9. Tel oncle, tel neveu

Flint et Gabriel venaient d'écouter tout ce que le puma noir avait à leur dire. Le colosse était bouche bée alors que le blond semblait réfléchir.

Le culte était donc de retour ? Et Shayne et Nox essayaient de protéger les esprits élémentaires ? Pour Flint, tout cela était facile à assimiler, puisqu'il avait beaucoup consulté au sujet des mythes et légendes entourant leur religion. Bien qu'il ne fût pas aussi croyant que la plupart des membres de sa famille, le jeune homme n'avait plus vraiment le choix que d'accepter la réalité : Athéna et Perséphone existaient.

Gabriel se demandait s'il n'avait pas rencontré quelqu'un qui correspondait aux informations de l'élémentaire des ténèbres. Se pouvait-il qu'il ait rencontré des disciples de Perséphone à Baldt ?

— C'est impressionnant... déclara-t-il. Jamais je n'aurais cru qu'un danger nous menaçait tout ce temps. J'ai été aveugle.

— Moi-même, je ne savais pas que nous avions des membres du culte dans nos rangs, répondit Flint. Il faut croire que nous n'avons pas été prudents. Papa doit être mis au courant dès notre retour.

— Nul besoin de lui dire tout ça, dit Shayne. Il est déjà au courant que le culte a plusieurs pratiquants qui circulent près de la capitale.

— Ah bon ? demanda Flint. Est-ce la raison pour laquelle il vous a assigné à notre groupe ? Pour nous prévenir des dangers qui nous guettent ?

— Pas vraiment. Il ignorait que j'avais en ma disposition cet élémentaire. Je l'ai simplement surpris qui parlait à votre frère, Kyran, l'autre jour. Ils chuchotaient à propos du culte, alors qu'ils prenaient leur pause-café au réfectoire. Vous comprenez sûrement que je peux entendre beaucoup de choses grâce à mon ouïe d'elfe.

Ainsi donc, Kyran était déjà informé. Qui d'autre ?

Flint n'aimait pas du tout cette sensation de se faire jouer dans le dos par sa propre famille. Son père et son frère savaient des choses très inquiétantes à propos du peuple de Baldt et ne lui avaient jamais rien dit.

Je dois admettre que je n'ai jamais démontré le moindre intérêt pour leur travail, se dit-il. C'est certainement la raison pour laquelle ils évitent de m'en parler.

Tous trois étaient sortis de la grange délabrée et marchaient le long du verger du village. Nox était retourné à sa forme d'arme, puisqu'il devait demeurer discret.

Après avoir passé une bonne demi-heure à bavarder des mythes et légendes de ce monde, les trois hommes avaient décidé qu'il était temps d'aller rejoindre les autres brigadiers. Toutefois, alors qu'ils s'étaient approchés de l'église : les trois guerriers ressentirent de puissantes secousses sous leurs pieds. Puis, ils entendirent des cris qui venaient de la direction du bâtiment sacré.

Flint et Shayne laissèrent Gabriel derrière eux et coururent en direction de la porte d'entrée de l'église, d'où quelques nonnes sortaient en état de panique.

— Le sol s'est effondré ! hurla l'une des religieuses. Pitié, aidez-nous !

Arrivés sur place, les deux brigadiers constatèrent qu'une partie de l'église s'était enfoncée dans la terre. Quelques habitants du village s'étaient rassemblés près d'eux afin de venir en aide aux religieux qui criaient à l'aide.

Flint aida le prêtre à sortir des débris. Ce dernier avait été retrouvé par miracle, accroché à une paroi de fer. La fortification était reliée aux poutres du rez-de-chaussée. Le sous-sol avait complètement été enseveli par ce qui était autrefois l'étage précédent. Il n'y avait qu'une partie de la cave qui n'avait pas été affectée et ce fut le couloir qui menait aux grottes souterraines.

Un moment plus tard, Luna sortit par cette porte et cria au groupe pour qu'on lui vienne en aide. Flint descendit le long des décombres, pour aller chercher sa coéquipière. Il l'invita à grimper sur son dos, pour ensuite faire demi-tour.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-il. Où est mon oncle ?

— Ça va ! dit Luna. Nash est toujours vivant, je crois... La dernière chose dont je me souvienne, c'était qu'il affrontait une énorme pieuvre... C'est lui qui a provoqué les écroulements en voulant nous protéger...

Flint roula des yeux. Le pouvoir de son oncle, bien que pratique, était très imprévisible. Lui-même craignait son oncle, lorsqu'il s'en servait.

— Alors, il vaudrait mieux n'en parler à personne, sauf nos coéquipiers, dit-il. Si cela devait s'ébruiter, les gens de Kritz voudraient notre peau...

Luna se dit qu'il avait raison.

Tous deux arrivèrent sur la terre ferme, quelques secondes plus tard. L'église n'était plus que l'ombre d'elle-même, mais tous ses habitants avaient été sauvés. Ce qui restait du toit de l'établissement et des murs finit par tomber. Les biens personnels des pauvres moines et des nonnes étaient soit perdus à jamais, soit éparpillés dans ces ruines. C'était un bien triste moment pour les habitants de Kritz. Perdre leur maison de prières allait affecter le moral de la population.

Flint remarqua que Cassandra était déjà sur place. Elle s'occupait à soigner les blessés, avec un peu de magie curative et les potions qu'elle avait à sa disposition. Gabriel et Shayne, de leur côté, déplaçaient divers objets, afin d'aider tout le monde. Cependant, il n'y avait aucune trace de Misaki à l'horizon.

Où peut-elle bien être ? se dit le blond, en clignant des yeux.

Puisque Nash n'était pas avec eux pour le moment, Flint n'avait pas d'autre choix que de prendre en charge leur groupe temporairement. Il continua donc d'aider Gabriel et Shayne à transporter certains objets pour les religieux, et ordonna à Luna d'aller assister Cassandra et les guérisseurs du village. Ensemble, ils pourraient régler cette crise et soigner les blessés.

Pendant les heures qui suivirent, ils se relayèrent à tour de rôle pour panser les victimes de cet incident. Shayne avait subtilement envoyé Nox à la recherche de Nash puisqu'il était un aussi bon traqueur que lui. Néanmoins, l'animal n'avait pas réussi à détecter la moindre trace du Capitaine nulle part. Puis, le vampire s'était servi de son ouïe afin d'essayer d'entendre la voix de Nash, mais comme le puma noir, il n'avait pas été en mesure de le trouver.

Quant à Flint, il s'était dit que la priorité des brigadiers devait être celle de retrouver et de soigner les civils. Après tout, c'était pour cette raison que toutes les brigades existaient. Il espérait que son oncle leur reviendrait sain et sauf ; quitte à partir à sa recherche durant la nuit.

Pour Cassandra, ce fut facile de changer les bandages de celles et ceux qui avaient des plaies ouvertes. Elle savait aussi comment les nettoyer, afin d'éviter des infections. Pour le reste, ses coéquipiers firent de leur mieux et soignèrent les gens qui avaient besoin de leur aide.

Bientôt, l'heure du dîner arriva, mais personne n'entendit le clocher, car il était tombé avec le reste de l'église. Le maire du village ordonna à ses concitoyens de préparer à manger pour tous. L'aubergiste et son épouse se portèrent volontaires pour cuisiner de la soupe. Quelques villageois optèrent pour aller les assister, plutôt que de rester près des blessés.

— Avez-vous vu Misaki ? demanda Flint aux autres membres de la brigade.

Il changeait un tissu tiède du front d'une nonne pour une serviette plus humide et plus froide. La pauvre femme gémissait de douleur.

— Non, déclara Cassandra. On s'est disputés, plus tôt, et elle s'est tirée. Je...

— Pas besoin de chercher pour moi, trancha la guerrière qui surgit de l'arrière d'un immeuble. Je vais bien !

— Misaki ?! Par tous les esprits, où étais-tu passée ?!

— Je dormais près d'un arbre... Désolée... Mais bon sang, il s'est passé quoi ici ?!

— Au lieu de paresser, viens plutôt nous aider, ordonna Flint. Cette femme doit recevoir de nouvelles compresses d'eau froide et celle-là a besoin d'une couverture !

— Oui chef ! répondit l'albinos qui ne put s'empêcher de rire nerveusement.

Flint grogna et ressentit sur son épaule la main de Gabriel qui essayait déjà de le calmer. Misaki n'avait pas l'air de prendre cette situation au sérieux et cela le frustrait. À vrai dire, il n'arrivait pas du tout à la cerner. Gabriel connaissait trop bien son fiancé pour savoir que s'il ne l'apaisait pas tout de suite, cette conversation tournerait au vinaigre.

— Au moins, dis-toi que nous avons réussi à tous les sauver, dit Gabriel. Nash va être fier de toi quand il reviendra à la surface.

— Ça, c'est seulement s'il arrive à sortir vivant de la grotte, formula Flint.

De son côté, Luna concentra son énergie magique dans le pentagramme tracé au sol par Cassandra. Ce sceau permettait d'augmenter la puissance des sortilèges curatifs de l'elfe. Cette ancienne technique de transfert de mana – l'énergie magique de ce monde – serait très pratique à l'avenir, lorsque Cassandra aurait besoin d'emprunter l'énergie de ses alliés. Sans l'aide de Luna, elle n'aurait jamais été capable de refermer la plupart de ces plaies. Elle lui en était reconnaissante.

D'ailleurs, Luna commençait à s'essouffler. Comme toujours, il lui faudrait manger des tonnes de plats ou dormir pour que le mana puisse revenir en elle. Un moment plus tard, on apporta plusieurs assiettes de nourriture près des ruines de l'église. Aussitôt, l'adolescente se précipita sur les bols de salades et de pains et en dévora plusieurs. Ensuite, elle remercia les aubergistes de leur générosité. Gabriel fut même étonné de voir son amie engloutir ces plats à une vitesse hallucinante. Après avoir dégagé une bonne partie des débris avec Shayne, il décida d'aller se servir lui aussi. Après tout, lui aussi commençait à avoir faim.

Flint s'approcha du maire du village qui s'occupait de changer les pansements d'un moine. Le blessé allait s'en sortir, heureusement.

— Dès notre retour à la capitale, je tâcherai de faire un rapport à mon père, dit-il. Il faut absolument vous envoyer des ouvriers afin de faire réparer votre église. Sinon, votre communauté risque d'en souffrir.

— Ne vous en faites pas pour nous, mon garçon, répondit le maire. Merci beaucoup de votre générosité. Grâce aux talents de vos camarades, nous avons pu sauver tout le monde. J'espère tout de même que vous avez pu terminer votre mission...

— Je crois que mon oncle a trouvé la source du problème. Il doit sûrement être quelque part sous terre. J'ai cru comprendre, par Luna, qu'il existerait plusieurs passages sous Kritz et que l'un d'entre eux menait sous votre église.

— Ah... Les passages abandonnés ! Je me disais bien aussi qu'ils finiraient par nous causer des ennuis ! Hélas, nous n'avons jamais eu assez d'or pour faire boucher ces trous... ces fichues taxes ne le permettaient jamais.

— C'est pour ça que je vous propose notre aide. Il est très important de sécuriser Kritz, pour vos citoyens, ainsi que ses visiteurs. Ces maudites taxes serviront enfin à quelque chose de positif. Du moins, je l'espère !

Après un moment de réflexion, le maire accepta l'offre de Flint et le remercia encore une fois. Flint était convaincu que c'était ce que Nash aurait fait en temps de panique. Son oncle aurait tenté de calmer les gens perturbés et se serait assuré que tous soient sains et saufs. Il laissa donc le maire et retourna assister Cassandra.

Misaki, qui s'était sentie de trop avec tous ces corps étendus au sol, avait décidé d'aider les aubergistes à cuisiner d'autres plats pour les travailleurs et les blessés. Évidemment, ses coéquipiers avaient tous remarqué que son attitude était un peu plus étrange que la journée précédente. Comme si elle était distraite ou irritée.

— Misaki est louche aujourd'hui, remarqua Luna à l'attention de Cassandra, alors qu'elles prenaient toutes deux une pause.

— Ouais, ça se voit qu'elle ne va pas bien, ajouta l'elfe.

Cassandra était toujours déçue par sa dernière conversation avec l'albinos. Son comportement n'avait fait qu'empirer au cours de la dernière heure.

Après un moment, Misaki retourna dans l'auberge avec des assiettes vides qu'elle déposa dans l'évier. Elle décida d'aider Katja, la femme de l'aubergiste, à laver ces dernières, pendant que son mari tranchait d'autres ingrédients. Une riche odeur de soupe aux légumes leur chatouilla les narines. Misaki essuya les assiettes machinalement. Elle se demandait si elle réussirait ce qu'on demandait d'elle...

Il y avait trop de détails qu'elle tentait de cacher au reste du groupe. Elle espérait que personne ne la soupçonnait de quoi que ce soit.

¤*¤*¤

Misaki avait menti à propos de son sommeil, un peu plus tôt. Elle avait eu honte d'admettre ce qui s'était vraiment passé. En réalité, elle s'était éloignée dans les champs de Kritz. Hier, dans la nuit, alors que tout le monde dormait au camp, elle avait reçu la lettre d'un mystérieux messager qui s'était aussitôt volatilisé. Comment il avait réussi à contourner Shayne, elle l'ignorait. Cette note lui avait donné comme consigne de rejoindre l'une de ses connaissances, près du verger du Kritz, à midi. Elle pourrait s'y cacher facilement des regards.

Là-bas, elle l'avait rencontré... Lui...

— Misaki, le patron aimerait savoir comment se déroule ta mission à Baldt, avait dit l'homme qui s'était présenté à elle.

Elle avait roulé des yeux et secoué la tête.

— Je suis arrivée là-bas, il y a au moins une semaine, avait-elle expliqué. Patience. Je n'ai pas encore eu la chance d'infiltrer leurs sous-sols, ni de trouver les documents dont on a besoin. Le palais est bien sécurisé, ainsi que la plupart des égouts.

— C'est notre vie qui est en jeu... Tu le sais bien... C'est nous ou ce sont eux... N'oublie pas dans quoi tu t'es engagée en décidant de rejoindre leurs brigades... Te sens-tu capable de les trahir lorsque viendra le temps ?

Misaki s'était aussitôt retournée vers l'intrus et pour l'observer avec tendresse.

— Yosuke, tu le sais très bien que ma loyauté est avec vous... avait commenté celle-ci. Avec nous, je veux dire. Je ne vous laisserai pas tomber.

— Dans ce cas, trouve-nous les entrées secrètes qui pourraient nous aider à infiltrer le palais, sans quoi nous sommes fichus. Ça fait des années qu'on planifie de renverser leur système et tu le sais bien... Il nous faut absolument tracer les plans de ce bâtiment... Et surtout il faut que tu sois prête à passer à l'action...

Yosuke Megumi, son mari depuis plus de trois ans, était aussi le chef adjoint de l'alliance des rebelles. Ce groupe vivait dans les montagnes, au sud de la république. Ils luttaient depuis maintenant quelques années contre Virgile Knox, car ses méthodes douteuses à gérer son peuple avaient presque causé leur génocide.

Ce groupe était composé de plusieurs personnes ayant survécu à des raids de voleurs et de brigands. La plupart d'entre eux avaient aussi résisté à l'invasion des créatures sauvages qui rôdaient près de leurs îles. Le Conseil n'avait pas levé le petit doigt pour reconstruire leurs communautés. Suite aux nombreux essais et déceptions de communiquer avec le Conseil, l'alliance avait été fondée.

Après plusieurs années à agrandir leurs rangs, leur chef avait décidé qu'il était temps de passer à l'action et de se venger contre ce système injuste qui leur avait tout pris. Si Baldt n'allait pas les aider, alors ils s'aideraient eux-mêmes.

Depuis qu'ils s'étaient installés à leurs quartiers généraux, ils avaient recueilli plusieurs personnes qui avaient vécu la même négligence que la leur. Ils s'étaient fait rapidement recruter dans leur association. Finalement, une communauté de fortune avait été créée en un rien de temps.

Leur chef avait fait construire plusieurs bâtiments pour les nouveaux arrivants et élever des vaches, des chèvres, des moutons, des poules et encore plus pour aider son groupe à survivre. Près de deux ans s'étaient écoulés lorsque le Conseil avait réalisé que la communauté des rebelles avait été construite.

Les rebelles ne se trouvaient sur une terre appartenant à Baldt, donc ils ne couraient aucun danger d'être taxés ou bien dérangés par les brigades. Néanmoins, ils devaient demeurer vigilants, car ils n'étaient pas protégés par des murs, mais les nombreuses montagnes qui entouraient la région.

Les seuls soucis qu'ils avaient rencontrés, au fil du temps, avaient été avec quelques pillards qui avaient tenté d'infiltrer leurs rangs, ce qui avait causé quelques divisions dans leur groupe. Les meilleurs combattants de l'alliance s'en étaient chargés et on les avait chassés rapidement. Pour ce qui était des créatures sauvages des montagnes, telles que les trolls, les harpies et les gobelins : ils n'avaient jamais osé s'aventurer près du village. Il était fort connu que les créatures de ce genre évitaient de s'aventurer trop près des regroupements humains. Sans s'en rendre compte, ils avaient causé la migration de ces créatures sauvages. Ce qui expliquait la présence du troll dans les bois.

— J'ai déjà trouvé une entrée derrière le palais, elle mène aux cuisines, avait déclaré la guerrière à son mari, lors de leur rencontre. À part ça, je n'ai rien trouvé d'autre. Je n'ai pas encore eu la chance d'accéder aux sous-sols, comme tu le sais déjà. Ils sont interdits à tout le monde sauf les membres du Conseil, les domestiques, les scientifiques et les capitaines de brigades. Je crois qu'il me faudra redoubler de prudence, si jamais j'essaie d'y mettre les pieds. Ils ont l'air de cacher des informations très importantes... Cela pourrait nous servir, qui sait ?

— N'as-tu jamais songé à t'y rendre durant la nuit ?

— C'est plus compliqué que tu ne le crois. Il y a des gardes postés près des escaliers et des ascenseurs. Il y a quelques jours, je me suis égarée et je me suis rendue aux sous-sols par accident, parce que je cherchais les toilettes... On m'a sermonné qu'il m'était interdit d'y mettre les pieds et que si jamais je décidais d'y retourner, je serais chassée du palais et de la capitale pour de bon...

— Dans ce cas, il faudra que tu redoubles de prudence. Nous avons vraiment besoin de trouver de meilleures entrées pour tracer nos cartes... Daichi compte sur toi, tout le monde compte sur toi... Ta fille aussi, d'ailleurs...

Misaki avait grincé des dents lorsqu'il avait mentionné leur fille. Elle avait eu la petite Sakura, six ans plus tôt, avant de se marier avec lui. Elle représentait tout pour elle. Son enfant était l'une des raisons qui l'avaient poussé à passer à l'action. Ils arrivaient à peine à survivre au village des rebelles. Leurs ressources commençaient à s'effriter, tellement ils devaient nourrir plusieurs membres de leur alliance. Elle n'avait vraiment plus le choix d'augmenter ses efforts, pour sa famille.

Daichi, leur chef, avait fait en sorte que Sakura soit en sécurité assez longtemps. Il était temps pour Misaki de lui rendre la pareille. Elle n'avait pas revu son enfant depuis près de deux semaines et avait ressenti un pincement au cœur à l'idée qu'elle ne la reverrait pas avant encore quelque temps. Yosuke avait remarqué la rigidité et la peur de son épouse. Il l'avait alors prise contre lui et l'avait serré dans ses bras. Il lui avait ensuite caressé le dos, avant d'embrasser sa nuque. Misaki s'était calmée, séduite par l'attention soudaine de son mari.

Enfin un peu d'intimité, avait-elle pensé.

Pendant les minutes qui avaient suivi, ils s'étaient laissé aller dans leurs élans de jeunes mariés, sous les rayons du soleil de l'après-midi. Une heure s'était écoulée durant qu'ils s'étaient embrassés et qu'ils avaient profité de cette réunion clandestine. Ils étaient même passés à l'étape suivante, soit d'enlever leurs vêtements et s'emboîter sauvagement comme des fauves. La guerrière n'avait pas vu le temps passer, mais lorsqu'ils avaient eu terminé de faire l'amour, elle s'était relevée et rhabillée en silence. Ensuite, elle avait réalisé qu'il était temps pour elle de le quitter.

Yosuke lui avait alors offert une bise sur la joue, toujours à poils. Il était pratiquement de la même taille qu'elle, bien bâti et recouvert de quelques cicatrices ici et là. Tout comme son épouse, c'était un guerrier endurci qui avait participé à de nombreux combats, mais il n'avait pas honte de son corps.

D'ailleurs, après avoir fait l'amour avec Misaki, Yosuke avait pris un moment avant de remettre ses vêtements. Il en avait profité pour taquiner l'albinos qui n'avait pas pu résister à son torse musclé. Lorsque la jeune femme avait jugé qu'il était temps pour lui de partir, elle lui avait passé une main dans sa longue chevelure noire pour ensuite l'embrasser sur les lèvres.

— Il faut que tu rentres, chéri, avait-elle expliqué. Je te promets que les choses changeront pour nous... Il faut seulement que tu me fasses confiance.

Il lui avait rendu son baiser avant de lui répondre :

— Dans ce cas, fais attention à toi... Tu nous manques. Sakura s'ennuie beaucoup de toi, mais elle sait que tu fais tout ça pour elle.

— Je le sais... et c'est ce qui me tue. Je veux revoir ma fille.

Elle lui avait affiché une expression triste.

— La prochaine fois, peut-être ? lui avait suggéré son mari. Je m'arrangerai avec Daichi pour escorter notre fille, lors de notre prochaine rencontre.

— Tu sais bien qu'il refusera. Il n'aime pas mettre les enfants en danger et je le comprends très bien. Veille sur elle... c'est tout ce que je te demande.

Puis, avec tout le courage que cela lui avait pris de lui tourner le dos, Misaki avait baissé son regard un instant et fait demi-tour à travers les champs de fleurs. Elle en avait profité pour observer les nombreux pommiers qui l'entouraient. Elle s'était dite qu'elle devrait probablement en ramasser quelques-unes, avant de retourner à la capitale. Elle avait croisé un fermier qui était en train de récolter quelques carottes de son jardin. Ce dernier l'avait observé d'un drôle d'air. Elle s'était retournée une toute dernière fois pour saluer son mari, mais il avait déjà disparu.

Embêtée, elle avait décidé de rejoindre Cassandra au village et de lui faire ses excuses pour avoir été aussi rude envers elle. Mais au moment où elle avait traversé une ruelle, elle avait senti le sol gronder sous ses pieds. Alors qu'elle passait sous une fenêtre ouverte, où un plat chaud avait été déposé afin de refroidir, elle avait reçu l'objet métallique en plein sur la tête.

Ah non... ! avait-elle pensé avant de sombrer dans l'inconscience

Assommée à deux reprises, en moins de vingt-quatre heures. Elle n'avait vraiment pas de chance. Décidément, comment pourrait-elle accomplir sa mission pour le camp des rebelles, si elle n'était même capable de prendre soin de sa tête ?

À son réveil, elle avait réalisé l'ampleur des dégâts.

¤*¤*¤

Lorsqu'il reprit connaissance, Nash remarqua qu'il se trouvait toujours coincé au lac souterrain. L'eau avait été ensevelie de pierres et débordait légèrement. D'ailleurs, le brigadier était entouré d'une vase froide. Il tenait entre ses doigts l'épée scintillante. Silencieuse, Dia semblait dormir.

Migraineux, il comprit qu'il s'était cogné durement lors des écroulements. Il n'avait pas saigné, mais se sentait comme s'il avait reçu un coup de matraque sur la tête, suivi d'un boulet de canon. Malgré la douleur, il devait trouver un moyen de sortir de cet endroit sinistre. Demeurer ici le stressait déjà et il n'avait pas envie de tomber malade. Qui sait quels genres de microbes traînaient par ici ?

Il se fraya donc un passage vers l'entrepôt auquel il avait trouvé l'esprit élémentaire, un peu plus tôt. Ensuite, il s'aventura à l'intersection qu'il avait ignorée la première fois qu'il était passé par là. Ces lieux étaient encore intacts.

— Enfin, te voilà réveillé, toi ! s'exclama son arme. J'ai fini par m'endormir en attendant que tu ouvres les yeux.

— D'après toi, combien de temps s'est-il écoulé ?

— Probablement quelques heures. Tu as dormi longtemps.

— Mince. J'espère que les autres vont bien...

Dia glissa d'entre les mains du porteur pour reprendre sa forme de louve blanche. Elle continuait quand même à briller dans l'obscurité, afin d'éclairer les lieux pour Nash. Elle marcha devant lui et renifla les odeurs qui les entouraient.

— Il y a une sortie quelque part par là, dit-elle. J'arrive à ressentir des arbres et des fleurs, malgré la forte odeur de boue qui me cause du souci.

— Très bien, je te suis, fit le capitaine.

En compagnie de sa nouvelle protégée, Nash s'aventura dans les couloirs remplis d'eaux jusqu'à ses chevilles. Ils arrivèrent dans une autre pièce, similaire à celle de l'entrepôt, abandonnée depuis longtemps. Cependant, ils y trouvèrent une porte en bois. Entrouverte, celle-ci leur permit de passer dans un autre couloir.

C'est sûrement de là que proviennent ces odeurs, songea-t-il.

Pendant une bonne dizaine de minutes, ils avancèrent jusqu'à ce qu'ils soient arrivés à une autre pièce. Celle-ci était remplie de barils et de caisses où l'on avait entreposé de vieux objets : des assiettes, des verres, des ustensiles et plus encore.

— Corrige-moi si je me trompe, dit le capitaine, mais, se pourrait-il que ces grottes aient été habitées pendant quelque temps ?

— Je crois t'avoir dit plus tôt que des bandits m'avaient abandonné ici, pas vrai ? Bah, ce sont probablement eux qui ont aménagé cette pièce durant des semaines.

— Mais ces ruines ont l'air d'avoir été délaissées depuis des siècles maintenant... Il y a de la mousse partout. Les lampes à huile que nous avons trouvées étaient remplies d'insectes morts et de poussières.

— J'ai mentionné m'être endormi dans mon baril, pas vrai ? En toute franchise, je ne me souviens plus combien de temps s'est écoulé depuis cette période...

Nash comprit que la louve avait été abandonnée ici, il y avait fort longtemps et qu'elle avait dormi pendant tout ce temps, jusqu'à ce qu'elle lance un appel à l'aide. Il y avait quand même un léger détail qui le perturbait.

— Au fait, tu disais ne pas pouvoir reprendre ta forme animale après que leur sorcier t'a jeté un sort, déclara Nash. Comment est-ce possible ? Et pourquoi peux-tu te transformer maintenant ?

— Je l'ignore, répondit Dia. Il s'agissait d'un simple maléfice. N'importe qui aurait pu me trouver et me sauver, je crois. Aussitôt que tu m'as touché, le charme a été rompu.

— Crois-tu qu'il s'agissait d'un membre du culte, dans ce cas ?

— Peut-être que oui, peut-être que non... Tout ce que je sais, c'est que les adorateurs de Perséphone ont l'intention de nous détruire, s'ils veulent la faire revenir dans cette dimension. C'est en nous éliminant tous qu'elle reviendra et qu'elle transformera votre monde à jamais. Enfin, c'est ce qu'Athéna m'a expliqué à travers mes visions.

— Et qu'attend-elle de moi ? Quelles sont mes directives à présent que je dois m'assurer de ta protection ?

— Chaque chose en son temps, Nash, répliqua l'esprit élémentaire. Je dois d'abord te sortir d'ici. Après, nous verrons ! La déesse a un plan pour toi, comme tout le monde. Je ne suis que sa messagère, après tout...

Ils s'arrêtèrent un moment dans un couloir plus sec que les autres. L'inondation du lac souterrain avait diminué, ce qui voulait dire qu'ils montaient un peu plus vers la surface. Nash avait la certitude qu'ils avaient quitté la limite du village et qu'ils se trouvaient quelque part sous les terres agricoles ou les plaines.

Dia réduisit sa vitesse un instant, s'arrêta, puis renifla un bon coup. Elle prédit qu'ils seraient sortis, d'ici à quelques minutes, et elle avait raison. Ils découvrirent une autre série d'intersections. Elle n'eut aucun problème à choisir la bonne direction chaque fois, cela leur permit de sortir par une chute d'eau qui coulait près d'une rivière.

— Enfin ! Nous sommes sortis ! s'exclama la louve.

Il y avait de grosses pierres et des rochers. Cela leur permit de remonter à un niveau plus stable. Ce fut à cet instant que Nash comprit qu'ils étaient sortis d'affaires. Il remarqua que le ciel avait changé de couleurs depuis qu'il était entré dans l'église.

Il se rendit compte qu'il allait bientôt faire nuit. Ses vêtements étaient crassés et avaient besoin d'être lavés. Il souhaitait aussi prendre un bain. Il se sentait dégoûté par les odeurs de la saleté et de la sueur qui le recouvrait. Il était aussi légèrement désorienté et se demandait par où se trouvait le village.

Dia reprit la forme d'une épée qu'il rangea à sa ceinture, puis il grimpa le long des pierres. Il réalisa alors qu'il se trouvait à quelques mètres des champs de Kritz. Il remarqua que l'église s'était effondrée, au loin. Il comprit que c'était entièrement sa faute. Le sort qu'il avait lancé afin de se défendre contre la pieuvre souterraine, avait détruit une partie du sol et avait fait écrouler le vieux bâtiment.

Il courut en direction des ruines, espérant rejoindre les gens au plus vite. Il reconnut son neveu qui administrait des soins à l'une des personnes blessées. Il donnait des ordres à ses compagnons pour diviser les tâches. Tous les autres membres de la brigade lui obéissaient en l'absence de leur véritable capitaine.

Nash fut surpris de voir à quel point Flint pouvait se montrer efficace et mature en gestion de crise. Il s'approcha du grand blond qui se leva en l'apercevant.

— Flint ! lança-t-il. Athéna soit louée ! Tu n'as rien...

— Eh ?! Ça fait des heures qu'on te cherche ! Tu ne sais pas à quel point je me suis fait du sang d'encre pour toi !

— Ça va, ne t'inquiète pas pour moi, j'ai simplement été assommé par une pieuvre, répliqua le capitaine. Pour ce qui est du problème du village, c'est réglé. Ils ne risquent plus d'être hantés par quoi que ce soit.

— Oui, mais leur église est en décombres maintenant. Comment allons-nous expliquer tout ça au Conseil ?!

— Ne t'en fais pas pour ça, je leur demanderai personnellement d'envoyer des ouvriers afin de réparer leur église.

— J'en ai déjà parlé au maire... dit Flint qui fronça des sourcils.

Nash était surpris de réaliser qu'il avait pris cette initiative sans même lui en parler, mais se dit que c'était la meilleure chose à faire. Ils représentaient la capitale, après tout. Le capitaine observa ensuite les personnes allongées à terre, encore sous les soins des guérisseurs. Celles et ceux qui avaient été soignés étaient en compagnie de bénévoles. Il était convaincu que son neveu s'était bien débrouillé.

— Eh bien, tu m'étonnes, dit-il. Merci d'avoir pris la relève quand j'étais absent. Je vais le mentionner dans mon rapport.

Les joues de Flint rougirent rapidement. Il était toujours embarrassé, chaque fois qu'il recevait des compliments de son oncle. Il espérait que ce ne serait pas la dernière fois. Il sautilla sur la pointe de ses pieds, comme un gamin qui venait de recevoir une friandise de son parent.

— La situation a fait en sorte que l'un d'entre nous devait prendre la relève, prononça Flint, fier de lui. Tout notre groupe a participé aux tâches, c'est l'essentiel. Par contre, Cassandra et Luna auront besoin de beaucoup de repos.

— Dans ce cas, je crois que nous pouvons considérer cette première mission comme une réussite, même si nous sommes aussi responsables des dégâts... Il est désolant de savoir que ce tremblement de terre a presque tué des innocents. Je n'imagine pas la tête d'Artael...

Afin de changer de sujet, Flint remarqua la nouvelle arme attachée à la ceinture de son oncle. Il décida d'en parler.

— Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir de ta visite aux sous-sols de l'église ? demanda ce dernier.

— Oui, mais ça devra attendre, répondit Nash. Je vais vous parler de mes découvertes lorsque nous serons tous réunis.

— Est-ce quelque chose que les civils ne doivent pas savoir... ?

— Le mieux que tu puisses faire pour le moment est de ne rien dire du tout.

Flint comprit que son oncle ne voulait pas que sa nouvelle arme attire l'attention des villageois. Était-elle liée aux séismes ? Était-ce un esprit élémentaire ? Il se demandait si Nox avait déjà repéré sa présence.

Pendant le reste de l'après-midi et avant que la lune ne soit présente dans le ciel, les villageois décidèrent d'héberger les moines et les sœurs dans leurs maisons.

Une fois que les membres de la Septième Brigade s'étaient assurés de la sécurité des pauvres religieux, Nash emmena son groupe se reposer à l'auberge où il paya des chambres pour la nuit. Flint et Gabriel partageraient la leur alors que Shayne et lui dormiraient dans une autre pièce.

Finalement, les trois filles seraient dans une troisième salle. Cassandra et Luna se portèrent volontaire pour coucher dans le même lit comme de bonnes amies, ce qui fit plaisir à Misaki qui ne comptait pas partager son matelas.

Tout le monde était épuisé par les nombreuses tâches que leur avait apportées cette journée, sauf que quelques-uns d'entre eux n'arrivaient pas à trouver le sommeil cette nuit-là. D'ailleurs, aucun des sept brigadiers ne s'était endormi ; pas même Dia qui avait commencé à mieux comprendre qui était son porteur en lisant dans ses pensées. Ce qu'elle avait appris sur Nash Markios l'avait chagriné. Il souffrait de dépression et était un alcoolique en rémission. Dia ferait tout en son pouvoir pour lui remonter le moral. C'était la moindre chose à faire, puisqu'il allait désormais la protéger.

Après les récents événements, la louve se disait que la famille de son garde du corps allait sûrement la surprendre de plus en plus. Flint l'intéressait déjà avec ce qu'il avait fait pour Kritz. Elle avait hâte d'apprendre à connaître les autres brigadiers, ces hommes et ces femmes qui accompagnaient Nash depuis deux jours. Qui étaient-ils ? Elle voulait tout savoir. Elle comptait même discuter avec le capitaine de certains de ses problèmes, mais ne souhaitait pas le gêner.

Finalement, elle opta pour lui servir de support moral. Elle deviendrait, pour lui, plus qu'une simple épée magique. Elle serait, pour lui, une amie et une confidente. Sur cette pensée, elle essaya de s'endormir, tout en priant la déesse pour qu'elle vienne apaiser la souffrance des kritziens. Ces pauvres villageois en avaient grand besoin...

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