78. Les papillons bleus
Le 7 avril 3918 AD, soit durant une chaude matinée, la Septième Brigade partit enfin pour la capitale de Lanartis. Ils avaient loué deux chevaux et une jument, ainsi qu'une grande calèche dans laquelle ils avaient rangé leurs sacs et leurs mallettes. Luna, Misaki, Gabriel et Giotto s'étaient installés sur les sièges de passagers, tandis que Shayne conduisait le véhicule. Cassandra était assise à ses côtés et profitait de la température.
Flint quant à lui, avait opté pour monter sur la jument, à part des autres. Il consultait une carte de la région que la maire d'Alba lui avait offerte, avant leur départ. Il se souvenait un peu des routes, pour avoir rendu visite à Lucas. À force de voyager avec son groupe, il finissait par oublier certains détails.
— Archenwald est encore à une journée de voiture, dit Shayne, derrière lui.
— C'est bien ce que je me disais, soupira Flint. On va devoir se raconter des histoires pour passer le temps, parce que je sens que ce silence va me saouler...
Il plia la carte et la rangea dans la selle de sa monture, qui contenait une pochette où ranger quelques articles. Dia dormait, attachée à sa ceinture. Il l'avait surprise à ronfler, un peu plus tôt. Elle qui avait la parole si facile, habituellement, se sentait épuisée par les récentes journées de travaux. Elle avait mérité sa sieste.
— Ne me dit pas que tu t'ennuies de ta belle louve, hein Flint ? taquina Cassandra.
— Pfft, n'en rajoute pas. Hier, elle n'arrêtait pas de jacasser de sa fratrie.
— Elle s'inquiète, c'est tout à fait normal.
Il mit une main sur la poigne de son arme et repensa à la crise de larmes qu'avait eue Dia, pendant la soirée précédente. Elle avait peur qu'il était arrivé malheur à ses frères et sœurs, coincés dans l'autre dimension. Elle avait toujours cette amnésie étrange qui lui apportait beaucoup de stress et ne souhaitait pas embêter les autres avec ses petits soucis. Giotto était dans la même situation qu'elle, sauf qu'il gardait son calme.
— Nous finirons bien par trouver une solution, ajouta Flint. Il ne faut pas sous-estimer Wyatt. J'ai confiance en ses capacités.
— Ha ! répliqua sarcastiquement Luna, à travers la petite fenêtre derrière la tête de Shayne et Cassandra. Je suis deux fois mieux que ce type. Donnez-moi n'importe quelle tâche et je vous la fais, les doigts dans le nez.
— Ah, parce que tu sais ouvrir des portails, maintenant ? taquina la guérisseuse.
Aucune réponse. Cassandra jugea que son amie était en train de rougir de honte.
Quand il était question de parler de la magie, Luna aimait souvent provoquer son meilleur ami et lui prouver qu'elle était plus forte que lui. C'était devenu une vieille habitude qui ne la quittait pas. Il avait disparu depuis près d'une semaine et elle s'ennuyait de lui. Elle ne l'avouerait pas pour le moment, mais elle priait afin qu'il revienne sain et sauf de l'enfer. Penser au jeune homme lui donnait des papillons dans le ventre. Elle baissa son regard, et se tourna les pouces.
— C'est vraiment dommage qu'Athéna ne vous ait jamais enseigné comment traverser d'une dimension à l'autre, dit Gabriel à son dragon.
Il était installé en face de Luna et Misaki, alors qu'il tricotait une nouvelle serviette pour se changer les idées. Le reptile argenté était allongé à côté de lui et se reposait.
— Jadis, je possédais cette connaissance, mais beaucoup de choses ont changé depuis la création de ce monde, expliqua Giotto. Tout d'abord, les sceaux qui ont été placés sur le voile étaient très différents lorsque je suis né. Ils étaient très puissants et nous n'avions pas à nous inquiéter des monstres puisque nous étions nombreux pour les renforcer. Par contre, pendant que les années se sont écoulées, les influences divines ont rapidement changé comment nous percevions le monde et comment nous le comprenions...
— Tu veux dire que tu pouvais voyager dans l'autre dimension ? demanda Luna, intéressée par ses paroles.
— C'est exact. Cependant, ce n'était qu'en cas de dernier recours. Quand un ange venait sur Aeglys pour y expédier l'âme d'un pécheur ou d'un prisonnier du Saint Royaume, j'étais disponible pour leur ouvrir un portail. Plusieurs années après qu'ils ont cessé d'y enfermer ces gens, j'ai perdu cette capacité. Le plus étrange est que peu importe qui m'a fait ça, a oublié d'effacer mes souvenirs.
Riordan secoua la tête et prit parole :
— Ce que Papy a oublié de vous mentionner, c'est qu'il partageait déjà son corps avec son fils, à l'époque. L'entité qui a zigouillé avec eux n'a pas pris en compte la deuxième âme. C'est pour ça qu'ils s'en sont souvenus.
— Tu marques un point, Rio, remarqua Giotto. Merci.
Le dragon reprit sa posture initiale.
— Ces possessions arrivent souvent... je me trompe ? dit Gabriel, qui s'inquiétait pour son ami. Je n'aimerais pas être à ta place...
— Ça ira, répondit l'esprit. Au moins, il essaie de se rendre utile.
— C'est flippant, exprima Luna.
— Pas plus que d'entendre les voix des armes élémentaires, commenta Misaki.
La guerrière était installée, dos à Cassandra. Elle avait ses mains derrière la tête et écoutait la conversation en cours. Elle avait envoyé une lettre à ses enfants avant de partir du village. Elle avait écrit une nouvelle lettre tous les jours, mais avait hésité fréquemment à envoyer quoi que ce soit. Enfin, elle avait opté pour un message simple et encourageant.
Un messager était venu lui porter une lettre, l'autre jour. Sakura s'ennuyait beaucoup de sa mère et elle avait hâte qu'elle revienne, cela avait brisé le cœur de la jeune maman. Yuki ne posait pas trop de questions, il était très sage pour un enfant de quatre ans. Daichi s'occupait d'eux, lorsque Sarah Markios était indisponible pour le gardiennage. L'ancien rebelle avait envoyé des nouvelles de son cours à l'Académie. Les élèves de Misaki demandaient comment elle allait.
Elle avait à peine commencé le nouveau semestre en tant qu'enseignante d'arts martiaux qu'elle avait été convoquée à traquer Troyd Markios avec le reste de sa brigade. Elle s'en voulait un peu d'avoir tout quitté, si brusquement, mais c'était ainsi que se déroulaient les choses à Baldt. Tous les professeurs étaient aussi des brigadiers qui devaient se remplacer.
Daichi enseignait les cours d'armes avancés alors que la guerrière s'occupait des novices. Il avait consacré les quatre dernières années à enseigner les deux matières, en compagnie de Shayne. Il était temps pour lui de passer à autre chose. Il avait cru que Misaki serait un excellent choix pour le remplacer et il avait misé juste, car elle aimait enseigner.
— Sinon, Gabriel... fit Luna. Pourrais-tu me coudre un bonnet, d'ici à quelque temps ? J'ai oublié le mien dans ma chambre.
— Avec plaisir ! fit le colosse qui sourit. Ça risque de me prendre quelque temps, toutefois. J'espère que tu ne m'en voudras pas.
— Nah, ça peut toujours servir pour les fois où nous irons dans des régions froides.
— Nous ne risquons pas de nous rendre au pôle Sud avant un bail, blagua Misaki. À moins que tu aies envie d'aller jouer avec les pingouins...
— Oh, j'adore les pingouins ! déclara le gros guerrier. Ils sont tellement mignons et tout rigolos quand ils se promènent... Hi hi hi...
Ce dernier bondit de son banc et afficha son plus beau sourire. Cela dit, il se cogna la tête au plafond. Le chariot craqua légèrement, ce qui provoqua la panique générale de la part de Luna qui se braqua contre la guerrière. Misaki, étonnée, écarta ses bras et empoigna la portière à sa gauche, au cas où elle aurait besoin de sortir rapidement. Le véhicule redevint stable et les deux dames soupirèrent de soulagement.
— Mais que faites-vous, bon sang ?! grogna Flint à travers l'une des fenêtres. On ne peut pas rembourser cette calèche...
Luna se tourna vers la droite et remarqua que le capitaine et son cheval avaient ralenti le trot afin de se mettre à niveau avec ses collègues.
— Pardon... couina Gabriel qui rougit de honte. Elles parlaient de pingouins et je n'ai pas pu résister... Tu sais comment j'aime ces petites bêtes...
Son regard se perdit dans le vide. Il était dans les vapes, rien que d'y repenser. Luna roula les yeux et retourna à sa place initiale, tandis que Misaki replaça ses vêtements tout froissés.
Pendant ce temps, Flint retourna aux côtés de Shayne et Cassandra.
— Ils ne l'ont encore jamais vu avec une otarie, marmonna le capitaine pour lui-même.
— J'ignorais qu'il aimait tant les animaux, remarqua l'elfe.
— Il a toujours eu un faible pour les animaux exotiques.
— Giotto doit faire son bonheur, pas vrai ?
— Tu parles... quand il n'est pas en train de le dorloter, c'est Dia qui prend toutes ses caresses et ses bises. Je pense qu'il aurait pu devenir un gardien de zoo s'il n'était pas devenu brigadier. Ça me fait penser que mon père compte en ouvrir un dans le quartier sud de notre capitale. Il dit que c'est pour attirer plus de touristes, mais bon...
— Eh... c'est risqué, répondit Cassandra. Il y a aussi la ferme dans ce secteur.
— C'est pour cela que Kyran et quelques membres du Conseil essaient de l'en dissuader. Bien sûr, papa insiste sur le fait que ce serait un refuge pour les animaux et non une prison, mais bon... le jour où ça arrivera, les poules auront des dents.
Cassandra gloussa.
Artael avait bon cœur, mais parfois, il prenait de drôles de décisions qui ne plaisaient pas à tout le monde. Néanmoins, les gens de la ville appréciaient tous les efforts qu'il faisait pour améliorer la vie de ses citoyens.
Cassandra passait beaucoup de temps à la ferme de Baldt, lorsqu'elle avait du temps libre. Elle aimait bien brosser les chevaux, traire les vaches et donner un bon toilettage aux chiens qui jouaient souvent dans la boue.
La nouvelle propriétaire, Babette de Longpré, était une vieille amie des Doyle. Elle appréciait tellement la générosité de Cassandra qu'elle lui accordait un espace sur ses terres afin d'y planter des herbes sauvages destinées à finir dans les potions. Luna et Wyatt passaient régulièrement pour arroser ces plantes et en cueillir de nouvelles pour leur amie, lorsqu'elle était occupée. Pendant leur voyage, la fermière avait promis de remplir cette tâche pour eux, ce qui avait rassuré le groupe.
Tandis qu'elle repensait à sa bonne amie, Cassandra songeait à lui acheter un souvenir d'Archenwald. Elle lui avait déjà trouvé des graines de légumes qui poussaient surtout à Lanartis, des variantes de pommes de terre qu'on ne trouvait pas à la république.
— Eh Flint ? demanda-t-elle au capitaine. A-t-on des nouvelles de Gretta et de Misha ? La dernière fois que tu es passé à Archenwald, elles commençaient à peine leur nouvelle carrière, si je ne me trompe pas...
— Pas que je sache, répliqua Flint. Mais lorsqu'on leur a rendu visite, elles étaient toujours en deuil de Marcus et de Derek. Une très mauvaise année pour elles...
— Oh, les pauvres... J'espère que nous pourrons aller les voir...
Shayne n'avait rien à dire au sujet des Doyle. La mort de Marcus avait été une horrible tragédie pour cette famille, mais celle de Derek n'avait fait qu'empirer la situation. Le Conseil s'était chargé personnellement de leur envoyer ses derniers chèques, en plus des fonds supplémentaires afin qu'elles puissent toutes deux entamer une thérapie. Elles vivaient loin de leur ville natale, mais cela n'empêchait pas à Artael d'éprouver beaucoup de chagrin pour ces braves femmes.
— Ça fait quelques années maintenant, ajouta Flint. Je me dis qu'elles sont passées à travers cette épreuve. Kyran communique toujours avec elles, car Madame Doyle importe des produits de Baldt et les gens au palais font souvent livrer des produits de leur boutique, dans les magasins pour femmes.
— Ah, bien sûr... remarqua Cassandra. Les parfums de Misha sont toujours populaires... Ce serait bien, quand même, de savoir comment elles vont...
Le capitaine hocha la tête et détourna son attention vers Shayne qui n'avait pas trop parlé depuis leur départ d'Alba. Il était plongé dans ses pensées, alors qu'il guidait les montures à travers la grande route caillouteuse. De tous les compagnons de Flint, Shayne était le plus énigmatique, mais aussi le plus dévoué envers sa terre d'accueil. Ses collègues ne savaient pas trop comment l'aborder sur son passé, puisqu'il en parlait que très rarement.
— Quoi de neuf, de ton côté ? demanda Flint qui s'adressa à ce dernier.
— Euh... Tu me prends au dépourvu, remarqua le grand ténébreux.
— T'es surtout dans la lune depuis deux heures. Quelque chose ne va pas ?
— Tout va très bien... Merci de me le demander.
Flint secoua la tête et soupira.
— Parfois, ce serait bien d'en savoir un peu plus sur ce que tu penses... se plaignit-il. C'est bien d'avoir un expert de combats dans nos rangs, mais on ne sait rien de toi.
— Ma vie n'a rien de passionnant, déclara Shayne. J'ai été le serviteur de celui qui m'a élevé comme son propre fils. Je suis parti de chez moi à dix-huit ans pour voir le monde. Quand je suis revenu, mon clan avait disparu. C'était vers mes trente-six ans.
— Et Nox... tu l'as rencontré comment ?
— Ce sera pour une autre fois...
Flint n'appréciait guère que le vampire lui fasse une version abrégée de sa vie. Il avait espéré entendre un récit plus fascinant. Selon lui, Shayne avait beaucoup de charisme, mais il ne laissait pratiquement personne entrer dans sa vie privée. Sa partenaire était l'une des rares personnes à avoir réussi à le charmer.
— N'as-tu jamais cherché à comprendre ce qui s'était passé à ton maître ? lui demanda Cassandra. Il était quand même ton père adoptif...
Shayne roula les yeux et marmonna quelques mots que Flint ne put pas entendre avec ses oreilles. Cassandra pouffa de rire, quand elle vit la réaction de son bien-aimé.
— Tu ne vas tout de même pas t'y mettre, toi aussi... gémit le général.
— Allons, puisqu'on a plusieurs heures à tuer, autant en profiter, taquina Flint.
— Je vous hais... marmonna son interlocuteur, railleusement.
— On t'aime aussi, affirma Cassandra avant de rire aux éclats.
Malgré le fait qu'il n'aimait pas cette sensation de se faire sonder l'esprit par ses pairs, Shayne adorait le rire de sa dulcinée. Il espérait vivre plusieurs moments de ce genre, en sa compagnie. Elle rajoutait plein de douceur dans son existence immortelle. Il espérait qu'elle vivrait assez longtemps à ses côtés afin qu'ils puissent connaître une belle histoire d'amour. S'il avait eu la peau plus pâle, ils l'auraient vu rougir.
— C'est ça, la beauté de notre groupe, relata le capitaine. Nous sommes tellement différents, mais nos histoires personnelles apportent tant de richesses à nos aventures... C'est dommage que tu n'aimes pas nous parler de tes anciennes missions ou bien de ton passé. Mais je peux comprendre pourquoi c'est embarrassant...
— Au moins, tu le réalises, fit Shayne. Il y a des moments que je préfèrerai oublier. Et puis de toute manière, nous les vampires, on perçoit le temps différemment. Peut-être, qu'un jour, je publierais mes mémoires... Pour le moment, je veux juste profiter du paysage.
— Tu sais quoi ? C'est une excellente idée...
Flint ignorait que son supérieur appréciait la nature. Pour lui, la verdure était la même, peu importe la région. Il portait très peu d'attention sur la faune et la flore de Lanartis. Selon lui, tout ressemblait plus ou moins à ce qu'il avait vu près de la république. Cependant, la seule exception qui l'avait fait sourciller de curiosité, ce furent les coquelicots au nord du village des fermiers. Ils avaient aussi croisé quelques variances étranges de gobelins et de goules, mais rien qui ne l'avait impressionné.
— En tout cas, quelque chose me taraude... commenta Cassandra.
— Quoi donc ? questionna son amant.
— Le cercle magique que l'on a retrouvé dans les plaines était plus grand que d'ordinaire. Même Luna m'a fait cette remarque alors que nous mangions, ce matin. Un mage comme elle ou bien Wyatt ne pourrait pas faire un sceau aussi grand, à moins de demander de l'aide à plusieurs semblables. Ce qui m'embête le plus, c'est que je n'ai ressenti aucune âme errante, à part celle du spectre que nous avons combattu.
— Je comprends où tu veux en venir... Mais je ne vois pas trop ce qui te chicotte.
— Mais où sont rendues ces âmes ? Ont-elles été consumées par la faucheuse ? Ont-elles été expédiées en enfer pour renforcer les pouvoirs des démons ou bien sont-elles ailleurs dans le monde spirituel ? Je cherche honnêtement à comprendre le but de ces sacrifices. Et puis le spectre nous a bien laissé un avertissement avant de disparaître.
— Méfiez-vous des papillons bleus, cita Shayne.
— C'est exactement ça.
Le général se passa une main dans les cheveux et se tourna vers la lucarne derrière lui. Du coin de l'œil, il vit Giotto allongé près de son porteur.
— Eh, toi, dit-il. Pourrais-tu venir ici, une minute ?
— Mm ? fit le dragon. D'accord.
Le reptile bondit sur le banc de Luna et Misaki, pour ensuite grimper jusqu'à la fenêtre. Il s'accrocha et sortit la tête entre Shayne et Cassandra.
— Que puis-je pour toi ? demanda-t-il.
— Que sais-tu du culte de Thanatos ?
— Thanatos ?! Voilà un nom qui n'est pas revenu dans mes conversations depuis plus d'un siècle... Mmm... Laisse-moi réfléchir...
Flint s'intéressa rapidement à cette conversation. Lui aussi se demandait comment un sort aussi puissant avait été placé là-bas, sans surveillance adéquate. Il se souvint avoir lu quelques mots sur cette divinité, souvent associé au dieu de l'enfer. Il avait lu dans la bible d'Athéna qu'il représentait la mort, mais n'avait pas cherché à lire plus loin. C'était durant l'un de ses nombreux cours de doctrines religieuses, celles que l'on enseignait à l'église aux jeunes enfants et aux adolescents. Il avait détesté ces matinées du dimanche à un tel point qu'il avait refusé de s'y rendre à partir de l'âge de quinze ans ; au plus grand désarroi du Père Shalom et de Sarah.
— D'après mes incarnations antérieures, ce dieu aurait été scellé pratiquement en même temps que Perséphone, expliqua Giotto.
Il regardait le ciel et songea à tout ce qu'il savait.
— Il y a peu d'information au sujet du culte, ajouta-t-il. Cependant, une bonne partie de ses fidèles ont vécu sur les terres de Lanartis, il y a bien longtemps de cela. Si mes souvenirs sont exacts, le royaume a chassé ses derniers croyants de ces terres, il y a près de mille ans. Toutefois, dans les années 3650 AD, des adeptes de Thanatos sont venus de Mytira afin de déclarer la guerre à l'Église d'Athéna. Ce conflit n'a pas duré longtemps, car ces derniers ont été exécutés par le Roi Flavius IX, l'ancêtre du Roi Davis et de sa sœur Dame Gloriana III. Je ne saurais dire quand exactement, mais il y a eu un massacre sur les plaines de Lanartis. Ces corps se sont décomposés depuis des siècles et cela explique pourquoi il y a tant de fleurs...
— Ouf... s'exclama Flint. D'après ce que je vois, tu es l'historien des élémentaires.
— C'est la tâche qu'on m'a confié lorsqu'on m'a créé, déclara Giotto. Ce qui explique pourquoi mes descendants et moi sommes dans une quête éternelle de connaissances et d'intelligence. Il nous arrive d'oublier certains moments de notre passé, mais nous finissons toujours par nous souvenir des moindres détails.
Shayne se frotta le menton, songeur.
— Maintenant que j'en parle avec vous, je crois me souvenir de la signification des papillons... mentionna Giotto. Autrefois, on associait cet insecte au Dieu de la Mort. Je ne sais pas si l'espèce aux ailes bleues est plus dangereuse que les autres, mais le spectre semblait insister sur ce détail. Plusieurs de mes ancêtres ne distinguaient pas les couleurs et d'autres étaient daltoniens. De mon côté, je vois très bien le bleu du ciel et le vert du gazon, mais bon... Ce que j'essaie de vous dire, c'est que nous n'avons jamais croisé d'incident en rapport à ces bestioles.
— Voilà qui est décevant, mais je comprends, soupira Shayne. Merci de nous avoir éclairés un peu à ce sujet. Je suis désormais en mesure de confirmer tes dires. Il y a effectivement d'anciennes légendes qui associent les papillons à Thanatos. Mon insomnie m'a donné le temps de lire la bible d'Athéna, de long en large, au fil des dernières années. Son symbole est bel et bien celui du papillon. Cependant, il n'y a aucune mention de la couleur de leurs ailes. Il est possible que ces derniers soient nocifs aux mortels.
— Le spectre nous aurait donc aidés, déclara Flint. Voilà qui est étrange de sa part. Pourquoi aurait-il trahi son maître, d'après vous ?
— On ne peut pas faire confiance à un démon, expliqua le général.
Cassandra tourna la tête vers son partenaire, qui cligna rapidement des yeux. Celui-ci réalisa l'ironie dans cette phrase et se racla la gorge.
— À part moi, bien sûr... marmonna-t-il.
— Évidemment, répliqua Flint. Sinon Papa ne t'aurait pas engagé.
Le capitaine gloussa avant de retourner son regard près d'une grande rivière. Il observa le cadran de sa montre et vit qu'il était presque l'heure du dîner.
— Que diriez-vous qu'on aille casser la croûte ? proposa-t-il. Nous repartirons après avoir mangé. Ces chevaux ont besoin de boire un peu.
— Bonne idée, répondit Giotto. J'ai peu mangé ce matin, il me tarde d'aller chasser !
Le petit dragon retourna à l'intérieur du véhicule et s'installa auprès de son porteur.
Luna et Misaki avaient tout entendu de cette conversation entre le vampire et le reptile. Elles s'étaient échangé quelques mots, mais optèrent pour discuter de tout cela avec eux, au cours de la journée.
Gabriel, quant à lui, avait progressé dans le crochetage de sa serviette. Son visage s'était assombri quand Giotto avait mentionné le nom de Thanatos. Lui aussi connaissait ces mythes et légendes en ce qui concerne cette divinité. Contrairement à son mari, il avait suivi les cours bibliques jusqu'à l'âge adulte. Savoir que cette région était associée à cet individu abject lui glaçait le sang.
¤*¤*¤
Le colosse poussa une plainte et se massa le ventre, après leur repas. Encore une fois, il y avait eu les yeux plus gros que la panse. Cassandra leur avait préparé sa fameuse sauce marinara dans laquelle elle avait ajouté un peu de mozzarella fondue. De son côté, il avait préparé des pâtes alimentaires et s'était servi deux portions.
— Un de ces jours, tu crèveras avec une cuisse de poulet dans la gueule, taquina son mari. Tu as intérêt à demander aux dieux de te donner une place dans leurs cuisines.
Après avoir entendu cette blague, Luna recracha un peu d'eau par les narines. Elle rougit de honte et s'essuya le nez discrètement.
— Ce sera une mort glorifiante et exquise ! plaisanta Gabriel.
— Toujours aussi morbides, vous deux, formula Misaki qui roula les yeux.
Shayne secoua la tête avant de prendre une gorgée de jus de pomme pétillant. Il commençait à s'habituer aux blagues idiotes de Flint et Gabriel, mais pensait que le golem allait bel et bien crever de cette façon, un jour ou l'autre.
Dia et Giotto étaient partis à la chasse, un peu plus tôt, alors que lui n'avait fait que pêcher quelques poissons dont il avait bu le sang. Il avait jeté les restes sur la pelouse, au cas où Giotto en voudrait. Le reptile était revenu, une demi-heure après être parti. Aussitôt avait-il touché le sol, qu'il avait repris sa forme miniature. Shayne lui pointa les truites et la petite créature ailée les dévora aussitôt.
— Ta chasse s'est-elle mal déroulée ? demanda Gabriel à son esprit.
— Pas la moindre trace de gros gibier, grogna son interlocuteur. Les daims et les caribous se font rares. Il n'y avait que de petits oiseaux, quelques belettes et des renards dans les bois. Je vais devoir me contenter de truites ou de saumons, pour quelque temps.
— La chasse aux daims est interdite durant cette période de l'année, lui informa Shayne. Ils sont occupés à faire des bébés, si tu veux mon avis.
— Je me disais bien aussi qu'un détail m'échappait...
— Et les caribous ont quitté ce bout de pays depuis des lustres, ajouta le général. Ils ont migré vers la république et d'autres vivent au sud de la région.
Cassandra sourcilla aux paroles du vampire.
— Dis donc, tu t'y connais avec la faune locale, remarqua-t-elle.
— Il le faut bien, quand on est un vampire qui se nourrit exclusivement de sang animal, répondit-il. J'aime varier un peu.
Flint grimaça de dégoût.
— Beurk, pour moi du sang reste du sang, s'exprima-t-il.
— C'est là que tu fais erreur, mon jeune ami. La saveur du sang change d'une espèce à l'autre, affirma le dragon. Dia aussi pourrait te confirmer la même chose, puisque nous mangeons nos proies crues.
— Cette conversation va me rendre malade... couina Cassandra.
Ils se tournèrent tous vers la guérisseuse, son teint était verdâtre. Ils se turent aussitôt par respect pour la végétarienne. Même Luna n'arrivait pas à terminer son assiette de pâtes, qu'elle avait commencée à manger après tout le monde. Misaki s'était éloignée et nettoyait son assiette dans l'eau. Gabriel, de son côté, était allongé sur le côté, la tête sur une jambe de Flint. Ce dernier lui caressait les cheveux.
— Nous avons vraiment un groupe étrange, pas vrai ? dit le capitaine.
— J'avoue, confirma Cassandra qui sirotait son thé vert.
— Je confirme, déclara Gabriel.
— Je plussoie, rajouta Luna, qui commença à rire jaune.
Ils s'échangèrent tous des regards espiègles avant de glousser comme des pies.
— Et ça se dit l'équipe d'élite qui arrêtera Troyd Markios, râla Shayne pour lui-même. Vous allez finir par me décourager...
Ils rirent encore plus fort, tandis qu'il roula les yeux. Giotto se joignit à eux, trouvant la situation marrante. Finalement, le vampire se dit qu'il n'y avait rien de mal à blaguer un peu. Il avait seulement peur qu'ils ne prennent pas cette tâche au sérieux.
¤*¤*¤
Dia était sur le point de perdre patience.
Voilà plus de quarante-cinq minutes qu'elle traquait un lapin dans les hautes herbes des plaines. Elle avait faim et son estomac grognait à quelques minutes d'intervalle. Elle serait bien restée avec le groupe, mais elle n'avait pas envie de manger du poisson avec Shayne. Elle commençait à en avoir marre de tout ce qui venait des rivières. Elle souhaitait croquer la nuque d'un animal terrestre.
Elle finit par s'arrêter en face d'un buisson dans lequel sa proie avait bondi. La louve se pencha, levant son postérieur vers le ciel et sauta en direction de son adversaire, pour se retrouver nez à nez avec un jeune homme allongé sur l'herbe.
L'individu avait le teint livide, des yeux d'un bleu pétillant. Sa chevelure blonde était recouverte de sang et de terre. Il avait survécu jusque-là, mais Dia comprit que celui-ci avait perdu une bataille importante. Elle sursauta en voyant les traits familiers de cette personne. Elle ne connaissait ce dernier que de nom.
— Bonté divine, j'ai failli te prendre pour ton frère ! dit-elle. Mais que t'est-il arrivé... ?
— Trouve... Flint... dit l'homme. Il doit... savoir...
Elle remarqua qu'il ne portait pas d'armure, qu'il était recouvert de vêtements déchiquetés et qu'il n'avait pas d'arme en sa possession. Il n'avait pas son habituel chapeau à plume — celui qu'elle voyait souvent dans les souvenirs de son porteur — mais Dia reconnut les traits de Lucas Markios. Au moment où elle allait lui répondre, l'ambassadeur de Lanartis perdit connaissance.
— Sapristi ! couina Dia. Pas le temps de prévenir les autres ! Je dois le soigner moi-même !
Aussitôt ces paroles prononcées, le corps de la louve s'illumina, alors qu'elle lançait un puissant sortilège de guérison sur les plaies de l'homme. Elle ignorait ce qui lui était arrivé, mais cela confirma ses craintes : quelque chose de maléfique était en train de se produire sous leurs yeux et il était fort possible qu'ils courussent tout droit dans un piège.
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