64. Convalescence et complaisance

Au milieu de la nuit, la côte de Flint réveilla celui-ci. Il s'était massé un peu, non sans gémir de douleur. Le sort de soin que lui avait appliqué Dia avait réparé sa fracture de son mieux, mais il reconnaissait que même la magie la plus avancée ne pourrait tout régler. Il alluma la lampe de chevet de son lit et pencha le regard vers sa blessure. Il remarqua que sa peau avait développé un gros hématome qui partait de sa poitrine et se rendait à sa taille. Il tenta de se relever, mais poussa un petit cri de douleur. Il se mordit la main, afin de ne pas réveiller tout le reste de l'étage.

À côté de lui, son mari sursauta et se leva en vitesse. La louve qui dormait à leurs pieds, leva sa tête et se tourna vers son porteur. Lorsque Gabriel remarqua la peau colorée du blond, il grimaça de douleur pour lui.

— Chéri, il vaudrait mieux que tu ne bouges pas trop pour quelques jours, dit-il. As-tu besoin de la glace ? Je peux aller t'en chercher...

— Non, ça ira, mentit Flint qui ne voulait pas inquiéter son époux. Aïe...

Dia s'assit aux pieds du couple et pencha la tête d'un côté.

— Mince alors... dit-elle. Je croyais que mon sort de guérison allait fonctionner...

— Il a fonctionné, expliqua Flint. Seulement, j'ai levé des objets lourds par après et cela a affecté ma blessure... J'aurais dû... me ménager...

— Laisse-moi au moins soulager la douleur.

Il n'avait pas eu le temps de répondre que Dia lui lançait déjà un nouveau sort de guérison. Tranquillement, sa souffrance diminua. Il se rallongea à côté de Gabriel et lâcha un long soupir. Il n'avait guère envie de rester cloué au lit pour les prochains jours, mais se dit que ce serait mieux que de se fracturer encore une fois la côte. Lorsque tout le monde se réveillerait, il avait l'intention de demander à Cassandra de lui mettre un bandage autour du corps afin de solidifier ses côtes. Ils n'avaient pas les moyens de faire un plâtre, alors ils devraient improviser avec ce qu'ils avaient à bord du bateau. Peut-être que les gens de Cao Cao pourraient les aider ?

— J'aurais dû t'empêcher d'utiliser tes pouvoirs, ajouta la louve. C'était idiot de ma part de te suggérer tout ça...

— Mais non, Dia... De toute manière, ils avaient besoin de mon aide. Ces démons allaient éclater nos champs de force...

— Oui, mais là c'est ta côte qui en souffre par ma faute...

Dia pleurnicha, alors qu'elle enfuyait son mufle dans la main droite de Flint. Il secoua la tête et lui caressa la nuque.

— De toute façon, le Capitaine Rodriguez n'a pas l'air de vouloir quitter l'île avant que les choses se soient améliorées pour les citoyens, dit-il. Nous allons sûrement passer quelques jours ici et repartir pour Lanartis. Ça me donnera suffisamment de temps pour soigner cette vilaine blessure. Ne t'en fais pas pour moi...

— Tu sais ce que ça veut dire, par contre, mentionna Gabriel. Fini le sexe pour quelque temps. Pas tant que tu auras la permission d'un expert de la santé.

Flint ricana nerveusement après avoir posé son regard sur celui de son mari. Ce dernier ne plaisantait pas. Même qu'il fronçait des sourcils, l'air de le gronder.

— Pas besoin de rire comme ça, grogna Gabriel. Ta santé passe avant tout.

— Je sais... dit Flint. Pardon.

— Très bien, rallonge-toi, ma puce. Tu as besoin de sommeil.

Flint rougit et obéit à son mari. Il se laissa alors glisser sous ses couvertures et remit sa tête sur son oreiller. La louve lui lécha la main et retourna se coucher aux pieds des deux tourtereaux.

Quant à Gabriel, il caressait la tête de Dia. Il avait commencé à le faire, le jour où elle était devenue la partenaire de Flint. Ils la traitaient un peu comme leur animal de compagnie. Son retour avait, comme qui dirait, réveillé de vieilles habitudes en eux. Elle appréciait d'être gâtée.

L'estomac de Gabriel commença toutefois à gargouiller, ce qui le gêna.

— T'as encore faim, chéri ? demanda son partenaire.

— Je n'ai pas beaucoup mangé pour souper, hier. Tout ce stress à cause du village... ça m'a coupé l'appétit.

— Tu peux toujours bouffer Dia.

Flint plaisantait, mais la louve tourna son visage vers lui, boudeuse. Elle retourna ensuite son menton dans les mains de Gabriel.

— Allons, qui voudrait manger un si beau toutou ? mentionna Gabriel qui chatouillait la nuque de Dia. Elle est toute mignonne.

La longue queue touffue de l'animal secoua dans tous les sens. Elle avait le comportement typique d'un chien domestique.

— Lui au moins, il sait comment parler aux dames, s'exprima Dia. Oh, gratte-moi plus bas, s'il te plaît...

Gabriel lui gratta le torse et elle se mit à taper de la patte inférieure gauche, sur le lit. Un réflexe qu'elle avait développé quand elle était dans les vapes. Il se pencha alors vers elle pour lui donner une bise sur le front.

— Heureux de te retrouver parmi nous, ma belle, dit-il. On devrait célébrer ça, demain. Si jamais j'ai le temps, je te cuisinerai un bon steak juteux.

— Oh, Gabou, t'es un amour ! couina la louve.

— De rien, ma chérie en sucre...

Flint se recouvrit le visage des mains, embarrassé.

— Vous allez me rendre malade, avertit ce dernier.

Il enfouit son visage sous sa couverture et essaya de se rendormir.

Gabriel fit une dernière bise à Dia avant de se lever du lit. Il était à moitié nu, et ne portait que des sous-vêtements. La louve remarqua qu'il avait un peu changé en quatre ans. Son ventre et sa poitrine étaient un peu plus ronds, mais il était beaucoup plus musclé aux bras et aux jambes. Il assumait parfaitement ses nouvelles rondeurs et cela ne semblait pas déranger le reste de son groupe.

Dia avait aussi constaté que Flint était beaucoup plus musclé qu'avant. Tous deux avaient évolué, chacun à leur façon.

Tout ça lui faisait réaliser à quel point les choses avaient changé. Pour elle, seulement un mois s'était écoulé. Elle avait l'impression qu'un détail important lui avait été arraché de ses souvenirs. Cela l'embêtait.

— On a disparu longtemps, pas vrai ? dit-elle inquiète.

— Quatre ans, quand même... C'est beaucoup, répliqua Gabriel.

— Tout le monde a changé, à part moi...

— Mais non, même pas vrai.

Elle secoua la tête et s'assit sur le lit.

— Estelle est désormais adolescente et travaille pour vous, commenta-t-elle. Shayne a une barbichette, Flint est aussi musclé que Nash l'était avant de mourir, et toi... Disons que... Bref... Tu vois où je veux en venir. J'ai l'impression qu'on m'a joué un très mauvais tour et je ne comprends plus rien...

Gabriel baissa son regard vers son ventre massif et le caressa des deux mains.

— Mouais, j'étais plus mince que ça, la dernière fois que tu m'as vu, avoua-t-il. Mais ça ne change pas que nous sommes toujours les mêmes personnes.

— Tu m'as l'air de t'être complètement épanoui, en tout cas.

— Tu trouves ? Je suis toujours aussi timide d'enlever mes vêtements en public... mais je ne te cacherais pas que j'ai toujours apprécié mes formes.

— Je ne parlais pas de ça, mais du fait que tu t'adresses à tout le monde avec un sourire aux lèvres. Avant, c'était à peine si tu pouvais entretenir une conversation avec des inconnus.

— Oh...

Il rougit et hocha la tête.

— Je crois qu'à force de fréquenter Shayne et les autres, j'ai fini par développer une meilleure estime de moi-même, répliqua-t-il.

— Et Flint est devenu aussi responsable et respectable que son oncle, ajouta Dia. Ça m'étonne quand même... J'ai l'impression d'être tombée dans une réalité différente de celle que j'ai quittée.

Flint écoutait la conversation en silence. Il n'avait pas éteint sa lampe de chevet parce qu'il n'avait pas sommeil. Cependant, ce qu'elle disait lui faisait réfléchir au parcours qu'ils avaient emprunté pour changer autant.

Il était vrai qu'ils faisaient tous deux beaucoup plus de musculature qu'avant, mais Flint était toujours déstabilisé lorsqu'on le comparait à son oncle.

— Allons, qu'est-ce que tu racontes, Dia ? demanda-t-il. Je n'ai pas tellement changé. Il est juste que je suis un peu plus mature qu'avant, mais je suis toujours le même casse-pied que les conseillers ne peuvent pas supporter.

— Et pourtant, tu as désormais la brigade dont tu as toujours rêvé, déclara son mari. Ça t'aura pris du temps à t'adapter, mais tu t'es très bien débrouillé depuis ce jour. Même Shayne a reconnu que tu as beaucoup mûri.

— Peut-être, mais la plupart des gens qui travaillent pour mon père me détestent.

Flint s'esclaffa.

— Il faut dire que tu étais vraiment un cas spécial, il y a quelques années... ajouta Gabriel. Heureusement pour nous, tu as appris de tes erreurs...

Flint grimaça. Il conservait malgré tout un côté enfantin qui resurgissait seulement lorsqu'il était entouré de ses meilleurs amis. Il faisait à présent de son mieux pour éviter de se retrouver au centre des nombreuses controverses qui entouraient sa famille.

— Par contre, Kylie et Scottie me rappellent un peu qui nous étions, à l'époque, continua Gabriel. Je crois que nous ferions mieux de garder un œil sur eux. Conrad est venu me voir, le jour où on a appris qu'ils feraient partie de notre équipe. Il était inquiet pour nous, car il savait qu'ils sortent de l'ordinaire.

— Moi, je les aime bien, dit Flint. La jumelle me fait rire et son frère est adorable, bien qu'un peu timide. Je crois qu'ils ont beaucoup de potentiel, tout comme notre fille. Shayne compte les entraîner un peu plus, quand il ne sera pas trop occupé. Je l'aiderai, si je peux.

— Ils n'ont pas l'air déstabilisés par ma présence, au moins ça, indiqua Dia.

— Mais qui le serait ? réagit Gabriel. Hein, ma belle ?

Il lui prit cette fois les joues et lui fit un bisou sur le nez. Elle lui lécha le visage et retrouva son comportement de chien. Il la prit alors dans ses bras, la versa sur le dos et lui fit une caresse sur le ventre. Dia était aux anges, tandis qu'elle se faisait traiter comme une petite princesse. Elle adorait plus que tout se fait gâter ainsi.

— Tu m'as manqué toi, dit-elle, heureuse.

— Hé hé, je t'adore aussi, fit Gabriel.

Un peu jaloux, Flint bouda et secoua la tête. Il voulait se lever lui aussi pour aller jouer avec la louve, mais sa côte lui faisait trop mal pour faire quoi que ce soit. Il décida de fermer la lampe de chevet et ferma les yeux.

— Je vais essayer de dormir un peu, si ça ne vous dérange pas.

— Parfait, dit Gabriel. Je vais aller me préparer un truc à manger et je reviens.

Il baissa son regard vers la louve qui se trouvait toujours dans ses bras.

— Tu peux venir si tu veux. Si un marin te voit, on dira juste que tu étais une chienne errante qu'on a trouvée près du village. Ils n'y verront que du feu.

— Parfait ! fit Dia. Je sais très bien jouer le rôle d'un husky blanc !

— Tu sais japper au moins ?

— Euh... ouaf ?

Flint se tapa le front.

Ah ce qu'ils peuvent être cons, ces deux-là... pensa-t-il.

¤*¤*¤

Trois jours après la fermeture de la brèche, soit le 30 mars 3918 AD, le bateau du Capitaine Rodriguez n'avait toujours pas quitté l'île. La reconstruction du village de Cao Cao était plus importante que la livraison de leurs marchandises. Quant aux membres de la Septième Brigade, ils s'étaient dits que Troyd devrait attendre. Il y avait eu d'autres démons qui avaient rôdé dans les parages et ils s'étaient portés volontaires pour les traquer et les tuer durant les jours qui avaient suivi.

Ce jour-là, d'autres bateaux étaient arrivés vers la fin de l'après-midi. Il s'agissait des représentants de la république qui venaient assister les ouvriers. Avec eux se trouvaient quelques guerriers et mages que le Président Artael avait envoyé afin de travailler pour les villageois. Même si l'île était indépendante, il leur fallait un moyen de se défendre. Pour cette raison, on leur avait offert des postes permanents ici, comme patrouilleurs.

Tout ça faisait l'affaire de Rodriguez qui comptait repartir pour Lanartis, d'ici à la fin de la journée. Il demanda donc à son équipage, ainsi qu'aux membres de la Septième Brigade de se préparer. Beaucoup de temps s'était écoulé. La plupart de leurs clients ne seraient pas contents d'apprendre la raison pour laquelle ils étaient si en retard.

Flint se sentait un peu mieux, mais ne se promenait pas tellement en dehors du bateau. Sa côte lui faisait moins mal. Finalement, il n'avait pas eu besoin de rouleau, ni de plâtre autour de sa blessure. Il s'était contenté d'avaler plein de comprimés pour lutter contre le mal. Ces derniers avaient été préparés au soin de Cassandra qui s'y connaissait dans l'art des médicaments naturels.

Dia se promenait désormais aux côtés de Flint ou bien de Gabriel. L'équipage du bateau avait d'abord été sous le choc, mais la louve se comportait tant comme un véritable chien qu'ils avaient fini par accepter sa présence. Gabriel allait même jusqu'à se vanter à tout le monde que c'était son nouvel animal de compagnie. Les autres membres de son groupe jouaient tous le jeu.

— Ah, enfin ! s'exclama Kylie, alors qu'elle était penchée au bord d'une rambarde. On va pouvoir partir de cette île !

— Ouais, même si le décor va me manquer, dit Estelle qui se trouvait entre elle et Scottie. C'est quand même dommage que ces villageois aient tout perdu...

— On reviendra dans quelques mois, dit Scottie. La propriétaire des nouveaux bains chauds publics nous a promis à tous des places gratuites. J'ai hâte de les essayer...

— Dis plutôt que tu espères mater le cul de Shayne, hein ? plaisanta sa sœur.

Son frère la toisa d'un air sévère. Estelle rigola. Elle commençait à s'habituer à la dynamique qu'apportaient les jumeaux au groupe, ainsi que leur vulgarité. Tous trois étaient devenus inséparables et partaient souvent en promenades ensemble.

Les parents d'Estelle étaient soulagés de voir que leur fille s'était faite de nouveaux amis. Pour cette raison, ils n'avaient plus besoin de s'inquiéter quant aux nouvelles recrues. Le Conseil avait probablement visé juste quand ils les avaient envoyés avec eux. Artael, tout comme son fils Kyran, savaient que Flint et son groupe sauraient les remettre sur le droit chemin et qu'ils pourraient mieux s'y épanouir.

Luna et Wyatt se mêlaient parfois aux conversations du nouveau trio et s'entraînaient avec eux, au moins une fois par jour. Quand ils n'étaient pas avec eux, ils préparaient des potions magiques ou bien assistaient les autres brigadiers dans leurs nombreuses tâches. À part ça, ils vivaient dans leur petit monde.

— C'est vrai qu'il est assez beau, Shayne, avoua Estelle. Par contre, il est déjà pris.

— Arrête... Tu viens de briser mon beau rêve, couina Scottie.

— C'est la vie... Soit, on est en couple comme mes parents, soit on est hétéro ET en couple, comme Shayne. Décidément, tu n'as pas de chance, mon pauvre.

Elle avait une sucette à bouche depuis quelques minutes. C'était sa troisième depuis ce matin-là. Le jumeau commençait à croire qu'elle allait se changer en friandise vivante, à force d'en consommer autant.

— Sinon, à part ta dent sucrée, on sait peu de choses de toi, mentionna Kylie. C'est quoi qui te motive à poursuivre cette carrière ?

Prise au dépourvu, Estelle se gratta la tête.

— Enfin... Je le faisais au départ pour suivre l'exemple de mes parents, mais maintenant je ne sais plus... répondit-elle. Je n'ai pas de bonne réponse à te donner à ce sujet... Je suis juste... là...

Son visage s'assombrit aux dernières paroles. Elle était sur le point de pleurer, lorsque Kylie lui mit une main sur son épaule.

— Si ça peut te rassurer, moi non plus, je ne sais plus trop ce que je fiche dans une brigade. Je le fais surtout parce que j'aime passer du temps avec mon frère sur la route. C'est moins ennuyant que de rester coincé derrière un maudit bureau. Pas vrai ? Tu me verrais en fonctionnaire ? Bah, moi non plus !

Estelle cligna des yeux un moment et essaya d'imaginer la jumelle dans des vêtements plus professionnels, avec un style similaire à celui de Kyran. Elle pouffa de rire et secoua la tête.

— Oh ça non ! répliqua-t-elle. On a déjà mon oncle qui a l'air du cliché numéro un de tous les bureaucrates vivants sur cette planète. Ne suis absolument pas son exemple !

— Bah voilà ! Moi, j'aime la musique et j'aime une bonne baston ! Tu trouveras bien un truc qui te donnera envie de te lever tous les matins, comme mon frère et moi. Faut juste attendre un peu. Laisse la nature faire ses choses, comme dit mon père.

— Je ne m'attendais pas à ce que tu me donnes ce genre de conseil, mais merci.

— Pas de quoi, ma belle ! Si tu veux d'autres conseils, je suis ton homme !

Elle monta ses pouces en l'air avec son plus beau sourire niais.

Estelle éclata de rire, tellement elle ne pouvait plus se contenir. Les jumeaux n'avaient pas cessé d'apporter du bonheur dans sa vie, depuis qu'ils étaient devenus amis. Elle regrettait de ne pas avoir pris la peine de mieux les connaître, avant ses seize ans.

— Cool, dit-elle. Mais n'oublie pas que je ne suis pas aux femmes, donc évite de flirter avec moi et je me tournerais vers toi, en cas de problèmes.

— Pas de problème, poulette.

Elle pointa ses index vers Estelle et claqua de la langue deux fois.

La petite blonde leva les yeux au ciel et secoua la tête. Peut-être que certaines habitudes ne se perdraient pas aussi vite qu'elle ne l'aurait souhaitée. Au moins, elle savait enfin que Kylie ne lui voulait aucun mal.

— T'es folle, soupira Scottie.

— Ouais ! Et vous m'aimez comme ça, dit-elle avant de se pencher sur la rambarde.

— Attention, banane ! Tu vas tomber !

Son frère remarqua qu'elle était sur le point de trébucher, mais il était déjà trop tard pour elle. Sa sœur tomba dans l'eau de la mer et remonta à la surface, quelques secondes plus tard. Elle faisait les cornes de démons avec ses doigts, et afficha son plus grand sourire. La rebelle recracha même de l'eau, sans se soucier du fait qu'elle aurait pu se noyer. Ensuite, elle se laissa flotter sur le dos.

— C'est qui la meilleure ?! hurla-t-elle, dans son délire. C'est moi !

— Un vrai clown, cette fille, s'exprima Estelle, divertie.

— Et ce n'est que le début... répliqua Scottie.

Kylie leur fit signe de plonger à l'eau.

— Allez les gars ! Venez nager avec moi ! L'eau est trop bonne !

— Désolé, Ky', dit son frère. Tu sais qu'il y a des requins qui vivent près de cette île ? On en a vu dans l'eau ce matin, Luna et moi...

— Hein !? Et c'est maintenant que tu me l'annonces !?

Elle contourna le bateau à la nage et s'avança vers la plage. Elle était rapide, mais regardait sans cesse derrière elle afin de s'assurer qu'il n'y avait pas de requin dans l'eau. Estelle ne l'avait jamais vu aussi inquiète.

— Je peux dire adieu à la vie de pirate ! grogna Kylie. Finalement, la mer me fait trop peur ! J'aime mieux la terre ferme !

De leur position, ils l'avaient entendu crier assez fort pour comprendre.

— Encore faudrait-il qu'ils veulent de toi ! lança son frère alors qu'elle s'approchait du bateau. Je crois qu'ils périraient tous d'une crise cardiaque en te voyant !

— Ha, ha, très drôle... !

Quelques marins écoutaient leur conversation, mais préféraient ne pas s'en mêler. Ils avaient compris que cette jeune femme était inoffensive, bien que fêlée.

— C'est bien beau les plaisanteries, mais lorsque vous aurez terminé de jouer, on aura besoin de vous dans la salle à manger, dit alors une voix familière, derrière Estelle et Scottie. Flint doit nous parler.

Tous deux n'avaient pas remarqué que Misaki s'était approchée d'eux. Elle s'était faite discrète, ces derniers jours, et passait beaucoup de temps en solitude. Elle avait eu besoin de décompresser, suite aux événements qui leur avaient permis de retrouver Dia dans la jungle. Cassandra avait tenté, tant bien que mal, de discuter avec cette dernière, la guerrière n'avait pas envie d'en parler.

— Eh ? demanda Estelle. Depuis quand t'es là ?

— Assez longtemps pour avoir vu Kylie plonger.

Elle se gratta le haut du sourcil et souffla des narines. Misaki n'avait pas beaucoup de patience et n'était pas de très bonne humeur. Cette dernière posa ses yeux rouges sur la jeune femme à la queue de cheval, alors qu'elle marchait sur le pont toute trempée.

— Sèche tes vêtements avant de rentrer, ordonna-t-elle. Flint veut nous voir.

— Oui madame... soupira la jumelle.

Estelle déglutit pendant qu'elle observa sa tante d'adoption s'éloigner. Elle jeta le bâton de sa sucette par-dessus bord et se mit les mains dans les poches.

— Elle me fait peur, dernièrement... soupira-t-elle.

— Nous, ça fait des années qu'on l'endure, déclara Scottie. Elle a toujours été stricte envers nous, sous prétexte que nous étions les élèves de son défunt mari.

— Ce n'est pas la Misaki que j'ai connu...

— D'après moi, elle est comme ça, seulement parce qu'on nous a assigné à la Septième Brigade, suggéra Kylie qui tordait son tee-shirt. Elle doit faire preuve d'indulgence avec nous, je crois. Si ce n'était pas du fait que nous étions dans la rébellion, elle nous enverrait promener plus souvent. Elle ne nous a jamais pardonnés pour ce qui est arrivé à Yosuke...

Estelle fronça des sourcils et se tourna vers la jumelle de Scottie.

— Où veux-tu en venir avec ça ? demanda-t-elle.

— Tu te souviens lorsqu'on vous a dit comment il est mort ? ajouta Kylie.

— Mm hmm.

— Bah... Misaki nous en veut parce qu'elle croit que c'est notre faute s'il s'est fait décapiter. Elle nous en veut encore plus que nous n'ayons pas vengé celui-ci.

Estelle sursauta et secoua la tête.

— Mais c'est insensé ! dit-elle. Misaki n'agirait jamais de la sorte avec nous...

— Et pourtant, lorsque nous sommes seuls avec elle... elle n'arrête pas de nous en faire baver, soupira Scottie. Je comprends, elle a beaucoup de peine... Mais quand même...

— Devrait-on en parler à mes parents ?

Les jumeaux secouèrent leurs têtes.

— Pas question, dit Kylie. Nous sommes en probation pour trois autres semaines. Au moindre signe de conflit, le Conseil va nous renvoyer des brigades. Je préfère que nous taisions l'affaire pour le moment.

— Je pense comme ma sœur, commenta Scottie. Ton père a déjà assez de soucis comme ça avec sa côte sensible et notre mission importante...

Estelle comprenait où ils voulaient en venir, mais cela ne l'empêchait pas de trouver cette situation injuste. Misaki avait toujours été pour elle, une tante très douce et très chaleureuse. Même en tant que mère monoparentale, elle l'avait pratiquement accueilli dans sa famille et lui servait d'exemple féminin, lorsqu'elle ne pouvait pas se fier à ses parents adoptifs.

Savoir que ses nouveaux amis étaient en conflit avec une personne si importante dans sa vie, la désorientait. Que pouvait-elle faire pour arranger les choses ?

— Ne t'inquiète pas pour nous, finit par lui dire Scottie. On trouvera bien le moyen de lui parler...

— Mouais, rajouta sa sœur. Rendons-nous plutôt à la salle à manger, puisque les autres nous attendent. Je suis curieuse de savoir ce que le big boss veut nous dire.

— Sûrement quelque chose en rapport avec la mission.

Les vêtements de Kylie ne dégoulinaient plus tellement. Elle fit quelques pas et examina derrière elle pour vérifier si elle laissait encore des traces. Quand elle jugea qu'ils pouvaient entrer, la jeune femme fut la première à pousser la porte de la salle à manger. Estelle et Scottie la suivirent de près.

Tous les membres de la Septième Brigade entouraient Dia qui était assise au sol et s'adressait au groupe. Il n'y avait qu'eux dans la salle. Aucun marin n'était autorisé à assister à cette réunion privée. La louve avait attendu que les trois autres arrivent afin de poursuivre ce qu'elle avait à dire. Elle semblait perturbée.

— En gros, comme je vous l'ai expliqué plus tôt, je commence à me souvenir ce qui s'est passé et pourquoi je me suis retrouvée sur cette île, expliqua-t-elle. Normalement, j'aurais dû retourner à Baldt, après mon retour sur Aeglys, mais...

Estelle fronça des sourcils, alors qu'elle se plaça entre ses deux parents.

— Tu es arrivée ici, compléta Flint.

— C'est ça, répliqua Dia. Seulement, je n'étais pas ici... Mais dans une autre dimension. Je me souviens avoir erré pendant des jours. Tout était sombre et poussiéreux. J'ai ressenti votre présence. C'était comme si j'étais dans un rêve. Je bougeais sans savoir où je me rendais. Je crois... Tout était si étrange autour de moi. J'avais peur et froid. Puis, je me suis retrouvée entourée de démons et j'ai perdu connaissance... Lorsque j'ai ouvert les yeux, j'étais sur cette île et vous attaquiez ces monstres... Je crois que j'étais de l'autre côté de la brèche...

— N'était-ce qu'un mauvais rêve ? demanda Luna. Parce que c'est louche, tout ça.

Dia secoua la tête, avant de reprendre la conversation.

— Il est possible que le temps se déroule différemment dans cette autre dimension, dit-elle. Un mois là-bas aurait l'équivalence de quatre ans... Je ne sais pas... C'est aussi possible que j'aie dormi durant toutes ces années avant de me retrouver là-bas et de ne pas comprendre qui m'est arrivé...

— Un démon a sûrement joué avec tes souvenirs, dit Wyatt.

— Un démon ? Mais non... couina la louve. Si c'était le cas, je le saurais, non ? Enfin... si... Enfin, je ne sais plus... Je suis si confuse.

Elle s'allongea au sol et plaça son museau entre ses pattes.

— Si ça se trouve, tous les autres élémentaires sont coincés là-bas et je suis la seule survivante... ? pleurnicha-t-elle.

— Voilà qui est inquiétant, soupira Shayne. Mais bon, au moins tu commences à te souvenir un peu de certains fragments de ton passé. C'est bon signe. Ce qu'ils t'ont fait là-bas est en train de se dissiper.

— Tu... tu crois ? demanda-t-elle.

— Oui, j'ai déjà eu affaire à des démons capables d'effacer la mémoire de certains de mes anciens clients. Ce sont normalement des espèces très avancées. J'imagine que tu es tombée sur l'un de leurs dirigeants. Un vampire, par exemple, peut affecter la mémoire de ses victimes afin de les manipuler. C'est comme ça que mon maître traitait la plupart des gens.

Tous se tournèrent vers le général qui n'avait pas l'habitude de parler de son passé. C'était la première fois qu'il mentionnait celui qui avait autrefois été responsable de sa malédiction, d'aussi loin qu'ils s'en souviennent.

— Minute, celui qui a transformé ta mère était un seigneur démon, non ? formula Luna. Donc ça veut dire qu'il y a des gens beaucoup plus puissants que lui...

— En effet, répliqua Shayne. Dans l'ordre hiérarchique des démons, il y a la race commune, les Seigneurs qui représentent les sept péchés capitaux et les Suzerains qui sont au-dessus de cette liste. Il y a des démons de toutes les races et de toutes les couleurs. Donc, il est possible qu'ils soient responsables de ce qui s'est passé aux esprits élémentaires. Même un ange déchu aurait pu affecter nos souvenirs.

Les membres du groupe observèrent alors Flint qui n'avait rien dit depuis le début de cette rencontre. Celui-ci haussa des épaules.

— Ne me regardez pas comme ça, dit-il. Je n'y connais rien à ce genre de sortilège. Aussi, je ne suis pas assez puissant pour affecter les souvenirs de la population globale... Si c'était le cas, je ne serais probablement plus avec vous, mais là où vivent Athéna et les autres divinités...

— Bref, nous sommes de retour à la case de départ, se plaignit Dia.

— Pas forcément, expliqua Shayne. Maintenant que tu as commencé à te souvenir de certains détails, nous finirons tôt ou tard par comprendre ce qui s'est exactement passé, quatre ans plus tôt. Pour le moment, je te conseille de te reposer. C'est le mieux que tu puisses faire. Une amnésie n'est jamais amusante.

Elle hocha tristement la tête, puis s'approcha de son porteur. Ce dernier se pencha vers elle et lui caressa la nuque. Ils décidèrent tous de se disperser et de préparer le souper avec Gabriel et le marmiton.

Plus tard dans la journée, le bateau partit enfin de l'île de Cao Cao.

Face aux récentes révélations que leur avait faites Dia, Flint et Shayne eurent une brève conversation avec elle, discrètement. Ils finirent par conclure qu'elle n'était pas en mesure d'en dire plus sur l'autre dimension et la laissèrent tranquille.

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