56. L'ambassadeur d'Archenwald

Cet après-midi-là, Flint, Luna, Gabriel et Cassandra avaient reçu l'ordre de partir à Xu Fahn afin d'y accueillir l'ambassadeur d'Archenwald. Misaki ne pouvait plus se permettre de partir en mission, donc Flint avait révélé au reste de son groupe qu'il avait accepté de devenir le nouveau capitaine de la Septième Brigade. Toutefois, elle lui avait promis qu'elle l'aiderait avec les papeteries et tout ce qui incluait les rapports de mission.

Flint n'avait pas vraiment élaboré davantage sur l'apparition de ses ailes à Luna et Cassandra, qui semblaient toutes deux préoccupées par leurs propres affaires personnelles. Gabriel, quant à lui, était curieux de rencontrer ce mystérieux ambassadeur.

Leur équipe était plus petite sans la présence des esprits élémentaires, celle de Shayne, celle de Misaki et celle du nouveau membre, Wyatt. Pour cette raison, les conversations étaient plus rares et plus courtes. Ce qui avait le don d'ennuyer Cassandra, qui avait grand besoin de se changer les idées. Luna n'était pas très bavarde, ce jour-là.

Ils se rendirent à Xu Fahn dans une calèche tirée par l'une des trois dernières calèches qui n'avait pas été saccagé par les démons et les membres du culte.

Luna n'était pas très heureuse qu'on l'ait interrompue durant sa lecture silencieuse, rien que pour une mission diplomatique. Wyatt, avec qui elle avait passé une bonne partie de la journée, lui avait offert un nouveau grimoire de magie dans lequel elle avait découvert quelques maléfices qu'elle comptait apprendre tranquillement.

— Alors, le p'tit mage... dit Cassandra qui tourna la tête vers Luna. Est-ce qu'il t'a fait des avances ? Il m'a l'air d'avoir le béguin pour toi...

L'adolescente, qui essayait de lire dans son grimoire, le referma rapidement et sursauta sur son banc :

— Mais qu'est-ce qu... que t... tu racontes, Cassie ?! bégaya-t-elle.

— Il avait l'air de flirter avec toi tout à l'heure, taquina son amie.

— Tu r... racontes n'importe quoi !

— C'est ça... Ça ne m'empêche pas de croire qu'un bien-aimé te ferait le plus grand bien. Tu es toujours si seule...

— Cause toujours. Tu dis ça parce que tu vois Shayne dans ta soupe.

Cassandra se mit à rire, puis retourna son regard vers l'extérieur de la calèche. Luna disait vrai. Depuis quelque temps, Cassandra avait commencé à regarder le vampire d'un tout nouvel œil. Serait-ce le tout début d'une histoire d'amour ?

Devant les deux jeunes dames, Flint conduisait, alors que Gabriel somnolait à ses côtés. Le capitaine ne se préoccupait pas de ce que pouvait bavarder les deux demoiselles de son équipe. Il était curieux de rencontrer l'individu attendu par le Conseil de Baldt. Il avait pris soin de rendre visite à son père, une dernière fois, avant de partir pour la grange et atteler les chevaux. Artael se sentait beaucoup mieux et passait beaucoup de temps en compagnie d'Ellen Prescott. Il trouvait cette relation entre son père et elle, un peu étrange, mais appréciait quand même qu'elle fasse partie de sa vie.

— Kyran m'embête, ronchonna alors Luna. Je trouve bizarre qu'il ait pris cette décision de nous envoyer nous et pas une autre brigade. Je lui avais clairement dit ce matin que je ne voulais pas qu'on me dérange pour la journée.

— Oui, mais nombreux sont les brigadiers blessés, et beaucoup sont morts au combat, durant l'invasion, expliqua Cassandra. On n'avait pas le choix.

Résignée, car son amie elfe avait raison, Luna roula les yeux, puis retourna son attention vers son manuscrit. Elle se demandait comment déchiffrer un certain passage, qui avait été écrit dans une langue morte. Il lui faudrait plus de temps à consulter cet ouvrage. Elle sourcilla un moment, alors qu'elle tournait quelques pages.

Le grimoire avait aussi quelques marges dans lesquelles Wyatt y avait laissé des notes dans la langue commune. Elle commençait à reconnaître son écriture, pour avoir déjà vu sa signature à quelques reprises. Ainsi donc, Wyatt pouvait traduire un langage qu'elle ne connaissait pas ? Que lui cachait-il encore ? Elle se demandait même s'il accepterait de lui enseigner ces étranges mots. Il était fort possible qu'Artael ou même, Kyran savaient reconnaître ces symboles, eux qui connaissaient tant de choses sur les arts occultes.

Cassandra de son côté posa son regard autour du compartiment dans lequel elles étaient toutes deux entassées. C'était assez grand pour trois personnes. Son arc avait été déposé avec l'épée de Flint, à sa gauche, la hache de Gabriel était sous son siège avec un panier de provisions. Luna n'avait pas vraiment besoin d'équipement, autre que sa magie et quelques couteaux, en cas de derniers recours. Les esprits élémentaires se sentiraient de trop, s'ils étaient présents à bord du véhicule. Il n'y avait de la place supplémentaire que pour l'ambassadeur et sa mallette. Heureusement pour Luna, Gabriel se trouvait à l'extérieur. Elle n'avait pas envie de suffoquer avec le gabarit imposant de son ami.

Cassandra pensa à la conversation qu'elle avait eue avec Windy, quelques heures avant son départ pour l'au-delà. Toute cette histoire de la dimension parallèle et du royaume des elfes disparus était très difficile à digérer. Elle ressentait depuis peu une source de magie étrange qui émanait du nouveau capitaine, cela l'inquiétait. Elle se souvenait qu'il avait fait apparaître ses ailes, pendant l'invasion. Cependant, ils n'avaient pas eu la chance d'en discuter davantage, après en avoir parlé brièvement avec Kyran. Luna n'avait pas l'air de s'en soucier. Cassandra se demandait comment Nash avait fait pour débloquer les pouvoirs de Flint. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se poser mille et une questions. Windy pourrait lui répondre tout ça. Hélas, elle n'était pas là.

— Alors... commenta Luna, qui tourna son regard vers la jeune femme. Que se passe-t-il entre notre cher Shayne et toi ? Il y a quelques semaines, Misaki et moi, on a remarqué que tu passes beaucoup plus de temps avec lui.

Cassandra avait choisi un peu plus tôt d'ignorer toute allusion en rapport à lui. Néanmoins, puisque Luna avait décidé d'aborder le sujet, il serait mieux pour elle d'en parler.

— On flirte un peu, c'est tout... dit-elle, toute rouge.

— Ah bon ? J'ignorai qu'il était ton genre.

— À vrai dire, il m'a prise par surprise l'autre soir en m'offrant une fleur... Depuis, je dois avouer que j'apprécie sa compagnie. Il est charmant, sous ses allures de beau mec ténébreux...

— As-tu l'intention que ça devienne sérieux votre truc ? Il est immortel, tu sais...

— Les elfes ont une longévité assez généreuse, d'après les rumeurs, plaisanta Cassandra. Alors pourquoi ne pas passer l'éternité avec lui ?

Luna secoua la tête puis claqua de la langue. Cassandra n'avait vraiment pas la même mentalité qu'elle. Parfois, elle ignorait comment entamer une conversation avec son amie elfe, tellement elles étaient différentes. Elle était une intellectuelle solitaire, sarcastique et silencieuse. Quant à Cassandra, elle avait un fin sens de l'ouïe, de l'odorat et aimait bavarder avec ses amis, quand elle n'était pas occupée à ses tâches habituelles. Les seuls sujets qu'elles avaient en commun étaient la fabrication de potions, la Septième Brigade et leurs connaissances sur les herbes sauvages. Sinon, les ragots en ce qui concerne les couples était un autre sujet qui intéressait l'adolescente ; qui se demandait si elle arriverait un jour à connaître le grand amour. Elle avait l'impression que ce n'était pas pour elle.

Après quelques saisons passées ensemble, Cassandra avait fini par comprendre qu'elle et Luna avaient beaucoup de progrès à faire, si elles souhaitaient améliorer leur relation. Au moins elles pouvaient toujours discuter sur leurs collègues de travail.

N'y a-t-il pas plus banal que de discuter d'herbes sauvages et de potions avec sa compagne de calèche ? pensa Cassandra, qui essayait de trouver un sujet de conversation. Ah ouais... Nous sommes orphelines...

Ce sujet était ennuyeux à ses yeux. Elle n'avait guère l'envie de déranger Luna avec ses pensées. Ni même de mentionner Méduse. Elle réalisa qu'elles n'étaient pas les seules orphelines dans la Septième Brigade. Gabriel avait été rejeté par son créateur. Flint et les autres quadruplés avaient grandi sans leur mère, et leur père avait trop souvent été absent durant leur croissance ; d'après ce que Flint leur avait mentionné. Shayne s'était retrouvé sans famille, pendant les nombreuses années où il avait survécu en tant que vampire.

Au moment où Cassandra se décida d'en parler avec Luna, la charrette s'arrêta net. Flint avait hélé les chevaux. Gabriel se réveilla en sursaut. Que s'était-il passé à l'extérieur ?

— Tout va bien, Flint ? demanda Luna, à travers une petite lucarne qui découvrait une partie de son visage, derrière lui.

— Nous sommes arrivés, annonça le capitaine.

— Déjà ?! grogna Gabriel. Bon sang ! Le trajet a été rapide !

À vrai dire, le déplacement n'avait duré que deux heures, Flint avait emprunté plusieurs raccourcis dans les bois pour diminuer la longueur du trajet. Tous quatre descendirent donc du véhicule et ramassèrent leurs armes. Légèrement embêté de ne pas avoir dormi un peu plus, Gabriel tituba derrière son mari et se donna de petites tapes dans les joues, pour essayer de se réveiller.

Il s'avéra qu'aucun autre bateau ne devait être accosté au port, ce jour-là. La plupart des véhicules marins importaient des épices, des légumes et certaines nourritures marinés, en boîtes. Les échanges étaient nombreux et partaient et venaient de cette ville. La république pouvait s'estimer heureuse que Xu Fahn soit encore dans les parages, après les nombreux raids qu'avait connus la région.

Flint décida de s'approcher d'un marin qui s'en venait du port. Il pourrait lui dire où se trouvaient les voyageurs de Lanartis, qui étaient arrivés récemment.

— Eh, marin ! formula-t-il. Avez-vous une idée où je pourrai croiser l'ambassadeur d'Archibald ? J'ai reçu l'ordre de le ramener à Baldt.

— Ah, lui ? dit le marin. Il se trouve à notre taverne locale, comme les autres gens qui sont arrivés durant la matinée !

— Merci pour l'info !

De leur côté, Cassandra et Luna restèrent près de la calèche et attendirent que leur jeune chef revienne avec l'ambassadeur. Flint marcha en direction de ladite taverne. Puisque ce n'était qu'un simple aller-retour, ni l'elfe, ni la mage ne voyait l'intérêt d'aller visiter les boutiques ; quoique ce ne fût pas l'envie qui leur manquait. Un peu endormi, Gabriel décida de rester avec elles, les mains dans les poches.

Le capitaine finit par trouver la taverne, entra à l'intérieur et s'approcha du barman. C'était un petit homme moustachu à la tête chauve.

— Salut, je viens pour l'ambassadeur... commença-t-il.

Le barman l'interrompit et pointa une personne, du doigt. Il était blasé à la présence de Flint. Le capitaine avait remarqué que l'homme au comptoir semblait épuisé. Sûrement était-ce dû à la récente invasion de la capitale, qui l'avait forcé à travailler davantage, avec des clients qui venaient d'un peu partout pour prendre des nouvelles. Pour cette raison, il devait être très fatigué. Le tavernier de Baldt vivait à peu près la même chose, tellement les citoyens de la ville étaient stressés et curieux d'en savoir plus ce qui se passait dans leur région. Après tout, les taverniers étaient d'excellents informateurs pour tout le monde.

Flint se tourna vers ce qui paraissait être un jeune homme qui portait un chapeau à plume, au coin de la grande salle. C'était rempli de clients, plusieurs discutaient dans la bonne humeur, accompagnés de rires. Il avait de la difficulté à discerner les conversations, tant il y avait du tapage. Quand il s'approcha de la table au fond de la pièce, l'ambassadeur leva son visage, se mit une main sous le menton, puis esquissa un sourire au capitaine.

— Dis donc, tu n'as pas changé d'un poil depuis la dernière fois que je t'ai vu, dit l'inconnu. Enfin, si. La dernière fois que je t'ai vu, tu n'avais pas cette bague au doigt. Dois-je deviner que notre cher Gabriel a enfin demandé ta main en mariage ?

— Ce visage... commenta Flint, en état de choc.

— Prends tout ton temps, mon frère, répliqua le jeune homme.

— Non, mais pince-moi si je rêve...

L'ambassadeur ôta son chapeau pour le mettre à côté de son sac de voyage, ce qui laissa tomber une longue chevelure blonde sur ses épaules. Son visage n'avait pas été revu depuis au moins une dizaine d'années, mais il lui rappelait beaucoup les traits de son père et de son oncle. En face de Flint se tenait sa sœur... qui n'avait jamais été une femme en fait. Flint réalisa avec maladresse qu'elle était en fait... un homme trans.

¤*¤*¤

Il y avait trop de gens dans cette pièce. Flint ne voulait pas faire de scène, alors il emporta l'ambassadeur à l'extérieur, où ils s'installèrent sur un banc, collé à un autre bâtiment. Déconcerté et confus, il essayait de se ressaisir.

— Pourquoi... n'en as-tu jamais parlé avant ? demanda Flint qui se pencha la tête d'un côté. C'est... déstabilisant. Comment dois-je t'appeler maintenant ?

— Je m'appelle Lucas Markios, enchanté de te rencontrer à nouveau, Flint. Il est vrai que ma nouvelle apparence et ma voix puissent te secouer, mais je partage toujours les souvenirs du temps où je me faisais passer pour une fille. Gwen était pour moi un fardeau, durant toute mon enfance et mon adolescence... mais je ne regrette pas ma transition. C'est un peu la raison pour laquelle je ne vous ai pas donné de nouvelles.

— Tu veux dire... Tu as quitté notre nation, sans même nous dire pourquoi... Tu sais que je t'aurais suivi hein ? Tu étais ma sœur... enfin... Tu...

— Je sais... soupira l'ambassadeur. Nous étions comme les cinq doigts de la main, Gabriel et nous quatre...

— Tu m'as... dit Flint, au bord de péter un câble. Tu m'as manqué, merde...

— Je sais... Ça n'a pas été facile de renoncer à mon ancienne vie, mais il le fallait... Sinon, je comptais m'enlever la vie.

Flint regarda Lucas avec effroi. Comment pouvait-il penser une chose pareille ? Le capitaine essayait de trouver les mots pour le rassurer, mais rien ne lui venait à l'esprit.

— Cette nouvelle va causer l'effet d'une bombe, dit-il avant de rire maladroitement.

Lucas hocha la tête, avec un sourire.

Non seulement elle a déserté la république pour devenir un citoyen de Lanartis, elle... non il... réfléchit Flint. Oh bon sang, je risque de lui faire de la peine si je ne m'adapte pas, et vite !

Il se souvint que son frère ne s'était jamais senti bien dans sa peau, depuis leur jeunesse. Maintenant, il comprenait pourquoi il avait pris ses distances durant toutes ces années. Il ignorait par où Lucas était passé durant les dernières années, mais le voilà qui était une tout autre personne sous ses yeux.

On dirait Kyran et moi, tout craché, pensa Flint. À part quelques centimètres de différences, il nous ressemble beaucoup.

— Flint... marmonna Lucas. Est-ce que... tu comprends à présent, pourquoi je n'osais plus me dévoiler à la famille ? J'avais horriblement honte de moi... et j'avais trop peur de révéler à tout le monde que je suis en fais un homme depuis tout ce temps. Je n'avais pas le choix de penser à ma propre santé mentale...

Le capitaine hocha, compréhensible.

— J'ai perdu une sœur le jour où tu es parti de Baldt... dit Flint.

Il baissa sa tête, sur le point de pleurer.

— Si tu savais toutes les larmes qu'on a versées, Sarah et moi... poursuivit le capitaine. Si tu savais toutes les nuits que j'ai passé à vouloir t'étrangler...

— Je sais... répondit Lucas qui baissa son regard. Je suis désolé...

— Mais... J'ai en retour un frère... et... Nash n'est même plus là pour faire ta... rencontre. Ce con a tellement souffert après ton départ... tu n'as pas idée. Il... Il aurait vraiment voulu te revoir.

Flint ne pouvait plus retenir ses émotions. Il serra Lucas dans ses bras et se mit à pleurer à chaudes larmes. Instinctivement, l'ambassadeur serra son frère dans ses bras. Ils restèrent ainsi, pendant de longues minutes. Lucas avait beaucoup souffert à cause de leur ignorance, mais Flint reconnaissait cette tendresse familière, lorsque qu'il passa ses mains autour de la taille de son quadruplé.

Au bout d'un moment, ils reprirent leur position initiale.

Lucas plaça une longue mèche de sa chevelure derrière une épaule, puisque celle-ci obscurcissait sa vue. Ensuite, il formula :

— Lorsque je suis arrivé à Lanartis, je n'étais personne. J'ai erré dans les rues comme un mendiant. Je ne connaissais pas qui que ce soit et j'ignorais ce que je faisais là-bas. Pendant plusieurs années, j'ai passé ma vie à me chercher, avant de me rendre compte un soir que je ne me suis jamais senti comme une femme... J'ai alors commencé une thérapie et on a vite fini par comprendre que j'étais l'une des rares personnes de ce monde qui ne s'identifie pas au genre assigné à sa naissance... On m'a donc conseillé de suivre des procédures qui arrivent plus souvent qu'on le pense, bien que ça ne soit pas fréquent... J'ai appris à m'aimer et à me respecter à travers tout ça. Je n'ai pas laissé cette nouvelle me décourager. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai décidé graduellement d'abandonner mon ancien prénom et de changer mes pronoms pour ceux des hommes, auxquels je me suis toujours identifié dans le fond... Ensuite, il y a plusieurs trucs que je préfère ne pas mentionner, car c'est très personnel. Tout ce que je peux te dire, c'est que le traitement a fonctionné.

Il prit une grande inspiration, avant de regarder son frère. Le capitaine était épuisé et confus, malgré toutes les larmes. Il gardait en lui une profonde tristesse, comme une vieille blessure de leurs jeunes années. La mort de Nash n'avait fait qu'empirer les choses. Lucas réalisait, malgré tout, à quel point sa présence avait un effet positif sur son quadruplé. Il regrettait de ne pas lui avoir laissé de nouvelles, mais il n'avait pas le choix à l'époque. Il avait pris ses distances, dans le but de se protéger.

— D'où t'es venu le nouveau prénom ? lui demanda Flint. Il est... cool.

Il essayait de retenir ses émotions, pendant qu'il s'essuyait les yeux.

— Il m'a été donné par des amis à Archenwald, expliqua Lucas, mais ça, c'est une autre histoire. J'ai fini par rejoindre l'armée et j'ai grimpé dans les rangs, avec beaucoup de patience et d'expertise. Toutefois, je n'ai pas envie de m'étaler sur les détails. Je préférerais garder tout ça pour la route.

— Oh, c'est vrai. Tu es en mission pour Lanartis...

— En effet. Le Roi Davis d'Archenwald, quatrième du nom, et Dame Floraine, son épouse, essaient de réviser les contrats de marchandises entre la république et le royaume. Les derniers incidents ont attiré beaucoup d'attention sur votre ville et le roi s'inquiète que cela puisse nuire à la réputation de nos terres et des vôtres. Beaucoup de vos villes portuaires ont été détruites par les bêtes. Les membres du culte de Perséphone, y sont sans doute pour quelque chose. Tu dois bien t'en souvenir, avec nos cours d'histoires ; nos traités de marchandises permettent au royaume de Lanartis d'acheter nos produits et vendre les leurs sur vos terres. Notre économie a beaucoup souffert de cette récente guerre, mais il est juste que la vôtre est davantage dans le jus.

— Que proposent-ils alors ? demanda le capitaine qui cligna des yeux.

— Ils comptent envoyer de l'aide pour restaurer vos villes et reconstruire les villages portuaires. Lanartis a autant besoin de votre poisson, que vous de nos matières premières. Je m'arrangerai avec le Conseil, une fois que je serai de retour à Baldt. L'essentiel est que nous puissions rétablir les liens entre les deux nations ; c'est pourquoi je suis ici en tant qu'intermédiaire.

— Eh bah ça alors...

Lucas hocha la tête et gloussa. Flint de son côté offrit à son frère de l'emmener au reste du groupe, qui devait l'accompagner à Baldt. Ils entrèrent donc dans la taverne pour ramasser les affaires de l'ambassadeur, puis ressortirent par la porte d'entrée.

Pendant qu'ils s'approchaient des autres, Luna et Cassandra étaient indifférentes à Lucas, bien que soucieuses. Gabriel, quant à lui, était déjà sous le choc lorsqu'il vit l'individu, cet homme qui ressemblait à son mari. Rapidement, il reconnut l'ambassadeur qui le saluait de façon familière. Lucas, fit le salut militaire, comme il le faisait souvent pour saluer les soldats d'Archenwald.

Gabriel ressentit un frisson tandis que Flint et Lucas venaient d'arriver près de la calèche. Ce n'était ni Kyran, ni Sarah... mais le quatrième membre de la fratrie. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il réalisa cela.

— J'ai l'impression de voir un fantôme, dit-il.

— Bah, c'est le cas de le dire. Gwen est morte, déclara Lucas, sarcastiquement. Je suis né de ses cendres. Je me présente, Lucas Markios.

L'ambassadeur se tourna alors vers Cassandra et Luna, et leur fit un petit clin d'œil. Il s'inclina ensuite, poliment.

— Mesdames, exprima-t-il, avant de baisser son chapeau à plume sur son torse. Enchanté de faire votre connaissance.

Gabriel était bouche bée. Il ressentait déjà des larmes couler le long de ses joues, lui qui avait tant espéré revoir Gwen, depuis sa disparition.

Flint riait nerveusement, de son côté, parce qu'il trouvait cette situation très embarrassante pour son frère. Les deux dames s'échangèrent un regard étonné avant de retourner leur attention vers l'ambassadeur.

— Bonté divine, c'est donc toi... dit Cassandra qui s'approcha lentement.

— Non, mais je rêve, on dirait le portrait craché de Flint, dit Gabriel qui fit de même, de plus en plus larmoyant. Oh ma puce, tu m'as tellement manqué !

— Mais t'as vu ses vêtements ?! constata Luna. La classe ! Il est trop stylé !

— Hé ho, il y a assez de moi pour tout le monde, pas besoin de vous presser, bouda Lucas qui fronça des sourcils.

Gabriel, Cassandra et Luna reculèrent aussitôt, tous trois gênés par leur comportement. Le colosse s'excusa en premier, même s'il était fasciné par la transformation de l'ambassadeur. Toutefois, il ne put s'empêcher de lui faire un câlin. C'était la toute première fois que Cassandra et Luna rencontraient ce mystérieux membre de la famille Markios qui avait été porté disparu pendant une dizaine d'années.

Après que Lucas eut fait ses présentations, Flint s'absenta un moment et revint avec les chevaux, ainsi qu'une meilleure voiture. Ils avaient besoin d'un peu plus de place avec les bagages de Lucas et ce qu'ils avaient déjà dans l'autre voiture. Du coup, il devrait faire venir quelqu'un pour chercher la plus petite calèche. Il aurait trop aimé que Dia soit là pour faire la rencontre de son frère. Il était certain qu'elle l'aurait apprécié.

Cependant, Flint était loin de se douter qu'il ne reverrait pas les esprits élémentaires avant quelques années. Il ignorait qu'au Saint Royaume à cet instant, de louches individus essayaient de saboter le règne de Zeus, d'Athéna et des autres Dieux de l'Olympe. Il ne s'en rendrait compte que plusieurs mois plus tard. Pour le moment, il était bien trop excité de faire la connaissance de son tout nouveau frère, même si une partie de lui était confus d'avoir perdu sa sœur, plusieurs années plus tôt.

Au cours de la route, Gabriel gaffa à quelques reprises à poser des questions embarrassantes, mais s'excusa rapidement. Flint conduisit la voiture, les autres étaient tous assis à l'intérieur. Malgré tout, Lucas n'avait pas froid aux yeux et sa bravoure et son sens de l'élocution avait rapidement charmé ses interlocuteurs. Ils discutèrent même de vieux souvenirs en rapport à ses aventures à Lanartis, ainsi que sa relation étrange avec ses frères et sa sœur.

Flint écoutait les conversations à travers la petite fenêtre derrière lui. Il chantonna gaiement et sourit en se disant que tout compte fait, cette année n'avait pas été si horrible que ça, car elle lui avait ramené un membre de sa famille vers lui. Il espérait toutefois que son père, Kyran et Sarah sauraient accepter ces changements autant que son groupe essayait de rendre Lucas à l'aise. Chose certaine, les jours à venir seraient très intéressants pour le capitaine et ses amis.

¤*¤*¤

Archenwald était une cité fabuleuse et moderne. Presque dix fois plus grande que la ville de Baldt, on pouvait s'y perdre facilement sans l'aide d'un guide. Des calèches attendaient des passagers à tous les coins de rues et il faisait bon y vivre.

Gretta Doyle avait eu la chance d'y ouvrir une boutique, récemment. L'autre jour, elle avait reçu une lettre du Conseil de Baldt, qui stipulait que son fils avait été tué au combat, il y avait quelques jours. Elle acceptait mal la nouvelle et refusait de croire à cette histoire. Quant à Misha, la pauvre demoiselle avait passé ces derniers jours à pleurer. Malgré tout, Gretta savait qu'on lui avait raconté la vérité. Elle avait perdu un mari et un fils en moins d'un an. Elle se sentait mourir de l'intérieur. Une douleur si intense qu'elle ne pouvait pas s'arrêter cinq secondes, avant de transporter des objets lourds pour sa boutique.

Elle s'était achetée une petite ferme pas très loin de Lanartis et elle y vivait avec sa fille. Les vieilles habitudes étaient difficiles à perdre, comme le disait si bien le dicton. Pour le moment, leur boutique ne vendait que des parfums, des fleurs et des bricoles faites par Misha. D'ici à quelques mois, Gretta avait l'intention d'y vendre ses légumes et dans quelques années, peut-être qu'elle y vendrait aussi des fruits, tels que des pommes ou des oranges. Les terres qu'elles possédaient étaient riches et fertiles. Déménager par ici avait été la meilleure – mais aussi la plus déprimante – décision de sa vie. Elle s'en voulait de ne pas avoir été là pour enterrer son fils.

— Bon matin, Gretta, dit une naine qui passa derrière la grande fermière.

— Bon matin à vous, Priya, répliqua la fermière. Prête pour une nouvelle patrouille ?

— Toujours ! Boris et moi, on doit bosser deux fois plus dur pendant l'absence de notre coéquipier, mais je ne pense pas que nous allons rencontrer trop de problèmes, sans lui dans les parages.

— Passe le bonjour à ton mari, dans ce cas !

Gretta sourit à la naine qui était en fait un soldat de l'armée de Lanartis. La petite guerrière portait une armure de cuir avec les symboles de la nation affichés sur le torse et sur le dos. Elle affichait un large sourire et était de très bonne humeur. Elle ignorait que sa nouvelle marchande préférée était en deuil. Elle partit donc en direction du magnifique château qui se trouvait au centre de la ville et laissa la fermière s'occuper de ses affaires.

— Elle est vraiment mignonne, tu ne trouves pas ? dit Misha qui passa la tête par-dessus la porte à deux vantaux de leur boutique. J'aimerais trop avoir ses cils.

— Allons, elle est mariée, dit Gretta qui taquinait sa fille.

— Oh, je sais, mais j'envie son regard naturel. Plusieurs de nos clientes la trouvent charmante, lorsqu'elle vient prendre le thé avec nous.

Gretta hocha la tête, puis ramassa un baril qu'on avait déposé près de la porte pour elle. Il n'était pas lourd, donc elle pouvait le soulever d'une main. Elle le passa à Misha. Ce tonneau contenait des petits flacons, protégés par du rembourrage, que la jeune demoiselle avait fait venir de la république. C'était de vieilles bouteilles de parfums de leur ancienne ferme, qu'elle comptait vendre à prix réduits, pour les clients de cette ville.

Pendant ce temps, un papillon bleu survolait la ruelle dans laquelle Gretta et Misha s'apprêtaient à ouvrir leur boutique pour la journée. L'insecte de couleur chatoyante ne s'était jamais aventuré si haut ; mais celui-ci avait une mission très importante à accomplir et il n'allait pas s'arrêter, même si la douce brise du vent l'empêchait de se rendre à destination facilement. Au bout de cette ruelle, une vieille dame ouvrit sa baie coulissante, afin d'aller prendre un peu d'air et profiter du lever du soleil. Elle était l'une des clientes habituelles des Doyle.

Coup de chance, le papillon se fit soulever dans les airs et atterrit sur le réverbère, placé près de la porte et examina celle qu'il devait rencontrer... ou plutôt, qu'il devait toucher. Il avait reçu un ordre précis et s'il ne remplissait pas ce dernier, son maître lui en voudrait.

La vieille dame tenait une tasse de thé et se pencha sur la clôture de fer, à laquelle elle avait passé une bonne partie de sa vie à admirer le paysage ; y compris la ruelle qui s'offrait à elle chaque jour. Elle passa sa main libre dans sa chevelure grise et blanche, puis sourit à Gretta, alors que cette dernière lui saluait avec enthousiasme. La pauvre dame ignorait que cela serait son tout dernier souvenir, car déjà le papillon s'élança vers elle et se posa sur sa joue.

Aussitôt, la pauvre femme âgée lâcha sa tasse qui se fracassa au sol, près d'elle. Le liquide s'éparpilla à ses pieds. Elle aurait pu en souffrir, mais elle était déjà morte. Son corps tomba par-dessus la clôture et s'écrasa devant sa maison, dans une énorme flaque de son propre sang. Quelques passants avaient vu la scène avec horreur et crièrent à l'aide. Gretta lâcha le second paquet qu'elle comptait rentrer dans sa boutique et hurla un juron avant de courir vers la vieille dame morte.

Après avoir réussi son coup, le petit papillon bleu virevolta loin de la ruelle. Il partit rejoindre un individu vêtu d'une longue cape noire, qui s'était installé près d'un café bistro où l'on servait des viennoiseries et de délicieux chocolats chauds. L'insecte se posa sur l'index de l'individu à la cape, comme si ce dernier l'avait attendu.

— Très bien, mon ami... Cette cible nous a déjà donné un peu plus de puissance... murmura l'homme, un sourire aux lèvres. Tu as fait de l'excellent travail. Maintenant repose-toi... J'ai d'autres objectifs qui t'attendront prochainement...

Le papillon se désintégra dans un petit nuage de poussières, alors que l'étranger prit une gorgée de son café. Il était satisfait du travail de sa petite servante ailée, qui était retournée aux profondeurs des enfers...

Tu as peut-être remporté notre duel, Artael, mais jamais, tu ne réussiras à nous vaincre complètement... pensa le mystérieux personnage qui se frotta le menton. Tiens-toi prêt, car bientôt, nous reviendrons et nous gagnerons la partie. Ce jeu ne fait que commencer...

Fin du Volume 1.

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