers la sortie. Nash plissa des yeux et remarqua que c'était un sortilège qui rendait l'individu invisible.

— Votre Majesté ! hurla-t-il, pris au dépourvu. Cyrus ! Derrière vous ! Ne laissez pas cette chose s'échapper !

Nash se pencha sur le corps de son supérieur et retira rapidement l'épée qu'on lui avait plantée dans le dos pour ensuite la jeter un peu plus loin.

— Nash... formula le dieu, douloureusement. Cette... lame... contenait... un poison... mortel... Je ne peux... plus... bouger... mes membres...

— Oh non... pas ça... J'en ai déjà entendu parler... se lamenta son ami. Ne bougez pas, je peux vous sauver !

Il concentra toute son énergie du bout de ses doigts et essaya de se souvenir de la formule magique de guérison qu'il avait apprise lors de ses entraînements avec Athéna. Il trembla nerveusement, alors qu'un symbole sacré se traça au sol, autour du roi et lui. L'incantation permettait normalement de soigner toutes formes de poisons, de paralysants ou bien de malédictions, en plus de refermer les blessures.

— Non... fit le Roi de l'Olympe. Prends ma... main...

— Pourquoi ? Que voulez-vous que je fasse, monseigneur ?!

— Je n'en ai... plus pour très longtemps...

— Ne dites pas de sottises, Zeus !

Nash empoigna la main de son dieu, machinalement. Il ne savait pas pourquoi il le faisait, mais il agit à la demande de son supérieur. Sa vision s'embrouilla temporairement et il ressentit une puissante onde d'énergie lui traverser tout le corps. Toute la sagesse et la puissance du dieu passa dans son corps, alors que le Roi de l'Olympe s'épuisait à petits feux. Il comprit avec tristesse ce qui venait de se passer. Zeus venait de renoncer à son rôle de divinité et venait de le lui passer. Nash se mit à jurer et à pleurer, lorsqu'il réalisa que son vieil ami était déjà mort, un sourire aux lèvres.

Le poison l'avait tué en l'espace d'une minute.

¤*¤*¤

Le 18 juin 3918 AD, soit le jour où la Septième Brigade était revenu à la vie, Nash attendait ses vieux amis à la salle des portails, car il souhaitait les revoir avant de partir lui aussi pour Aeglys. Il était accompagné de Cyrus et de quelques gardes du corps, sans oublier les esprits élémentaires avec qui ils avaient déjà passé une bonne partie de la journée.

Le nouveau Roi de l'Olympe discutait avec un ingénieur de la grande salle lorsqu'il entendit des bruits de pas qui les interrompirent. Ce fut à cet instant qu'il reconnut Flint parmi eux. Dia s'était déjà approché du blond pour lui lécher une main. Le roi sourit, puisqu'il était heureux qu'ils s'entendent si bien.

— Salut tout le monde ! lança-t-il, de bonne humeur. Je vous ai manqué ?

Bien entendu, Flint et Luna foncèrent dans sa direction et furent interrompus par les gardes. Cyrus leur dit de garder leurs distances, car ils se tenaient devant le Roi Zeus de l'Olympe. Nash roula les yeux et soupira.

— C'est faux ! grogna le capitaine. Cet homme est nul autre que mon Oncle Nash !

— Ça va, Cyrus, répliqua le roi qui s'approcha du groupe. Ils sont avec moi. Ce sont les gens que nous devons escorter à Baldt.

— Mais Votre Altesse ! insista le grand ange aux allures sévères. Que faites-vous des protocoles ? Ces anges ne sont même pas formés pour servir notre cause !

— Et c'est là que tu fais erreur, mon ami. Il n'y a pas plus robustes et braves que les membres de la Septième Brigade. Je le sais puisque j'en ai fait partie.

Athéna fut la suivante à intervenir dans cette petite dispute.

— Du calme soldat, ajouta cette dernière qui s'approcha de l'ancien garde de son père adoptif. N'oublie pas pourquoi j'ai conçu cette planète à la base. C'était pour y former des guerriers, des mages et toutes sortes de gens disciplinés qui pourraient nous aider lors de cette guerre. Ils sont tous compétents et tu n'as rien à craindre.

— Un monde illégal... grogna Cyrus qui toisa la déesse, dédaigneusement. Le Conclave n'a jamais approuvé votre geste.

— Ah bon ? Et moi qui croyais que ces transformations angéliques avaient été autorisées par notre cher Conclave... répondit Athéna, moqueuse.

Les joues du garde du corps rougirent. Il se redressa avec fermeté et se tut. Il n'était pas payé pour ses opinions et il le savait, cependant rien ne lui empêchait de désapprouver les choix de la princesse.

— Et sincèrement, sans l'intervention d'Athéna ici présente, je ne serais pas de ce monde et je ne serais pas le remplaçant du précédent Zeus, expliqua Nash, une main sur l'épaule de son protecteur. Laisse de côté tes préjugés un moment et tu verras, ces gens ne sont pas une menace.

Cyrus se mit à marmonner des bouts de phrases incompréhensibles et souffla des narines. Il avait la tête rasée, mais une fine barbe noire lui poussait au menton. Armé de la tête jusqu'aux pieds, le garde du corps semblait toujours s'en vouloir d'avoir manqué à son devoir quand l'ancien roi avait été assassiné. Il était rapidement devenu le protecteur de Nash qui avait accepté le titre de Zeus. Toutefois, son nouveau protégé insistait pour qu'on l'appelle toujours par son ancien prénom, en privé.

Le meurtrier avait été retrouvé et tué par Artémis, à peine fut-il sorti dans le couloir dans lequel se trouvait la chambre de son père adoptif. Il s'agissait d'un démon qui avait travaillé sous les ordres de Méphistophélès VIII ; il avait vengé la mort de son suzerain. C'était un caméléon monstrueux qui avait muté avec différentes influences maléfiques. Il n'avait rien d'un hybride ordinaire, comme ceux qu'on retrouvait sur Aeglys. C'était un véritable monstre, assoiffé de sang.

Le prédécesseur de Nash n'avait pas été la seule victime, ce jour-là : plus d'une dizaine d'anges furent assassinés pour que la créature puisse s'infiltrer dans la serre privée. Il avait profité de l'échange entre Nash et Zeus pour passer à l'action. Il aurait très bien pu s'en tirer avec tous ces meurtres, mais Artémis, déesse de la chasse, avait eu raison de lui et l'avait tué d'une seule flèche.

Évidemment, ces meurtres ne comptaient pas le nombre d'anges soldats qui furent tués lors de la confrontation avec l'armée démoniaque, ainsi que toutes les âmes innocentes. Une cérémonie mortuaire avait eu lieu le lendemain de cette terrible tragédie, afin de dire au revoir à ces gens et aussi pour remercier l'ancien Zeus de ses services. On avait brûlé le corps du père adoptif d'Athéna et répandu ses cendres aux quatre vents, selon sa demande personnelle dans son testament.

Nash était passé devant le Conclave et ils lui avaient fait passer une formation, puisqu'ils avaient reconnu que les pouvoirs divins lui avaient été transférés. Pendant quelque temps, il avait même reçu la proposition d'abandonner ses fonctions de dieu et de laisser tout cela entre les mains d'un autre individu, choisi par les rois et les reines des diverses factions. Il avait refusé, car il avait pris la décision de remplir les tâches de Zeus en lui succédant.

— Je n'y crois pas, dit Flint, bouche bée. Ils ont fait de toi un dieu ?

Le capitaine s'était approché de son oncle, en état de choc. La louve avait repris sa forme d'épée entre ses mains, mais comprenait pourquoi son porteur se sentait ainsi. Elle avait eu la même réaction lorsqu'elle l'avait vu, un peu plus tôt.

— Zeus m'a transmis ses pouvoirs à sa mort, ainsi que son âme et celles de ses prédécesseurs, expliqua Nash. C'est une longue histoire. Je t'expliquerai tout ça plus tard. Le temps presse, et les troupes de nos ennemis sont en route pour la république de Baldt.

— Comment ?! s'exclama Shayne, qui sursauta. La ville est-elle en sûreté ?

— Ne t'en fais pas pour ça, répliqua Nash. Quelques anges sont déjà postés près des portes de la ville. Notre messager Hermès a déjà livré un message à Artael.

— Et un puissant bouclier magique a été lancé sur la capitale, ajouta Athéna. Aucun démon ne pourra pénétrer ces murs tant que nos mages seront sur place.

Pendant ce temps, Wyatt discutait avec Estelle.

— Tu ne trouves pas que cette déesse agit étrangement comme Luna ? formula-t-il. On dirait qu'elles ont le même caractère...

— Maintenant que tu le dis... marmonna Estelle. Il est vrai qu'elles ont une certaine ressemblance... J'aime bien son franc-parler.

— Ça par contre, c'est du Misaki tout craché.

— Mm hmm !

Athéna gloussa, puisqu'elle avait l'oreille fine et qu'elle avait tout entendu de cette conversation. Tous les membres de la Septième Brigade avaient quelques traits de sa propre personne, comme la plupart des habitants d'Aeglys. Elle leur avait tous transmis ses valeurs, après tout. Certains croyaient en elle, d'autres préféraient Poséidon ou bien d'autres divinités. Le plus important selon la princesse était qu'ils s'entendaient bien.

— Dois-tu vraiment demeurer ici, Maman ? questionna Flint. Nous aurions grand besoin de tes services, là-bas.

— Je suis désolée, mais ça ne sera pas possible, répliqua-t-elle. Comme je l'ai déjà expliqué plus tôt, je suis en conflit d'intérêt avec le Conclave. Nous ne nous entendons pas très bien sur plusieurs points, ni avec Nash, d'ailleurs. Mon père nous faisait confiance toutefois et pour cette raison, nous allons nous occuper d'Aeglys et de nos autres mondes avec une méthode plus avant-gardiste. La vieille époque est révolue, comme on le dit si bien, par ici.

— Vous êtes donc des réformistes ? demanda Luna, près d'eux.

— C'est ça, fit Athéna. Votre monde est justement un monde choisi par mon camp afin d'y entreposer les âmes errantes. Nous voulions y former les plus grands guerriers et mages qui soient capables de nous donner un coup de main contre les démons. Bien entendu, nous avons dû faire tout ça dans le dos du Conclave, mais je ne regrette pas mon choix.

La déesse se tourna vers ses sujets et leur adressa son plus beau sourire.

— Je suis tellement fière de tous vos parcours, vous n'avez pas idée... avoua-t-elle. Je me sens comme une mère qui envoie ses petits à l'université, pour la toute première fois... Ah... pardonnez-moi, je suis émotive...

— Mine de rien, vous venez de briser l'image que je me faisais de vous, Votre Altesse, expliqua Luna. Vous êtes sympathique, en tout cas.

— Oh... ! couina la princesse. Tu es trop gentille !

La Déesse de l'Olympe s'approcha de Luna, plus petite qu'elle, et la serra dans ses bras. La magicienne ne s'était pas attendue à une accolade de la part de la dame céleste. Cependant, elle ne pouvait pas dénier qu'Athéna était intéressante.

— Votre Altesse... marmonna Cyrus. Essayez d'être plus professionnelle, diantre...

— Vous, on ne vous a pas sonné, gronda cette dernière, qui le toisa méchamment. À la prochaine remarque, je vous licencie.

Le grand chauve déglutit et reprit sa position initiale.

— Tu as le droit de faire ça ? interrogea Flint. Après tout, Nash est le roi, désormais... Ça pourrait te mettre dans l'embarras...

— Ne t'en fais pas pour ça, expliqua son oncle. Notre faction fonctionne désormais un peu comme la république de Baldt. Elle est l'une de mes conseillères et j'agis un peu comme un président. Ça ne fait pas tellement l'unanimité avec la plupart de nos sujets, mais la transition se fera durant les prochains mois. Nous nous sommes dits que ça collerait mieux à la nouvelle image des dieux olympiens. Dorénavant, nous procéderons par démocratie.

— Quelle honte... râla Cyrus.

— Qu'est-ce que j'ai dit ? insista Athéna.

— Aïe ! couina le grand chauve, alors qu'il reçut une tape derrière la tête, de la part de l'un de ses collègues.

Plusieurs personnes dans la grande salle gloussèrent tandis qu'ils observaient la scène. Nash et les esprits élémentaires profitèrent de cet instant pour aller retrouver leurs anciens camarades de combats. Le châtain s'approcha de Flint en premier et le serra dans ses bras.

Le capitaine se sentit si timide en présence de son oncle qu'il avait oublié où il était. Nash avait toujours eut l'habitude de provoquer en lui beaucoup d'insécurité et de jalousie.

Du calme Flint, pensa-t-il. Oui, c'est un dieu, mais ça reste ton oncle...

En cet instant, il éprouvait surtout de l'anxiété, car il était heureux de revoir celui qu'ils avaient tous perdu, quatre ans plus tôt.

— Eh bah  ! s'exclama le Roi de l'Olympe. Tu as un corps d'athlète, maintenant ! Je vois que tu t'es mis à la muscu' ?

— Euh... ouais... répondit Flint, tout rouge. Shayne m'a beaucoup entraîné depuis que... enfin... Mmm...

— Je comprends, ne t'en fais pas.

Nash se tourna vers Luna, dont il s'approcha, excité de la revoir.

— Et toi ! Tu n'as pratiquement pas changé, à part ta coupe de cheveux ! Oh Luna, tu m'as tellement manqué !

Il la serra dans ses bras. Elle était déconcertée de recevoir autant de câlins, ce jour-là. Au moins, la jeune femme savait que ce n'était qu'une situation temporaire. Même plus jeune, elle n'aimait pas se faire toucher de la sorte.

— Toi, par contre, tu es plus chaleureux que dans mes souvenirs, déclara la magicienne. Est-ce qu'ils mettent des trucs dans ton café, ou bien es-tu naturellement de bonne humeur ?

— Comment peux-tu insinuer une chose pareille ?! rouspéta Nash, avant de lui faire une bise sur le front.

Il éclata de rire, elle sourit. Elle était simplement heureuse de retrouver sa figure paternelle. Le dieu se tourna alors vers Gabriel qui rougissait timidement.

— Mon p'tit frère ! s'exclama le roi, qui leva ses bras dans les airs.

Il s'élança vers lui et lui sauta à la nuque. Le pauvre colosse fut si déstabilisé qu'il tituba sur place et tomba sur les fesses. Ils pouffèrent tous deux de rire.

Flint avait oublié à quel point ces deux-là étaient inséparables, à une certaine époque. Il fut même surpris de voir son oncle pleurer de joie. Son mari quant à lui l'imitait, heureux de l'avoir retrouvé.

— Allons, il y a assez de moi pour tout le monde, déclara Gabriel.

— Tu n'as pas changé, c'est marrant ! répliqua Nash.

— Enfin, si... un peu...

— Mais non, tu es toujours aussi... toi !

Gabriel fit une moue désapprobatrice alors que ses camarades riaient comme des pies. Misaki vint aider son ancien capitaine à se relever, pendant que Flint aida son mari.

— Megumi ! Tellement heureux de te revoir, dit le roi. Comment va bébé Yuki ? Je veux tout savoir ! Je n'ai pas eu le temps de voir ses progrès dernièrement, il y a tellement de choses que l'on doit faire au château mais...

— Votre Majesté, interrompit Cyrus, anxieux. Le temps presse...

Nash fronça des sourcils et tourna son visage vers son intendant.

— Mets-là en sourdine, dit-il.

Il claqua des doigts et les lèvres du grand garde du corps se collèrent l'une contre l'autre. Ce dernier se prit la bouche, essaya de la rouvrir et se mit à gémir. Honteusement, il baissa son regard et versa une larme.

— Pas mal, moi-même, je l'aurais fait, mentionna Luna, souriante.

— J'ai attendu quatre ans pour ce moment, le monde pourra bien attendre quelques minutes de plus pour votre retour, répliqua le dieu, vexé.

Il jaugea les autres gardes d'un air sévère, y compris le plus grand, qui déglutirent.

— Décidément, il faut tout le temps les remettre à leur place, ceux-là... soupira le souverain. Même Zeus commençait à en avoir marre des nombreuses lois instaurées par le Conclave. Sûrement parce qu'Athéna était convaincue que de grands changements étaient nécessaires. Pas vrai ?

Il se tourna vers la déesse.

— Papa a toujours été entêté, mais après la première invasion de Perséphone dans la république, sa mentalité a changé, expliqua-t-elle. Il a commencé à approuver ma décision de créer votre monde sans le consentement du Conclave et d'y transférer des âmes volées dans le système, comme je l'ai fait. C'est comme Gabriel me l'a dit à cette époque, la guerre allait bientôt empirer et nous serions dans de beaux draps si nous ne faisions rien. Pour cette raison, d'autres divinités et moi avons formé une coalition et construit quelques mondes de façon illégale. Nous les avons tous fabriqués sur les enfers personnels de plusieurs de nos ennemis et on les a scellés avec des esprits élémentaires. Le but n'était pas de torturer les âmes que l'on a volées, au contraire. Nous voulions faire d'eux des esprits combattants, capable de protéger leurs nations et d'aider leur prochain.

Flint fronça des sourcils. Il n'était pas le seul à trouver cette remarque assez déplacée de la part de sa créatrice. Cela mit la plupart de ses amis, mal à l'aise.

— Dans le fond, nos mondes n'étaient que des expériences... soupira-t-il.

— Enfin... pour être franche, oui... répliqua sa mère, qui baissa son regard. Mais vos âmes venaient tous de mondes qui avaient été détruits par le fléau du mal. Nous avions vu tout cela comme une seconde chance pour vous de botter les fesses aux démons. Sur le coup, nous n'y avons pas réfléchi... Mais vous avez désormais la formation pour être d'excellents soldats... et c'est pourquoi ce fut si facile pour le Conclave de vous accorder cette transformation. Ce sont tous des risques calculés que nous avons dû prendre, car nous savions que les démons allaient probablement gagner cette guerre. Sans notre décision, nous aurions perdu d'avance et il n'y aurait plus de Saint Royaume, à l'heure où je vous parle.

— Comment ça ? formula Shayne, intrigué. Est-ce que les choses vont si mal que ça ?

Nash et Athéna hochèrent leurs têtes en même temps.

— Des six milliards habitants du Saint Royaume, il n'en reste plus que vingt pourcents, dit le roi. Le reste a été tué par les démons ou réincarné sur différentes planètes afin de les protéger. Nous avons été capables de repousser les dernières vagues, mais ils sont de plus en plus nombreux, dans l'enfer de ce monde. Heureusement pour nous, durant les dernières années, des âmes de planètes non autorisées par le Conclave ont commencé à se joindre à nous et nos nombres ont beaucoup augmenté. Le plan de la coalition a donc fonctionné.

— Néanmoins, remarqua la déesse, nous ne pouvions pas prévoir que Perséphone, Thanatos et Hypnos enverraient des agents entre nos murs. Durant les derniers mois lors desquels Nash a commencé son nouveau règne, nous avons perdu plusieurs de nos lieutenants et de nos sergents sur les champs de batailles. Nous avons aussi compris pourquoi nous n'avions aucun contact avec Aeglys. Quelques-uns d'entre eux s'étaient infiltrés dans les salles des portails.

— Et ils ont brouillé les pistes de leurs dieux et des démons, ainsi que celles des esprits élémentaires, lorsqu'ils sont revenus vers nous, il y a quatre ans. Le but était de renforcer le voile, mais ce n'est jamais arrivé. Ces agents ont renvoyé Dia et les autres en Aeglys, mais les ont enfermés dans le monde obscur. Nous avons finalement découvert leur complot, grâce au jeune Doyle qui se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment. Il avait surpris quelques-uns de leurs agents qui discutaient dans les toilettes du deuxième étage.

— Doyle ? demanda Shayne. Vous voulez dire que Derek Doyle est ici ?

Nash secoua la tête.

— Malheureusement, il a été tué lorsque les combats ont éclaté à travers le château. Nous nous sommes rendu compte que toutes les factions avaient été envahies et qu'Aeglys n'était pas le seul monde affecté. Les dieux renégats et leurs disciples ont bel et bien l'intention de nous renverser, une bonne fois pour toutes. Quant à l'âme du jeune Doyle, celle-ci repose désormais aux côtés de son père. Nous avons décidé d'attendre quelque temps avant de réincarner ce dernier. Il a bien mérité de se reposer après tout ce qu'il a fait pour nous.

— Comme c'est dommage, soupira Luna. J'aurais bien aimé lui demander pardon pour sa mort d'il y a quatre ans...

— Ce sont des choses qui arrivent, expliqua Athéna. Mais ne t'en fais pas pour lui. Il savait que vous regrettiez tous de ne pas avoir pu le sauver. La vie des innocents comptait beaucoup à ses yeux. Quand nous lui avons dit ce que vous aviez fait pour Baldt, il était si fier de vous...

Luna sourit faiblement et se plaça une main derrière la nuque. Elle ressentit alors la chaleur de Kelvin qui s'était attaché à son cou, sous la forme d'un pendentif. Elle l'avait oublié, à cause de la conversation avec les dieux. Le jeune phénix n'aurait plus besoin de lui donner des ailes, puisqu'elle pouvait invoquer les siennes par magie.

Des serviteurs de Nash et d'Athéna vinrent leur porter les anciens vêtements de la Septième Brigade et ce qui restait de leurs inventaires personnels. Ils enfilèrent tous leurs armures seulement.

— Que faisons-nous du reste ? demanda Gabriel qui se tourna vers le roi et la princesse. On laisse tout ça ici ?

— Ne vous en faites pas pour vos chandails et tout le reste, annonça le roi. Nos agents porteront le tout au palais de Baldt.

— Que va-t-il se passer à notre monde, alors ? demanda Flint. Allez-vous effacer les souvenirs des aeglysiens lorsque ce conflit sera terminé ?

— Je ne crois pas, dit son oncle. Cette fois, les renégats sont allés trop loin. Nous pensons qu'Aeglys deviendra une seconde demeure pour les anges du Saint Royaume, tout comme les autres planètes de la coalition. Le paradis est toujours sur le point de s'effondrer, alors nous devons prendre de nouvelles précautions.

— Quoi ?! s'exclama Luna. Tu veux dire que les anges vont désormais cohabiter avec nous ? Enfin... nous allons cohabiter avec eux ? Mais c'est... surprenant !

— Je sais, mais nous n'avons plus le choix, dit Athéna. Pour assurer la protection des mortels, dorénavant, nous devons procéder de cette manière. N'oubliez pas que l'enfer d'Aeglys a disparu, ainsi que ceux des autres planètes. Les renégats ont invoqué le néant et ce n'est pas pour rien. Ils comptent reprendre vos mondes et se débarrasser des mortels. Ils n'arrêteront pas tant qu'ils auront gagné. Pour cette raison, le Conclave nous autorise de passer à l'offensive pour ensuite changer notre stratégie à la défensive.

— Alors quoi... nous ne sommes que des outils entre vos mains ? continua la magicienne. Ce n'est pas comme ça que j'avais imaginé ma mort.

Prise au dépourvu par cette remarque, la princesse leva un doigt en l'air.

— C'est... une bonne question, en fait... commenta celle-ci. Ce n'est pas vraiment comme ça que nous avons imaginé les mondes illégaux. Nous voulions surtout donner une chance aux forces de la lumière de survivre contre les ténèbres... Et ne croyez surtout pas que je vous vois comme ça, comme des armes... Au contraire, je vous considère tous comme mes enfants. De braves combattants qui ont rendu leur maman fière durant ces dernières années.

— Mouais, c'est ça, répondit Luna. Je n'en crois pas un traître mot. Mais bon, vous vouliez bien faire, vos confrères et vous. Pour cela, je ne suis pas si fâchée que ça. Cependant, tout porte à croire que nous ne sommes que des pions sur votre grand échiquier.

— Bah, nous sommes en guerre, après tout, répliqua Nash. Moi aussi, je me suis senti comme ça lorsque je suis arrivé au Saint Royaume. C'était révoltant, mais je me suis vite habitué au mode de vie d'ici. En principe, j'ai accepté le rôle d'incarner Zeus afin que nous puissions protéger les âmes innocentes et celles et ceux qui désirent vivre paisiblement. Nous avons plein de mondes où les démons n'existent pas. Ce sont justement ces planètes que nous essayons de protéger le plus. Aeglys aura toujours une place importante dans mon cœur, mais je sais maintenant qu'il existe surtout pour protéger l'ordre spirituel.

Flint prit une grande respiration avant de se tourner vers Athéna.

— Puisque nous en sommes à l'heure des révélations, j'aimerais comprendre ce qu'était l'enfer d'Aeglys avant qu'il ne devienne une prison, dit-il. Luna et moi, nous avons découvert que le monde n'était pas du tout une version ténébreuse d'Aeglys, mais autrefois la planète Terre... Est-ce que j'ai raison ?

— C'est exact, soupira la déesse. Cependant, il ne s'agit pas de la seule planète Terre. Celle-là nous a été offerte d'une autre faction. À l'origine, elle venait d'une tout autre dimension que celle où se trouve Aeglys, mais nous l'avons transférée dans la nouvelle galaxie où l'on a créé votre monde. Ensuite, nous y avons enfermé Hadès, Perséphone et tous les autres criminels de guerres avant de créer la couche terrestre de votre planète, par-dessus.

— Et c'était quoi cette lune rouge ? demanda Scottie qui s'approcha de Flint et Luna. Nous avons été coincés là-bas pendant un bail et nous n'avons pas compris ce que c'était... Ma sœur et moi, on s'est dit que c'était un puissant enchantement, mais on ne savait pas d'où ça venait.

— La lune rouge ? fit la princesse. Ah... c'était un effet magique établi par le Conclave. Nous pouvions voir tous les faits et gestes des démons, de cette manière. On l'appelle l'œil qui voit tout, ou bien l'oracle synthétique. Il en existe un qui ne soit pas visible sur Aeglys, puisque cette dimension est protégée par notre magie, toutefois dans l'enfer de votre monde, on s'en servait aussi pour éclairer celui-ci.

Confuse, la magicienne se prit le menton.

— Donc, il existe une autre planète Terre... hein ? formula-t-elle. Sont-elles toutes différentes ? Qu'ont-elles de spéciales ?

— Les différences sont nombreuses, mais je ne pourrais pas élaborer aujourd'hui, ma chère Luna, expliqua Athéna. Je peux néanmoins vous confirmer que toutes les races d'Aeglys vivaient autrefois dans cette dimension maudite, avant d'être réincarnés sur la nouvelle couche terrestre. Toutes vos âmes étaient normalement destinées à rejoindre l'autre Terre que mon père avait construite avec les autres factions. Ils ne voulaient que des humains là-bas... Elle avait été fabriquée deux mille dix-huit ans plus tôt, bien après que j'ai créé Aeglys, en cachette.

— J'étais moi-même destiné à me réincarner sur cette nouvelle planète, expliqua Nash. D'après ce que Zeus m'a dit, je devais naître en Amérique du Nord, tout comme la plupart d'entre vous.

Athéna remarqua que Cassandra n'était pas à son aise de discuter de l'ancienne Terre. La déesse était déjà au courant que l'elfe brunette avait reçu une lettre de la part de William, son père, quatre ans plus tôt. La même lettre qui stipulait qu'elle était la descendante d'une lignée d'elfes de la lumière.

— Ne t'en fais pas pour tes semblables, Cassandra, dit-elle. Ils dorment tous au Jardin d'Éden pour la plupart. Les autres ont réussi à s'échapper sur Aeglys. Il y en a quelques-uns qui rôdent sur la Grande Aeglysienne, en ce moment même. Ils sont récemment sortis de leurs cachettes.

— Hein ? formula Flint qui se tourna vers la chasseuse. Qu'insinue ma mère, comme ça ? Y a-t-il quelque chose que tu as oublié de nous mentionner ?

Cassandra hocha la tête avant de s'adresser au reste du groupe.

— Je ne voulais pas vous déranger avec ça, mais mon père m'a expliqué comment je suis née, déclara-t-elle. Dans une lettre qu'on m'a remise après l'invasion de Baldt, il était dit que j'étais la princesse du royaume d'Alfheim et que ma nation avait été envahie par les forces du mal. J'avais pour seul devoir de survivre, ce furent les seules paroles de mes parents, d'après lui. Ce souvenir m'a été enlevé de la tête, en même temps que les esprits élémentaires ont disparus. Quand nous avons retrouvé Dia et les autres, j'ai hésité longuement à vous en parler...

— Alfheim était une nation qui a été construite des cendres du Canada de l'ancienne Terre, lors de la grande guerre contre les démons, ajouta Athéna. Pendant plus de mille ans, ils ont réussi à repousser les forces du mal et tous y vivaient en sécurité... Cependant, la vie a commencé à quitter cette dimension, peu à peu, et Perséphone a fini par les envahir et à les chasser de leurs terres. Avant de disparaître complètement avec ses acolytes, elle vivait à la citadelle de Califlos ; qui était en fait le château de tes parents...

Cassandra était affligée de colère et de tristesse. Elle s'en voulait de ne pas avoir pu libérer la patrie de ses ancêtres. Hélas, tout cela était de l'histoire ancienne et elle ne pouvait plus rien y faire.

— Je comprends ton chagrin, dit la déesse. Mais comme je l'ai déjà dit, ta famille repose désormais paisiblement dans leurs sarcophages. Un jour, je compte les réincarner dans un monde auquel il n'y aura plus de guerre. Pour le moment, j'aimerais que tu comprennes pourquoi j'ai décidé de te laisser vivre, aux côtés de la Septième Brigade. Aeglys avait besoin de toi, tout comme tes amis ont besoin de toi.

— Je sais... rétorqua la soigneuse. Ça ne m'empêche pas d'être furieuse...

Elle essuya une larme et inspira, tout doucement.

— Avant que nous partions, pouvez-vous m'expliquer ce qu'est le néant ? questionna Luna. Pourquoi est-ce si dangereux ?

— Oh... ça ? poursuivit Athéna. C'est la manifestation ultime de la destruction. Éclipse en connaît un rayon là-dessus, pas vrai ma petite ?

La faux magique installée au dos de Lucas se mit à briller, alors que son porteur se tenait près des membres de la Septième Brigade. Ce dernier se serrait les bras tandis qu'il écoutait la conversation en silence. Il était tout aussi déboussolé que la plupart de ses amis.

— Oui, Créatrice... dit la chauve-souris. Je leur expliquerai tout, c'est promis...

— Dans ce cas, ne perdons plus notre temps et partons, dit Flint qui se tourna vers le grand portail. Les choses ont dû empirer chez nous, depuis notre absence... J'espère que nous arriverons à temps, avant les monstres.

Un par un, les membres de la Septième Brigade, ainsi que leurs esprits élémentaires, s'aventurèrent vers le portail magique. Ils savaient qu'ils ne pouvaient plus reculer. Ceci serait leur chance d'en finir avec les dieux renégats qui terrorisaient leur monde. Il leur fallait protéger les innocents dans cette guerre – tels que les enfants et les blessés, ainsi que les vieillards. Tous les civils qui ne pouvaient pas combattre devaient être terrorisés, en cet instant. Le jeune capitaine comptait y remédier.

Lucas Markios fut le seul qui resta derrière eux. Il fixait sa mère du regard.

— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, son regard fixé sur lui.

— Pourquoi... moi... ? fit ce dernier. Enfin... Pourquoi m'avoir donné ce corps ?

— Je... Oh... Je vois... marmonna-t-elle. Je ne pouvais pas prévoir que tu naîtrais transgenre, Lucas... Tout ce que je sais, c'est que tu es comme tu es. Je peux guider les âmes errantes et leur fabriquer de nouveaux corps, mais toi, tu es la chair de ma chair. Je n'ai pas planifié de vous mettre au monde, ta fratrie et toi. Vous êtes nés de mon union avec votre père. Vos âmes sont toutes nouvelles, créées avec mon amour et celle d'Artael... Je... ne... mmm...

— Tu n'aurais pas pu me faire naître cisgenre, comme tous les hommes de notre foutue planète ?! Réalises-tu à quel point j'ai souffert à cause de ton plan de merde ?! Regarde-moi et avoue que je ne suis qu'une expérience ratée !

— Mais non... tu n'es pas une...

— Regarde-moi, Maman et arrête de fixer le plancher, comme ça !

Athéna se sentait incapable de regarder son fils dans les yeux. Elle ressentait toute la colère et la tristesse de celui qu'elle avait mis au monde. Elle avait honte de ne pas comprendre comment le consoler. Elle lui mentait même si elle savait qu'il n'était pas le fils d'Artael. Lucas avait toujours été le fils de Troyd. Cela ne l'empêchait pas de l'aimer, malgré tous les sentiments refoulés qu'elle ressentait. Elle soupira et se força à le regarder.

— Si tu es né ainsi, c'est parce que les mortels ont besoin de voir cette différence. Tu es né pour leur montrer que tu as le droit d'être comme tu es. Tu ne seras jamais une expérience de laboratoire à mes yeux. Tu es mon fils. Ton père par contre... ce fichu violeur... Tu as intérêt à ne pas le manquer...

Le cœur de Lucas fit un bond dans sa poitrine lorsqu'il comprit de qui elle parlait.

— Je ne t'ai jamais détesté... mais j'ai tant souffert à cause de Troyd. J'espère que tu comprendras pourquoi je me sens mal en ta présence. Ce n'est pas envers toi que j'en ai...

Lucas hocha la tête, une main dans sa longue chevelure.

— J'ai toujours su, dans le fond, qu'il était mon père, dit-il. Voilà pourquoi je ne voulais rien savoir de lui. C'est aussi pourquoi j'ai l'impression d'être un monstre. Et ça n'a rien à voir avec ma transition. Je suis un être des ténèbres... Le réalises-tu ? Je ne suis même pas censé être ici...

— Plus maintenant, avoua-t-elle. Tu es un ange, tu es mon fils et je ne te laisserais jamais tomber. Tu m'entends ? Pourquoi crois-tu que tes ailes sont blanches ? Je suis celle qui t'a purifié au fil des années. Je voulais m'assurer que tu serais sur la bonne voie, alors je t'ai soufflé à l'oreille de faire de bonnes actions. Bien entendu, ce ne fut pas si facile que ça, avec toutes les restrictions que le Conclave m'avait imposées... Mais tu étais mon fils. Je devais veiller sur toi...

Lucas se laissa tomber les bras, surpris par ce qu'elle lui disait.

— Tu as fait tout ça pour moi ? demanda-t-il.

— Bien sûr, mon fils... Je ne pouvais pas t'abandonner, toi... ainsi que tes quadruplés. J'ai fait de mon mieux pour vous inspirer à toujours faire les bons choix. Et puis...

Elle plaça une mèche de ses propres cheveux derrière l'une de ses oreilles.

— Si ton corps actuel ne te plaît pas, tu peux toujours nous demander d'y remédier, déclara-t-elle. Je ferais tout en mon pouvoir pour que tu te sentes à ton aise.

— Non, répondit Lucas. Je suis trans et comme tu l'as dit, je dois servir d'exemple... et pas que pour les personnes cisgenres... mais pour les autres trans comme moi. Si je dois vivre ainsi pour le reste de mes jours, qu'il en soit ainsi. Je serais le premier ange qui s'assumera de cette manière.

— Enfin... ta réponse ne me surprend pas tellement, mais tu n'es pas le seul ange trans dans nos rangs. Cependant, je suis heureuse d'avoir pu mettre un peu de fierté dans ton cœur. Personnellement, je ne t'échangerais pas pour tout le mana du Saint Royaume. Et crois-en mon expérience : le mana, c'est sacré.

Athéna s'approcha de son fils et lui mit une main sur l'épaule. Elle lui fit une bise sur le front. Elle était si fière de lui, mais en même temps, elle n'arrivait pas à oublier son agresseur. Elle espérait que Troyd serait bientôt appréhendé.

— Contrairement à tes compagnons de route, tu es un adepte de la destruction, expliqua Athéna. Tu as en toi toutes les connaissances pour survivre contre les démons et les renégats. Laisse la magie qui sommeille en toi faire tout le travail. Tu comprendras où je veux en venir, lorsque tu seras sur le terrain. Éclipse saura te guider, puisqu'elle est comme toi, une créature de cet élément.

— Est-ce vraiment le cas ? interrogea son fils. Je pensais que c'était impossible de naître avec un tel pouvoir...

— Tu n'es pas un être humain, mon cher... Tu es un ange. Ne l'oublie jamais.

Les joues de Lucas rougirent ; il fit un câlin à sa mère. Ensuite, il se tourna vers le Roi de l'Olympe qui était entouré de ses gardes.

— Tu viens, mon neveu ? dit Nash avec son plus beau sourire. J'ai hâte de voir la tête de ton père lorsqu'il nous verra débarquer au palais...

— Oui, mon oncle, répondit Lucas, amusé. Oh si tu savais combien de choses, j'ai à te dire ! Il y a si longtemps que je voulais te parler de ma transition !

— Allons, viens. On aura toute l'éternité pour s'en parler, désormais.

Nash gloussa, de bonne humeur, alors que Cyrus roula des yeux. Ses autres intendants secouèrent leurs têtes. Le roi était beaucoup trop à son aise et cela les inquiétait. Les anciens assistants de Zeus étaient habitués à vivre aux côtés d'un dirigeant strict et autoritaire. Lui, il n'était pas ainsi. Il était diplomate, chaleureux et traitait tout le monde comme sa propre famille.

Le protecteur chauve du roi actuel devait toutefois reconnaître qu'il avait le cœur sur la main et que c'était une belle qualité. Cependant, il semblait craindre que cela puisse le mettre en danger, l'un de ces jours.

Athéna enleva l'enchantement qui empêchait Cyrus de parler et lui fit signe de suivre Nash et Lucas, qui rejoignaient les autres, près du portail. Ils n'attendaient plus qu'eux afin de traverser l'énorme masse de magie qui flottait dans l'air.

— Ingénieur ! lança Nash. Destination : le palais de Baldt !

— Tout de suite, Votre Majesté ! répliqua un jeune homme, près de l'ordinateur relié aux machines. Bonne chance pour votre mission !

Le roi lui sourit et lorsque le portail prit une couleur arc-en-ciel, il fut le premier à foncer dans ce dernier. Tous les autres le suivirent aussitôt.

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