72. L'anniversaire du golem

Le 4 avril 3918 AD, la Septième Brigade s'était déplacée au village d'Alba. Quelques jours plus tôt, Flint avait sombré dans un sommeil magique et n'avait pas ouvert les yeux depuis la dernière fois que Gabriel lui avait adressé la parole. Il respirait toujours, mais ne donnait presque plus aucun signe de vie. On avait placé son corps dans une chambre qu'il partageait avec son mari, chaque soir.

Gabriel le faisait boire ou manger des purées, ou du moins, il essayait en manipulant la tête et en massant la gorge de son mari. Le plus étrange, était que le subconscient de Flint semblait vouloir coopérer avec lui, la plupart du temps.

Le soigneur d'Alba leur avait proposé d'intuber le jeune homme, mais Gabriel avait insisté pour prendre en main son époux. Cela avait irrité Cassandra, qui aurait très bien pu aider le soigneur dans sa démarche. Après tout, une cicatrice au cou de Flint était la moindre des choses, si c'était que pour lui sauver la vie. Hélas, Cassandra n'avait pas le choix que de respecter la demande de son grand ami.

Gabriel s'occupait aussi de laver les vêtements du capitaine, tous les matins. Il n'avait pas quitté son chevet depuis qu'il l'avait retrouvé inconscient, dans leur tente. Personne dans leur brigade n'avait été capable de le réveiller.

Dia avait jugé que Flint avait besoin d'un bon sommeil réparateur, après toutes ses dernières épreuves. Elle avait tenté de rassurer Gabriel à plusieurs reprises, mais rien à faire. Flint n'ouvrirait pas les yeux tant et aussi longtemps que son mana ne serait pas entièrement revenu. Après tout, tout mage qui dépensait trop d'énergie magique, dans un effort surhumain, perdait souvent connaissance. Pour le cas de Flint, toutefois, il n'était pas tout à fait humain, donc ses pouvoirs angéliques lui demandaient beaucoup plus de concentration qu'un simple mortel.

Gabriel avait passé tellement de temps dans sa chambre que son esprit élémentaire avait décidé de prendre la forme d'un dragon miniature afin de déployer ses ailes et survoler la pièce quelques fois par jour. Il avait tenu compagnie à son nouveau protecteur, même s'il aurait préféré sortir de l'auberge plus fréquemment. Il était parti à la chasse très tôt, durant la matinée et très tard, dans la soirée.

Parfois, lorsque Gabriel était endormi, Giotto avait pris l'habitude de se coucher sur son ventre, comme un félin le ferait avec son maître. Gabriel lui caressait toujours la tête, lorsqu'il se réveillait. Ils étaient rapidement devenus très proches. Riordan se manifestait de moins en moins, mais cohabitait toujours l'esprit de son grand-père.

En ce moment même, le dragon miniature essayait de remonter le moral de son porteur. Après tout, c'était une journée importante pour ce dernier...

— Il faudrait que tu manges quelque chose, lui suggéra Giotto. Tu n'as rien touché de ton plat d'hier. Les autres commencent à s'inquiéter pour ta santé...

— Je n'ai pas faim, soupira son interlocuteur.

C'était le matin, ils se réveillaient à peine et le reptile ailé s'était posé sur la couverture qui recouvrait Flint pour l'examiner. Depuis quelques minutes, il avait observé Gabriel, qui n'avait pas quitté son mari du regard. Le colosse était si déprimé qu'il n'avait plus le goût de rien faire. Dia, habituellement joviale, commençait à s'en faire pour Flint.

Elle se reposait en bas du lit. Elle levait sa tête toutes les cinq minutes et espérait que son porteur ouvrirait bientôt les yeux. Malheureusement, il dormait encore et encore à poings fermés. La bonne nouvelle était que l'ecchymose qui était autrefois sur son ventre avait complètement disparue. La fracture de la côte semblait parfaitement guérie. Quant à la grippe, elle s'était tout simplement envolée. Il ne toussait plus durant son sommeil et n'avait plus le nez coulant.

— Il va me rendre folle, grogna Dia qui posa son menton sur le lit, près de son porteur. Ça fait trois jours que ça dure.

— Et nous sommes toujours sans nouvelles de ma fille, soupira Gabriel. Il ne manquerait plus qu'elle soit morte...

Il recommença à pleurer pour la deuxième fois, ce matin-là. Giotto battit des ailes pour sauter sur son bedon. Il le regarda tristement.

— Allons, mon ami... ne perd pas espoir, dit-il. On finira bien par trouver une nouvelle brèche dans le voile... Et sincèrement, il faudrait que tu te ressaisisses... Tu n'as pratiquement rien mangé depuis vingt-quatre heures et cette barbe est en train de devenir n'importe quoi. Pourquoi ne la tailles-tu pas un peu ?

— Bof...

— Tu ne vas quand même pas passer ton trente-deuxième anniversaire à ne rien faire dans cette pièce ?! grogna Giotto. Tes camarades t'attendent en bas depuis sept heures, ce matin. Pourquoi ne vas-tu pas les rejoindre ?

Gabriel haussa les épaules. Le reptile secoua la tête et s'approcha du menton du porteur. Il coupa alors un peu la barbe du colosse avec ses griffes, et arrangea un peu celle-ci pour qu'elle soit un peu plus courte. Une fois qu'il eut terminé, il remarqua qu'il y avait beaucoup de poils à ramasser. Gabriel ne réagissait même pas.

— Si Flint ne se réveille pas plus vite, j'ai peur pour la santé mentale de notre ami ici présent, déclara Dia qui pointa le colosse avec son museau. Les autres comptent sur eux pour tant de choses, ce serait bête si on devait les perdre...

— C'est ce que j'ai cru comprendre, formula Giotto. Malheureusement, réveiller un comateux n'est pas dans mes fonctions d'esprit élémentaire.

Gabriel laissa sortir une longue lamentation. Il se tourna en direction de son mari et lui caressa les cheveux. Il ne fit même pas attention à Gio qui bondit de lui et dut survoler la pièce. L'esprit de la création finit par se poser sur le bureau, en face du grand lit. Il s'assit sur son arrière-train et avança sa longue queue vers l'avant.

— Tout ça me brise le cœur, Gab, marmonna Dia. Je vais aller dire aux autres que tu ne descendras pas, finalement.

— Je te suivrais bien, ma sœur, mais les clients de l'auberge et les propriétaires risquent de me prendre pour un monstre, commenta Giotto.

— D'accord. Contacte-moi par télépathie, si jamais les choses devaient changer. Je reviendrai plus tard.

Elle s'éloigna ensuite vers la porte entrouverte qu'elle ouvrit avec son museau. Ils se trouvaient au fond du couloir et il n'y avait pas tellement de gens qui y circulaient. Pour cette raison, les esprits élémentaires parlaient tout bas et se promenaient selon leurs désirs dans la chambre du couple.

Évidemment, Giotto ne pouvait pas sortir autrement que par une fenêtre ou bien lorsque Gabriel avait besoin de son arme. Le gros guerrier n'avait pas combattu depuis les trois derniers jours et le dragon devait attendre que tout le monde dorme pour s'éloigner d'Alba. Il reprenait alors sa taille normale et partait à la chasse.

Dia, quant à elle, on la décrivait comme un husky et pour cette raison, les aubergistes n'y voyaient que du feu. Certains clients l'avaient parfois prise pour une louve, ce qui était le cas. Luna s'était empressée de leur jeter des sorts d'illusions afin qu'ils aient oublié tout ça. Personne ne devait savoir que la Septième Brigade traînait avec elle des esprits élémentaires. S'il fallait que Troyd et ses acolytes apprennent tout ça, la brigade mettrait la vie de ces créatures en danger.

Dia s'arrêta au milieu du couloir et se gratta la nuque avec l'une de ses pattes arrière. Misaki avait un peu trop serré son collier en cuir. Afin que l'animal puisse circuler librement, il était important pour eux qu'elle joue bien son rôle. Ils avaient attaché à ce collier, un petit médaillon en forme de cœur, où ils avaient fait inscrire son prénom. Dia trouvait cela agaçant, mais s'était dit que c'était pour son bien. À Baldt, elle n'aurait sûrement pas eu besoin de cet accessoire. Les gens ne posaient pas trop de questions, là-bas...

— Collier de meeeeerde... ! grogna Dia qui essayait d'ôter ce dernier avec sa patte.

Elle finit par abandonner et descendit les escaliers jusqu'à la salle à manger de l'auberge. Cassandra, Luna, Misaki et Shayne étaient installés à une table avec un gâteau au chocolat qu'ils avaient préparé pour Gabriel, ainsi que quelques présents emballés. La louve les regarda un moment avant de secouer la tête.

— Ah, il ne viendra pas... soupira Cassandra.

— Ce n'est vraiment pas dans ses habitudes de refuser un dessert, dit Misaki. Je me disais bien que c'était une mauvaise idée de le célébrer.

— Ce n'est pas ta faute, tu voulais simplement lui remonter le moral.

— On le voulait tous.

Dia gratta encore son collier et poussa un grognement afin d'attirer l'attention sur elle. Celle-ci regardait Misaki, l'air de lui dire qu'elle voulait qu'on l'enlève. Shayne qui se trouvait près de l'escalier, détacha ce qui gênait la voie respiratoire de Dia et rattacha l'objet après avoir augmenté l'espace. L'esprit poussa un couinement de soulagement. Le vampire lui caressa le dos et écouta les autres.

Puisqu'ils étaient coincés ici jusqu'à ce que Flint se sente mieux, ils travaillaient autour du village comme mercenaires. Il y avait plusieurs travaux qu'ils pouvaient faire, grâce aux panneaux de requêtes. La journée précédente, Shayne et le reste du groupe avaient capturé les bandits qui menaçaient la communauté et avaient récolté une jolie somme de pièces d'or. La plupart des criminels avaient toutefois été exécutés par le général ou bien la louve, car ils avaient refusé de se rendre sans combattre.

— Que pensez-vous qu'on devrait faire aujourd'hui ? demanda Misaki. J'ai vu une requête d'escorte qui venait de l'une des habitantes du village. Elle désire se rendre à Drokaï, mais c'est à une journée de voiture. Le prix semble être une bonne offre : cinq cents piécettes, ça ne se refuse pas.

— Je pense la même chose, répliqua Shayne. Une demande de ce genre ne se fait pas au-dessus de cent pièces, si c'est une si courte distance. La note faisait-elle mention d'une marchandise à délivrer ?

— Oui, pourquoi ?

— Ah, voilà qui explique la grosse récompense. La dame veut probablement s'assurer que rien de troublant n'arrive à son paquet.

Misaki lui passa alors la feuille qu'elle avait ramassée et il la lut à voix basse. Une fois qu'il eut terminé, il retourna son regard vers les autres.

— Nous n'avons pas besoin de tous y aller, dit-il. Deux ou trois d'entre nous suffiraient.

— Dans ce cas, je me propose, formula la guerrière. Je profiterai de vérifier le site de campement où nous avons dormi, l'autre jour. Qui sait ? Peut-être retrouverais-je Estelle et les autres. J'aimerais que tu m'accompagnes, Luna.

Luna se pointa, intriguée.

— À cause de la brèche ? demanda-t-elle. Tu le sais déjà que nous ne pourrons rien faire tant qu'elle ne s'ouvrira pas.

— Ce n'est pas pour ça que je veux que tu m'accompagnes... J'aimerais qu'on soit seules pour discuter d'un truc qui ne concerne pas tout le monde.

— Ah ? Je vois...

Cassandra se demandait ce que sa meilleure amie leur cachait, mais préféra ne pas se mêler à cette conversation. Ils seraient donc coincés à Alba pour au moins une autre journée. Elle se dit qu'il était temps pour elle d'emmener de la nourriture en purée, dans la chambre de Flint et Gabriel.

Ce matin-là, c'était à son tour de faire manger leur capitaine. Elle avait trouvé une bonne technique pour lui faire avaler ses aliments. Lorsqu'il s'étouffait, elle employait un sortilège mineur de vent dans sa bouche, afin de déboucher ses voies respiratoires. Il aurait été mieux pour lui de se retrouver dans un hôpital ou à l'infirmerie de Baldt. Malheureusement, il n'y avait qu'un soigneur à Alba et évidemment, Gabriel refusait qu'il intube Flint. Cassandra devait donc improviser avec ses propres moyens.

Flint reprenait des couleurs, mais son sommeil profond commençait à les inquiéter tous. Cassandra espérait qu'il n'aurait rien de grave à son réveil. Elle avait connu pire comme patient. Une fois, elle avait soigné un brigadier qui avait subi un traumatisme crânien. Il avait dormi pour une semaine, sous intraveineuses et ce fut après la chirurgie qui lui avait sauvé la vie.

Cassandra ne savait pas comment guérir les maux des gens autrement qu'avec la magie, mais elle avait récemment commencé à apprendre comment recoudre certaines blessures avec des points de sutures et demandait souvent aux docteurs et infirmiers si elle pouvait participer aux blocs opératoires, en tant que spectatrice ou bien assistante. Les guérisseurs, comme elle, étaient généralement employés pour stabiliser l'état des patients. Quand elle n'était pas occupée, on l'embauchait pour refermer les blessures avec sa magie.

Plus le temps avançait, plus elle souhaitait apprendre de nouvelles façons de soigner les gens. Toutefois, elle était aussi douée pour résoudre des problèmes reliés aux enquêtes et à tout ce qui lui demandait un bon sens de l'observation. Elle ignorait si elle devait retourner aux études ou bien continuer à travailler auprès de ses amis. Au moins, elle avait pris quelques cours de premiers soins avec les autres brigadiers et savait comment réanimer une personne par le bouche-à-bouche, en plus de l'habituelle pression forte et rapide sur leurs voies respiratoires.

— La purée de votre ami est prête, Mademoiselle Appleseed ! lança l'aubergiste à travers le comptoir de l'entrée.

C'était une petite femme ronde, aux cheveux roux qu'elle portait en chignon. Elle portait des lunettes. Son mari travaillait comme réceptionniste et se trouvait parfois derrière le bar auquel il servait des bières à ses clients. L'auberge était plutôt calme, ce matin-là, mais les membres de la Septième Brigade y mettaient un peu de vie.

— J'arrive tout de suite, madame ! répondit Cassandra qui se leva de son siège.

— Profites-en pour dire à Gabriel de descendre déjeuner, ajouta Luna. Il faut qu'il sorte de cette chambre. Ce n'est pas bon pour lui d'être toujours enfermé.

Cassandra hocha la tête et apporta le plateau avec elle. Le mari de l'aubergiste avait même mis un compte-gouttes afin de l'aider à faire boire son ami. Il aurait été plus facile pour eux de faire boire Flint par un adepte de l'eau comme Wyatt, mais puisqu'il n'était pas avec eux, ils n'avaient pas le choix de le nourrir à la vieille méthode. La purée de légumes était froide, à la demande du groupe. Personne ne voulait prendre le risque d'ébouillanter la gorge du capitaine.

Pendant que Cassandra montait les escaliers, elle entendit des bruits au fond du couloir. Gabriel semblait agité. Elle pressa un peu le pas et lorsqu'elle arriva à la porte de chambre, elle l'entendit pleurer. Rapidement, elle ouvrit la porte, inquiète que quelque chose d'horrible se soit passé. À sa grande surprise, Flint était réveillé et se faisait enlacer par son mari qui ne pouvait arrêter de gémir, sous l'émotion.

— Bon retour parmi les vivants, soupira-t-elle. Tu nous as fait peur, andouille.

— Ah bon ? J'ai dormi combien de temps... ? demanda celui-ci, déboussolé.

— Trois jours entiers !

— Oh put— !

Il recouvrit sa bouche pour ne pas dire un mot grossier. Ce geste avait été si vite qu'il se sentait étourdit. Il empoigna les bras de Gabriel afin de ne pas tomber en bas du lit.

— Peux-tu m'aider à m'allonger, s'il te plaît ? formula-t-il à ce dernier.

— Tout de suite, chéri...

Il l'aida tandis que Cassandra déposait le plateau sur le bureau de la chambre. Ensuite, elle s'approcha du lit, s'installa à côté de lui et prit sa température.

— Tu ne fais plus de fièvre, c'est bon signe, dit-elle. Ta blessure est refermée, on détecte une enflure, mais je crois que les médicaments qu'on t'a donnés ont aidé à ta guérison.

— Vous m'avez fait manger des trucs ? s'exprima ce dernier, incrédule.

— Il le fallait bien, sinon on allait te perdre, grogna son époux. C'étaient seulement des purées. Tu m'as vomi dessus à quelques reprises, mais tu n'y pouvais rien. On a dû mettre des vitamines et des médicaments dans ta nourriture pour t'aider à combattre ta vilaine blessure à la côte et ta grippe. Comme tu peux le voir... tu vas beaucoup mieux grâce à nous.

Flint se sentait embêté par cette nouvelle. Il s'en voulait d'avoir perdu connaissance si longtemps. Au moins, il remarqua qu'il était tout propre et qu'on lui avait même changé ses vêtements. Il ne le savait pas encore, mais Gabriel l'avait nettoyé tous les jours... Il sentait même la vanille, une odeur qu'il aimait bien. Il n'osait pas leur demander comment ils avaient géré les dégâts gênants, comme les excréments... Il grimaça de dégoût.

— Que s'est-il passé, au juste ? interrogea Cassandra. C'est la première fois que ça t'arrive, non ? On croyait que tu allais mourir...

Il vit qu'elle était larmoyante, mais elle s'essuya rapidement les yeux. Elle s'était beaucoup attachée à son groupe, au point qu'elle ne pouvait pas supporter l'idée de perdre l'un d'entre eux. La mort de son premier capitaine l'avait grandement affectée. Elle se sentait coupable de ne pas avoir été assez puissante pour le soigner. Cependant, elle savait aussi que toute la magie du monde n'aurait pas été suffisante pour ramener tout le sang qu'il avait perdu lors de ce combat.

— Désolé, déclara Flint. Je crois qu'exorciser le dragon a provoqué un épuisement psychologique et physique... Je ne ressentais rien de plus que de la fatigue.

— Dans ce cas, ça veut dire que tu n'es toujours pas habitué à tes pouvoirs, dit une voix qu'il ne reconnut pas.

Il leva son regard vers un petit dragon argenté qui s'était posé sur l'épaule gauche de son mari. Gabriel lui caressait la nuque. Flint préféra ne pas se poser de question sur le changement de taille de Giotto, ni pourquoi il s'était lié d'amitié avec son partenaire de vie. Il cligna des yeux et répondit :

— Je vois où tu veux en venir.

Le petit reptile hocha la tête avant de poursuivre :

— Je te suggère que tu prennes ton entraînement à la magie plus au sérieux. Je sais que ce n'est pas ma place de te dire que faire ; mais Luna et Shayne m'ont mentionné que tu es l'un des seuls dans la Septième Brigade qui a beaucoup de difficulté à lancer des sorts, en plus de Mademoiselle Megumi. Si tu veux développer ton plein potentiel d'ange, il te faudra passer plus de temps avec les mages.

Flint n'était pas du tout enchanté que le dragon lui dise ce genre de chose. Il avait l'impression qu'on le prenait de haut. Il ne se laisserait pas faire. Avant qu'il ne puisse répondre quoi que ce soit, Giotto l'interrompit :

— Ce n'est pas nécessaire de me demander de me taire. J'ai déjà sondé l'esprit de ton mari assez souvent pour savoir qu'il ne faut pas te contrarier. Néanmoins, il est désormais mon porteur et nous allons cohabiter pour les semaines à venir... et peut-être plus. Tu es le chef de ce groupe, donc il est normal parfois que tu ne puisses pas réfléchir à tous ces petits détails qui pourraient t'être inutiles. Si jamais il te venait l'envie, nous pourrions avoir des conversations, toi et moi.

— Ça aiderait si tu me laisserais la chance de parler, hein ? lui reprocha Flint.

— Je suis désolé, je ne voulais pas t'offenser... Cependant, tu as devant toi l'un des plus vieux esprits élémentaires de ce monde. Avec l'âge vient beaucoup de sagesse...

— J'en ai que faire de tes conseils. Si tu veux me parler dorénavant, je te suggère d'employer un ton différent. Je te trouve arrogant.

Le dragon allait ouvrir la mâchoire pour lui répondre, mais il se tut.

— Tout d'abord, avant de me donner des conseils, il faudrait d'abord qu'on se connaisse, reprit le capitaine. Je ne sais rien de toi, tu n'es pas mon ami. Je m'en fous honnêtement de ce qui a pu te passer par la tête, mais tu ne m'impressionnes pas du tout. Tu me parles de la même façon qu'un de ces gros bonnets qui travaille pour le Conseil de ma ville natale. Je n'aime pas ces gens qui se pensent supérieurs aux autres et qui se croient si sympathiques, sous prétexte qu'ils ont beaucoup de connaissances. Ils croient que ça leur donne le droit de répandre leur sagesse, mais ne se rendent pas compte qu'on ne leur a rien demandé.

Gabriel était mortifié et se recouvrit le visage de honte. Cassandra était bouche bée. Giotto avait compris que Flint avait mal interprété sa bienveillance pour une critique déplacée. Il déploya ses ailes et bondit en direction de la fenêtre.

— Où vas-tu ? demanda Gabriel qui remarqua le geste de son esprit élémentaire.

— Me changer les idées sur le toit, fit ce dernier.

— Mais... Giotto...

Gabriel allait se lever pour aller l'attraper, mais le reptile bondit de la fenêtre en plein jour et disparut en vitesse. Un silence de mort régna dans la pièce. Cassandra préféra sortir d'un pas rapide, car elle avait ressenti monter la colère, rien qu'à voir la posture du guerrier bedonnant. Il valait mieux pour elle de ne pas être dans les parages, lorsque ça éclaterait. Aussitôt qu'elle referma la porte derrière elle, Gabriel explosa.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris d'insulter mon ami !?

Cassandra déglutit et marcha le long du couloir afin de descendre les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Elle pouvait entendre les deux mariés se disputer, mais ne faisait plus attention à leurs cris. Elle s'installa sur un banc près de la louve.

— Mon doux... s'exprima Misaki. Que se passe-t-il avec eux ?

— Giotto a fait une remarque que Flint a prise de travers, expliqua Cassandra. Vous savez comment est notre andouille de capitaine. Il a de la difficulté à accepter les critiques des gens qui ne font pas partie de son cercle d'amis proches... Cela a mal tourné et notre ami dragon est désormais sur le toit...

— Pourquoi ne suis-je pas étonné ? remarqua le général. L'autre jour, c'était avec moi, là, c'est avec quelqu'un d'autre... Quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Je songe à le rétrograder.

— Allons, ne prends pas de décision ainsi sans même en parler à son père, lui dit Luna. Rappelle-toi que tu es dans notre groupe qu'en tant qu'invité.

— Je suis quand même votre supérieur. Ce comportement n'est pas acceptable pour un capitaine de brigade.

— Comme il n'est pas acceptable qu'un invité de notre groupe veuille tout changer alors qu'il ne participe qu'à un faible pourcentage de nos missions.

— Mais je...

Shayne se tut et souffla des narines.

— Tu marques un point, finit-il par avouer. Il est vrai que je ne fais plus tellement partie de vos sorties de groupe, tant je travaille d'arrache-pied pour le Conseil. Cependant, en tant que général, je dois veiller à ce que toutes nos brigades soient fonctionnelles et que leurs capitaines puissent répondre à toutes les demandes, dans la mesure du raisonnable. Flint ne fait que se comporter comme un gamin, ces derniers temps. Je propose que nous passions au vote et que vous choisissiez un nouveau représentant jusqu'à ce qu'il prenne conscience de ses actes.

— Ou plutôt, apprends à te mêler de tes affaires, lui reprocha Luna.

— Luna ! dit Cassandra.

— Non, mais... ! s'exclama Luna, furieuse. Je commence à comprendre pourquoi Flint est furieux à chaque fois qu'on questionne ses faits et gestes. Laissez-le tranquille, bon sang ! Il sait ce qu'il fait, vous n'arrêtez pas de lui mettre une pression énorme sur le dos avec tous vos reproches. Puis bon sang, Shayne... Tu n'es pas avec nous si souvent et nous, on le sait comment il se comporte quand tu n'es pas là ! Et on sait comment le gérer, alors ne vient pas nous dire comment on doit s'occuper de notre équipe ! Tu es peut-être notre supérieur, mais le respect, ça se gagne mon coco ! Et là, tu viens de perdre le mien !

Shayne décida de ne rien dire. Il encaissa toutes les critiques qu'il venait de recevoir de la part de sa jeune amie.

— En même temps, ce que Luna indique n'est pas faux, remarqua Misaki. Notre dynamisme avec Flint est très différent qu'avec toi. On sait que tu es autoritaire et que tu aimes que tout soit suivi à la lettre, selon les directives du Conseil et j'en passe... Cependant, tu le sais mieux que quiconque ici que les Markios n'ont jamais été capables de dompter la bête qui sommeille dans l'âme de notre capitaine. C'est un anarchiste au cœur tendre. Le seul temps qu'on peut raisonner avec lui, c'est quand il est avec des proches. Malheureusement, lui et toi, vous n'êtes plus tellement sur la même longueur d'ondes...

— Oh misères... soupira Shayne. Je regrette la bonne vieille époque où Nash était parmi nous. Tout était si simple avec lui. Maintenant, c'est moi qui encaisse les insultes...

— Oui, mais Nash était constamment stressé, remarqua Luna. Nous, on sait comment gérer son neveu. Il faudrait que tu fasses un effort pour mieux le comprendre. Ce n'est pas vraiment une mauvaise personne... Il est juste émotionnel et entêté comme la plupart des Markios... Correction : comme tous les Markios...

— Peut-être, mais s'il commence à s'en prendre aux esprits élémentaires avec qui il ne s'entend pas, nous ne sommes pas sortis de l'auberge, répliqua Shayne.

Les trois jeunes femmes pouffèrent de rire, y compris la louve. Le général ne s'était pas rendu compte qu'il venait d'utiliser une expression familière, qui faisait référence à l'endroit où ils se trouvaient réellement. Lorsqu'il réalisa pourquoi elles riaient, il se tapa le front à quelques reprises. Il râla tout bas des trucs qu'elles ne comprirent pas.

Dia se dit qu'il était mieux pour elle de retourner dans la chambre. Elle ne pouvait pas participer à ce débat, puisque les aubergistes pensaient qu'elle n'était qu'une simple chienne. L'animal descendit donc de son banc et grimpa les escaliers afin de marcher le long du couloir de l'étage supérieur. La porte était toujours fermée, elle l'ouvrit avec sa magie et entra dans la pièce.

Elle vit que Flint était allongé sur le lit et que Gabriel était installé sur une chaise avec le dragon sur son épaule. Ainsi donc, Giotto était revenu. Gabriel ne disait rien à son mari, vexé. C'était leur première dispute depuis un bail.

— Allons les gars, ce n'est pas comme ça qu'on devrait célébrer ce trente-deuxième anniversaire, remarqua Dia.

Elle referma la porte derrière elle et bondit sur le lit. Gabriel ne dit rien. Il prit une cuillerée de purée qui était réservée à son époux. Il fixait un mur depuis un bon moment.

— Il y a du gâteau en bas, allons, couina la louve. Du gâteau et personne ne l'a touché...

Flint soupira et se tourna sur son côté droit. Il regardait un autre mur et voulait éviter de voir l'expression de son mari. Sa hanche ne lui faisait plus du tout mal, mais il se sentait très faible à cause d'avoir passé tout ce temps cloué au lit. Gabriel prit une plus grosse bouchée et fit exprès de faire du bruit.

— Vous allez vraiment me faire parler dans le vide, c'est ça ? continua Dia.

— Je ne sais pas, commenta Gabriel. Si au moins, il pouvait s'excuser à Gio...

— Pfft... fut la seule chose qui sortit des lèvres de Flint.

— Nous revoilà quatre ans en arrière, quand cet imbécile n'était même pas capable de se présenter aux autres de manière civilisée, continua Gabriel. Tout compte fait, les choses n'ont pas tellement changé... hein, gros con ?

Il tourna sa tête vers son mari. Flint lui répondit avec un doigt d'honneur.

— Non, mais arrêtez, bon sang ! brailla Dia. Vous êtes Flint et Gabriel... vous êtes en couple depuis si longtemps, comment pouvez-vous vous disputer ainsi ! Vous formez une équipe de tonnerre... Alors ça suffit cette fichue querelle ! Vous êtes en train de me briser le cœur... Je vais devoir m'en aller, si ça continue... Je ne peux pas endurer toute cette tension dans votre groupe... C'est... trop difficile...

La louve pleurait à chaudes larmes. Le capitaine et son époux se tournèrent vers elle au même moment, pour remarquer la présence d'une corruption étrange. Une énergie sombre entourait l'animal, alors qu'elle s'enfonçait le museau entre ses pattes.

— C'est quoi ça ?! dit Flint qui pointa la chose au-dessus de la louve.

— C'est ce qui arrive aux esprits élémentaires qui sont corrompus par le mal qui ronge dans le cœur de leurs porteurs, expliqua Giotto. Mais je n'ai pas vraiment à te dire quoi que ce soit, puisque tu ne veux rien savoir de moi.

— Minute, remarqua Flint. Je suis en train de la corrompre... ?

La corruption magique disparut aussitôt qu'il ressentit du chagrin pour elle.

— Ne me ferme plus ton cœur... supplia Dia. Ça fait si mal de me sentir rejetée...

— Ce n'en était pas mon intention, soupira Flint. Je suis désolé...

Il se mit à genoux près de la louve et la supplia à quatre pattes.

— Pourquoi es-tu si cruel envers tout le monde... ? couina-t-elle.

— Je ne sais pas, dit-il. Je suis con, c'est tout... Et puis la colère et la dépression font partie de ma vie depuis tant d'années que c'est maintenant une seconde nature, pour moi.

— Ouais... mais essaie de te rentrer dans la tête, que nous avons formé un lien, toi et moi. Tu ne dois pas rejeter ma présence, sous aucun prétexte. J'ai besoin de toi !

Flint serra l'animal contre lui et se mit à pleurer à son tour, il s'en voulait d'avoir fait souffrir son amie. Il caressa sa fourrure et l'embrassa sur la tête. Dia se calma un peu et lui lécha le menton, en guise d'affection.

— Il s'est passé quoi, au juste ? demanda Gabriel au dragon. Je ne suis pas certain de comprendre... Comment une corruption peut-elle arriver à un esprit élémentaire ?

Le reptile hésita un moment avant de lui répondre :

— Une corruption arrive surtout lorsqu'un porteur entre en crise et qu'il rejette tout ce qu'il croit, comme sa propre foi. Si le cœur de Flint s'assombrit, par exemple, Dia en souffrira. Son geste de compassion a annulé ce qu'il était en train de lui faire. Habituellement, ce genre de phénomène n'arrive que très rarement. Le porteur et l'esprit doivent vivre une émotion négative très intense telle que la haine, le désespoir... et parfois même un profond désir de vengeance.

— Donc... si nous devions vivre une situation similaire, toi et moi, tu deviendrais à nouveau la grosse bête féroce que nous avons due battre au campement... C'est ça ?

— Exact, cependant, comme je l'ai expliqué, c'est un phénomène très rare. Il n'apparaît pas souvent. Le porteur doit notamment avoir une forte résonance au monde spirituel, d'après ce qu'on m'a dit. Puisque Flint est un ange, ceci explique cela.

Flint cligna des yeux et se tourna vers le dragon.

— Donc, puisque je suis un ange, j'ai failli tuer Dia sans le vouloir, à cause de mon émotion négative ? marmonna celui-ci. C'est n'importe quoi ! Comment les dieux ont-ils pu penser que ce serait une bonne idée lors de la création des esprits ?

— Je ne saurais répondre à cette question, répondit Giotto. Par contre, tout ce que je connais de ma fratrie, je pourrais vous l'enseigner, à toi et les autres... Seulement, avec la façon dont tu m'as adressé la parole, plus tôt...

— J'ai compris ma leçon... Je prie d'accepter mes excuses pour m'être comporté comme un imbécile et de t'avoir traité de cette façon. Je ne recommencerai plus.

— Tu dois le promettre, grogna Gabriel. Ces esprits ont besoin de nous pour une bonne raison et tu t'en es pris à lui, alors qu'il ne voulait que t'aider.

Gabriel prit Giotto dans ses mains et l'avança vers son mari, tel un félin qui se faisait transporter par son maître. Il se leva afin d'approcher le dragon.

— Maintenant, tu dois nous jurer de ne plus lui manquer de respect et lui faire un bisou sur la tête, gronda-t-il.

— Euh, le bisou n'est pas nécessaire, hein ? demanda le reptile qui leva son regard vers le gros guerrier. Je ne suis pas un animal de compagnie quand même...

Flint secoua la tête et esquissa un sourire en coin.

— C'est bon, je ne lui dirai plus rien de méchant... à moins d'être provoqué.

— On peut dire que c'est acceptable comme raisonnement, avoua le dragon qui retourna son attention vers le capitaine.

Gabriel posa alors le reptile argenté sur le lit et s'assit derrière lui et près de la louve. Il sourit ensuite à son époux. Même s'il était toujours un peu frustré envers lui, il était heureux qu'il se soit réveillé.

— Tu sais quoi ? dit Gabriel. La seule chose que je vous demande à tous les deux, c'est d'essayer de vous entendre. C'est le seul cadeau d'anniversaire que je souhaite pour cette année... Enfin, ça et une autre requête.

— Une autre requête ? formula Flint. Quoi donc ?

Le colosse réfléchit à ce qu'il allait dire. Il ne voulait pas empirer l'atmosphère dans la chambre, mais savait que Flint faisait beaucoup parler de lui dans son dos, de la part du vampire. Il espérait qu'ils finiraient par recommencer à bavarder.

— J'aimerais que tu te réconcilies avec Shayne, suggéra-t-il.

— Mais pourquoi ? On n'a aucun point en commun...

— Peut-être, mais il y a un temps, vous étiez quand même en meilleurs termes...

Flint n'aimait guère cette deuxième demande, mais se dit que c'était pour le bien-être de tous. Ce fut pour cette raison qu'il allait attendre d'avoir repris des forces, pour essayer de passer un peu plus de temps avec le général. Gabriel espérait que son plan allait fonctionner, car il désirait plus que tout que les disputes cessent entre eux.

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