8. L'esprit de lumière

À l'intérieur de l'église, Nash et Luna s'étaient avancés au milieu de la grande pièce, après avoir rejoint le prêtre qui préparait la messe matinale à l'autel. Le capitaine et la jeune brigadière marchaient calmement vers lui.

Une odeur d'encens chatouilla les narines de Nash – il n'avait jamais aimé cet arôme. Il se surprit même à se pincer le nez. Luna lui fit remarquer son impolitesse et il se rectifia rapidement.

— Monsieur le prêtre ? demanda le capitaine, qui s'approcha de l'autel. Vous avez envoyé une requête à la capitale l'autre semaine. Nous sommes les représentants du Conseil, je suis Nash Markios et je suis le capitaine de la Septième Brigade. Mon frère nous a dit que vous avez nos prochaines directives.

— Oh... ? Oui, votre frère m'a envoyé un pigeon voyageur ce matin, me disant que vous étiez partis hier.

— Nous devions arriver plus tôt que prévu, mais nous avons eu un empêchement.

— Peu importe. Suivez-moi, je vous prie.

Le prêtre était un peu plus petit que Nash, légèrement dégarni au niveau de sa chevelure noire. Son visage était fraîchement rasé. Il avait de gros cernes sous les yeux, ce qui fit comprendre au capitaine qu'il avait mal dormi ces derniers temps. L'homme en soutane blanche escorta ses invités au sous-sol.

Lorsqu'ils entrèrent dans un vieil entrepôt, il ramassa une torche enflammée et la leur offrit. Dans cette pièce, on avait posé plusieurs tonneaux de vin, qui dataient de plusieurs années. Il y avait plusieurs boîtes de légumes fermentées en barils.

Nash se boucha le nez face à cette forte odeur. Même Luna ne put s'empêcher de couvrir le sien. Tous deux se sentirent gênés de réagir de la sorte.

— Désolé pour ce mélange d'odeurs, s'excusa le prêtre. Je vois que vous n'êtes pas habitués à la fermentation de légumes.

— Ça va, nous survivrons, déclara Nash. Mais pourriez-vous nous dire pourquoi nous sommes ici ?

— Ne vous en faites pas, vous allez bientôt le découvrir.

Il mena ensuite les brigadiers près d'une porte, au fond de la salle. Il ouvrit celle-ci. De l'autre côté se trouvait une pièce sombre qui ne possédait aucune source de lumière. Le religieux se tourna alors vers les deux brigadiers.

— Depuis des mois, nous entendons des bruits qui courent dans les grottes souterraines du village, expliqua le prêtre. Les moines et les sœurs de cette église n'arrivent plus à dormir la nuit et personne n'ose s'y aventurer. Nous croyons que ces anciens passages abandonnés sont hantés par un spectre.

— Rien que ça ? dit Luna qui roula les yeux. Et moi qui pensais que les prêtres étaient tous doués pour exorciser les démons...

Nash jeta un regard froid vers sa petite protégée, car il trouvait celle-ci effrontée. Elle haussa les épaules. Le prêtre n'était pas insulté pour autant. Ce dernier répondit :

— À une époque, oui. Nous étions de puissants chasseurs de démons, mais aujourd'hui, nos méthodes ont changé. Certains pratiquent encore l'art de l'exorcisme, alors que d'autres préfèrent exercer celui de la guérison... Et il y a...

Il allait dire autre chose, mais la magicienne lui coupa la parole.

— Donc, nous devons nous taper tout ce sale boulot ? dit-elle, acariâtre. Quel dommage ! Bon, bah... Ce n'est pas tout, mais on a une caverne à vider. Tu viens Nash ?

L'adolescente s'enfonça dans l'entrée sombre et alluma deux flammes au-dessus de ses mains. Elles tournoyèrent autour d'elle par la suite, éclairant son chemin. Un instant plus tard, les deux flammes fusionnèrent pour ne faire qu'une seule boule de feu face à elle. Nash regarda le prêtre, soucieux.

— Mes excuses pour le comportement de ma protégée, dit le capitaine. Elle est un peu hardie en ce qui concerne cette mission. Je crois qu'elle surestime ses propres pouvoirs et les miens.

— Je vois... Mais il vaudrait mieux pour vous de ne pas la faire attendre. Vous risqueriez de la perdre de vue, à la vitesse à laquelle elle se déplace...

Nash hocha la tête, salua le religieux, puis s'enfonça à son tour dans la caverne souterraine. Le vieil homme referma la porte derrière lui et retourna à ses activités.

— Un exorcisme, hein ? songea Nash.

Il n'avait pas entendu parler d'infestation de spectres depuis des années. Néanmoins, il devait reconnaître qu'en venant à l'église un peu plus tôt, il s'était senti étrange, comme si une force surnaturelle avait tenté de communiquer avec lui. Luna n'était plus très loin. Elle se tourna dans sa direction et agita sa flamme légèrement.

— Alors, tu viens ? lança-t-elle pendant qu'elle s'approchait de son supérieur. Ou bien comptes-tu rester là à bayer aux corneilles ?

Elle semblait impatiente de découvrir ce qui se cachait derrière l'étrange phénomène qui empêchait ces pauvres gens de dormir.

— Patience, Luna, soupira Nash. Je te signale que je suis ton capitaine, alors cesse de me parler sur ce ton. De plus, nous ignorons s'il s'agit bien d'un fantôme ou d'une quelconque créature des enfers. Je ne voudrais pas m'enfoncer dans ces grottes sans y être préparé, tu comprends ?

L'adolescente pencha la tête d'un côté et ricana.

— Comment ça ? L'illustre Nash Markios serait-il devenu une poule mouillée ?

— Je ne trouve pas ça marrant.

— Allons ! Ne t'en fais pas ! Je n'aurai qu'à leur lancer des flammes ! Tout ira bien, tu verras ! Après tout, les spectres sont vulnérables à la magie du feu.

— J'aimerais bien avoir ton optimisme, Luna, mais je voudrais que tu fasses un peu plus attention où tu mets les pieds. Reste sur tes gardes et ne t'éloigne pas trop. Il pourrait y avoir des trappes ou des pièges laissés par des ancêtres.

L'adolescente poussa un petit grognement. Elle désapprouvait les remarques de son supérieur, mais finit par céder. Elle se déplaça à ses côtés. Nash devait se rendre à l'évidence, s'occuper d'une adolescente demandait beaucoup plus de patience qu'un enfant. Ils étaient beaucoup plus vivaces et entêtés que les autres groupes d'âge... sans oublier qu'elle ne s'entendait toujours pas avec son neveu.

Luna lui rappelait beaucoup Flint et Gwen, quand ils avaient été plus jeunes. Tous deux avaient été espiègles et avaient joué des tours à pratiquement tout le monde, au palais. Kyran et Sarah avaient été beaucoup plus sages. Néanmoins, Nash savait comment s'occuper d'une adolescente pour avoir grandi avec les quadruplés Markios.

— N'oublie pas que tu es sous mes ordres, rajouta Nash. Tu fais partie de notre famille désormais et nous devons garder un œil sur toi. Ne fais rien d'imprudent, surtout... parce qu'Artael me tirera les oreilles et ce n'est rien par rapport à ce qu'il pourrait te faire, si tu me désobéis. Il s'inquiète beaucoup pour ta sécurité, autant que la mienne.

Luna secoua la tête. Elle le trouvait beaucoup trop tendu.

— Cessez donc de vous en faire, vous deux ! grogna-t-elle. Je ne suis pas morte et je suis loin d'être une fillette en détresse ! Un méchant m'approche ? Pas grave ! Je lui brûle les fesses et je le fais ensuite cuire en brochette !

Nash s'avoua vaincu. Elle était très entêtée et ne manquait pas d'audace. Il ne pouvait pas s'empêcher de craindre qu'un jour ou l'autre, elle commette une terrible erreur qui lui coûterait cher. Il se dit qu'elle essayait sûrement de se surpasser, à cause de l'embuscade des derniers mois.

Il fallait quand même que Luna soit prudente, car lui aussi avait été aventureux, pendant sa jeunesse. Il s'était senti invincible et avait foncé la tête première dans n'importe quel entraînement, dans le but de prouver à tous qu'il pouvait être extraordinaire. Finalement, il s'était rendu compte qu'il ne valait pas mieux que quiconque au palais et avait fini par s'assagir.

Flint devait être très jeune, à l'époque, et il était fort possible que ce dernier ne se souvienne pas de la crise d'adolescence de son oncle. Flint vivait encore la sienne durant sa vingtaine, ce qui surprenait plusieurs membres de sa famille.

Quand il jugea que Luna ne reculerait pas devant un potentiel danger, Nash dit :

— Plutôt morbide, tout ça... Mais bon, tu m'as convaincu. Avançons. Tu me promets de rester près de moi, d'accord ? Les fantômes sont imprévisibles.

Luna accepta, puis laissa son protecteur marcher devant elle. Plus ils avançaient, plus le passage devenait étroit. À un moment donné, Nash vit un changement. Grâce aux nombreuses courbes souterraines, il remarqua qu'ils amorçaient une descente et plusieurs directions s'offraient à eux. Il faillit se cogner la tête contre une stalactite, mais l'évita de justesse. Ils rencontrèrent aussi quelques créatures sauvages qui rôdaient par-ci, par là : des chauves-souris, des rats et des insectes, tous inoffensifs. Cependant, l'adolescente avoua à son capitaine qu'elle n'aimait pas être en présence de chauves-souris. Leurs petits cris la rendaient inconfortable.

Ils arrivèrent dans un couloir plus ouvert, situé tout près d'un lac souterrain, coulant vers ce qui semblait être une sortie. Une petite chute d'eau, venant du haut de la grotte, amenait la source au lac. L'adolescente remarqua quelques petites bulles qui apparaissaient ici et là dans l'eau. Selon elle, c'était sûrement de petits insectes qui bougeaient dans l'obscurité ou bien des poissons qui s'étaient égarés.

— Il y a des échos de partout, on dirait, commenta Nash. Ça expliquerait les bruits nocturnes et pourquoi les religieux n'arrivent pas à dormir.

— Mouais, répondit la magicienne. Nos voix résonnent bien dans les parois rocheuses. Peut-être qu'un groupe de bandits viennent ici au crépuscule et qu'ils font... Des trucs ? Je ne sais pas... Nous devrions peut-être chercher d'autres indices.

— Ne reste pas près de l'eau, ça peut être glissant.

Sur ces mots, ils s'enfoncèrent un peu plus loin dans la grotte. Nash et Luna finirent par trouver une autre salle, près d'une intersection. Le chemin menait probablement à une sortie quelconque, mais la pièce semblait contenir plusieurs objets abandonnés. Il y avait un coffre au fond de celle-ci, ouvert, avec de vieux tableaux recouverts de poussière. Il y avait aussi des objets métalliques installés dans des caisses de bois, telles que des fourchettes, des cuillères, des couteaux, des gobelets et des assiettes. Un cageot contenait des vêtements déchirés et de vieux livres moisis par l'humidité.

Je suis ici... murmura une voix à l'oreille de Nash.

Ce dernier tourna sur lui-même. Luna le dévisagea, inquiète.

— M'as-tu parlé ? demanda-t-il à l'adolescente.

— Euh... Non ? Pourquoi ?

Il ne lui répondit pas. Il se mit à fouiller dans les breloques à ses pieds, retournant tout ce qu'il trouvait devant lui.

Non... répliqua la voix. Tu gèles... Observe un peu plus vers la gauche...

Instinctivement, le capitaine se tourna vers sa gauche et remarqua une épée, brillant à la lumière de sa torche. Elle était suspendue dans un baril ouvert, tout juste à côté d'un balai poussiéreux. Il ramassa l'arme, puis l'observa de plus près.

— Je crois perdre la raison, Luna, fit Nash. Cette arme m'a adressé la parole.

— Si c'est toi qui le dis, répondit son amie qui haussa les épaules.

— Je t'assure t'affirmer la vérité...

Il déglutit, angoissé par cet endroit.

Et tu dis vrai, commenta la voix. Seulement, il n'y a que toi qui puisses m'entendre...

Nash eut peur et lâcha l'épée qui tomba à ses pieds. Cette dernière se transforma aussitôt en une grande créature canine, recouverte d'une soyeuse fourrure laiteuse.

— Une louve... blanche ? formula Nash qui recula de deux pas, confus.

L'animal se gratta l'oreille avec l'une de ses pattes arrière et bâilla.

— Ce n'est pas trop tôt ! dit l'animal. Ça fait des mois que je t'attendais. N'as-tu jamais reçu mon appel dans tes rêves ?

— Hein ?! Mais... Euh...

— La louve, dans tes rêves ces derniers mois... C'était moi. Je voulais tant te rencontrer ! Enfin, te voilà !

Elle sautilla de joie, ce qui surprit à la fois Nash et Luna.

— Je ne me souviens pas de t'avoir vue dans mes rêves, désolé, répondit le capitaine. Tu dois sûrement te tromper d'individu...

La louve observa Nash pendant un instant avant de cligner des yeux.

— Pas de doute, c'est bien toi que j'ai rencontré dans mes rêves, dit-elle avec assurance. Sinon, la déesse ne m'aurait pas montré ces images de toi et ta famille pour rien ! Tu es bien plus petit que je l'imaginais, par contre...

— Est-ce que tu comprends ce qu'il se passe, Luna ? demanda Nash à sa collègue.

— Je l'ignore... mais ça me dit quelque chose... Il me semble avoir lu un livre à ce sujet. Je l'ai sur le bout de la langue... Il faut seulement que je m'en souvienne...

La bête blanche continua la conversation :

— Je crois comprendre ce qu'il s'est passé. Si je ne t'ai pas rencontré dans tes rêves, il s'agissait sûrement de mes visions de l'avenir ! Ça expliquerait donc pourquoi tu ne sais rien de moi ! Oh sacrée Athéna... quelle farceuse, ma créatrice !

Nash cligna des yeux, ceux-ci fixés sur la louve. Il ignorait s'il devait la prendre au sérieux ou non. Était-ce une mauvaise plaisanterie ?

— Des visions du futur ? demanda-t-il, incrédule. Tu me parles comme si on était amis, mais je ne connais pas ton nom.

— C'est Dia... Tâche de te le rappeler, dit l'animal qui montra ses crocs. Sinon je vais te mordre les fesses ! Je suis une dame sensible, moâââ...

— Dia... Dia... et tu connais mon prénom... Vraiment étrange...

— Ne ressens-tu pas ce lien qui nous unit ? N'as-tu pas été capable d'entendre ma voix, plus tôt ? C'est notre lien ! Nous sommes unis depuis toujours et notre destin nous a menés jusqu'ici, dans les sous-sols de Kritz ! Je ne te raconte pas le nombre de personnes qui m'ont déplacé depuis ma dernière transformation ! J'ai eu la frousse de ma vie, la dernière fois qu'un voleur a tenté de me kidnapper... et je ne te raconte pas les furoncles dégoûtants de son visage répugnant ! Il empestait la sueur et l'alcool ! J'en fais encore des cauchemars...

Dia contourna Nash nerveusement avant de se lécher les pattes avant.

— Je veux bien reconnaître que j'ai ressenti quelque chose lorsque je suis passé par ici et que j'ai entendu ta voix dans ma tête, déclara Nash. Mais je ne comprends toujours pas qui tu es... Ce que tu es, je veux dire...

— Mais peut-on me dire ce qu'on vous apprend dans les églises ?! couina la louve, sidérée par l'ignorance de l'homme.

— Ça me revient ! lança aussitôt Luna, qui venait de claquer des doigts.

Nash haussa un sourcil et tourna son regard vers sa protégée.

— Quoi ? dit-il.

— T'es un esprit élémentaire, répondit-elle, alors qu'elle examinait la louve. Plus précisément celui de la lumière, pas vrai ? J'ai cru détecter cet élément lors de ta transformation. On dit que l'une de tes formes précédentes était celle d'une renarde.

— Ah ! s'exclama Dia. Enfin quelqu'un qui dit quelque chose d'intelligent ! Bravo !

Un esprit élémentaire ? pensa Nash, dubitatif. J'hallucine. Pincez-moi si je rêve.

Il se pinça et gémit de douleur.

— Mais pourquoi crécher dans cet entrepôt abandonné ? poursuivit Luna. Et pourquoi hantais-tu l'église, durant la nuit ? J'essaie de comprendre...

— Eh, c'est à moi de poser des questions ! rouspéta la louve. Je m'attendais à ce qu'on vienne à ma rescousse lorsque je me suis réveillée. Après tout, c'est moi qui ai passé tout ce temps ici, à me morfondre que personne ne voulait de moi...

— S'il te plaît, dis-nous pourquoi l'esprit de la lumière s'est retrouvé coincé sous une église, répéta l'adolescente, les yeux remplis de soif de connaissance.

Dia râla avant de se laisser choir au sol. Elle souffla des narines.

Elle observa la magicienne, puis celui qu'elle considérait comme son protecteur avant de leur dire :

— J'avais pour mission de trouver mon porteur. C'était la seule raison qui m'ait poussé à voyager dans cette région. Mais les choses se sont compliquées lorsque je suis arrivée près de Kritz. Un groupe de bandits m'a récupéré et l'un de leurs mages m'a jeté un sort, alors que j'avais pris l'apparence de cette magnifique épée. Cela m'a empêché de reprendre ma forme animale. Ils ont tenté de me revendre au village, mais les marchands n'arrivaient pas à déterminer ma valeur... Vous vous rendez compte ? Moi, une arme aux allures si exquises ! On m'a jeté comme un vulgaire déchet !

Nash cligna des yeux et Luna pencha sa tête d'un côté. La louve soupira.

— Cependant, reprit-elle, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais les bandits m'ont oublié ici et sont partis. Le sort qu'on m'a jeté a commencé à s'affaiblir, mais il m'était impossible de retrouver ma forme d'origine. J'ai donc compris que la seule façon de sortir d'ici était d'invoquer mon futur détenteur... Alors, je me suis mise à hurler durant la nuit et c'est probablement comme ça que les prêtres ont demandé de l'aide à la capitale... Ce n'était plus qu'une question de temps avant que vous ne me rencontriez ici... Donc, vous voilà... Vous savez tout.

L'estomac de Dia se mit aussitôt à gargouiller. Elle rit nerveusement.

— Ce n'est pas tout, mais j'ai faim... dit-elle. Vous n'auriez pas un peu de nourriture à offrir à cette pauvre demoiselle qui a échappé aux griffes de la mort ?

Elle leur fit un regard de chien battu, déterminée à manger quelque chose.

Nash fronça des sourcils, puis sortit de son sac de voyage un bout de pain qu'il donna à la louve.

— C'est tout ce que j'ai, dit-il. Contente-toi de ça jusqu'à ce que nous sortions d'ici.

Ensuite, il fit demi-tour vers la sortie et essaya de retrouver son chemin dans l'obscurité. Il était dégoûté à l'idée d'avoir perdu du temps à venir à la rescousse d'un animal tout bête qui se comportait comme une princesse. Peu importe si c'était un esprit élémentaire, le comportement de la louve lui tapait déjà sur les nerfs.

Il entendit des sanglots derrière lui. Luna le retint par la manche de son manteau. Résigné, Nash retraça ses pas et regarda la louve une dernière fois. Elle était en train de pleurer, peinée par l'hostilité du brigadier à son égard.

— Je suis désolée que tu me détestes... Snif ! couina Dia. Je ne voulais pas te contrarier...

— T'es étrange, lui dit Luna. Je n'ai jamais vu une louve pleurer...

— Peu importe, ajouta le capitaine, qui s'adressa à la louve. Tu vas devoir demander pardon au prêtre et aux gens que tu as empêché de dormir depuis tout ce temps.

— Je suis une vilaine fille ! hoqueta l'animal. Une empotée... Mon porteur ne veut pas de moi ! Athéna va m'en vouloir...

Elle pleura à chaudes larmes et cacha son museau sous ses grandes pattes poilues. Elle faisait peine à voir. Cette fois, Luna s'approcha de Dia et lui caressa la tête tranquillement pour essayer de la calmer.

— J'ai l'impression de vivre un cauchemar, marmonna le capitaine.

— Tu sais que c'est mal de faire pleurer une dame ? dit l'adolescente qui toisa son supérieur. La pauvre devait avoir peur...

Elle le taquinait. Cela l'agaçait au plus haut point.

— Ça va, ça va... râla-t-il. J'ai compris. J'ai été cruel. Pardonne-moi... euh... Mademoiselle la Louve.

Vexé, l'esprit releva son visage vers le capitaine et tourna son pif vers une autre direction. L'adolescente pouffa de rire.

— C'est Dia ! grogna la créature magique. D-I-A ! Rien de plus facile à retenir, mais tu t'en fiches ! Malotru ! Je te déteste !

Ensuite, elle rechigna et plaça son museau entre les deux genoux recroquevillés de Luna. L'adolescente continuait à caresser la fourrure de la louve et gloussa.

— Il vaudrait mieux que tu te mettes à genoux, Nash, plaisanta-t-elle. Nous avons affaire à une demoiselle.

— Tu veux rire ? s'exclama-t-il. Et me salir le pantalon ? Non merci...

— Écoute, je viens de le faire avec ma robe, ce n'est pas la fin du monde. Et puis, elle a vraiment besoin de notre compagnie...

Nash connaissait ces mythes et légendes des esprits élémentaires pour les avoir lu plusieurs fois aux quadruplés, sous forme de contes. Ce qu'il n'avait pas l'air de comprendre, c'était pourquoi la déesse l'avait choisi pour être un porteur. Il avait du mal à accepter cette réalité... d'autant plus qu'il trouvait Dia ridicule.

— La déesse ne veut pas de moi comme porteur, marmonna-t-il. C'est insensé.

— Ça n'a peut-être pas de sens pour toi, mais pour moi si ! répliqua la louve.

— Je n'ai rien de spécial. Je ne vois pas en quoi je serai la personne idéale pour accomplir ta quête.

— Ça n'a pas d'importance, soupira la magicienne. Elle t'a choisie. Soit, tu réponds à son appel, soit nous périrons...

— C... comment ça ? demanda Nash, qui commençait à se dire qu'il avait oublié un détail très important dans l'origine des esprits élémentaires.

Dia s'assit droitement et se fit sérieuse tandis qu'elle fixait Nash. Si elle voulait gagner sa confiance, il faudrait qu'elle se montre persuasive.

— D'après notre créatrice, le culte de Perséphone aurait des survivants, dans cette nation, dit-elle. Ils tentent de trouver différentes façons de ramener leur déesse parmi eux. S'ils réussissent, ce sera la fin pour nous les esprits élémentaires et ce monde, tel que nous le connaissons. Ils désirent changer Aeglys à l'image de leur divinité... C'est pourquoi depuis longtemps, ma fratrie et moi cherchons des gens dignes de représenter notre quête. Nous devons les rassembler avant le jour où viendra le temps de combattre l'ennemi de notre mère... Tu es l'un d'entre eux.

— Le culte de Perséphone ?! s'exclama Luna. Il a été banni par la loi dans notre république. Plus personne n'a le droit de pratiquer cette foi, depuis plus de mille ans. C'est l'une des raisons qui a poussé Baldt à faire la guerre avec Lanartis... Ce n'était beau à voir, d'après les livres historiques. Mais des survivants ? Merde...

— Qui plus est, vous êtes probablement en retard d'un millénaire, ajouta Nash. Les derniers croyants de Perséphone ont tous été exterminés.

— C'est ce que vous croyez... commenta Dia. Cependant, notre mère croit que certains membres de votre communauté vous auraient menti et qu'ils auraient transmis leurs connaissances et leurs croyances à leur descendance.

Nash roula les yeux et haussa les épaules.

— Et qu'est-ce que je viens faire là-dedans ? demanda-t-il. Que voulez-vous de moi, la déesse et toi ? Jusqu'à aujourd'hui, je vivais une existence paisible et je n'ai jamais rien demandé d'elle. Même s'il est vrai que je suis un homme pieux...

Ce fut à cet instant que Nash réalisa l'ironie de la situation. Lui, un homme qui avait la foi envers sa propre Déesse, n'arrivait pas à accepter qu'elle l'avait choisi pour une mission si importante. Luna remarqua l'expression étrange sur le visage de son supérieur, mais préféra ne rien dire pour le moment. Elle se dit qu'il était peut-être enfin de prendre conscience qu'il était la personne idéale pour cette quête.

— Tu dois découvrir qui fait partie du culte et les éliminer, déclara l'esprit de la lumière, au capitaine. Ton autre tâche consistera à m'aider à trouver mes semblables.

— Mais j'ai déjà un emploi ! protesta le capitaine. Je suis un brigadier et je dois protéger le peuple de Baldt contre les criminels et les créatures sauvages... J'ai prêté un serment très important et je ne peux absolument pas le rompre !

— Nash... Je t'en prie...

Le capitaine semblait vouloir dénier l'existence de Dia. Il essayait de se convaincre qu'elle n'existait pas, qu'il hallucinait. Mais Luna caressait toujours la nuque de la bête, ce qui lui faisait réaliser qu'il ne rêvait pas et qu'on avait vraiment besoin de lui, dans l'au-delà. Athéna avait besoin... de lui...

— C'est un peu dur à avaler, déclara Nash qui se gratta la tête. Toute ma vie, je me suis fait dire qu'Athéna descendrait des cieux pour venir récolter nos âmes et nous emmener au paradis... Je ne m'étais pas attendu à entendre qu'elle existe réellement. Si pour moi, voir c'est croire... Alors, elle n'est pas qu'un mythe... Et ce que tu viens de me dire... est... la vérité... Non ? Tu ne me mens pas ?

La louve hocha la tête.

— Bien entendu qu'elle existe ! formula Dia. Sinon, je ne serai pas là en train de te parler ! Non mais avez-vous déjà vu un animal parler comme un humain à part moi ? Il faudrait être complètement malade pour croire le contraire !

— Donc... Si j'accepte la requête de... ta mère... Que devrai-je faire par la suite ? Suis-je chargé de garder ton identité secrète ? Où devrai-je me rendre pour communiquer avec elle et les autres esprits élémentaires ?

— Chaque chose en son temps, Nash.

Dia se leva et se transforma aussitôt dans la forme de l'épée qui se téléporta dans la main libre du capitaine. Ensuite, l'objet se mit à briller à la lueur de la torche.

— Sous cette forme, je passerai inaperçue, déclara l'arme magique. Pour le reste, laisse-moi m'occuper des autres esprits élémentaires. Si jamais ma mère devait communiquer avec nous, je le te ferais savoir. Elle communique avec nous à travers les rêves et parfois avec des messages télépathiques.

— Je dois quand même retourner à la capitale et faire un rapport de ce que nous avons trouvé dans ces grottes, ajouta Nash. Je risque beaucoup d'ennuis si je dois mentir pour couvrir ton identité. Tu es malgré tout la raison pour laquelle nous sommes descendus ici. C'est embêtant... On ne doit révéler ton identité, j'imagine ?

— En effet... Il serait plus prudent de ne pas mentionner mon existence à qui que ce soit sauf si je ressens la présence d'un membre de ma fratrie à proximité... Dois-je conclure que ton amie ici présente gardera ce secret ?

— Luna est digne de confiance, elle ne te trahira pas.

Il jeta un coup d'œil vers l'adolescente qui haussa tout simplement des épaules.

— Maintenant que c'est réglé tout ça, sortons d'ici avant qu'on attrape une grippe, déclara la magicienne. Avec tout ça, j'espère bien que les autres, au village, auront déniché quelques informations intéressantes...

Nash approuva d'un signe de tête et suivit sa protégée.

Ils rebroussèrent chemin vers la caverne souterraine. Ils s'arrêtèrent près du lac, le même qu'ils avaient vu, un peu plus tôt, Dia brilla entre les doigts du brigadier. Elle semblait avoir repéré quelque chose.

— Nous ne sommes pas seuls, dit-elle.

— Comment ça ? demanda Luna, qui se tourna vers l'arme. Que veux-tu dire ?

— Regarde plutôt à ta droite avant de me demander ça !

La magicienne allait obéir à l'esprit élémentaire, quand elle fut soulevée dans les airs par ce qui paraissait être un long tentacule sorti tout droit des eaux. La flamme de Luna partit s'éteindre contre un mur de pierre. Une énorme créature hideuse à huit tentacules jaillit du lac et éclaboussa tout sur son passage, y compris la torche de Nash. Quelques secondes plus tard, ils étaient encerclés, voire engloutis, par l'obscurité. Nash, Luna et Dia entendirent un puissant rugissement. Cela venait de la créature qui tenait toujours l'adolescente prisonnière.

— Quelle est cette chose ?! lança le capitaine en se retournant vers le lac.

Il essayait de voir où était passée la grosse forme visqueuse.

— Je crois que c'est un cousin des pieuvres, dit la louve. Il n'a pas l'air content qu'on l'ait réveillé de son sommeil !

— Dia, crois-tu pouvoir faire quelque chose avec ces ténèbres ? On n'y voit rien !

— Je ne suis pas un esprit de la lumière pour rien. Il suffisait de le demander ! Attends un peu... Il faut que je me réchauffe !

Nash essaya de repérer Luna à quelques mètres de lui. Il l'entendait qui criait et qui lâchait des jurons à l'attention du monstre. Dia concentra son énergie par la suite. Rapidement, toute la pièce fut éclairée par une lumière magique, ce qui dévoila les traits de la grotesque créature. Il s'agissait en effet d'une sorte de petite pieuvre. Ses yeux rouges se posèrent sur Nash et elle lui montra ses dents pointues. Elle cracha un étrange mucus, dans sa direction. L'objet gluant alla s'enfoncer dans la pierre derrière lui, qui se désintégra peu à peu, le capitaine l'avait évité de justesse.

Luna profita de cette distraction pour foudroyer le monstre avec un éclair magique qu'elle fît apparaître après s'être concentrée de son mieux. La pieuvre la relâcha et elle courut rejoindre son supérieur. Celui-ci la repoussa rapidement, voyant un autre crachat de mucus se diriger dans leur direction. Cette attaque faillit toucher l'adolescente au niveau de la nuque.

— Ne reste pas près de moi ! ordonna-t-il, alors qu'il se précipitait en direction du tentacule, à sa proximité. Cette chose est trop dangereuse ! Fuis et va rejoindre les autres, je m'en occupe ! Prends ça, sale monstre !

Il se mit ensuite à faire pivoter l'épée magique en l'air et trancha un bout de la chair du monstre. La pieuvre gémit de douleur.

— Tu es cinglé, Nash ! lança Luna. Je ne te laisserai pas tout seul !

— Je ne suis pas seul, j'ai Dia !

— Ne sois pas stupide, même les esprits élémentaires ne sont pas immortels !

— Fais-moi confiance !

D'un geste rapide, Nash regarda au-dessus de lui et remarqua quelques stalactites bien tranchantes ; il pourrait se servir de tout ça à son avantage. C'était le moment pour lui d'utiliser son pouvoir, celui dont il ne se servait qu'en derniers recours. Tel un câble invisible attaché aux concrétions, il tira ces derniers vers la pieuvre, après avoir concentré toutes ses forces dans celles-ci. Sur le coup, il assomma la créature, qui se laissa couler dans l'eau du lac. Hélas, le tunnel commença à s'effondrer.

Luna venait de comprendre que son capitaine avait utilisé son pouvoir. Il les avait sortis du pétrin. Toutefois, il venait de les séparer à cause de l'écroulement. Plusieurs grosses pierres étaient tombées devant la magicienne, la séparant de son supérieur. D'autres roches continuaient à rouler à ses pieds. Elle ne pouvait pas rester ici plus longtemps. Elle pouvait déjà entendre les chauves-souris s'affoler, derrière elle. Ce qu'elle pouvait détester leurs petits cris stridents !

— Rends-toi à l'auberge ! cria Nash à travers les éboulements. Je trouverai le moyen de vous rejoindre, c'est promis !

— T'as intérêt de revenir vivant, sinon je te tue ! menaça l'adolescente.

Quelques secondes plus tard, Luna ne pouvait plus entendre les paroles de son supérieur. Il avait complètement disparu derrière le mur de pierres. Elle tapa le sol de son pied et fit demi-tour, avec le seul espoir de ressortir vivante de ces grottes.

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