86. La famille Tabris

— Tu ne plaisantais pas quand tu disais que cet homme te ressemble, remarqua Luna qui examinait la photo près du feu de camp.

— Bien sûr que non ! grogna Gabriel. Je me sens molesté !

Le colosse était assis sur une chaise en plastique et tapa dans une table à côté de lui. Il était revenu de sa visite dans la maison qu'il devait fouiller pour Flint et était dans tous ses états. Le capitaine avait déjà observé l'image et n'en revenait pas à quel point le père de famille était le sosie de son mari.

— Évidemment, le garçon sur cette photo, c'est Randell, n'est-ce pas ? dit Luna qui tourna la tête vers Gabriel.

Ce dernier hocha la tête, alors qu'il essayait de se calmer.

— Ne sautons pas aux conclusions, remarqua Flint. N'oubliez pas que cette dimension pourrait avoir connu des versions très différentes de nous.

— Oh arrête de dire des conneries ! ajouta son mari. Tu le sais bien que j'ai raison ! Une bonne partie de mon code génétique me vient tout droit de ces deux hommes. Mon corps n'est qu'une copie de mon grand-père ! Comment crois-tu que je devrais me sentir ?!

Flint eut un petit sourire en coin, mais fronça des sourcils. Il éprouvait beaucoup de compassion et de respect pour son cher et tendre époux, cependant il trouvait étrange que celui-ci ait trouvé cette photo à cet endroit. Était-ce un cadeau de la Déesse Athéna ? Tentait-elle de les guider à travers cet enfer ? Il s'était toujours demandé quelles étaient les origines de la famille Tabris. Si Gabriel avait raison sur ce point, Randell Tabris avait autrefois vécu dans cette dimension.

— La guerre a eu lieu, il y a fort longtemps de cela, par contre, dit Luna. Si Randell est bel et bien l'enfant de cette photo, alors il devait être très, très vieux.

— Il n'y a aucune archive sur sa famille, à la république, commenta Flint. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il était un ami de la famille de Wyatt et qu'il était aussi le meilleur ami de Virgile Knox. Avant ça, personne ne savait où il vivait.

— Oui, mais il est arrivé à la capitale très jeune. Il prétendait être de Xu Fahn, je crois. Si ça se trouve, il a eu recours à un sortilège de transfert d'âme très puissant afin de mettre son âme dans un nouveau réceptacle.

— Je ne crois pas. Le petit garçon sur cette photo a des traits similaires à celui du vieux mage. Ils ont les mêmes yeux...

— N'oublie pas que Randell est le seul à avoir rendu le clonage humain possible... continua la magicienne. D'après moi, il s'est joué de nous et nous a envoyé une version plus jeune de lui-même, en y insérant son subconscient.

Gabriel secoua la tête alors qu'il écoutait la conversation de ses camarades. Ils l'étourdissaient à force de réfléchir à toutes sortes d'hypothèses.

— Le pire dans toute cette histoire... c'est que la mère de Randell ressemble comme deux gouttes d'eau à Narcissa, vous ne trouvez pas ? poursuivit Flint.

— Je vais être malade, soupira Gabriel qui se leva de sa chaise. Que cherchait-il au juste ? À faire revivre ses parents ?

— Sans doute, répondit Charlie qui était à ses côtés. Une existence immortelle est parsemée de solitude et de tristesse. Peut-être cherchait-il à combler un vide en te créant. Lorsqu'il a réalisé que tu n'étais pas comme son père ; il a sûrement dû se dire que tu ne valais rien à ses yeux.

— Dans ce cas, pourquoi avoir recréé sa mère ? Il la traitait comme son enfant...

— Je l'ignore, mais d'après moi, il cherchait sûrement à se racheter après t'avoir abandonné, dit le capitaine.

— Balivernes ! grogna Gabriel.

Tel un gros buffle enragé, il entra dans l'église et s'allongea sur le matelas pour ensuite se croiser les bras. Il se faisait tard et il avait besoin de dormir. Grincheux, il ferma les yeux. Toutefois, il avait faim, alors il les rouvrit. Énervé, il sortit du sac de son mari quelques cacahuètes qu'il mâcha.

Charlie vint le rejoindre et se coucha à côté de lui. Pendant ce temps, Flint et Luna discutaient à l'extérieur. Dia n'était pas loin. Elle pêchait dans la rivière, tandis que Kelvin dormait paisiblement sur le toit du bâtiment sacré.

— Si tu veux mon avis, je trouve que c'est une bonne chose que tu sois une expérience ratée de ton géniteur, dit Charlie. Sans quoi, je n'aurais jamais eu la chance de te rencontrer. Tu serais probablement l'un de mes ennemis en ce moment même et tu essaierais de nous tuer, ma fratrie et moi...

Gabriel était sur le point de lui faire des yeux de couteaux quand il réalisa qu'il avait raison. Après tout, il avait eu une belle vie, jusqu'à présent...

— Oh... fit le guerrier.

— Et puis, tu l'as dit plus tôt, tu m'aimes bien et c'est réciproque... Je n'aime guère que Randell s'est joué de toi, ainsi.

Les paroles du félin le rassurèrent. Même si ces dernières avaient été un peu maladroites, au début, il lui avait remonté le moral.

— Viens un peu ici, toi, dit-il avant de soulever le gros matou d'une main.

Il tira le tigre vers lui et le fit tomber sur lui. Il lui caressa ensuite la tête et lui embrassa le museau. Charlie ronronna et lécha le visage de son ami, tel un chat le ferait pour son maître. Il le laissa ensuite lui caresser derrière les oreilles et la nuque.

Ce fut à cet instant que Gabriel réalisa avec horreur que les ossements qu'ils avaient trouvés dans le sous-sol de la maison abandonnée avaient probablement appartenu à son grand-père, puisque Randell s'était échappé de cette dimension.

— Qu'y a-t-il ? demanda le tigre.

— Et si le type qu'on a trouvé là-bas, c'était moi... ?

— Tu veux dire... le père de Randell ?

— Oui... si ce squelette appartenait à mon grand-père, où était le corps de sa femme ? Se sont-ils séparés ?

— Mmm... voilà bien une bien étrange situation... Ça expliquerait son suicide.

— Il y a tant de choses qui m'échappent dans toute cette histoire. Ce serait une bonne idée pour nous d'y retourner, lorsque nous serons reposés.

Charlie approuva d'un signe de tête, avant de lui répondre :

— Je suis du même avis.

Flint et Luna avaient terminé de discuter à l'extérieur, près du feu de camp. Ils l'éteignirent et entrèrent rejoindre Gabriel et son esprit élémentaire. Le capitaine, comme la magicienne, avaient un peu de difficulté à s'habituer au nouveau corps de Charlie. Ils commençaient à peine à apprécier l'ours polaire qu'il était déjà un tigre.

Gabriel expliqua donc son plan pour le jour suivant à ses amis et ils acceptèrent de l'aider à faire quelques recherches sur la famille Tabris. En fouillant un peu dans la grande maison abandonnée, il espérait y trouver d'autres réponses sur ses origines et aussi sur celles de son grand-père qu'il n'avait jamais connu.

Alors que tout le monde se couchait, y compris Dia qui était revenue toute trempée à l'intérieur de l'immeuble ; le colosse ne put s'empêcher de se demander si l'homme, dont il était la reproduction, avait été une bonne personne, de son vivant. Il espérait de tout cœur que ce dernier était tout le contraire de son fils Randell.

¤*¤*¤

— Il était bien plus gros que moi, en fait, constata Gabriel qui fouillait dans une garde-robe. Toutes ses chemises sont au moins une taille au-dessus des miennes.

— Le type au sous-sol portait des fringues bien trop petites pour lui, dans ce cas, commenta Flint. Se pourrait-il que ce soit son épouse ?

Gabriel haussa les épaules. Il déposa ses affaires sur ce qui restait du lit et enfila par-dessus lui une très grande chemise qui avait appartenu à son grand-père. Celle-ci ne s'était jamais désintégrée avec le temps. Elle devait être fabriquée d'un matériel que les termites n'aimaient pas.

— Il reste assez d'espace pour moi, dit-il.

— Maintenant, ça explique pourquoi tu aimes tant tes formes, gloussa son mari.

— Peut-être, mais ça n'explique toujours pas pourquoi mon père m'a imposé une limite qui m'empêche de maigrir en bas de cent-soixante kilos.

— Comme si c'était un problème pour toi... On le sait mieux que quiconque que tu aimes trop tes formes pour tout perdre, pas vrai ?

Le capitaine lui donna une tape sur la fesse gauche. Le colosse rougit.

— Mouais... affirma Gabriel, pour ensuite se gratter la joue.

— Au moins, on comprend enfin d'où vient ton appétit féroce.

Gabriel gloussa, puis enleva la chemise. Il fantasmait déjà à l'idée d'atteindre un poids aussi élevé que son grand-père, mais se dit qu'il valait mieux pour lui de ne pas s'attarder sur ce genre de détail. Après tout, il ne voulait pas devenir un fardeau pour la Septième Brigade. Sa sexualité tordue devrait attendre...

La pièce était grande, le sol était solide. Tout portait à croire que les parents de Randell avaient vécu le parfait bonheur avant que la guerre n'éclate en ce monde. Il y avait des portraits de famille, un peu partout à travers le premier étage et aussi au rez-de-chaussée. L'enfant sur ces portraits grandissait au fil de ces images, pour prendre des traits similaires à ceux d'un adolescent.

Luna et Dia fouillaient une autre chambre, alors que Charlie et Kelvin attendaient à l'extérieur du bâtiment. Tout semblait si paisible, malgré le fait que l'intérieur de cette maison était recouvert de poussières et de toiles d'araignées.

— Le type d'en bas... qui crois-tu que c'était ? commenta Gabriel.

— Je l'ignore, dit Flint. J'en ai déjà parlé avec Charlie, plus tôt. Peut-être que c'était un ami ou un proche de la famille...

— En tout cas, je ne remarque pas de vêtements féminins, nulle part.

— Ils se sont peut-être divorcés ?

Tous deux ne comprenaient pas pourquoi il ne restait plus que les vêtements du père de Randell. Ils ramassèrent tout de même quelques vêtements en souvenir de ce passage dans la pièce et les mirent dans le sac à dos de Gabriel. Certains de ces articles pourraient lui plaire, s'il les essayait.

— Comment avancent vos recherches ? demanda la louve, qui passa près de la porte de la chambre. Avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ?

— Seulement des fringues, dit Flint.

— Luna veut vous voir dans la chambre, au fond du couloir.

— Très bien, on te suit.

Alors que Flint sortait de la pièce, son mari jeta un air inquiet autour de lui. Gabriel se demandait ce qui était arrivé à sa famille biologique.

Comment s'appelaient-ils ? pensa ce dernier. Quels étaient leurs rêves ? Leurs passions ? Savaient-ils que Randell deviendrait si cruel ?

À voir les nombreuses photos à travers l'étage, Gabriel avait compris que son grand-père avait été un bon vivant et qu'il avait eu l'air tout aussi chaleureux que lui. Son cœur se serra, lorsqu'il jeta un dernier coup d'œil dans le placard.

— Il devait se sentir seul... mentionna-t-il.

— On n'en sait rien, chéri, formula Flint. Viens... Luna a probablement des informations qui pourraient nous intéresser.

— Non... J'aimerais rester ici un moment, si ça ne te dérange pas.

— D'accord. Je te rejoins lorsque j'aurai discuté avec notre amie.

Lorsque Flint sortit, le colosse s'approcha d'un bureau sur lequel ils avaient laissé une lampe à huile, quand ils étaient entrés un peu plus tôt. Il tira quelques tiroirs et ne remarqua que des pantalons pour un homme gras. La plupart étaient vides. L'épouse de l'ancien locataire était soit partie, soit décédée avant lui. Gabriel remarqua que le gabarit de son grand-père avait augmenté avec le temps. La dépression l'avait sûrement poussé à bout et il était devenu énorme.

Se pourrait-il que mon affection pour la bouffe et les rondeurs viennent vraiment de lui ? pensa-t-il. Est-ce génétique tout ça ou bien, je m'invente des histoires pour me rassurer ?

Il finit par trouver un journal intime, un carnet noir où l'encre était encore lisible. Il ne put détecter la date en haut de la première page, mais lu quelques paragraphes. Ce qu'il vit lui brisa le cœur.

Elle m'a laissé pour un autre homme, elle est partie et a pris toutes ses affaires. Elle a même pris notre Randy et notre chien, était-il écrit en haut de cette feuille. Pourquoi m'a-t-elle trompée ? Nous aurions pu arranger les choses... Elle n'avait pas besoin de menacer de me poursuivre pour la garde de notre fils...

Gabriel n'avait pas besoin de lire plus loin pour comprendre ce qui s'était passé ensuite. Celui qui lui avait servi de modèle pour sa création avait été abandonné de sa famille et avait pris beaucoup de poids, par la suite.

— Un chien ? se dit le golem. Ah oui, le Saint-Bernard sur les photos plus récentes... C'était un joli toutou. Je me demande comment ils l'ont appelé...

Il tourna quelques pages au hasard, puis lu à voix basse :

J'ai rencontré un homme d'à peu près mon âge. Il s'appelle Thomas. Il est veuf et a une fille de dix ans. On se croise souvent dans les bars et c'est un chic type. Il dit qu'il aimerait passer plus de temps avec moi... Je ne comprends pas pourquoi... J'ai tellement détesté mon existence après le départ de Linda que je me suis laissé aller. Mon thérapeute me dit que ce serait bien si je rencontrais de nouveaux amis, en dehors du travail. Je ne sais pas...

Gabriel pencha sa tête d'un côté et tourna aux dernières pages.

Thomas et moi, nous sortons ensemble depuis quelques mois, lut-il à voix basse. Malheureusement, des monstres ont commencé à apparaître sur notre monde... Et la guerre a éclaté... Son appartement a été saccagé par d'étranges créatures et nous avons perdu notre petite Frederica. J'ai enterré son petit corps tout fragile, pour rendre service à mon chéri... Je ne sais pas si quelqu'un lira ce journal, un jour... Mais j'espère que cette personne aura vécu une meilleure vie que la mienne, et qu'elle n'aura pas tout perdu... comme nous.

Gabriel ressentit un nœud dans son estomac. Il lut le verso de la page. Cette dernière était écrite avec une écriture différente.

Chris a fait un infarctus et il est à l'hôpital depuis quelques jours, prononça le golem, machinalement. Je n'ai pas le droit de rester trop longtemps dans sa chambre, car ce sont les ordres des médecins. Notre petite ville est en quarantaine et protégée par les soldats. Cependant, nous n'en avons plus pour très longtemps, je crois. Il m'a dit où trouver ce livre. Il souhaite que je puisse y écrire toutes mes pensées... Il veut que je le lise, mais je n'en ai pas besoin. Je suis heureux de l'avoir eu dans ma vie. Seulement... la fin du monde approche, j'en ai peur... et je veux passer le reste de mes jours à ses côtés.

Le colosse se mit à trembler. Il ne comprenait pas pourquoi, mais il pleurait. Il avait déjà une petite idée sur la fin tragique de cette histoire, car il avait retrouvé le cadavre de Thomas au sous-sol, un flingue à la main. Il vit la dernière page du carnet et ce qu'il lut, lui glaça le sang. Ces gens avaient vécu tant d'horreurs...

C'est fini, dit-il d'une voix tremblotante. Il est parti avec notre belle petite Freddie au paradis... Il n'a pas survécu à l'opération à cœur ouvert. Je ne peux pas continuer ainsi... Ce soir, je mangerai une dernière pizza en son honneur et je mettrai fin à mes jours. Peu importe qui lira ce journal, sachez que je l'aurais aimé de tout mon cœur. Tout comme j'ai aimé mon épouse. Et je maudis Linda de l'avoir abandonné, puis volé leur fils. Qu'elle pourrisse en enfer, cette g...

Gabriel lâcha le bouquin sur le bureau et recula. Il observa ses mains qui tremblaient rapidement. Il était sur le point de faire une crise d'anxiété. Il se serra les coudes et s'assit sur le lit de la pièce. Il se pencha et prit une grande respiration. Ce qu'il venait d'apprendre sur son grand-père ne lui plaisait pas, mais il avait finalement une réponse à son énigme. Il était comme lui. Il aimait un homme et il aimait autant manger que lui.

— Il était bisexuel... dit-il nerveusement. Donc... je peux l'appeler Grand-Papa Bi... Pfft ! Quel surnom ridicule.

Il essuya ses larmes, au bout d'une minute, puis se ressaisit.

Il remarqua alors que Charlie se trouvait tout près de lui. Le tigre était entré à l'intérieur du bâtiment et avait repéré l'odeur de son porteur pour le traquer jusque-là. Il l'observait avec une triste mine.

— As-tu tout entendu ? demanda Gabriel.

— Assez pour comprendre qui était l'homme, au sous-sol, répliqua le félin.

— Quelle tragédie...

— Je sais...

L'animal s'approcha et posa son menton sur le genou de son ami. Gabriel lui caressa la tête en silence, puis se sentit à nouveau apaisé.

— J'aimerais enterrer Thomas, pour rendre service à mon grand-père.

— Ce serait très gentil de ta part, avoua son interlocuteur. Je suis certain qu'il serait heureux que tu fasses cela pour lui.

— Dans ce cas, allons-y.

Le guerrier imposant se leva, puis suivit le tigre blanc à l'extérieur de la chambre.

¤*¤*¤

Luna tapotait sur un étrange objet en plastique, dans la chambre au fond du couloir. C'était un objet électrique qu'elle avait trouvé sur un pupitre, attaché à une prise de courant. Après quelques minutes, elle avait réussi à le faire fonctionner et avait commencé à faire quelques recherches sur ce dernier.

Elle y trouva plusieurs petites images avec des sons, qui défilaient rien qu'en les cliquant. Elle ne comprenait rien à cette technologie, mais son côté curieux et logique lui disait qu'elle se devait de maîtriser cet engin. Plusieurs lettres étaient placées sur l'objet en plastique, dans un ordre qu'elle ne comprenait pas. Était-ce pour écrire ? Elle lut sur un petit carré étrange : LibreOffice Writer.

Relié à l'engin était attaché un gadget gris qui avait un petit trou, en dessous de celui-ci et un laser rouge. Quand elle bougeait cet objet, une petite flèche pivotait dans l'écran. Elle s'en servait pour ouvrir toutes les icônes qu'elle trouvait.

— Tu voulais nous montrer quelque chose ? dit Flint par la porte d'entrée de la pièce. Dia est venu me prévenir.

La louve grimpa sur le lit derrière Luna et se plia les pattes d'en avant, afin d'examiner les images de la boîte en plastique. La magicienne alimentait ce qui semblait être une batterie, à côté de la machine. Elle lui donnait de légères décharges électriques.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda le capitaine.

— Je crois que c'est un ordinateur, répliqua la jeune femme. Devant moi, il y a de petits cartons qui disent : logiciel pour ordinateur. D'après ce que j'ai compris, les humains s'en servaient pour écrire des trucs et capturer des images.

Elle se tourna derrière elle et lui montra sur le lit un globe terrestre, illuminé par sa magie. Flint s'en approcha et remarqua que les continents étaient tous différents de ceux d'Aeglys.

— L'Amérique du Nord... dit le grand blond, pour lui-même. Quel nom étrange...

— Regarde derrière la porte, indiqua la magicienne. J'ai trouvé un calendrier.

— Hein... ?

Flint s'approcha de l'objet en question et vit que son ancien propriétaire avait encerclé une date sur celui-ci. Le 5 mars 2018. C'était la date d'anniversaire de Gabriel, mais pas l'année à laquelle s'était attendu le jeune homme. L'année de la déesse (AD) était aussi absente de ce calendrier. Il cligna des yeux, ébahi.

— Le temps semble s'être arrêté en 2018 pour cette planète, expliqua Luna. Ma théorie est que lorsque la guerre a éclaté, tout a été détruit puis Aeglys est né.

— Mais comment est-ce possible ? demanda Flint. Ne sommes-nous pas à Lanartis ? Du moins, c'est ce que Wyatt et les autres nous disaient...

— Pas vraiment, c'est le nouveau terme qu'ils emploient pour désigner la France. Drokaï faisait partie d'une communauté portuaire, elle s'appelait Le Havre. Archenwald est plus ou moins l'équivalent d'Amiens, en 2018. Ici, nous sommes à Rouen, mais cet endroit, comme tu peux le voir, est une ville fantôme et a été presque entièrement détruite par la guerre. Le grand fleuve qu'on a longé depuis quelques heures, c'est la Seine. Autrefois, c'était plus grand, mais je crois qu'il s'est asséché avec le temps.

— D'où sors-tu toutes ces informations ? continua son ami.

— J'étudie beaucoup la géographie d'Aeglys. Celle de ce nouveau monde est similaire à la nôtre. Il y a beaucoup de différences, mais pas trop quand même. À force d'examiner le tout, j'en suis venu à la conclusion que notre planète est un peu une version différente de celle-ci. D'ailleurs, la nation de Baldt n'existe pas ici, toutefois si on faisait tout le trajet vers l'ouest, on finirait par trouver le Canada... Donc, ça ferait de nous, des canadiens. Par contre, comme je te l'ai expliqué, il y a beaucoup de différences entre nos pays et la structures de nos terres. En enfer, par exemple, il manque le chaînon de montagnes entre Baldt et Lanartis... Puis nos continents du nord viennent en fait du sud. Fascinant, non ?

— Ouf, tu me donnes mal à la tête, Lu'...

— Ce n'est pas grave. Le monde est tellement détruit ici, qu'il est à peine reconnaissable. Toutes ces informations ont été perdues aux survivants de cette planète. Ils vivent désormais comme des tribus de sauvages et luttent contre les démons. En fait, si on observe bien le globe terrestre, c'est écrit « Notre planète, la Terre », avec sa date de fabrication.

— On devrait l'emmener avec nous, dans ce cas. Ça pourrait nous être utile.

La magicienne secoua la tête.

— Nan, on finira bien par trouver une carte du monde dans un autre bâtiment. Ce truc est trop encombrant pour nos sacs à dos.

Pendant que Flint examinait la sphère étrange, Luna consultait les documents de l'ordinateur. Elle appuya sur un fichier qu'elle ouvrit. Du son et des images en sortirent. Le bruit était d'excellente qualité.

Thomas, où sont les bougies ? dit une voix familière. Il en manque une pour former le chiffre douze.

L'image se tourna vers un jeune homme vêtu d'une chemise à fleurs, le même qu'ils avaient vu au sous-sol. C'était un jeune homme roux, aux yeux verts. Il semblait athlétique et avait une bouteille de bière à la main.

Je l'ignore, chéri, répliqua Thomas. Freddie ne s'en plaindra pas, crois-moi.

C'est le bouquet, ça ! Je suis pâtissier et je n'ai même pas prévu d'acheter les bougies pour ta fille... Quelle honte !

Du calme, Chris. Tu n'as qu'à former le chiffre douze en le dessinant avec le glaçage. Elle va l'aimer, je peux te l'assurer.

Vraiment ?

Affirmatif. Maintenant, dépêche-toi, elle s'en vient.

Ils entendirent une sonnette.

Entrez, c'est ouvert ! héla la voix familière qui filmait un gâteau d'anniversaire. Oh mince... je dois faire vite...

Flint, Luna et Dia virent de grosses mains qui ressemblaient à celles de Gabriel, qui formèrent le chiffre douze sur le gâteau, avec du glaçage bleu ciel. Il déposa ensuite le petit sac à côté de lui et posa son appareil sur la table. L'image affichait ensuite plusieurs petites filles, vêtues en uniformes. L'une d'entre elle était une jolie rousse aux yeux verts. Elle avait un ballon dans ses mains avec d'étranges pentagones noirs et blancs. Près d'eux se pencha un gros bonhomme barbu, avec une coupe de cheveux familière. Il avait un corps un peu plus gros que leur ami colosse, mais c'était bel et bien le type qu'ils avaient vu sur les photos.

Bienvenue chez les Tabris ! dit Chris, de bonne humeur.

Un symbole en bas de l'image leur montra un petit rectangle qui tournait au rouge, avec une barre plus pâle à l'intérieur. Il y eut une coupure et l'image cessa de fonctionner. Il y avait un triangle incliné à quatre-vingt-dix degrés vers la droite, au milieu de l'écran. C'était le même que Luna avait appuyé dessus, accidentellement, lorsqu'elle avait ouvert ce document. Le visionnement de ce fichier fut suivi par un étrange silence, dans la chambre.

— Je vois... remarqua Flint, quelques secondes plus tard. Son épouse et son fils sont partis et il a refait sa vie avec quelqu'un d'autre. Cette petite devait être la fille de la dépouille...

— Mouais... dit Luna. C'est tellement triste... Ils avaient l'air si heureux.

De la fumée sortit de la machine, sans qu'elle s'en rende compte. Elle tourna son regard vers la batterie et remarqua qu'elle l'avait surchargée. L'écran s'éteignit aussitôt. Elle avait provoqué un court-circuit, accidentellement.

— Fais chier ! chiala celle-ci. On aurait pu découvrir d'autres informations intéressantes sur ce truc. Merde, merde, merde...

Elle tapa sur la batterie, mais celle-ci resta inactive. Elle lâcha donc l'objet et se leva du siège. Elle attira sa lumière magique vers elle et se dirigea vers la sortie.

— Où vas-tu ? questionna la louve.

— Je m'inquiète pour Gabriel, dit-elle. On l'a laissé seul trop longtemps.

— Pareil pour moi, répliqua Flint. Partons à sa recherche.

¤*¤*¤

Gabriel venait de terminer de creuser un grand trou, derrière la cour de la maison. Il avait trouvé une pelle dans un vieux garage, en face de la demeure. Il n'avait eu besoin que de le défoncer, puisqu'il ne s'ouvrait pas de l'extérieur. Lorsqu'il eut terminé sa tâche, il entra par la porte du sous-sol et prit le squelette dans ses bras. Il ressentit une nausée après l'avoir soulevé, comme s'il bafouait son esprit. Le tigre l'observait en silence.

Gabriel déposa les restes de Thomas dans sa tombe et recouvrit celui-ci de terre. Il murmurait une prière qu'il avait apprise à l'église d'Athéna. Son cœur se sentait moins lourd à chacune des pelletées qu'il mettait sur la pauvre victime de cette guerre.

— Puisse ton âme reposer en paix, enfant de la lumière, dit-il en mettant le dernier bout de terre sur la tombe.

Merci... dit une voix spectrale, à son oreille.

Il cligna des yeux et fit volte-face. Il n'y avait personne. Il frotta son tympan et se demanda s'il n'avait pas imaginé tout cela. Il était au courant que des spectres rôdaient dans les plaines, mais il n'en avait pas encore aperçu, jusque-là.

— Thomas était bel et bien près de nous, exprima Charlie. Il est reparti.

— Ah bon ? fit le colosse. J'espère que notre petite cérémonie lui a fait du bien.

— Tu lui as rendu un fier service en lui souhaitant un repos éternel. Celui-ci était coincé dans les limbes, tu vois ? Maintenant, il peut rejoindre l'au-delà et retrouver celui qu'il aimait tant.

Gabriel esquissa un sourire et constata qu'il pleurait de joie. Il s'essuya le visage rapidement, quand il entendit Flint et Luna qui criaient son nom, depuis l'intérieur du bâtiment.

— Je suis ici ! lança-t-il.

Il déposa la pelle près de la tombe et épousseta son linge, recouvert de terre. Le capitaine, la magicienne et la louve sortirent par la porte du sous-sol et rejoignirent leur ami.

— Ah, tu as enterré le squelette ? interrogea Flint. Comment as-tu fait pour creuser si vite ?

— Je ne sais pas... C'est venu tout seul et j'ai trouvé cette pelle dans le garage...

Gabriel leur montra ses bras musclé, fier d'avoir rendu un service à la dépouille. Il était néanmoins très fatigué. Il avait besoin de se reposer un peu, après la dure matinée qu'il venait de vivre. Il ne comptait pas faire de dîner, non plus. Il avait besoin d'un peu de temps pour lui.

— Tu as fait du bon travail, chéri, dit Flint qui plaça une main sur l'épaule de son mari. Je suis fier de toi.

Le colosse gloussa et embrassa son époux sur les lèvres, avant de faire signe à Charlie de le suivre. Il se tourna en direction de l'église, dont ils se servaient tous comme site de campement. Il était temps pour eux d'y retourner.

— Partons, proposa-t-il. Nous n'avons plus rien à faire ici.

— Bonne idée, répondit le capitaine. Je commence à avoir faim. Je crois que je vais nous préparer un peu de poissons en brochettes. Qu'en dis-tu ?

— Nous avons l'embarras du choix, formula Luna caustiquement.

Kelvin descendit de l'immeuble et vint s'attacher au dos de sa porteuse, sous forme d'ailes. Celui-ci était aussi timide qu'à leur première rencontre. Cependant, il était plus amical envers les autres et ne s'enfuyait plus en leur présence. Quant au tigre, il ne gênait plus personne.

— C'est quand même dommage qu'on n'en sait pas plus sur ton père, dit Luna.

— Bof, au moins je sais que mon grand-père était un type bien, prononça Gabriel. Je n'ai pas besoin de plus pour être heureux.

Flint sourit à cette remarque. Chose certaine, son mari avait refermé une vieille blessure que personne n'avait réussi à guérir, jusque-là.

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