70. La double surprise de Gabriel Markios
Gabriel et Giotto s'étaient observés pendant un moment. Tous deux semblaient embarrassés par leur conversation de la veille. Leurs compagnons ne savaient pas s'ils devaient s'en mêler, puisque Giotto avait insisté à lui parler tout seul. Ils décidèrent quand même de rester tout près, au cas où quelqu'un devrait servir d'intermédiaire.
— En fait, commenta le dragon, le sang de mon ancien corps coule dans tes veines. Je le perçois parce que nous, les créatures élémentaires, arrivons à ressentir les particules magiques qui nous ont déjà appartenu. Rien qu'en te humant, j'ai compris que j'avais raison sur toute la ligne.
— Qu'est-ce que ça change au fait qu'il ait ton sang en lui ? demanda alors Luna, qui s'intéressait à la conversation.
— Ça veut dire que même s'il ne peut pas lancer de sortilèges, il pourrait, s'il le désirait, synchroniser avec moi. Ce n'est certainement pas la méthode la plus conventionnelle qui soit de tisser un lien avec un porteur, cependant Gabriel fait partie d'un groupe auquel plusieurs d'entre vous ont déjà protégé des membres de ma fratrie.
Gabriel se prit le menton puis se frotta la barbe. Il était appréhensif de savoir qu'il était partiellement dragon. Il se sentait beaucoup plus comme un humain, de l'intérieur.
— Aussi, tu n'as plus d'armes puisque tu as cassé la tienne sur mes écailles, hier, ajouta Giotto. J'aimerais te rendre service et devenir ta prochaine hache, si tu le veux bien. Nous pourrions ainsi nous entraider.
— Je ne sais pas, dit Gabriel. Je t'ai quand même crié dessus hier, à cause de la disparition de ma fille. Je ne mérite pas vraiment ta confiance.
— Ce n'est pas ta faute. Vous ne pouviez pas prévoir – en tant que groupe – que l'ennemi vous enverrait autant de monstres et enlèverait quatre d'entre vous.
— Il marque un point, répondit Luna. Nous nous sommes fait avoir comme des débutants.
— Toutefois, il y a quelque chose que je dois admettre, ajouta Dia, qui attira l'attention vers elle. Je crois me souvenir que j'ai moi aussi été kidnappée de cette manière, lorsque je suis revenue de mon séjour au Saint Royaume.
— Ah bon ? fit Shayne.
— Ouais... Plus le temps passe, plus je commence à me remémorer certains détails... Comme ces mains ténébreuses qui sont venues me chercher pour m'emmener dans l'autre dimension... Je me souviens d'avoir erré pendant des heures, jusqu'à ce que je m'évanouisse. Ensuite, à mon réveil, j'étais emprisonnée dans une pièce sombre en compagnie des autres esprits élémentaires. Le reste est un peu flou dans ma tête.
— C'est un peu aussi mon vécu durant ces trois dernières années, expliqua le dragon. Peut-être qu'en croisant d'autres esprits, nous réussirons à mieux comprendre ce qui nous est arrivé...
— Je vois, répondit Shayne, soucieux. Ils ont réussi à corrompre ton âme, mais pas celle de Dia. Ce qui veut dire que la plupart de nos amis élémentaires sont probablement dans la même situation que toi tu l'as été, jusqu'à hier soir.
— Windy serait donc possédée ? questionna Cassandra. Je n'ai même pas envie d'y penser ! Pauvre petite... J'espère que nous n'aurons pas à combattre contre elle.
— Ne sautons pas aux conclusions, suggéra Giotto. Nous devrions plutôt essayer ce que je tentais de faire avec Gabriel, il y a quelques minutes.
Il tourna donc son regard vers le guerrier bedonnant et l'observa de la tête aux pieds.
— C'est bête, quand on y pense, tu as justement la taille idéale pour un casse-croûte... plaisanta le dragon. Et dire que le sang qu'on m'a volé a servi pour te créer...
— N'y pense même pas ! couina Gabriel, qui recula d'un pas, effrayé.
Il se cacha derrière Shayne. Il dépassait celui-ci d'une tête et était tellement large que cela rendait la situation absurde, aux regards de ses amis.
— Allons, je ne bouffe pas les humains, déclara Giotto. C'était pour rire...
Le colosse grogna comme un chien.
Dia roula les yeux et se tourna vers son frère écaillé.
— Allons, Gio ! Ce n'est pas comme ça qu'on convainc une personne de synchroniser avec nous. Excuse-toi tout de suite.
— Pardon... gloussa-t-il. Hi hi hi...
Misaki haussa un sourcil pendant qu'elle observait le dragon. Celui-ci avait une attitude plutôt adolescente, contrairement au vieux sage qu'elle avait vu mourir, quatre ans plus tôt.
— Est-ce normal que tu te comportes ainsi ? demanda-t-elle. Car je n'ai aucun souvenir de t'avoir vu agir de la sorte avec qui que ce soit.
Giotto secoua la tête et la baissa de honte. Il s'allongea et se croisa les pattes avant, tel un gros félin le ferait pour se coucher.
— Mon hôte est jeune et effronté, il faut l'excuser, dit-il. Il a une forte tête et pour cette raison, embrouille mes idées. Je dois passer à travers une période d'adaptation avant que lui et moi ne formions plus qu'une seule personne. S'il m'arrivait par exemple d'agir bizarrement, veuillez m'en excuser...
— Pardon ? dit Luna. Est-ce que ça veut dire que vous n'êtes pas compatibles ?
— Au contraire, mon amie. Il est seulement un peu farceur et n'a pas envie de disparaître complètement. Riordan était un brave dragon qui a grandi à mes côtés. Il était mon deuxième hôte de choix. S'il devait périr, mon âme irait directement dans le corps de Yuki Megumi, à moins que je ne forme un troisième vassal.
Misaki grimaça de dégoût.
— Tu veux dire que ton âme prendrait le dessus, c'est ça ? grogna-t-elle. Parce que si c'est le cas, je jure par tous les dieux et déesses de ce monde que je t'exorciserais de mon fils. Je t'interdis de t'en approcher, tu m'entends ?
— Il n'y a pas de quoi paniquer, tenta de lui rassurer Giotto. Nous ne formons plus qu'une unique entité. Nous partageons les mêmes souvenirs, nos connaissances et j'en passe. Si j'avais pris le corps de ton fils à un âge raisonnable, tu reconnaîtrais quand même ton fils. Il serait simplement plus instruit sur le monde et pourrait lire dans mes souvenirs afin de résoudre certains problèmes d'ordres divins.
— Je ne te crois pas, répliqua Misaki. À voir comment tu es la personnalité dominante de ce dragon-là, il m'est impossible de te faire confiance.
— Tu m'en vois navré... Riordan savait ce qu'il faisait en acceptant de devenir mon hôte. Même en ce moment, il s'inquiète pour moi. Par contre, je vais devoir lui demander d'arrêter de taquiner Gabriel...
— Vaut mieux pour lui, sinon je te casse la figure, pleurnicha le gros guerrier. Je tiens à ma peau ! Va bouffer autre chose...
Luna, à côté de Gabriel, secoua la tête.
— Pas besoin de te comporter comme un gros bébé, Gab...
— Si ça peut vous rassurer, continua le dragon, je ne dévore que des créatures sauvages et des monstres, lorsque j'en ai l'occasion. Je ne mange pas d'humains. Riordan, si, mais il va devoir s'y faire désormais. Nous allons suivre mon régime.
Le reptile eut alors une expression confuse et triste en même temps. Les deux personnalités étaient en conflit d'intérêt.
— T'es pas cool, grand-père, marmonna la voix du dragon qui s'adressait à lui-même.
— Tu es en train de ruiner mon pacte avec Gabriel, grogna l'autre personnalité.
Le reptile se releva et prit un air sévère.
— C'est bon... Je me tais, bouda Riordan qui souffla de petites flammèches en dehors de ses narines. Si on ne peut même plus s'amuser...
Dia déglutit. Elle espérait ne jamais avoir à confronter une situation de ce genre. Elle n'avait jamais partagé son âme avec le corps d'une autre créature qui avait déjà développé sa propre personnalité, mais d'après ses souvenirs, c'était une pratique risquée et parfois dangereuse pour ses pairs. Giotto avait eu la chance de s'accoupler, des centaines d'années plus tôt. Maintenant, il avait un petit-fils qui s'était porté volontaire pour devenir le prochain esprit élémentaire de la création. Le dragon lui avait tout expliqué durant la nuit.
— Et comment fait-on pour se débarrasser de l'âme d'un esprit élémentaire, si cela ne nous convient plus ? interrogea Luna. Je suis curieuse...
— Nous nous séparons, tout simplement, et notre ancien hôte continue sa vie avec autonomie. Quant à notre âme, elle erre à travers le monde, dans l'espoir de se réincarner dans le corps d'un nouveau-né ou bien trouver une personne volontaire qui serait d'accord pour nous aider... Bref, on s'y fait. Vous n'avez pas à vous inquiéter de nos coutumes. Ma fratrie et moi pratiquons cela depuis le tout début des temps.
— C'est répugnant... dit Misaki entre les dents.
— Et pourtant, tu n'aurais pas su faire la différence, si j'avais décidé de renaître à travers ton fils sans ton consentement. Son âme et la mienne se seraient fusionnées au fil des années et il aurait acquis toutes les connaissances nécessaires pour devenir mon successeur. Tu me connaîtrais alors en tant que Yuki et non en tant que Giotto.
— Ça suffit ! ordonna la guerrière albinos. Je ne veux plus en entendre parler !
Elle fit volte-face et s'éloigna du campement. Inquiète pour son amie, Cassandra décida de la suivre. Le dragon les observa s'éloigner, horrifié.
— Je crois qu'il y a encore des choses qui m'échappent quant à l'être humain, se dit-il avant de baisser son regard vers la louve.
— Tu crois ? Ha ! Elle est bien bonne celle-là ! répliqua sa sœur, sarcastiquement.
— Mais qu'est-ce que j'ai dit, encore ?
— Mais est-ce que tu réfléchis avant de parler ? Ça ne se fait pas de dire ça à une mère.
— Exact, fit Luna qui approuvait les paroles de Dia.
Giotto poussa un long râle et battit sa longue queue épineuse dans la terre, frustré. Il fit vibrer le sol, sous leurs pieds. Gabriel éclata alors de rire, pour avoir observé la bête. Il se plia en deux, tellement il trouvait cette réaction amusante.
— Hé ho ! bouda le reptile. C'est quoi le problème ?
— Tu me fais trop penser à moi quand je suis en rogne ! Pouahaha !
— Ah, maintenant que tu le dis... C'est vrai que je décèle une certaine ressemblance dans vos comportements, remarqua Luna, qui s'esclaffa à son tour.
— Oh misère... On se ramasse avec un deuxième Gabriel, priez pour notre âme, répondit Dia. Ça va en causer des dégâts...
Shayne secoua la tête et roula les yeux, alors que les deux brigadiers pouffèrent de rire encore plus fort. Il se racla la gorge, ce qui les fit sursauter.
— Pardon, dit Gabriel pendant qu'il essuyait la larme qui coulait sur sa joue.
Il reprit son sérieux et s'approcha du dragon. Il hésita un instant, puis approcha sa main des écailles de sa nuque argentée. Il commença à le gratter amicalement. Le reptile réagit aussitôt avec un ronronnement, comme un gros félin. Il sortit sa grosse langue pointue et se lécha le museau.
— Aha ! J'ai trouvé ton point faible, dit Gabriel. Tu aimes les caresses au cou.
— Quelle honte... soupira la créature. Mais bon, essayons de créer un pacte.
Giotto prit une grande inspiration, ferma les yeux et son corps se transforma à une vitesse hallucinante en une étrange sphère lumineuse. Gabriel la ramassa et elle prit la forme d'une grande hache dans ses mains. Il remarqua qu'elle était légère et fait d'un matériel très résistant. Il s'éloigna un peu du groupe afin de la manipuler. Il tournoya la hache autour de son corps et instinctivement, la lança au loin. L'arme disparut par magie et réapparut dans ses mains. Il esquissa un sourire.
— C'est parfait ! lança-t-il.
— Content que ça te plaise, déclara Giotto.
— C'est comme si nous avions toujours été faits pour être ensemble !
— C'est aussi l'impression que j'ai... Étrange, non ?
Luna se prit le menton, pendant qu'elle examinait le nouveau duo.
— Mmm... voilà qui est intéressant... dit-elle.
— Quoi donc ? interrogea Shayne.
— Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai le sentiment que Randell a créé Gabriel avec la ferme intention d'en faire un hôte pour Giotto. D'après moi, il voulait en faire un esclave pour servir la cause de Perséphone.
— Ton hypothèse tient la route, remarqua Dia. Cependant, comment aurait-il pu corrompre Giotto, si Gabriel était déjà occupé par une autre âme ?
Luna haussa les épaules.
— D'après moi, il connaissait déjà le processus de réincarnation des esprits élémentaires, répondit Shayne. Il y a tant de choses que nous ignorons de Randell Tabris et de ses recherches... Je crois qu'on ne saura jamais la raison qui l'a poussé à se cloner. C'est peine perdue. Au moins, nous savons désormais que Gabriel est compatible à ce dragon.
Pendant ce temps, la hache du colosse reprit sa forme précédente. La grande créature ailée se pencha alors et laissa Gabriel grimper sur son dos. Ils s'échangèrent un regard rapide avant que la bête battit des ailes à quelques reprises. Ensuite, le reptile s'éleva dans les airs, sous les regards ébahis des brigadiers.
— Je n'y crois pas ! s'exclama Luna. Il l'a monté !?
— YOUUUUUPIIII ! cria Gabriel, qui montait très haut dans le ciel.
— Mais je rêve ! On dirait un gamin !
— Bah, laisse-le vivre son heure de gloire, soupira Shayne. Il n'a jamais eu la chance de monter un cheval de toute sa vie, donc j'imagine qu'il en profite...
— Ouf, je plains ce dragon...
— Ouiiiihouuuu ! lança le colosse, tandis que le dragon passa au-dessus de leurs têtes. C'est magniiiiiifiquuuuuuueuh !
— Et maintenant, je suis jalouse... bouda Luna, qui se croisa les bras.
¤*¤*¤
Au bout d'une demi-heure, Gabriel et Giotto revinrent de leur promenade aérienne. Le dragon se posa près du campement et laissa le golem descendre de son dos avant de reprendre son apparence d'arme, entre ses mains.
— Alors, ça t'a plu ? demanda le dragon.
— Et comment ! Jamais je n'aurais cru aimer monter autre chose que mon mari.
— Euh... sans commentaire.
— Eh, tu t'habitueras vite à nos blagues douteuses.
— J'imagine...
— En tout cas, notre niveau de synchronisation a l'air d'être parfait. C'était une bonne idée de me proposer cette promenade dans les airs.
— Content que tu aies aimé l'expérience.
Gabriel observa aussitôt sa hache et formula :
— Tu n'as pas trop souffert à cause de mon poids, n'est-ce pas ?
— Je n'ai rien senti pour être honnête... Nous, les dragons argentés, nous sommes très résistants et pouvons soulever jusqu'à cinq cents kilos, vers l'âge adulte.
— Ouf... Je suis quand même assez lourd...
— Ne t'en fais pas, ça m'a fait plaisir de te promener. Tu pourras désormais voyager sur mon dos autant de fois qu'il te plaira. La seule chose que je te demande, c'est de veiller sur moi et de me protéger contre les gens qui me voudraient du mal.
— Je sais. Je connais le devoir d'un porteur.
— En même temps... tu es une partie de mon être, donc c'est tout à fait naturel.
— Mm... minute, quand tu dis ça, est-ce que ça signifie que tu es ma mère ? Parce que mon père était Randell... Alors...
— Je ne suis pas une femme, si c'est ce que tu insinues, mais oui... J'ai joué un rôle à ta conception, puisque mon sang coule dans tes veines. Je suis donc en quelque sorte l'autre moitié de ce qui te rend unique...
— Hé hé... Maman Giotto, plaisanta Gabriel. Enchanté de faire ta connaissance.
Il fit un bisou du côté non tranchant de la lame de sa hache.
— Arf... ! grogna le dragon. Appelle-moi simplement par mon prénom... ou Gio... Peu importe, mais ne m'appelle pas Maman...
— C'était pour rire. Mais en même temps, ça me fait tellement de bien de savoir que j'ai un parent qui veille sur moi...
Il avait un peu de tristesse dans sa voix, ce qui fit de la peine à la créature qu'il tenait entre ses mains. Il posa donc sa nouvelle hache derrière son dos. Soudain, il eut une réflexion.
— Minute Giotto... si tu es une partie de moi et que tu es lié à Flint par la même créatrice... est-ce que ça fait de nous rend coupables d'inceste ? demanda-t-il, inquiet.
— Flint et moi, nous ne sommes pas liés par le même sang, si c'est ce que tu veux savoir. Bien que la plupart de mes frères et sœurs la considèrent comme notre mère, Athéna nous a créé avec son ADN et sa magie. Je ne crois pas que vous soyez coupables de quoi que ce soit. Après tout, mon code génétique a connu plusieurs générations différentes. Si ça se trouve, mon corps précédent n'avait plus aucun gène en commun avec ton mari.
— De toute façon, ce serait bizarre de retrouver tes gènes dans son corps.
Tous deux décidèrent qu'ils remettraient cette conversation à plus tard, alors Gabriel se dirigea vers le feu de camp, où les autres préparaient le dîner. Flint était toujours couché dans sa tente.
— Tiens, tiens, remarqua Luna. Remarquez qui revient. On s'est bien amusé ?
Elle faisait son impertinente envers Gabriel. Il l'ignora et assista Shayne et Cassandra dans la préparation du potage. Dia n'était pas avec eux. Gabriel se dit qu'elle devait être partie chasser ou bien qu'elle dormait aux côtés de Flint. Luna remarqua qu'il n'allait pas lui répondre, alors elle se croisa les bras.
— Quels sont les plans, maintenant que je suis de retour ? demanda le colosse au vampire.
— Puisque nous ne savons pas comment faire revenir Estelle, les jumeaux et Wyatt, nous allons devoir nous rendre à Alba et nous assurer que Flint se sente mieux avant de procéder à notre mission. Nous tâcherons de traquer d'autres brèches sur la route.
— L'objectif est d'attendre que Flint soit guéri avant de lui demander de nous prêter main forte, expliqua Cassandra. Grâce à son pouvoir angélique, nous allons peut-être pouvoir garder la brèche active plus longtemps et permettre à l'un d'entre nous à traverser de l'autre côté. Quand ça arrivera, nous pourrons les sauver.
— Croyez-vous que ce soit vraiment une bonne idée ? demanda Gabriel. Gio et Dia n'ont jamais été capables d'ouvrir un portail et de le traverser...
Le dragon réfléchit.
— Il est vrai que le fait que Flint soit un ange pourrait changer les choses... commenta ce dernier. Il ne faut pas le sous-estimer. Tes amis ont raison. Attendons qu'il soit rétabli avant de traquer une nouvelle brèche. D'après mes souvenirs, les jumeaux se battaient bien, il y a quatre ans. Je pense qu'ils s'en sortiront.
— C'est quand même une dimension remplie de démons, remarqua Gabriel. Estelle n'a pas notre expérience de combat et je ne pense pas qu'elle puisse survivre longtemps si elle n'est pas en bonne compagnie. Par contre, j'ai confiance en Wyatt. Il saura les soigner, si jamais ils devaient être blessés.
Luna ronchonna lorsqu'il mentionna le prénom de son meilleur ami.
— Il a intérêt de ne pas mourir, celui-là... marmonna-t-elle pour elle-même.
Elle était recroquevillée sur une bûche de bois renversée et taillait un trou dans celle-ci avec un couteau qu'elle avait emprunté de Cassandra, un moment avant le retour de Gabriel.
— Est-ce parce que tu ne lui as toujours pas avoué tes sentiments ? demanda Gabriel. Je pensais que vous l'aviez fait...
Le visage de la magicienne devint tout rouge et elle secoua la tête. Sa longue queue de cheval cacha une partie de son visage.
— Il n'y a vraiment pas de quoi avoir honte, Lu', déclara Cassandra qui l'observait depuis sa propre bûche. Le pire qu'il puisse t'arriver, c'est qu'il te dise que ce n'est pas réciproque.
— Mouais... et puis de toute manière, il y a plein de mecs qui rêvent de sortir avec toi, à Baldt, mentionna Misaki qui revenait de sa tente.
Cette dernière s'était changée de vêtements. Elle avait opté pour un style plus léger, avec des couleurs plus sombres. Elle tenait entre ses doigts une cigarette et un briquet qu'elle avait chopé dans les affaires des jumeaux.
— Depuis quand fumes-tu ? demanda Gabriel.
— Je n'ai jamais fumé, dit-elle. J'aimerais seulement savoir pourquoi Kylie a toujours cette merde à la bouche. C'est néfaste, quoi...
Elle activa le briquet et porta la clope au bout de ses lèvres. Elle prit une bouffée et attendit quelques secondes avant de recracher la fumée. Elle se mit à tousser et à pousser quelques jurons avant de jeter le mégot à ses pieds, pour ensuite l'écraser.
— Vous savez quoi ? Elle a intérêt à arrêter ce truc dès son retour, sinon je l'étrangle, avoua-t-elle. Non seulement ça a un goût de chiottes, mais elle va finir avec un cancer aux poumons. Je vais m'assurer de lui confisquer tout ça...
— Tu n'es pas sa mère, tu devrais lui laisser le droit de faire ses propres choix, lui informa Luna. Tu n'aimerais pas qu'on touche à tes affaires, pas vrai ?
Misaki fronça des sourcils, puis fit demi-tour vers les tentes afin d'aller ranger le briquet. Gabriel se demandait pourquoi elle agissait ainsi.
— Vous ne la trouvez pas étrange depuis quelques jours ? demanda-t-il.
— À part ses crises de nerfs et la façon dont elle traite Kylie, je ne sais pas, répliqua Cassandra. Normalement, c'est elle qui me dit tout le temps de lâcher prise. Je crois qu'elle a besoin d'un truc pour se détendre, mais qu'elle ne sait pas comment faire. Ça lui prendrait ses enfants, d'après moi. Elle n'est pas habituée de partir loin d'eux plus d'une journée. Cette nuit, je l'ai entendu marmonner leurs noms dans son sommeil...
Gabriel baissa son visage, pensif.
— Ça ne m'étonne pas, à vrai dire, mentionna Luna. Elle est tellement attachée à Sakura et Yuki qu'elle retournerait sans hésiter à Baldt.
— Donc... si elle est si irritée, c'est pour cacher son ennui ? s'exprima Gabriel. Ç'a du sens. Je crois qu'on devrait lui proposer de leur écrire une lettre.
— Ah, une excellente idée ! répliqua sa hache. Elle pourrait aussi leur envoyer quelques présents. Riordan pense la même chose.
Gabriel secoua la tête.
— Vous me mêlez un peu, vous deux... mentionna-t-il.
— Pardon, répondit l'arme. C'est comme je l'ai dit plus tôt, nous sommes encore en période d'adaptation. Nous devions passer par cette étape, il y a trois ans, mais l'autre dimension nous a enlevé et effacé nos souvenirs...
— Je sais... c'est seulement bizarre, c'est tout.
Luna décida de participer à cette conversation.
— Sinon, qu'est-ce qui t'empêche d'expulser Riordan de votre corps ? demanda-t-elle. Ne serait-ce pas plus simple ?
Le dragon poussa un cri d'effrois.
— Je ne ferais jamais cela à mon petit-fils, voyons ! déclara Giotto.
— Pardon, répliqua Luna. Au moins, on sait que tu n'es pas méchant... C'était gentil de sa part de t'offrir un espace dans sa tête.
— Notre tête, corrigea la hache. De toute manière, nous allons bientôt former qu'une seule entité. Nous choisirons peut-être un nouveau prénom, s'il le faut.
— Ne serait-ce pas plus simple de vous appeler Gio et Rio pour le moment ? continua la magicienne.
— Si ça peut vous faciliter la vie ; faites comme vous le voulez...
Gabriel jeta un coup d'œil vers son arme et dit :
— Pour être franc avec toi, je préférerais que tu gardes Giotto comme prénom. Je trouve que ç'a du style. Au pire, renomme ton petit-fils comme toi et surnomme-le Junior...
Il eut un petit sourire en coin, ce que ses amis trouvaient marrant. Ils n'avaient pas l'habitude de le voir d'aussi bonne humeur.
— Giotto Junior était mon fils... soupira le dragon. Malheureusement, il est mort, il y a trois cents ans de cela. L'œuf de Riordan a éclos plusieurs mois après qu'il nous a quittés.
— Oh... je ne savais pas, fit le colosse. Je vous demande pardon à toi et ton petit-fils.
— Pas grave, répondit la hache, avec une tonalité différente. Ce n'est pas comme si j'avais connu mon vieux... Ma mère m'a élevé seule.
Les autres brigadiers comprirent que c'était l'autre personnalité du dragon qui s'adressait à lui. L'âme la plus vieille parlait d'une façon plus sage, alors que la plus jeune agissait comme un adolescent. Quiconque ne faisait pas partie de la Septième Brigade aurait beaucoup de difficulté à comprendre cette conversation.
— Ah, je commence à voir la différence entre vous deux, commenta Gabriel.
— Papy est trop zeeeeeen, avoua Riordan. J'ai adoré voler avec toi, plus tôt. C'était cool, mec ! Il faudra qu'on recommence, un de ces quatre.
— Avec plaisir, Rio.
Shayne commença à servir les bols du potage, alors que Gabriel discutait avec ses nouveaux partenaires de combat. Il trouvait cette situation étrange, mais commençait à s'habituer à la présence du vieux dragon et de son petit-fils. Il se demandait s'il n'avait pas un jour croisé le fils de Giotto. Il n'était qu'un mercenaire débutant à cette époque. Il y avait de fortes chances qu'il l'ait croisé durant l'un de ses voyages. Cependant, plus le temps avançait et plus celui-ci oubliait des choses.
— En tout cas, dit Luna qui ramassa le plat que lui tendit le général, j'aimerais bien avoir la chance d'avoir mon propre esprit élémentaire...
— On fait sa jalouse ? taquina Gabriel avant de lui faire un clin d'œil.
— Même pas en rêves, mentit-elle.
Il retira sa grosse hache et la passa devant lui avant de la serrer dans ses bras. Il planta son nez dans le côté non tranchant de son arme.
— Il est à qui mon beau dragon ? dit-il, tout content. Flint a sa louve et moi, j'ai le reptile le plus balèze de toute la planète !
Si l'arme du colosse avait eu des joues en cet instant, tous auraient pu voir Giotto rougir timidement, face au compliment de son porteur.
— Ce n'est pas une compétition, hein ? soupira Cassandra. Mais je suis heureuse pour toi que tu te sois fait un nouvel ami. C'est une excellente surprise.
— Deux nouveaux amis, corrigea Gabriel, qui pouffa de rire.
Cassandra se frotta le front, embarrassée. Apprendre à connaître le dragon et son hôte allait être un défi de taille pour elle et le reste du groupe. Pour le moment, ils devaient se concentrer à déguster ce repas et emmener Flint en sûreté. Ils s'inquiéteraient de tous ces changements, en temps et lieux.
— Il était délicieux, ce potage, dit Luna qui avait déjà terminé son bol. Je vais voir comment Flint se sent...
Elle se leva ensuite et déposa son bol vide près de la marmite. Un moment plus tard, elle se retrouva devant la tente de son capitaine et vit qu'elle était entrouverte.
— Flint ? demanda celle-ci. T'es là ?
Il ne répondit pas. Au lieu de cela, Dia sortit rejoindre la magicienne.
— Il dort, dit simplement l'animal. Son état semble empirer, il bouge à peine sous les couvertures... Je pense qu'on devrait faire venir Cassandra.
— Ah ouais ? Ce n'est pas normal si sa santé dégringole aussi rapidement...
— As-tu pensé qu'il pourrait aussi boire une bouteille de mana liquide ? proposa Dia. Il a épuisé son énergie magique, hier. Je me demande si elle est revenue...
Luna se dit que Dia avait raison là-dessus. Si on ne dormait pas bien, quelqu'un qui avait épuisé son seuil de mana corporel ne récupérerait pas facilement son énergie magique. C'était pour cette raison que tous les mages avaient souvent besoin de nuits réparatrices. D'après une vieille rumeur qui circulait à Baldt, la recette de potion magique qu'utilisait les membres de son groupe, avait le même effet qu'un triple expresso. Les non-pratiquants de la sorcellerie n'en avaient pas besoin.
— Ça tombe bien, dit Luna. Nous en avons préparé hier.
Elle fouilla dans son petit sac à main et sortit une fiole remplie d'un liquide bleuté. Elle le remit alors dans la gueule de la louve.
— Donne-lui ça lorsqu'il se réveillera, continua-t-elle. Je vais avertir Cassandra qu'il a besoin de médicaments plus puissants.
Dia hocha la tête, tout en maintenant la fiole dans sa gueule. Elle rentra dans la tente et déposa l'objet près de son porteur. Alors que Luna s'éloignait, l'esprit de la lumière s'assit près de Flint et l'observa en silence.
— Tiens bon, pensa-t-elle. Tu t'en remettras, j'en suis certaine...
La pauvre louve était loin de se douter que Flint ne se réveillerait pas de sitôt.
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