55. Le plan du tyran

À l'aube, quelques brigadiers, ainsi que les esprits élémentaires, s'étaient rassemblés près de la fontaine du centre-ville. Seule Cassandra n'était pas présente, car elle dormait. Misaki et Sakura avaient déjà fait leurs adieux à Lusso, qui avait dormi en compagnie des fillettes durant la veille. Windy était perchée sur les rebords du puits, alors qu'elle attendait l'ordre de Dia pour partir. Flint était penché près de la louve et lui donnait un dernier câlin avant de se relever. À côté de lui, Gabriel observait le tout, avec Estelle sur ses épaules.

— Bon bah... Merci pour votre hospitalité, leur dit Dia, avant de se tourner vers ses frères et sœurs. Nous reviendrons bientôt, c'est promis !

— Prenez soin de Shayne pour moi, d'accord ? demanda Nox en direction de ses amis. Il a besoin de compagnie, même s'il fait son bougon et son solitaire.

— Je suis assez grand pour faire mes choix moi-même, gronda Shayne, même si l'on pouvait ressentir un peu d'affection dans son regard.

— À notre retour, nous devrons fêter notre victoire, d'accord ? proposa Lusso. Vous avez intérêts à ne pas chômer !

— Toi non plus, petite fripouille, répliqua Misaki, sur un ton enjoué.

Pendant que Luna observait ses amis, qui faisaient leurs adieux aux quatre gardiens élémentaires, elle semblait perdue dans ses pensées alors que Wyatt à ses côtés lisait un grimoire. Celui-ci n'avait alerté personne à propos de l'étrange apparition qu'il avait eue, durant la veille. Il avait déjà oublié ce détail, tellement il était absorbé dans son apprentissage de recettes de potions.

Windy prit son envol au moment où Dia leur annonça qu'il fallait partir. Quelques instants plus tard, les quatre esprits élémentaires se transformèrent en sphères lumineuses et se dissipèrent aux quatre vents. Leurs alliés regardèrent ces derniers s'éteindre dans l'atmosphère.

Lorsque les petites boules d'énergies eurent complètement disparu de leurs champs de visions, les brigadiers retournèrent à leurs travaux malgré la tristesse qui s'emparait chez la plupart d'entre eux.

Shayne demeura près de la fontaine un moment, aux côtés de Misaki et de Sakura. Il repensait à tout ce qui s'était passé depuis son arrivée à Baldt et même avant. Il y avait encore de nombreuses histoires qu'il n'avait jamais voulu raconter à personne, toutefois le simple fait de voir un ami partir ainsi, lui brisait le cœur.

— Tout va bien ? lui demanda Misaki, inquiète.

— Oui, oui... mentit l'intéressé.

Il se souvint des premiers jours passés en compagnie du puma noir, lui qui avait voyagé seul pendant une longue période de sa vie. Cela lui avait pris un certain temps pour s'habituer d'entendre une voix le sortir de ses pensées, au moins une fois à toutes les heures. Cependant, il n'était plus seul et avait plusieurs tâches à accomplir à tous les jours, maintenant qu'il était l'un des membres haut placés de la république. Il commençait à avoir soif de sang frais. Peut-être serait-il bon pour lui de s'absenter un peu et d'aller à la chasse.

Il se tourna vers Misaki et lui demanda :

— Peux-tu avertir le bureau que je dois aller me nourrir, s'il te plaît ?

Elle opina du chef, puis l'observa partir en direction des bois.

Luna et Wyatt, de leur côté, retournèrent à la bibliothèque à laquelle attendait Kyran. Celui-ci avait plusieurs documents à faire signer à l'adolescent, puisqu'il allait désormais travailler comme troisième bibliothécaire. Cela faisait partie de ses nouvelles fonctions, maintenant qu'il faisait officiellement partie de la Septième Brigade.

Alors que Luna laissa les deux hommes bavarder dans leur coin, elle s'éloigna un peu, s'appuya sur les bordures d'une fenêtre et observa les bois au loin. Elle soupira et se demanda quelle serait sa prochaine mission. Elle avait envie d'un peu d'action, elle s'ennuyait à force de ne faire que du ménage. Elle n'avait pas vraiment eu le temps de lire ou bien de faire des potions depuis la fin du conflit.

Au couloir principal, Flint, Gabriel et Estelle discutaient avec un messager qui venait d'arriver au palais. Il leur avait livré une missive qui venait de Xu Fahn. L'ambassadeur d'Archenwald allait arriver en bateau d'ici à quelques heures, d'après cette lettre. Flint se dit qu'il serait une bonne idée d'en faire part au Conseil.

— Au fait, chéri ? dit Gabriel, qui ramassa la feuille, d'une main libre. C'est où Archenwald ? Je ne m'en souviens pas...

Son mari le regarda d'un drôle d'air alors que le messager s'en retournait d'où il venait. Gabriel n'aimait pas trop ce temps d'attente. Il avait l'impression dit une connerie.

— C'est la capitale de Lanartis, voyons ! répliqua Flint.

— Oh, pardon... Ça m'est complètement sorti de la tête.

Estelle gloussa sur les épaules de son père bedonnant.

— En tout cas, il faudrait que l'on passe ce message à Grand-Papa Artie, déclara la préadolescente. L'ambassadeur vient à Baldt justement pour le rencontrer, non ?

Flint hocha la tête à cette question.

— Donc il devrait arriver au port de Xu Fahn ? demanda Gabriel.

— Si on en croit les directives sur ce bout de papier, répondit son époux.

— J'aimerais bien retourner là-bas, mentionna Estelle.

— Ah bon ? ajouta Flint. C'est vrai que tu ne sors presque jamais de la ville... Un jour, on pourrait t'emmener faire un pique-nique avec Sakura et Misaki, non ?

— Oui, j'aimerais ça ! s'exclama sa fille, ravie.

Sa poupée lui échappa aussitôt des mains, alors qu'elle sautillait de joie sur les épaules de son père imposant. Celui-ci rattrapa l'objet rapidement ; Estelle avait eu peur. Il lui remit le jouet. Une fois rassurée, ses parents sourirent.

— Je suis heureux de voir que tu aimes tant ta poupée, dit Flint.

— Magalie me donne de la force et du courage, expliqua Estelle, qui serra son trésor contre son torse. C'est aussi grâce à elle si j'ai maintenant deux papas trop cool pour prendre soin de moi et de tout le monde autour de nous !

— Je ne pense pas que ce soit le cas... protesta Flint, d'une humeur à taquiner sa fille. Mais... peut-être que...

— Eh ho ! Elle est magique, papa ! insista la préadolescente. En plus, elle veille sur moi, quand je dors.

Gabriel soupira et secoua sa tête. Il valait mieux ne pas trop perturber cette enfant qui avait eu une enfance assez difficile. Il espérait qu'elle s'épanouirait au fil des prochaines années. D'après ses professeurs, elle avait fait beaucoup de progrès et était même douée dans presque toutes ses classes. Elle n'était pas encore au même niveau que les enfants de douze ans, mais bientôt, peut-être que ce sera le cas. Il ne s'inquiétait pas non plus qu'elle s'intéresse encore aux peluches et aux poupées. Il savait que plusieurs enfants dans la rébellion avaient vécu avec très peu de jouets et qu'ils rattrapaient tous le temps perdu, maintenant qu'ils le pouvaient.

— Ne l'agace pas trop, Flint, grogna Gabriel.

Il ne pouvait pas s'empêcher de sourire, malgré tout.

— Tu vois ? dit Estelle fièrement. Même lui, il est de notre côté.

— Mais oui, mais oui, ajouta Gabriel qui fit une petite caresse sur la joue de son enfant, alors qu'elle faisait danser sa poupée sur sa tête ébouriffée.

— On ne plaisante pas avec les gamins, tu le sais bien, déclara Misaki, derrière eux.

Elle tenait la main de sa fille.

— Ouais ! lança Estelle, ricaneuse. Nous sommes invincibles !

— Oh ce que tu es vilaine... dit Flint avant de prendre sa fille par surprise. Je vais devoir te punir, ma petite lapine !

Il déposa son enfant par terre et commença à lui chatouiller la nuque et le dos. Elle se mit à glousser et s'élança vers l'avant, alors qu'elle criait d'excitation.

— Je vaiiiiiis t'attraper ! lança Flint sur un ton enjoué.

Misaki sourit tandis qu'elle observait la scène.

— Content de voir que ton mari a recommencé à se sentir mieux, dit-elle, maintenant qu'elle se trouvait plus près de Gabriel.

— Ouais... ça fait du bien, répondit-il.

Sakura tourna alors son regard vers sa mère.

— Je peux aller jouer avec eux... ? couina-t-elle.

— C'est bon, tu peux y aller, ma chérie.

L'enfant à la chevelure noire se mit à courir en direction de Flint et de sa bonne amie. Elle pouffa de rire avant de lancer :

— Je vaiiiiiis te sauver, Esteeeelleuh !

L'enfant faillit trébucher, mais se redressa rapidement et bondit comme une gazelle, en direction de la petite blondinette et de son père. Elle avait l'air de tenir dans ses mains une épée imaginaire et provoquait déjà Flint en duel, quand elle se mit entre Estelle et lui. Flint fit alors semblant d'être une bête féroce et se mit à chasser les gamines.

Misaki soupira de soulagement. Elle était convaincue que tout allait enfin rentrer dans l'ordre pour sa fille et elle. Comme la journée précédente, elle s'était portée volontaire pour faire le ménage à travers cet étage et avait déjà réparti plusieurs tâches à travers les serviteurs et les brigadiers.

— Sinon, Gab... commença-t-elle. Je ne sais pas si tu savais, mais je suis à nouveau que simple brigadière. Flint sera votre capitaine à partir de maintenant.

— Ah bon ? formula-t-il. Est-ce qu'il le sait, au moins ?

Il tourna son regard éberlué vers son amie.

— Oui, nous avons pris cette décision ce matin-même, alors que nous déjeunions au réfectoire. Il est temps pour moi de me concentrer sur ma grossesse. Tout ce stress des derniers jours m'a fait réaliser que je vais devoir mieux prendre soin de mes enfants.

— Ah... Il est vrai que je n'ai pas beaucoup discuté avec Flint, depuis notre levé. Il ne tenait plus en place, parce qu'il voulait passer un peu de temps avec Dia. Ça m'étonne qu'il ait accepté de prendre le poste, comme ça, sur un coup de tête.

— En fait, ça faisait déjà deux jours qu'on s'en parlait, lui et moi. Il se sent prêt pour prendre la relève. C'est tout ce qui compte.

Gabriel hocha la tête et retourna son attention vers son mari qui se trouvait à présent, allongé sur le dos, au sol, alors que les deux gamines venaient de le renverser avec des chatouillis. Il n'en revenait pas à quel point son partenaire de vie avait changé.

Misaki se dit qu'il était temps pour elle de se rendre au bureau des affaires administratives du palais et dire au secrétariat que Shayne s'était absenté pour quelques heures. Le colosse, de son côté, regardait la lettre que son époux lui avait laissée. Il se dit qu'il serait mieux de la remettre à Kyran.

¤*¤*¤

À cet instant, aux cachots du palais. Troyd était allongé sur sa couchette en bois. Il regardait le plafond de sa cellule, pendant qu'il comptait les minutes depuis son dernier repas. Il commençait à s'impatienter d'attendre que son frère vienne lui rendre visite. L'un des geôliers lui avait expliqué que le président était occupé et qu'il ne méritait aucune visite.

Troyd n'arrêtait pas de provoquer les passants et les gardes qui s'occupaient de lui. À chaque heure, un mage passait devant sa cellule et l'affaiblissait avec un maléfice, ce qui l'empêchait de regagner des forces. Ses pouvoirs étaient gravement affectés, mais il était toujours capable de se défendre physiquement. Le désir de tuer ne l'avait pas quitté, même après le dernier combat. Après s'être fait plaquer au sol par cette grosse andouille de marionnette, que les autres Markios avaient adopté, il avait juré qu'il se vengerait d'eux.

Il était dans une fâcheuse situation et avait l'étrange sensation que sa déesse s'était jouée de lui. Perséphone n'abandonnerait jamais l'un de ses croyants entre les mains de ces infidèles ; du moins, c'était ce qu'il croyait. Il était persuadé que tôt ou tard, elle lui enverrait quelqu'un, un disciple ou bien un démon, pour le sortir de cette prison. Si seulement il pouvait contrer les effets négatifs de ces nombreux maléfices... Il pourrait s'évader rien après avoir fait exploser un mur ou bien en tuant quelques-uns de ces stupides gardes...

Allons, mon gars... pensa-t-il. Il faut que tu t'endurcisses.

Il s'allongea au sol et commença à faire quelques pompes. Au bout de cent, il stoppa un instant et prit un repos de quelques secondes avant de recommencer. Déjà, il arrivait à ressentir le mana qui coulait dans ses veines. Cette réserve de magie ne suffirait pas à causer le moindre sort offensif. Malgré tout, il se sentait rassuré que le voile lui permettait encore d'invoquer les forces spirituelles, pour lancer des sorts.

Et si j'infusais ma magie quelque part dans cette cellule ? cogita-t-il. Il me faudrait un réceptacle temporaire pour y stocker ma magie. Comme ça, les mages ne s'attendront pas à ce que je les attaque par surprise...

En théorie, cette idée pourrait bien lui servir, car il avait déjà vu Randell employer de cette technique, lorsqu'il créait des golems. Cependant, Troyd était loin d'être un expert en sorcellerie. Il pouvait faire apparaître des vents violents ainsi que des flammes extrêmement dangereuses. Néanmoins, il manquait de discipline. De plus, sa concentration était médiocre.

Randell lui avait expliqué à plusieurs reprises que l'art de la magie ne consistait pas seulement de détruire l'ennemi, qu'il fallait aussi l'apprivoiser comme une bête et en faire son alliée. Troyd n'avait jamais compris les mots de son mentor, qui était mort quelques jours plus tôt. Tout ce qu'il avait à faire, par contre, c'était de se concentrer et de mettre en pratique ce qu'il avait appris jusqu'à ce jour.

Pendant qu'il faisait une autre série de pompes, Troyd essaya de concentrer la magie en lui jusqu'au bout de ses doigts. S'il fallait qu'il ensorcelle cette cellule, il commencerait par le ciment. Il respira lourdement, tandis qu'il essayait de faire ces deux choses à la fois. Les gardes passaient devant lui, sans se douter qu'il était en train de planifier son évasion. S'il réussissait son coup, il ferait éclater cet endroit et prendrait la fuite. Il fallait d'abord répandre du mana au sol et espérer que cela fonctionne. Le plan était de faire tout ceci dans la plus grande discrétion qui soit.

À en croire les dires de ces p'tits cons, je vais passer au tribunal d'ici à trois jours, pensa Troyd. Ça me laisse assez de temps pour m'entraîner secrètement...

Vers une heure de l'après-midi, il entendit des pas venir dans sa direction. Beaucoup plus rapide que le cliquetis des armures des gardes. Il y avait aussi des bruits métalliques ; un couvert en métal venait de taper un ustensile. Une odeur de bifteck lui chatouillait déjà les narines alors qu'on se mettait en face de sa cellule.

Un soldat était venu lui apporter son repas. Le prisonnier huma l'odeur de la viande, puis repoussa son assiette sous les barreaux.

— C'est votre dernier repas de la journée, dit l'homme de l'autre côté de la cellule. Vous devriez manger avant que ça devienne froid.

— Qui me dit que ce n'est pas du poison ?

— Le Conseil ne ferait jamais une chose pareille, dit l'homme, qui fronça des sourcils. Vous devez passer devant un tribunal d'ici aux prochains jours, nous devons vous garder vivant.

— Je n'ai pas besoin de leur charité.

Le soldat secoua la tête et soupira.

— Ça me chagrine que vous soyez tombé si bas, vous qui étiez jadis l'un de nos plus forts guerriers, déclara ce dernier. J'ai servi sous les ordres de Virgile durant plusieurs années, j'étais l'un des tout premiers capitaines, lorsque les brigades furent formées. Autrefois, je voulais être comme vous et diriger l'armée pour le bien de notre nation... Quand je vous vois ainsi dans cette cellule, tout ce qui me vient à l'esprit, c'est du mépris et de la pitié.

— Je n'ai jamais eu le malheur de vous rencontrer, je suppose ?

— Jamais. De toute façon, ce n'est pas comme si vous alliez me reconnaître. Vous vous êtes toujours comporté comme une ordure, mais au moins, on pouvait compter sur vous pour lutter contre nos adversaires...

L'homme poussa une seconde fois le plateau de nourriture vers Troyd.

— Mangez ou crevez, dit-il. Ça m'est égal.

Puis, il partit et laissa l'ancien général seul avec ses pensées et le plat de bifteck devant lui. On lui avait passé des ustensiles en plastique et une bouteille d'eau. Il se racla la barbe avant de prendre la fourchette du plateau. Il commença ensuite à piocher sur le morceau de viande, comme s'il contenait un danger quelconque. La curiosité du guerrier satisfaite, il prit une bouchée de pomme de terre, puis une gorgée de la bouteille. Il y avait un avantage d'être prisonnier aux cachots du palais présidentiel : il était logé et nourri gratuitement.

Trois jours, se dit-il. C'est assez pour faire de cette cellule une bombe et m'évader... Je devrais continuer mon plan discrètement avec les nombreuses rondes des mages... Ils finiront bien par se douter que je trame quelque chose. Si je ne dors pas cette nuit, je serai probablement capable d'avancer tout ça plus rapidement... Tout compte fait, il n'est pas si mal ce repas...

Après avoir fini son plat, Troyd décida d'aller s'allonger sur sa couchette et finit par faire une sieste. Il commençait à trouver le temps long, ici.

Si au moins, on avait pu m'offrir des magazines pornos ou même un bouquin... réfléchit-il avant de fermer les yeux. Ils n'ont aucun savoir-vivre, ces enflures !

Sur ces pensées, il tomba endormi quelques minutes plus tard.

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