61. En route pour Archenwald

Le lendemain, Flint se promenait au couloir des dortoirs en pleine forme et heureux de profiter de cette magnifique journée afin de s'en remettre des derniers jours. Il croisa Shayne qui sortait de la chambre qu'il partageait avec Cassandra.

— Bien dormi ? demanda Flint.

— Je ne dors jamais, répondit Shayne.

— Ah oui... j'avais oublié. Et notre amie, comment va-t-elle ?

Une voix féminine répondit à la place du général.

— Je vais bien, merci, répliqua-t-elle.

C'était Cassandra. Flint n'était toujours pas habitué à la voir avec une chevelure aussi courte. Ses oreilles pointues étaient un peu plus petites que celles de Shayne, mais attiraient l'attention de ses collègues de travail depuis la journée précédente.

— J'espère que Gabriel et moi, on ne vous a pas trop dérangés, cette nuit... Nous dormions en face de vous, après tout...

Il pointa la chambre derrière lui ; la porte était grande ouverte.

— On commence à en avoir l'habitude, remarqua Shayne.

Il roula des yeux, alors que Cassandra gloussa.

— Et où se trouve-t-il ? demanda-t-elle.

— Il est parti se laver, mentionna Flint. Ensuite, nous comptons aller manger.

— D'après l'équipage du bateau, nous n'arriverons pas à l'île de Cao Cao avant cet après-midi, exprima Shayne. C'est plus tôt que prévu, mais ça devrait le faire. Nous devrions profiter de cette occasion pour régler le conflit entre Estelle et Kylie.

— Je ne pense pas qu'on devrait intervenir, dit Cassandra derrière lui. J'ai déjà essayé d'adoucir tout ça, hier. Donnons-leur une période d'adaptation. Si rien ne change d'ici à une semaine, nous devrons régler ce problème autrement.

Flint et Shayne hochèrent la tête en même temps. Ensuite, Gabriel sortit d'une pièce, habillé avec des vêtements plus légers que la veille. Flint remarqua qu'il avait utilisé une huile à la vanille dans son bain. Il adorait cet arôme.

— Bon matin à vous ! s'exprima Gabriel aux trois autres. Prêts pour une autre magnifique journée ?

Flint gloussa alors que Shayne et Cassandra s'échangèrent un petit sourire. Ils avaient deviné pourquoi il était de bonne humeur. Après une partie de jambes en l'air, Gabriel était toujours ainsi. Tous deux avaient fini de compter le nombre de fois que le capitaine et son mari avaient baisé, au cours de leurs missions. Ils n'arrêtaient pas de dénier qu'ils le faisaient, mais on les entendait tout le temps.

— Bonne journée à toi aussi, répondit Cassandra.

Flint avait déjà pris son bain, un peu plus tôt. Il décida d'accompagner Gabriel aux cuisines et salua leurs amis, alors que ces derniers restèrent au couloir.

Shayne avait envie de discuter avec Cassandra. Ils prirent une direction opposée à celle du couple et sortirent sur le pont. Il y avait peu de gens réveillés à cette heure du matin. Les brigadiers avaient l'habitude de se lever très tôt, afin d'exécuter leurs tâches à travers la ville de Baldt ou bien d'entreprendre des missions qui recommandaient beaucoup de temps et de patience.

— C'est toujours aussi étrange de quitter notre ville et de s'en tenir à notre horaire habituel, remarqua Cassandra. J'aurais profité de ce congé pour me reposer, mais j'ai bien peur que mon cerveau ne puisse pas être en mesure de coopérer avec moi.

Elle bâilla et s'appuya sur la bordure la plus près pour observer l'eau de la mer. Shayne se plaça à côté d'elle, avant de mettre ses mains dans ses poches.

— Tu devrais aller te chercher un café, proposa-t-il.

— Non, ça ira. Je suis toujours comme ça quand je me réveille...

Elle se tourna toutefois vers lui, inquiète.

— Sinon, as-tu suffisamment de sang en toi pour survivre, quelque temps ? questionna cette dernière.

— Ça ira, dit-il. Si jamais il me venait l'envie de mordre quoi que ce soit, on n'aura qu'à pêcher du poisson. Je pourrais m'abreuver avec quelques-uns d'entre eux, jusqu'à ce qu'on arrive à une île ou sur le continent.

— Du poisson ? J'ignorais que tu pouvais te nourrir avec ça.

— Ça n'a pas le même goût qu'un bon daim, mais je survivrais.

Cassandra n'aimait pas trop l'idée qu'on puisse torturer une créature vivante sous ses yeux. Cependant, à force de travailler aux côtés de Shayne, il lui était arrivé de devoir le nourrir, par moments. Elle avait traqué quelques animaux sauvages comme des lièvres ou bien des perdrix, afin de s'assurer qu'il ne perde pas connaissance. Il lui arrivait rarement d'avoir besoin d'aide. Parfois, un simple oubli était suffisant pour rendre Shayne malade.

— La bonne nouvelle, c'est que je ne produis pas de venin, comme la plupart des vampires, remarqua Shayne. Vous n'aurez qu'à cuire le reste du poisson pour vous.

Cassandra grimaça de dégoûts. Ce n'était pas très hygiénique. Shayne pouffa de rire alors qu'il observait son expression.

— Je plaisantais, bien sûr, ajouta-t-il. Toutefois, si je les tranche aux bons endroits, je n'ai qu'à couler leur jus dans un verre et boire ce que je peux.

— C'est répugnant comme idée.

— Désolé.

— Mais bon, si ça peut t'aider à vivre, pourquoi pas ?

Il haussa des épaules. Elle retourna son attention à l'océan.

— Au moins, toi, tu n'as pas à t'en faire d'attraper le scorbut, continua-t-elle. Je ne t'ai jamais vu attraper la moindre maladie d'un mortel, depuis tout le temps qu'on connaît. Pas même une grippe.

— Ça me fait penser que Flint déteste les fruits et les légumes...

— Je suis certaine que Gabriel s'en occupera.

— D'aussi loin que je m'en souvienne, il ne mange que des pommes.

— Dans ce cas, on a intérêt à s'assurer que personne ne tombe malade durant notre voyage vers Lanartis. Préviens-moi si jamais tu te sens faible. J'essaierai de te trouver du poisson frais.

Shayne secoua la tête négativement, et repris :

— Merci, mais ça ne sera pas nécessaire.

Il leva l'une de ses mains de ses poches et la déplaça au-dessus de la mer. Aussitôt, des vrilles ténébreuses sortirent de ses doigts et se rendirent jusqu'à l'eau. Cassandra haussa un sourcil, elle se demandait ce qu'il faisait, mais quelques secondes plus tard, il tira sur les vrilles et un poisson sortit de l'eau pour atterrir à ses pieds. La pauvre bête bondissait sur le bois. Cassandra recula d'un pas, effrayée par ce qu'elle venait de voir.

— Comme tu peux le voir, je n'ai pas besoin de canne à pêche, expliqua Shayne. Cependant, je sais que tu es végétarienne et que tu n'aimes pas la violence... mais j'ai besoin de me nourrir... Donc...

Son interlocutrice hocha la tête et fit volte-face. Shayne se pencha alors et ramassa le poisson, pour y planter ses crocs. Cassandra se sentit mal à l'aise, tandis qu'elle entendit les succions, derrière elle.

Lorsqu'il eut terminé, il jeta ce qui restait à la mer et essuya la bouche. Ce n'était pas assez pour le nourrir, mais il en pêcherait d'autres au cours de la matinée.

— Ce sort... est-ce que tu t'en sers souvent ? demanda-t-elle.

— Oui, dit-il. Je peux donner la forme que je souhaite à ma magie, afin de m'en servir comme appât.

— Je trouve ça cruel, mais je comprends...

Shayne s'approcha de son amie et lui passa une main par-dessus l'épaule. Elle saisit l'occasion pour se retourner vers lui et se blottit contre son torse. Malgré l'odeur de poisson, elle se sentait bien en sa présence.

Shayne et Cassandra profitaient enfin d'un moment bien mérité pour s'enlacer et se bécoter sur la nuque ou bien la joue. Puisqu'ils étaient seuls, autant en profiter. Ils avaient été très occupés par le travail durant les années qui avaient suivi la restructuration du Conseil. Ils étaient partis en missions ensemble tellement de fois qu'ils avaient fini par développer des sentiments, l'un pour l'autre. Tranquillement, ils avaient commencé à se courtiser et à s'envoyer des mots doux. Ce n'était que dernièrement qu'ils avaient eu le courage de sortir ensemble.

— Crois-tu qu'on devrait leur dire, pour nous ? demanda Cassandra. Nous n'aurions plus à nous cacher...

— Seulement si tu es à l'aise avec ça, répliqua Shayne.

— Flint se doute déjà de notre relation.

Elle gloussa et embrassa le guerrier sur la joue. Elle ne pouvait pas supporter son haleine de poisson, alors elle évita sa bouche.

— Bah, on peut toujours le laisser se poser des questions, quelque temps, tu ne crois pas ? proposa Shayne. C'est amusant de le voir se rincer l'œil...

— Oh, mais quel vilain ! s'exprima Cassandra, sarcastiquement.

Elle lui donna une petite tape sur le torse, du revers de la main.

— Le pire, c'est que tu aimes ça, poursuivit-elle.

Shayne rit et serra Cassandra. Il huma son parfum. Elle sentait la groseille et le lilas. Il avait pris l'habitude d'être un peu plus ouvert, avec elle. À force de fréquenter le reste du groupe, il avait développé son sens de l'humour, mais ne l'exprimait pas tout le temps.

— Que veux-tu que je te dise ? mentionna Shayne. J'ai toujours su qu'il avait bon goût. Il ne sait pas ce qu'il manque...

Il bougea ses biceps rapidement, ce qui fit rougir sa partenaire.

— Pfft ! pouffa-t-elle. Ce que tu peux être idiot, parfois...

Il l'embrassa sur le front.

Ensemble, ils admirèrent le lever du soleil : l'une des raisons pourquoi ils s'étaient levés, ce matin-là. Il n'y avait rien de plus romantique, d'après Cassandra. Elle adorait aussi observer l'astre solaire se coucher. Les reflets de l'étoile flottaient déjà sur l'eau, alors qu'elle regardait les constellations.

— Merci de m'avoir accompagné, dit-elle.

— Avec plaisir, ma douce.

¤*¤*¤

Quand elle avait ouvert les yeux, ce matin-là, Luna n'était pas dans son assiette. Elle ne s'était toujours pas remise de la soirée précédente, avec les remarques des jumeaux, en rapport à sa relation avec Wyatt. Ce dernier dormait toujours sur son lit. Ils avaient partagé cette chambre pour la nuit et il était possible que ce serait ainsi pour les jours à suivre. Il avait enfoncé son visage dans son oreiller et ne semblait pas vouloir se réveiller.

Luna remarqua qu'il avait posé un pot de cornichons sur le petit bureau où ils avaient rangé leurs affaires. Il avait pris l'habitude d'en fabriquer, occasionnellement. Ceux-là avaient une coloration plutôt jaunâtre. Cette habitude lui venait de sa famille adoptive.

— Debout Wyatt, il faut qu'on aille s'entraîner, dit Luna. Estelle nous a fait promettre de l'aider avec son champ de force.

— Pas envie... grogna-t-il.

— Tu te lèves maintenant ou je calcine tes cornichons.

Elle s'était levée et tenait le récipient en vitre dans ses mains. Cela eut l'effet d'un coup de pied dans les fesses du mage qui se leva d'un bond. Il ramassa sa confection rapidement et fit la tronche à sa collègue de travail. Il ne voyait rien sans ses lunettes, alors il loucha des yeux.

— Je déteste quand tu me fais ça ! répliqua-t-il.

Luna se pencha entre leurs sacs à dos qui se trouvaient à leurs pieds et ramassa une petite boîte qui appartenait à son ami. Elle ouvrit celle-ci et passa les lunettes à Wyatt afin qu'il puisse mieux voir. Il n'y avait aucune bougie d'allumée dans la pièce. Il remarqua que Luna avait utilisé un sortilège afin d'illuminer leur chambre. Une simple sphère lumineuse flottait au-dessus de leurs têtes. Il bâilla et posa son pot de cornichon sur son lit.

— T'es encore en pyjamas, remarqua-t-il.

— Ce n'est pas un problème pour moi, expliqua son interlocutrice.

Elle virevolta et dans une bourrasque magique, ses vêtements furent changés en un éclair. Elle portait maintenant quelque chose de similaire à la veille, maquillage compris. Wyatt était bouche bée.

— Il faudra que tu m'apprennes cette incantation de rapidité, l'un de ces jours... suggéra-t-il. C'est pratique ce truc...

La porte de leur dortoir se referma, sitôt avait-il dit cette phrase. Il conclut qu'elle était sortie pour aller se changer dans les toilettes et qu'elle était revenue aussi rapidement qu'elle avait quitté la pièce.

— Ce n'est pas un sort que l'on peut utiliser souvent, de toute façon, soupira-t-elle. Il demande beaucoup d'énergie et ne peut être utilisé qu'une fois par jour. Je connais d'autres sortilèges qui pourraient te faciliter la vie, mais tu es trop paresseux pour m'écouter.

Il fronça des sourcils. Comme toujours, elle lui reprochait le fait d'être renfermé et distrait par ses autres passe-temps, plutôt que de prendre l'art de la magie plus au sérieux. Il n'aimait guère le ton qu'elle employait. Elle avait beau être sa collègue de travail, elle se conduisait toujours comme si elle était sa supérieure et sa mentor en magie ; alors qu'ils étudiaient tous deux sous la supervision du Président Artael et de son fils Kyran.

— Toujours aussi acerbe, répliqua Wyatt, nonchalamment.

— Bah écoute, si tu n'aimes pas ma façon de te critiquer, tu n'as qu'à t'améliorer en tant que mage. Tu représentes la république de Baldt, après tout, et tu as promis à Artael de prendre soin de sa petite-fille, avec moi. Elle a un potentiel énorme à devenir une très grande magicienne, donc tu as intérêt à ne pas chômer.

Frustré, Wyatt s'installa sur son lit et observa sa partenaire sortir de la pièce. Encore une fois, depuis la semaine dernière, elle venait de lui faire la morale. Il ne savait pas où elle partait, mais ouvrit son pot de cornichons afin d'en sortir un long.

Luna passa sa tête à travers l'ouverture et toisa le mage. Elle secoua la tête et d'un claquement de doigts, fit disparaître tout ce qu'il tenait dans ses mains. Le récipient était retourné à sa position initiale, avec la portion manquante.

— À la douche, maintenant ! ordonna-t-elle, avant de froncer des sourcils.

Elle ressortit à la hâte et il entendit des bruits de pas s'éloigner dans le couloir des dortoirs. Il se laissa tomber sur le lit, et étendit ses bras de chaque côté.

— Pourquoi le destin a-t-il voulu que cette vipère rentre dans ma vie ? se plaignit-il. J'en ai assez de me faire parler ainsi... Je songe sérieusement à abandonner ce métier et repartir pour Xu Fahn, afin d'y poursuivre mon ancienne carrière d'archiviste. Là-bas au moins, on me respectait.

Le visage de sa rivale apparut alors dans son esprit, l'air de lui dire qu'il était en train de perdre son temps. Il chassa cette image et se leva d'un bond.

Après avoir trouvé des vêtements de rechange et une longue serviette, il se dirigea ensuite aux toilettes pour hommes, d'où sortait Gabriel et entra se laver en vitesse. Il sortit, cinq minutes plus tard, propre et habillé avec des vêtements plus appropriés. Enfin, il entra dans sa chambre où il rangea quelques affaires qui traînaient et fit son lit. Un instant plus tard, il se dirigea sur le pont.

— Ce n'est pas la peine de déjeuner maintenant, se dit-il. Estelle nous a demandé d'être là au lever. On mangera après. J'espère que la bouffe ne sera pas aussi mauvaise qu'au souper d'hier... Même Gabriel n'avait pas l'air impressionné...

Il finit par rejoindre Luna sur le pont. Il y avait plusieurs marins, Shayne et Cassandra, mais aucune trace d'Estelle. Les deux elfes discutaient avec la magicienne, alors il décida d'aller les rejoindre.

— Bon matin, dit-il aux deux autres. Bien dormi ?

— Je ne dors jamais, répéta Shayne, pour la énième fois.

Il fronça des sourcils et se prit le visage.

— Moi par contre ? Comme un ange, répliqua Cassandra. J'ai cru comprendre que vous attendiez Estelle ? Elle n'est pas sortie.

— Bah, mince alors... soupira Luna. Elle est dans la même chambre que Misaki, non ? Je crois que je vais aller vérifier...

— Je te le déconseille, mentionna Shayne. Tu sais comment elle est lorsqu'on essaie de la réveiller... Même Flint et Gabriel en ont peur...

Luna déglutit quand elle se souvint de la dernière fois où Flint avait tenté de réveiller Estelle, alors qu'ils campaient. Elle lui avait planté son poing dans la figure et celui-ci s'était récolté un œil au beurre noir. La pauvre ne s'était souvenue de rien, lorsqu'elle avait ouvert les yeux. À quelques reprises, des incidents similaires s'étaient produits avec les autres membres de la brigade. Cependant, Luna et Wyatt n'avaient pas encore été ses victimes.

— Finalement, je crois qu'on ferait mieux d'attendre... prononça Wyatt.

Luna hocha la tête et retourna son attention vers Shayne et Cassandra. Le soleil était levé depuis maintenant quelques minutes. Il faisait un peu plus chaud que la veille, durant la même heure où ils avaient tous commencé à se réveiller pour assister à la réunion de groupe. Luna regrettait un peu sa chambre à Baldt, où le matelas de son lit était bien plus confortable que celui sur lequel elle avait dormi, la nuit dernière.

— Sinon... vous faisiez quoi sur le pont, avant tout le monde ? demanda-t-elle aux deux elfes. Vous discutiez de notre mission, pas vrai ?

Elle n'avait pas compris que Shayne et Cassandra formaient un couple. À vrai dire, ils cachaient si bien cette information que personne ne savait exactement pourquoi ils s'accompagnaient constamment. À part les jumeaux et elle, tous les membres de la Septième Brigade avaient des doutes sur ce qu'ils faisaient.

— O... oui, c'est ça, répondit Cassandra. Nous pensions ramasser quelques f... fruits et légumes sur l'île de Cao Cao, lorsque nous y arriverons. V... vous savez... le scorbut et tout ça... ce n'est pas amusant, hein ? Il vaut mieux prévenir que guérir, dit-on ! C'est ce dont nous p... parlions.

Elle semblait embêtée. Luna trouvait étrange que le tic nerveux de Scottie se soit transmis à son amie brunette, alors qu'elle éprouvait de la nervosité. Ce n'était pas dans les habitudes de Cassandra de parler ainsi. Luna se dit que le jumeau de Kylie avait probablement une mauvaise influence sur le groupe.

— Et moi, je lui parlais de ma technique préférée de pêche, ajouta Shayne, qui décida de jouer le jeu. Vous voulez que je vous montre ?

— Ça ne sera pas nécessaire, répondit Cassandra à la hâte. Tu t'es déjà nourri. Accompagne-moi plutôt à la salle à manger, d'accord ? J'ai besoin d'une bonne tasse de thé et peut-être quelques biscuits...

— Très bonne idée, rétorqua son compagnon. Allons-y de ce pas !

Ils saluèrent Wyatt et Luna et prirent la poudre d'escampette. Wyatt se gratta la tête alors qu'il les regardait s'éloigner aussi rapidement qu'ils venaient d'achever cette conversation.

— Ils ont un comportement étrange, tu ne trouves pas ? questionna-t-il.

— Mouais, ils sont louches, constata Luna. Quand je suis sorti du couloir des dortoirs, ils étaient très proches, l'un de l'autre.

— Ah bon ? Ils faisaient quoi, tu penses ?

— Je ne sais pas... mais ça m'avait l'air tout comme s'ils étaient en train de s'enlacer. J'hallucine peut-être à cause de la fatigue...

— D'un autre côté, je pense qu'ils formeraient un très joli couple, ces deux-là.

Luna parut indignée par cette phrase.

— Eux ? En couple ? Même pas en rêves, gloussa-t-elle. On dirait un frère et sa sœur. Si tu veux mon avis, tu lis beaucoup trop de romances...

— Ça n'a aucun rapport, Luna ! Je pense surtout que tu ne t'y connais pas en amour. Si ça se trouve, tu les as peut-être interrompus avant qu'ils s'embrassent...

Luna secoua la tête, choquée par ces paroles.

— Ne portons pas de rumeurs sur eux, répondit-elle. Si jamais ils se décident de nous dire ce qui se passe entre eux, on sera tous là pour l'apprendre en même temps. Je propose qu'on s'entraîne en attendant Estelle.

Wyatt soupira, puis se dit qu'il ne pouvait pas lui dire non. Luna n'était déjà pas de très bonne humeur. Elle avait besoin de se défouler, sûrement. Elle n'avait jamais aimé qu'on soit en retard à ses rendez-vous. Cependant, elle ne pouvait pas en vouloir à Estelle d'être si tardive, car les lits de leurs chambres n'étaient pas si confortables que ça. Même Wyatt avait eu de la difficulté à s'endormir.

— Je propose qu'on essaie de reproduire les attaques spéciales de Scottie et Kylie, formula alors Wyatt. Toi, ce sera de la foudre et moi, ce sera la magie des ronces. J'ai un grimoire dans mon sac de voyage avec certaines formules qui pourraient nous aider lors de notre entraînement.

— Ah oui ! Ce livre-là, s'exclama Luna. Pas besoin d'aller le chercher, je sais déjà de quoi tu parles, puisque je t'ai passé ce livre, il y a une semaine. Je l'ai déjà tout lu et je connais plusieurs de ses pages par cœur. Je pense qu'invoquer la foudre sera plus facile si j'ai accès à de l'eau. Ça tombe bien, comme nous sommes entourés par l'océan. Si je me souviens bien, pour comprendre cet élément, il faut d'abord avoir une assez bonne maîtrise du vent et du feu. J'ai déjà lancé des sorts de foudre par le passé, mais pas comme celle de Kylie. Sa magie est tellement plus avancée !

Elle se mit alors à discuter de théories magiques avec son collègue de travail et ils passèrent le reste de la matinée à pratiquer de nouveaux sortilèges. Ils ne virent même pas le temps passer, lorsqu'ils réalisèrent tous deux qu'ils avaient très faim. Ils finirent par quitter le pont et se dirigèrent aux cuisines.

¤*¤*¤

— Ensuite, rajoutez une pincée de sel et de poivre, dit Gabriel qui se tourna vers le cuisinier. Attention à ne pas mettre trop de lait, sinon la recette perdra de sa saveur. Remuez bien la préparation.

Gabriel était derrière le comptoir et hachait du basilic frais, alors qu'il expliquait en détail comment faire sa recette de saumon poché au lait de raifort.

— Nous sommes en manque de fécule de maïs, Monsieur Markios, déclara le cuisinier. Pouvons-nous remplacer cela par de la farine ?

— Mmm, un peu ne devrait pas faire de tort. Le raifort crémeux est excellent, nous ne devrions pas avoir de problème avec le reste de cette recette. Pouvez-vous enlever les arêtes pendant que j'épaissis la sauce ?

— Tout de suite !

— C'est quand même étonnant que vous ne connaissiez pas cette recette, poursuivit Gabriel. Elle est pourtant si facile...

— Notre chef cuisinier est tombé malade. Il a été forcé de prendre congé à Xu Fahn... Je ne suis qu'un marmiton...

— Ah... Je comprends mieux, maintenant ! Je tâcherais de vous aider pour les jours à venir. Vous pouvez compter sur moi.

— Mais Monsieur Markios...

— Chut ! C'est moi qui commande. Nous avons un équipage à nourrir et les membres de ma brigade !

Gabriel se tourna à sa droite et s'adressa à Cassandra et Shayne.

— Comment avance la préparation des sandwichs ? demanda-t-il.

— Nous avons tartiné au moins une trentaine de tranches de pain, déclara le vampire. Il nous faudrait plus de tomates.

— Je vais les chercher, dit le marmiton.

— Non, je peux le faire, remarqua Gabriel.

Il s'éloigna avec son grand tablier qui frôla son partenaire de cuisine. Il entra dans le garde-manger et en ressortit avec une caisse de légumes frais. Il sortit alors un chaudron et y plaça de l'eau bouillante et du brocoli, ainsi que des carottes miniatures. Cassandra se servit de quelques tomates qu'elle commença à trancher pour les sandwichs.

— Oulah, vous pensez à tout, Monsieur Markios ! s'exclama son assistant, étonné.

Le repas du midi approchait tranquillement. Puisqu'il n'avait pas été impressionné par les omelettes qu'on avait servies au déjeuner, remplis de coquilles d'œufs, Gabriel avait sermonné l'apprenti-cuisinier pendant une dizaine de minutes de tous les dangers qu'apporte son métier. Il s'était éloigné de la cantine pour revenir un quart d'heure plus tard, avec la permission du Capitaine Rodriguez afin de prendre en main le dîner. Shayne et Cassandra avaient décidé de l'aider en préparant des sandwichs aux légumes et aux viandes froides. Flint de son côté, venait de terminer la préparation d'une salade de fruits et déposa le tout sur le grand comptoir.

— As-tu besoin d'autre chose, chéri ? demanda le grand blond à son mari.

— Aide-les, répondit-il alors qu'il pointait Shayne et Cassandra de la tête.

— C'est comme si c'était fait.

Quelques marins commençaient déjà à entrer dans la salle à manger. L'heure du dîner était arrivée plus rapidement qu'ils ne l'avaient imaginé. Ils avaient passé une bonne heure à faire l'inventaire du bateau et à décider de ce qu'ils cuisineraient pour cette journée-là. Le soir précédent, tout le monde avait eu droit à de la purée de pommes de terres avec de la mortadelle. Le tout avait été accompagné d'une sauce brune sans saveur qui avait démoralisé une bonne partie de l'équipage.

— Au moins, on a de quoi se tenir occupé pour quelques jours, ricana Flint qui s'adressait à Cassandra. Ces pauvres marins crèveraient de faim sans nous.

— Ce n'est pas gentil, soupira le marmiton.

Le jeune homme qui assistait Gabriel, derrière le comptoir, avait plus ou moins le même âge que Wyatt et Luna. Il était jeune et apprenait à cuisiner depuis peu de temps. Il faisait de son mieux, mais plusieurs marins se plaignaient constamment de ses plats. Il s'était d'abord senti insulté que le colosse prenne en charge sa cuisine, mais heureux lorsque ce dernier lui avait proposé de lui apprendre quelques recettes. Pour cette raison, il l'admirait beaucoup.

— Allons Flint, il fait de son mieux, déclara Gabriel.

Il mit sa main sur l'épaule du petit apprenti, et retourna son attention dans les chaudrons bouillants. Le jeune homme rougit timidement et continua à remuer la sauce dans sa marmite.

— Il ne nous reste plus de mayonnaise, informa Shayne. Le reste des sandwichs seront à la moutarde.

— Ça ne fait rien, dit Gabriel. Je crois que nous avons suffisamment de bouffe pour tout le monde.

Il se passa un bras sur le front. Il commençait à avoir chaud. Il comptait au moins une vingtaine de marins qui faisaient la queue au comptoir. Il se tourna pour ramasser des assiettes et des ustensiles qu'il passa à Flint, Shayne et Cassandra.

— Les sandwichs sont prêts ! annonça Gabriel aux marins. Les légumes bouillis et le saumon poché ne devraient pas tarder, pour celles et ceux qui souhaiteraient attendre !

— Sacrebleu ! Vous vous êtes surpassés, dit l'un des matelots. Je remercie Poséidon de vous avoir mis sur notre chemin, Monsieur Markios !

— N'oublions pas Athéna, dit une dame près de ce dernier. La plupart d'entre eux sont baldtiens, après tout...

Beaucoup de ces marins venaient du continent du nord, où une bonne partie des citoyens vénéraient le Dieu de l'Océan. Ils avaient tous la peau bronzée et un accent exotique qu'on entendait très peu à la république de Baldt. Quelques matelots avaient même la peau noire.

— Erf, marmonna Shayne pour lui-même.

Il n'aimait toujours pas lorsqu'on parlait ouvertement des religions. Puisqu'il ne voulait pas causer de drame, il se contenta de beurrer une dernière tranche de pain avec de la moutarde et mit le sandwich au bœuf dans une assiette vide. Ensuite, il demanda à Cassandra de le couvrir un peu, car il avait besoin de sortir et de prendre un peu d'air. Elle accepta rapidement. Il se fraya aussitôt un chemin, parmi la foule et finit se retrouver sur le pont.

Shayne croisa Misaki, non loin de la sortie. Celle-ci s'était attachée les cheveux en queue de cheval et portait un simple tee-shirt blanc et un pantalon noir. Elle observait l'horizon avec une longue-vue.

— Quoi de neuf ? demanda-t-il.

— L'île de Cao Cao n'est plus très loin, expliqua la guerrière albinos. Cependant, j'ai un mauvais pressentiment.

— Pourquoi donc ?

— Il serait plus simple de te montrer.

Elle lui fit signe de s'approcher d'elle et lui passa la lunette terrestre. Elle pointa alors une direction et cela lui prit un moment avant de trouver l'île. Un nuage de foudre survolait celle-ci pendant que le ciel était très clair, tout autour. Une légère brume s'élevait du sol, par endroits.

— De la magie noire, répliqua le vampire.

— C'est aussi ce que je crois.

— Je crois que le voile a été affaibli. Nous allons devoir être prudents lorsque nous accosterons cette île. Il risque d'y avoir des démons à notre arrivée.

— Nous devrions avertir le Capitaine Rodriguez, dans ce cas, ajouta la guerrière.

Ils entendirent des bruits de pas derrière eux. Luna s'approcha d'eux, en compagnie de Wyatt et d'Estelle.

— Ça ne sera pas la peine, dit-elle. Nous l'avons déjà mis au courant. Il s'agit d'une brèche.

— Comment as-tu réussi à ressentir tout ça depuis le bateau ? questionna Misaki, surprise par cette dernière.

— Quand on est mage, on doit s'attendre à tout, révéla son interlocutrice. Je ne pense pas que nous serons en mesure de réparer le voile, mais si nous tuons quelques démons, nous pourrons aider les habitants de l'île.

— Ça, c'est seulement s'ils sont toujours vivants, répliqua Wyatt. La dernière fois qu'une brèche s'est ouverte, c'est toute la capitale qui en a payé le prix... Souhaitons qu'ils soient en sécurité...

Ils échangèrent tous des expressions inquiètes. Shayne espérait que Wyatt avait raison. Il n'avait pas envie de faire face à une autre tragédie...

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