84. Métamorphoses
Le 11 avril 3918 AD, Flint et ses associés s'étaient assez reposés à leur camp pour reprendre la route. Il fut décidé qu'ils diviseraient la Septième Brigade en trois équipes afin de partir à la recherche des esprits élémentaires d'Athéna.
Flint, Gabriel, Luna, Giotto et Dia étaient partis au sud, où Kelvin avait été vu pour la dernière fois. Shayne, Cassandra, Lucas et Misaki avaient opté pour la région de Drokaï pour traquer la panthère. Finalement, Wyatt, Estelle, Scottie, Kylie et Bella étaient partis au nord, afin de former une alliance avec les survivants de ce monde obscur. Tous avaient un objectif important à accomplir.
Ils savaient tous qu'ils ne se reverraient pas avant un certain temps, alors ils avaient profité de cette matinée-là pour s'encourager dans leurs démarches.
Ni l'un, ni l'autre, ne savait s'ils réussiraient leurs tâches. Cependant, ils avaient tous comme objectif de se retrouver au nord du continent, d'ici au 18 avril. Ils s'étaient donnés une semaine pour accomplir leurs tâches respectives, après quoi ils devraient rebrousser chemin.
Flint avait observé deux autres groupes partir avant de se tourner vers ses compagnons de route. Il espérait que les pouvoirs de Dia et Giotto leur permettraient de retracer le phénix. Ils devaient y aller.
— Est-ce que vous avez ramassé tout ce dont vous aviez besoin ? demanda le capitaine à ses coéquipiers. Nous ne pourrons pas nous arrêter avant quelques heures.
— Nous nous sommes lavés, on a fait nos besoins, tout baigne, remarqua Luna.
— As-tu au moins pris la peine de t'excuser auprès de Bella ?
Il faisait mention de ce qu'elle avait fait, deux jours plus tôt. Elle avait évité l'animal comme la peste, même si elle avait voulu passer du temps avec son meilleur ami. Le petit sourire espiègle de la magicienne s'effaça aussi rapidement qu'il était apparu.
— On ne pourrait pas la faire bouillir dans une marmite, plutôt ? suggéra-t-elle. Je parie que ça se mange bien de la viande de loutre.
— Ce n'est pas l'envie qui me manque, mais bon, on a besoin d'elle, râla Dia.
— Mais à quoi votre mère a-t-elle pensé en la créant ?
— Je l'ignore, mais n'oublie pas que les réincarnations ne sont pas toutes les mêmes. Autrefois, elle était douce et généreuse sous sa précédente apparence. Malheureusement, il semblerait qu'elle ait tout oublié...
— Je compatis à ta souffrance, ma chère...
Luna se pencha vers Dia et lui caressa le menton.
Flint roula les yeux et secoua la tête.
— Pas besoin d'être si dramatiques, vous deux, remarqua-t-il.
— Ouais, ouais, répliqua Luna. As-tu besoin que je te file quelques potions pour ta ceinture ? J'en ai plein dans ma sacoche.
— Volontiers. Wyatt et toi, vous êtes surpassés, hier. Même Cassandra ne s'attendait pas à ce que vous en fabriquiez autant.
— Bah, c'est un peu normal, non ? continua la jeune femme qui haussa les épaules. On savait qu'on devait reprendre la route, alors on en a profité.
— Ouais... la maudite route...
Flint souffla des narines et retourna son attention sur le chemin auquel ils marchaient. Il était irrité, car il ne reverrait pas sa fille avant une autre semaine, cependant il était heureux de la savoir saine et sauve. Il s'était souvenu, ce matin-là, à quel point il avait été fier quand elle avait pris la décision de devenir brigadière. Elle lui avait fait cette déclaration l'été dernier, peu de temps avant son seizième anniversaire. Gabriel avait hésité quelques jours, avant d'accepter le fait que sa petite fille grandissait et qu'il ne pourrait pas la protéger éternellement.
Tellement de choses s'étaient déroulées depuis cette période paisible. L'adolescente apprenait de nouvelles techniques de combat quotidiennement et devenait de plus en plus forte. La savoir déjà si loin, lui brisait le cœur. Flint était si fier d'elle... Bien sûr, Gabriel lui tenait compagnie ; cela ne l'empêchait pas de rêver du jour où ils retourneraient chez eux.
— Qu'est-ce qui ne va pas, chéri ? demanda Gabriel, qui remarqua la triste mine de son mari. Tu ne digères pas les champignons, n'est-ce pas ?
Flint secoua la tête, puis esquissa un petit sourire à son époux.
— Ce n'est rien, Gab, dit-il. Seulement, mon père a intérêt à nous donner des vacances payées quand tout cela sera fini.
— Je te rejoins là-dessus, cinq sur cinq, répliqua Luna. On a beaucoup bossé, dernièrement. Pourchasser ton oncle, ce n'est pas de tout repos...
— Surtout si nous avons besoin de l'aide des esprits élémentaires, gloussa le colosse. Mais dites-vous que nous en avons déjà quelques-uns de notre côté. Les choses ne peuvent que s'améliorer, d'après moi.
— Ah ! J'éviterais de dire ce genre de chose, si j'étais toi, expliqua la louve. Ça porte malheur de toujours se fier aux esprits. Nous n'avons pas été mis au monde pour régler tous les problèmes après tout. L'humanité doit contribuer aussi ! Sinon... j'apprécie le compliment.
Le capitaine approuva d'un hochement de tête. Même si Dia et Giotto étaient avec eux, il restait sur ses gardes à cause des monstres. S'il avait appris une chose durant le début de son voyage, c'était qu'il ne fallait absolument pas sous-estimer Thanatos, ni son frère Hypnos. Tous deux étaient encore des êtres énigmatiques à ses yeux, mais il savait aussi qu'il pouvait donner une forme un peu plus tangible à leurs nouveaux adversaires. Comme l'avait expliqué Shayne, ce matin-là, ils ne pouvaient pas éliminer la possibilité que Perséphone travaillait avec eux.
— Je rejoins un peu l'avis de ma sœur, commenta la hache, attachée au dos du colosse. Toutefois, je ne peux m'empêcher de vouloir me rendre utile pour vous.
Contrairement à la louve qui se promenait à quatre pattes, près de Flint ; l'esprit de la création avait opté pour se reposer sous sa forme d'arme. Il avait beaucoup chassé durant la matinée et en avait profité pour dévorer plusieurs créatures sauvages. À son retour au campement, il était tellement repu qu'il pouvait à peine bouger. Il maudissait secrètement Gabriel, car ce dernier avait une étrange influence sur sa propre faim et ce dernier trouvait cela amusant.
La synchronisation avait toujours cet effet de mélanger certaines habitudes entre un porteur et son esprit élémentaire. S'il ne faisait pas attention, il finirait avec une panse aussi grosse que son protecteur. Il n'en avait pas envie. Gabriel s'en fichait. Il avait passé plus d'un quart d'heure à caresser le bedon du reptile et à le traiter comme un gros chat. Étrangement, Giotto s'était laissé faire... même qu'il avait apprécié de se faire gâter comme un animal de compagnie. Il tombait rapidement sous le charme de son porteur.
En vérité, le corps de la bête féroce avait complètement assimilé la personnalité de Riordan à celle de son grand-père. Ils ne formaient plus qu'un seul être. Le nouveau Giotto avait une personnalité un peu plus espiègle, bien que débrouillarde. Son côté gourmand venait cependant du golem. Il commençait même à se demander si une autre forme ne serait pas appropriée pour représenter sa nouvelle existence. Il préférait ne pas en parler ouvertement au groupe, mais Gabriel savait déjà qu'il pensait à tout cela.
— Sinon, dit Flint qui se tourna vers la hache. On n'entend plus tellement parler de ton petit-fils. Est-ce normal ?
— Ah bien sûr ! J'avais remarqué la même chose, déclara Luna.
— Ne vous en faites pas pour lui, déclara Giotto. Ou pour moi. Nous nous connaissons désormais assez pour comprendre qui nous sommes. Il vous parle en ce moment, comme je vous parle.
— Vraiment ? Ce processus s'est fait plus rapidement que je l'aurais imaginé, dit le capitaine. Heureux de constater que vous n'avez plus ce problème.
— Ça n'a jamais été un problème, rétorqua le dragon. Enfin... si... un peu. Mais bon, l'important est que nous savons dorénavant comment collaborer. Par contre, on se sent un peu à l'étroit dans ce corps. Il ne nous convient plus.
— Où veux-tu en venir ? demanda Dia.
La louve leva la tête vers la hache et recula vers lui.
— Tout simplement que l'apparence d'un dragon ne me convient plus, répliqua l'aîné des esprits. Comme je vous l'ai expliqué l'autre jour, je dois me développer une nouvelle identité, maintenant que Riordan et moi ne formons plus qu'un.
— C'est un peu comme Lucas, ton truc, non ? demanda Flint.
— Mais non ! Enfin... je ne sais pas... répliqua Giotto. Pour nous, les esprits élémentaires, il est normal de changer de corps et d'apparence afin que cela concorde avec notre personnalité et nos désirs. Ça n'a aucun rapport avec l'identité du genre...
— Pourtant, autrefois, tu étais une femelle, réfuta sa sœur. L'une de tes anciennes incarnations était une dragonne.
Les joues du dragon rougirent à travers son apparence d'arme.
— Oui, mais c'était il y a très, très longtemps ! grogna celui-ci.
— Tu étais curieux sur l'anatomie des femelles, avoues, plaisanta sa sœur.
— Tu vas te taire, oui ? Petite insolente !
Ils entendirent tous la hache grogner. Giotto se détacha du dos de son porteur et s'imagina immense, imposant et aussi fort que Gabriel. Rapidement, de longues pattes poussèrent de la boule, puis un museau en sortit. Une fourrure nacrée apparut. La gueule de la bête s'approcha de la louve et l'observa d'un air sévère. Ce n'était que quelques secondes plus tard que ses coéquipiers réalisèrent ce qu'il était devenu.
— Oh ça alors ! remarqua Gabriel. T'es un ours polaire !
— Mm ? fit celui qui devait être un dragon.
L'énorme bête se leva sur ses pattes arrière et observa ses grosses pattes poilues. Debout, il dépassait son porteur d'une tête. Les autres avaient l'air de minuscules insectes, à ses yeux. Il se reposa par terre, ce qui provoqua une légère secousse sous ses pieds. Sans le savoir, il avait changé. Il lui vint rapidement une démangeaison au niveau de l'oreille droite. Il se pencha d'un côté et utilisa sa grosse patte arrière pour se gratter. Il baissa son regard vers son ventre, gros et aussi poilu que ses pattes. Il soupira. S'il devait passer le reste de sa nouvelle existence ainsi, il n'avait pas le choix de s'y habituer. Après tout, son cœur en avait décidé ainsi...
— Il faut croire que Giotto ne te convient plus comme prénom, constata Gabriel. Comment doit-on t'appeler désormais ?
— Je ne sais pas... pourrais-tu m'en trouver un ? suggéra l'ursidé. Puisque tu es mon porteur, je crois que ce serait mieux comme ça.
— Charlie ! dit Gabriel qui sautilla sur place. Je veux t'appeler Charlie !
— Pourquoi ce prénom, en fait ? demanda Luna, intriguée.
— Disons que c'est le nom que je souhaitais offrir à mon premier fils...
— Mmm... J'aime bien ce prénom, dit l'ours. Très bien. J'accepte. Vous pouvez dorénavant m'appeler Charlie. Enchanté de faire votre connaissance.
— Bienvenue mon nounours ! s'exclama le colosse.
Il lui chatouilla l'une des côtes, ce qui le fit tomber. Charlie avait hérité de ce trait de son porteur. Ensuite, Gabriel lui fit un énorme câlin. La pauvre bête poussa un soupir. Ce ne serait pas la dernière fois qu'il le prendrait pour une grosse peluche. Il commençait déjà à regretter cette nouvelle apparence.
— Franchement... dit Luna qui secoua la tête.
— Il est à qui mon ours polaiiiiire ?! couina Gabriel qui bécota la tête de son partenaire de combat. Oh, t'es tout mignon !
— Je ne suis pas jaloux du tout, mentit Flint, qui cligna des yeux deux fois.
Lorsque Gabriel se calma, il se releva et l'ours redevint une hache dans son dos. Gabriel s'approcha de son mari qui le regardait d'un drôle d'air, puis rougit timidement. Le capitaine préféra ne rien ajouter. Ils reprirent simplement la route et continuèrent leurs recherches.
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Au beau milieu d'un combat contre un ogre, Gabriel avait lancé son arme en plein dans le visage du monstre et assommé ce dernier. Il ramassa alors la hache, recouverte de sang et se passa un doigt sous le nez. Le capitaine aidait Luna à se relever.
Voilà plus d'une demi-heure qu'ils fouillaient les bâtiments abandonnés qu'ils trouvaient à force de marcher. Parfois, ils croisaient plusieurs monstres, d'autres fois, ils trouvaient des créatures de grandes tailles contre lesquelles Charlie se mesurait.
— J'ai failli perdre un bras, râla Luna.
— Est-ce moi ou bien, ils deviennent de plus en plus puissants, ces monstres ? questionna Dia.
— Je n'en sais rien, mais nous sommes sur un territoire ennemi. Il vaudrait mieux pour nous de ne pas rester ici plus longtemps. Bougeons.
Charlie reprit sa forme animale. L'ours marchait à côté de son porteur, tandis qu'il essayait de comprendre comment son nouveau corps fonctionnait. Celui-ci se sentait mieux. Par contre, il regrettait d'avoir perdu ses ailes. La nouvelle force qu'il avait acquise dans ses pattes lui plaisait. Il arrivait toujours à lancer des attaques magiques avec sa gueule, mais ce n'étaient plus des flammes, mais d'étranges sphères argentées qui flottaient dans les airs.
— Est-ce que ça arrive souvent, ces métamorphoses étranges ? demanda Flint aux esprits.
Ce fut l'ours polaire qui répondit.
— Habituellement, tous les esprits élémentaires changent de forme selon leur volonté. Moi, par contre, j'ai toujours préféré le corps d'un dragon, jusqu'à ce que je choisisse Riordan. Il n'a jamais apprécié le fait de servir notre famille jusqu'à ce qu'il devienne mon hôte. J'ai vite compris en synchronisant avec Gabriel qu'un changement serait nécessaire pour nous, afin d'être plus à notre aise. Aussi, quand nous nous réinventons, nos porteurs peuvent influencer comment nous nous percevons...
Il regarda Gabriel pendant un instant, avant de reprendre :
— Je peux toujours retourner à ma forme de dragon, pour les déplacements aériens, mais je crois que je préfère cette forme pour marcher... poursuivit-il. C'est beaucoup mieux comme ça. Notre âme est plus... reposée pour ainsi dire.
Flint fronça des sourcils et observa Dia.
— Et toi ? commenta celui-ci. Est-ce dans tes facultés de te changer en une autre créature ou bien, tu préfères demeurer une louve ?
— J'aime mon identité actuelle, répondit-elle. Elle me convient parfaitement. Et puis m'imaginerais-tu autrement qu'avec cette jolie bouille ?
Elle pencha la tête d'un côté, curieuse de voir sa réaction.
— En même temps, ça ne devrait même pas m'étonner parce que vous vous transformez en armes avec tellement de facilité... remarqua son interlocuteur.
— Bah voilà ! ajouta la louve. Nous, les esprits élémentaires, nous sommes essentiellement du mana condensé et nous prenons les formes les plus appropriées pour représenter qui nous sommes et ce que nous souhaitons accomplir. Moi, j'ai toujours adoré les loups, d'aussi loin que je m'en souvienne... Mon âme a trouvé une meute, lors de mon dernier processus de réincarnation, et j'ai décidé de devenir l'une des leurs. Je n'ai jamais changé de corps, depuis.
— J'avoue que ça me manquerait de te prendre dans mes bras, sous cette forme, lui informa le colosse. J'ai bien aimé que tu joues le rôle de notre chienne, ces derniers temps. Ça changeait un peu de notre routine...
Dia gloussa alors que Flint lança un coup d'œil rapide vers l'ours.
— Ah ouais, pendant que j'y pense, comment se fait-il que tu sois capable de devenir si petit et si grand ? Est-ce le même principe que vos transformations ?
— Oui, répondit ce dernier. Par conséquent, Dia serait capable de prendre la taille d'un cheval, si elle le désirait. Cela demande beaucoup de pratique et de patience de notre part, car ce n'est pas tous les esprits élémentaires qui y arrivent.
La seule réaction qui sortit du capitaine, sur le coup, fût :
— Il faut que je voie ça !
— Hein ? s'indigna Dia. Mais je ne suis pas une jument...
— S'il te plaît... ?
Flint se pencha vers son animal de compagnie et lui fit les yeux doux. Au bout d'une dizaine de secondes, Dia afficha un air de défaite et s'éloigna un peu du groupe. Son corps s'illumina tranquillement et elle devint plus grande et plus large, comme l'avait prédit l'ours polaire. Elle avait atteint la taille d'une jument de taille moyenne. Épaté, Flint s'approcha d'elle et lui caressa la nuque.
— Est-ce que je peux... ? demanda-t-il.
La monture improvisée souffla des narines et hocha la tête. Elle n'appréciait guère de se faire traiter comme un cheval. Elle se pencha et Flint grimpa sur son dos.
— C'est... trop... COOL ! déclara-t-il. Ta fourrure est si douce en plus... Je vis un rêve... Oulalah... Dia, j'adore ce tour de magie !
— Content que ça te plaise, soupira-t-elle. Parce que je trouve ça humiliant...
Le capitaine comprenait enfin pourquoi Gabriel avait réagi comme il avait fait à la nouvelle apparence de Charlie. C'était comme s'il redécouvrait Dia pour la toute première fois. Il se pencha et enfouit son visage dans la fourrure de la louve. Il entoura sa nuque de ses bras. Elle fit quelque pas et se tourna vers le reste du groupe. Ensuite, elle baissa son arrière-train, ce qui força Flint à la lâcher et retrouver la surface recouverte de cailloux. Il embrassa quand même le bout du museau de sa partenaire et lui caressa la tête.
— Merci pour ce privilège, ma belle, dit-il.
— Ne le répétez pas aux autres, grogna-t-elle entre ses crocs.
— Compris ! s'exclama Luna.
Gabriel approuva en silence et l'ours fit de même. Pendant ce temps, Dia reprenait sa taille normale. Flint réalisa qu'il avait probablement été trop cruel envers elle et se sentit mal. Pour se faire pardonner, il lui cuirait un bon poisson pour le souper. Il sortit de son sac de voyage, la dernière croquette spéciale qu'il avait préparée, il y avait quelques jours de cela. C'était une vieille recette qu'il avait apprise à Alba. L'aubergiste avait eu des chiens, à une certaine époque, et ils avaient tous aimé tous cette gâterie. Par pure coïncidence, Dia en raffolait aussi.
— Oh ! Tu sais comment plaire aux dames, toi, dit-elle en reniflant la préparation à base de poulet et de légumes.
— Malheureusement, c'est la dernière. Nous ne pourrons pas t'en préparer avant de retourner sur Aeglys.
— Pas grave, j'ai tout mon temps.
Elle dévora la croquette en deux bouchées.
Luna se pencha vers le cadavre de l'ogre qu'ils avaient tué, quelques minutes plus tôt. Elle l'examina de plus près. Une sphère lumineuse l'éclairait depuis tout ce temps. Elle écrivait des notes dans son carnet, tranquillement. Toutes les informations qu'elle apprenait, finissaient dans celui-ci. C'était le deuxième carnet qu'elle avait commencé, depuis le début du voyage. Elle possédait une pile de notes, qu'elle avait ramassées de la même façon. Sa collection était rangée dans un tiroir du bureau de sa chambre. Un jour, elle comptait mettre à jour les encyclopédies de Baldt. Pour le moment, elle collectait des données.
— Il n'a pas de marque comme la plupart des autres monstres qu'on a croisés... remarqua-t-elle. Étrange...
— Une marque ? demanda Flint. Quelle marque ?
Luna se tourna vers son supérieur et dit :
— Vous n'avez pas remarqué ? Les monstres du comité d'accueil de l'autre jour avaient tous des papillons étampés à quelques endroits sur leurs corps.
— C'est la première fois que j'en entends parler, dit Gabriel.
— Pareil, fit son mari.
— C'est un peu normal que vous n'ayez pas vu ces formes, il faisait noir autour de vous, expliqua Luna. Par contre, j'ai vu ces signes parce que j'avais bu une potion permettant un état de nyctalopie temporaire. Je pense que Shayne et Cassandra ont probablement remarqué ces marques, eux aussi.
— Est-ce que t'as pris tout ça en notes ? questionna le capitaine
— Je peux te montrer, si tu le veux, proposa Luna.
Flint s'approcha de l'ogre et se plaça à côté de son amie. Elle lui passa son calepin et tourna à la page où elle avait écrit les notes de ce fameux combat. Flint reconnut l'écriture propre et soignée de Luna. Il lut rapidement ce qu'elle avait écrit. Lorsqu'il eut terminé, il tourna son visage vers la jeune femme. Il était légèrement irrité, mais admiratif par le côté minutieux de son amie. L'irritation venait surtout du fait qu'elle ne lui avait rien dit.
— Tu t'attendais à me dire ça quand, en fait ? interrogea-t-il. Ce genre de détail pourrait être très important pour le reste de notre groupe.
Luna baissa son visage, timidement.
— J'étais trop fatiguée pour m'en souvenir, mentionna-t-elle. Mais il est vrai que j'aurais pu vous le dire, le jour suivant. Seulement, vous étiez tous distraits par les retrouvailles et j'ai préféré prétendre que vous n'aviez pas besoin de l'information. Une partie de moi croyait que vous le saviez déjà...
Le capitaine roula les yeux. Il comprenait où elle voulait en venir, mais il était quand même déçu qu'elle ait présumé tout cela.
— La prochaine fois, partage cette information malgré tout, dit-il. Même si nous savons que Thanatos et Hypnos sont impliqués, ce symbole de papillon ne fait que confirmer mes craintes. Ils sont en train de développer des troupes pour nous traquer et nous éliminer tous.
— Devrions-nous retourner aux autres groupes, dans ce cas ? demanda-t-elle.
— Je crois qu'on devrait s'en tenir au plan de la semaine, ajouta Charlie. Ne laisse pas ces marques te distraire de ta tâche actuelle.
Ce fut à ce moment qu'ils entendirent tous un cri strident dans le ciel. L'ours et la louve reconnurent cette voix pour l'avoir entendu à de nombreuses reprises, au cours de leurs vies. Une flamme vola dans leur direction que Luna repoussa avec un champ de force. Quelques secondes plus tard, un phénix aux allures monstrueuses illumina les plaines autour du groupe. Leur cible les avait retrouvés avant eux !
— Kelvin ! cria Dia. Ressaisis-toi !
— C'est lui !? demanda Flint. Que lui est-il arrivé ?!
— La même chose qui m'est arrivée lorsque vous m'avez sauvé ! grogna Charlie. Il est possédé ! Nous allons devoir l'immobiliser !
Sur ces mots, l'esprit de la création retourna entre les mains du colosse et ce dernier fonça vers la créature, en hurlant pour attirer l'attention.
— Ne le tuez pas ! ordonna Dia. Nous pouvons encore le sauver !
— Pour qui me prends-tu, ma sœur ? râla l'ours.
L'oiseau gigantesque cracha une grosse flamme en direction de Gabriel. Par réflexe, l'esprit de la hache activa un champ de force qui se désintégra au contact. Luna ne pouvait pas combattre cette créature avec son élément habituel et elle n'était pas aussi douée que Wyatt pour invoquer des sorts aquatiques. Pour cette raison, elle choisit d'agir comme soutien pour le reste du groupe. Elle augmenta la puissance et la résilience du colosse avec des sortilèges qu'elle avait appris lors de ses entraînements, puis utilisa les mêmes sur Charlie.
Simultanément, Dia avait repris sa forme d'épée dans la main de Flint qui s'élevait déjà dans le ciel. L'ange avait activé ses propres pouvoirs et filait tout droit vers leur adversaire. Quand le phénix réalisa qu'il était seul contre plusieurs adversaires, il fit apparaître des tornades de feu autour de lui. Ces derniers s'élevèrent de la terre et tournoyèrent autour de son corps. Le capitaine dut reculer, de peur de se brûler les ailes. Gabriel stoppa net dans sa course. Quant à Luna, elle courut dans leur direction, après avoir bu une potion magique. Son mana commençait déjà à s'épuiser et elle avait lancé peu de sorts depuis les dernières vingt-quatre heures.
— Il faut le restreindre ! lança l'ours. Charlie ! Te souviens-tu de ton pouvoir paralysant, Dia ? C'est le moment de t'en servir !
— Ah ouais, pas bête ! déclara la louve. Flint, je vais devoir te laisser un moment !
— Pas de problème, répliqua-t-il. Je peux m'occuper de cet oiseau autrement.
Dia reprit sa forme animale et retomba sur ses pattes. Elle fit ensuite apparaître un faisceau de lumière qui sortit de ses yeux et de sa bouche. Ce sortilège fit tomber le phénix au sol, ce qui fit disparaître les tornades enflammées.
— Flint ! lança Charlie. C'est le moment !
L'ange comprit où l'esprit voulait en venir. Le but de retrouver ces esprits élémentaires n'était pas de leur faire du mal, mais de les protéger et de les soigner de la corruption de ces terres. Il prit une grande respiration et invoqua les forces de l'au-delà afin de purifier l'âme du phénix. Son pouvoir commençait déjà à faire effet, mais Kelvin résista à ce dernier. Il brisa l'enchantement de Dia et retourna dans le ciel, en plusieurs battements d'ailes.
Flint perdit sa concentration. Puisque ses forces semblaient le quitter, il se posa à terre et ses ailes disparurent. Luna s'approcha de lui pour le soutenir, au moment où il allait s'effondrer.
— C... C'est qu'il est coriace, dit le capitaine qui retrouva son équilibre.
— Tiens, bois ça, ordonna son interlocutrice.
Elle lui passa une autre bouteille de potion et se tourna vers leur adversaire. Dia utilisa le même sort qu'un peu plus tôt. Le phénix retomba au sol, sous l'impact du sortilège. Cette fois, la hache de Gabriel se transforma entre les mains de son porteur en gigantesque gourdin. Le colosse avait reçu l'ordre de ne pas le tuer, mais rien ne l'empêchait d'assommer l'oiseau. Charlie avait entendu les pensées de son porteur et avait pris la forme appropriée. Kelvin reçut un coup solide sur la tête et perdit connaissance.
L'arme du colosse redevint un ours, aux côtés de son porteur. Il s'approcha du phénix inconscient et mit l'une de ses grosses pattes poilues sur le corps de la créature. Le plumage de Kelvin était tiède au toucher, les flammes avaient disparu.
— Mon pauvre, que t'ont-ils fait ? dit Charlie pour lui-même.
— Sûrement torturé, comme toi ? suggéra Dia qui s'approcha de l'ursidé.
— Il faut le ramener...
— Dans ce cas, purifions-le, suggéra Flint.
La louve se tourna vers son protecteur et cligna des yeux.
— T'es sûr que ça va, toi ? fit-elle. Tu n'arrives pas à utiliser tes pouvoirs correctement. C'est très dangereux, ce que tu fais...
— Je suis le seul qui puisse le faire... dit-il, faiblement.
— Pas nécessairement, répliqua l'ours. Nous pouvons t'aider.
Charlie s'adressa à sa sœur, par la suite.
— Formons un cercle autour de notre frère, veux-tu ? demanda-t-il.
— Très bien ! répliqua-t-elle.
Gabriel et Luna se tinrent à l'écart, alors que Flint rejoignit les deux esprits élémentaires dans ce qu'ils comptaient accomplir. Charlie tourna son regard vers l'ange et lui dit :
— Associons notre mana de sorte que cela forme un cercle purificateur autour de Kelvin. Le mana à son état le plus pur est un excellent remède contre toute forme de corruption. Je commence dans trois secondes.
Le capitaine ne savait pas si c'était une bonne idée. Cependant, la sagesse de l'esprit de la création ne leur avait pas fait défaut, jusque-là. Il détendit ses bras et fit apparaître ses ailes. Tous ses sens s'aiguisèrent alors qu'il activait son pouvoir. Il se concentra sur le phénix. Il sortit de sa transe rapidement quand il réalisa qu'il ne savait pas comment sortir du mana de son corps, sans le transformer en lumière. Il n'était pas familier avec cette technique.
— Euh... comment fait-on cela ? demanda-t-il à l'ours.
— C'est aussi simple que de lancer tes sorts, dit Charlie. Le mana part du bout de tes doigts pour la majorité de tes sortilèges. Concentre l'énergie qui coule en toi à partir de là et relâche là dans le cercle. C'est comme ton sort de purification, mais à petites doses. Même Luna pourrait participer au rituel.
— Dans ce cas, je viens vous aider ! fit la magicienne.
— Ça ne sera pas nécessaire, continua l'aîné des esprits. J'ai suffisamment de mana avec Dia et Flint pour soigner notre frère.
La jeune femme rouspéta et se croisa les bras. L'enchantement collectif du trio avait déjà commencé. Un cercle magique entoura le phénix et peu à peu, de petites doses d'énergie pure pénétrèrent à l'intérieur du corps de l'oiseau. Kelvin fut soulevé dans les airs, alors que son apparence changeait déjà en quelques secondes. Une étrange aura ténébreuse s'échappa de son corps. La transformation de l'esprit s'était achevée une fois qu'il avait repris des couleurs plus claires et que son corps avait rétréci légèrement.
Luna éclairait la scène avec sa magie, fascinée par ce qu'elle voyait. Devant eux se trouvait un oiseau majestueux, au plumage flamboyant. Quand il ouvrit les yeux, il se dressa sur ses longues pattes et fixa la magicienne d'un regard intense.
— C'est lui... C'est bien le phénix que j'ai vu dans mes rêves, dit-elle, fascinée. Oh sapristi ! Il est plus surprenant que je l'imaginais !
Elle s'approcha timidement de Kelvin et réalisa qu'il était légèrement plus grand qu'elle. Il l'observait, intrigué. Il prit peur et recula d'un bond. Ses yeux étaient deux flammes miniatures, ou plutôt deux iris luminescents qui rappelaient son élément. Son bec était aussi tranchant que la lame d'une épée et ses serres rappelaient aux brigadiers ceux des harpies qu'ils avaient croisées dans les plaines de la république. Le phénix ne dégageait aucune chaleur, contrairement à sa forme corrompue. Il était terrifié.
— Du calme, Kel, prononça Dia. Nous t'avons sauvé.
— M... mais... mais où suis-je ? demanda-t-il.
Il recouvrit son visage d'une longue aile et se pencha lorsqu'il vit l'ours polaire à côté de lui. Il pleura et courut se cacher derrière la louve qui ne pouvait même pas le couvrir avec sa petite taille.
— Allons, Kelvin... Ce n'est que moi, dit Charlie. Tu te souviens ? Giotto... J'ai simplement changé de corps.
L'oiseau baissa son aile, timidement, et observa la grosse bête qui s'adressait à lui.
— M... Maintenant que tu le d... dis... il est vrai que ton énergie ressemble à celle de mon frère, couina-t-il. Où étiez-vous passés ? J'ai eu la frousse de ma vie...
— Ici et là, remarqua la louve. Nous nous sommes tous fait attaquer par les disciples de Perséphone. On te racontera tout ça plus tard.
Flint était stupéfait. Il ne s'était pas attendu à entendre la voix d'un petit garçon sortir de ce bec. Kelvin n'était pas un adulte, mais un enfant.
— Vous auriez pu nous dire que ce n'était qu'un gamin, s'esclaffa celui-ci. Je pensais que c'était un adulte. Le pauvre ! Il doit être traumatisé.
— Bah, en fait, il était un adulte, il y a quatre ans... remarqua l'ours. Cependant, il a explosé près de Doylesbourg et tu sais ce qu'on dit des cendres de phénix... Il est revenu de ces dernières.
— Fascinant ! déclara Luna qui s'approcha de l'oiseau. Ce qu'il est adorable ! Bien plus beau que dans mes rêves, en plus ! Oh, j'ai trop envie de prendre ses mesures ! Ça mange quoi un phénix ? Ne me dites rien ! Je veux le découvrir moi-même ! Oh, regardez-moi ces plumes !
Elle souleva une aile aux couleurs multicolores et comptait les plumes, une par une. Flint et Gabriel étaient stupéfaits, pendant qu'ils observaient la jeune femme dans tous ses états. À chaque fois qu'elle faisait une découverte scientifique, elle devenait aussi dingue que le Gabriel lorsqu'il mettait la main sur un dessert. Elle aimait plus que tout découvrir de nouvelles choses.
— Ouille ! couina l'oiseau qui recula, ôtant son aile de la magicienne.
— Pardon, dit-elle. Je suis juste tellement excitée de faire ta rencontre !
— Ils sont tous comme ça, les humains ? demanda le phénix à sa fratrie. Parce qu'elle est vraiment bizarre...
— Si ça peut te consoler, Luna est la plus curieuse de notre groupe, rectifia Flint. Elle ne faisait pas ça méchamment.
Luna toisa son supérieur et retourna son attention vers le grand corps de l'oiseau. Elle ne pouvait contenir sa joie plus longtemps. Elle bougea devant lui et le regarda droit dans les yeux avant de lui prendre le bec.
— Kelvin, je suis Luna Kelly, dit-elle. J'aimerais faire un pacte avec toi.
— Ah... ah bon ? Mais je... ne sais pas si... c'est une bonne idée, déglutit l'oiseau.
— Qu'en est-il de tes rêves ? De tes visions ? Ne m'as-tu pas ressenti ? Ta créatrice ne t'a-t-elle donc pas envoyé des rêves prophétiques, comme les autres ? Je croyais vraiment que nous étions destinés à nous rencontrer...
Le visage de la magicienne était parsemé de doutes. Le phénix était tout jeune. Ce n'était qu'un bébé, mais il formulait quand même des phrases cohérentes. Il ne savait pas comment lui répondre. Il baissa la tête, tristement. Quand elle réalisa que le magnifique animal qui se tenait devant elle ne se sentait pas à son aise, elle lui caressa la tête. Il se mit à roucouler de plaisir. Tout semblait si naturel, en sa présence. Il se calmait déjà.
Ce phénix n'était certainement ce qu'ils avaient imaginé, mais au moins le groupe de Flint avait découvert un esprit élémentaire qui était destiné à les rejoindre. Sur ces pensées, ils sourirent et décidèrent de faire connaissance avec leur nouvel ami.
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