53. Tendres moments

— Je suis heureux que ton père s'en est remis, dit Gabriel qui se mettait les mains derrière la tête. Les médecins disent qu'il est hors de danger.

De retour à leur appartement, Flint et Gabriel partageaient un moment intime alors que Dia avait préféré passer la nuit à l'extérieur, à chasser du gibier. Sakura avait insisté pour qu'Estelle aille dormir chez elle avec sa poupée Magalie. Misaki avait accepté de prendre la petite pour la soirée, ce qui laissa la chance aux jeunes mariés de consumer leur amour sous la douche.

À moitié-nu, Gabriel s'observait dans la glace comme à toutes les fois qu'il passait devant un miroir. Flint roula les yeux avant de passer ses mains autour de la panse de son mari, qui sourit. Il déposa ensuite son menton sur l'épaule de celui-ci.

— Quel charmant jeune homme, déclara Flint avant de l'embrasser sur la joue.

— Tu dis ça à toutes les fois que je passe devant cette foutue glace.

— Mais c'est parce que je le pense, voyons !

— N'importe quoi, va. Je parie que tu dirais ça à n'importe quel gros mec poilu !

— Mmm... C'est vrai... J'adore mes ours.

— Tu es incorrigible, Flint Markios, soupira Gabriel avant de ricaner.

— Dis celui qui n'hésite jamais à s'admirer dans la glace quand on a le dos tourné...

— Mais... quoi ? J'ai le droit de me trouver sexy, non ?

Gabriel rougit timidement. Flint pouffa de rire et embrassa ce dernier une seconde fois avant de l'attirer vers leur lit, où ils s'allongèrent tous deux, côte à côte. Gabriel se sentait très fatigué, à cet instant, alors il préféra se coucher avant son mari. Il l'embrassa à son tour, puis se roula en petite cuillère de son côté du lit, tandis que Flint se mit dans une position confortable, face au dos de son imposant mari. Il passa une main par-dessus son gros ventre tout chaud et tout accueillant.

— Les gens ne savent pas ce qu'ils manquent en rejetant les nounours comme toi, dit Flint, excité. Tu es tellement mignon...

— Quelqu'un a besoin d'attention ce soir, commenta Gabriel qui décida de se tourner face à face avec Flint.

— Ou plutôt, quelqu'un est reconnaissant que son mari soit toujours en vie. Surtout après l'excellent combat qu'il a mené contre la pire crapule de toute la république...

Gabriel soupira avant de sourire à son âme-sœur.

— Ah Flint... Ma belle banane d'amour ! déclara le golem, avant de l'embrasser sur le front. Impossible de dormir avec toi dans le lit, hein ?

Flint hocha la tête et ricana, avant d'enfouir son visage dans la poitrine du colosse qu'il se mit à bécoter et à caresser. Ensuite, il le chatouilla un peu partout. Gabriel poussa un petit cri strident et se tortilla dans le lit, comme à chaque fois que Flint le prenait par surprise. Il toisa alors son mari et bouda, pendant que l'autre, de son côté, riait aux éclats.

Puis Gabriel gloussa et serra son partenaire contre lui. Il huma son odeur et se sentit bien. Voilà quelque temps qu'ils n'avaient pas eu une soirée comme celle-ci. Ils avaient profité de cet instant pour se reposer après une longue journée de travail.

— Bonne nuit, mon cœur, dit-il. Je t'aime.

— Moi de même, Gabriel. Fais de beaux rêves.

— Toi aussi.

Flint éteignit la lampe à son chevet et retourna se coller contre l'amour de sa vie. Cette nuit-là, il rêva de sa mère et de son oncle, puis de la conversation qu'il avait eue avec eux devant l'église de Baldt. Gabriel, de son côté, passa la nuit à rêver d'un vaste buffet qu'on avait cuit en son honneur, pour avoir nettoyé une bonne partie du palais à lui seul.

Flint se réveilla au beau milieu de la nuit, et constata que Gabriel mâchonnait son oreiller.

Gros nigaud, pensa-t-il, avant de rouler les yeux.

Il se rendormit un instant plus tard.

¤*¤*¤

Luna déposa un dernier livre dans la rangée des œuvres de recherches lorsqu'elle entendit les douze tintements de l'horloge, au fond de la bibliothèque. Wyatt et elle étaient les seuls à être restés dans la vaste pièce, après que les volontaires aient décidé de partir se coucher. Wyatt avait insisté de rester un peu plus longtemps, pour finalement demeurer avec elle, jusqu'à la tombée de la nuit et encore plus.

Minuit passé, il commençait à s'endormir alors qu'il révisait un passage important dans son livre de Maîtrises de Potions et Herbes Magiques. À côté de lui, la marmite dont il s'était servi durant la journée avait été ôté du poêle en fer, qu'on avait posé pas très loin du pupitre de Luna. C'était là où elle préparait ses potions en silence, lorsqu'elle n'avait pas d'autres corvées à faire durant ses journées libres. Luna avait pour ainsi dire réaménagé une partie de la bibliothèque, afin d'en faire son laboratoire.

Wyatt déposa son livre sur le pupitre et bâilla.

— Tu devrais aller te coucher toi, lui dit Luna.

— Pas avant d'aller vérifier les archives. Je sais qu'on a retrouvé une bonne partie des papiers dans les piles de livres, mais il nous manque encore des feuilles importantes, en ce qui concerne certains documents historiques.

— Il se fait tard, Wyatt. Si on ne retrouve pas ces feuilles, ce n'est pas grave. Tu n'auras qu'à rendre visite à l'académie de Xu Fahn. Les scribes ont tendance à leur envoyer des manuscrits, de tous les quatre coins de la république. Avec un peu de chance, ils pourront t'aider.

— Je veux quand même vérifier, si ça ne te dérange pas. Je tiens beaucoup à mon devoir.

Luna haussa les épaules, puis observa l'archiviste qui se leva du pupitre. Wyatt s'éloigna ensuite pour se rendre au rayon des archives. Elle l'observa retirer quelques livres, les replacer rapidement pour ensuite en vérifier d'autres. Il était tellement fatigué qu'il ne remarqua même pas qu'il venait de renverser quelques documents, en passant près d'une grande table.

— En fait, tu ne m'as toujours pas expliqué pourquoi tu es fasciné par l'histoire de notre république, commenta Luna. Il est rare de voir des jeunes de notre âge s'intéresser autant à notre culture.

— Mmm... C'est un travail comme un autre, et la connaissance est la plus fine des lames, dit-on. Mon instructeur m'a autrefois enseigné que les plus instruits des magiciens mûrissent beaucoup à force de lire.

— Je vois... Et tu pratiques la sorcellerie depuis combien de temps ?

— J'avais quatre ans lorsque mes premiers pouvoirs se sont manifestés, cependant, je manque de pratique pour lancer des sorts offensifs.

— Et quel est le nom de ton maître ? Est-ce un puissant sorcier ?

— Ça n'a pas d'importance, dit Wyatt qui replaça un autre livre dans l'allée des archives. Il est mort de toute façon.

Luna haussa un sourcil lorsqu'elle entendit ces paroles.

— Il n'y a que six mages légalement enregistrés dans les dossiers militaires de Baldt, dit-elle. Artael, Nash, Kyran, Randell, toi et moi. D'où viens-tu, plus exactement ? Tu as l'accent d'un citoyen de la région.

— Tu poses beaucoup trop de questions...

— Écoute, j'ai déjà deviné que tu es l'apprenti de Randell. Il est mort et maintenant, tu as besoin d'un nouveau mentor... On n'engage pas les traîtres ici, mais je vais quand même te laisser utiliser notre bibliothèque pour t'instruire. De toute façon, je commençais à trouver le temps long...

Wyatt remonta rapidement ses lunettes, sur le haut de son nez. Il fixait Luna avec attention, choqué qu'elle ait déjà deviné qui il était.

— Eh bah... Tu es beaucoup plus rusée que je ne l'avais imaginé, dit-il. Voilà pourquoi il m'avait dit de me faire discret. Mais si ça peut te rassurer, je n'ai jamais voulu faire renaître Perséphone. Je voulais tout simplement en apprendre davantage sur l'art de la magie. Rares sont les mages à Baldt, capables d'instruire leur sagesse.

— Je comprends, déclara l'adolescente en souriant. J'imagine que nous pourrions nous entraider, à mieux comprendre notre art. Qu'en penses-tu ?

Après s'être rapproché de Luna, il accepta. Il lui montra sa main en guise de reconnaissance. Elle décida de la serrer et exprima :

— Bon bah, puisqu'on est potes maintenant, tu dois me promettre de ne jamais me trahir, sinon je vais te chauffer les fesses. De toute façon, tu es dans mon équipe et comme je suis ton aînée, tu es sous ma responsabilité.

Wyatt pouffa de rire, alors que Luna était sérieuse.

— Je dois avouer que tu es beaucoup plus amicale que mon oncle, admit celui-ci. Lui, il me prenait tout simplement pour son larbin quand il était encore à Baldt.

Luna cligna des yeux, puis réalisa qu'elle avait la bouche grande ouverte lorsqu'elle comprit les liens entre Randell et Wyatt.

— Oh, ça explique pourquoi tu as de la magie dans le sang, dit-elle.

— En fait pas vraiment, répondit Wyatt. C'est une simple coïncidence. Nous ne partagions pas les mêmes gènes, mais il s'entendait bien avec ma famille. C'est pour ça qu'il a fait de moi son apprenti. Il insistait pour que je le traite comme un oncle.

— Je vois... Par contre, il faudrait que tu m'expliques ce que tu faisais à Baldt depuis l'automne dernier. Si j'ai bien compris, tu étais un espion pour leur cause, pas vrai ?

Wyatt fit signe que non de la tête.

— En fait, je n'étais qu'un livreur d'ingrédients alchimiques pour Randell. Il me voulait à une place et c'était ici. Parfois, il m'envoyait des lettres pour que je m'absente de la capitale. Je devais aussi couvrir mon logement, alors j'ai décidé de rejoindre les brigades. Jusqu'à ce que je rejoigne l'équipe de Ruby, je n'étais qu'un simple patrouilleur de jour. Pas besoin de t'expliqué pour mon transfert dans la Septième Brigade...

— Donc, tu as décidé de venir me rencontrer, j'imagine ? commenta Luna.

— Oui, mais puisque personne ne travaillait aujourd'hui, j'avais envie de consulter les archives... Alors, voilà mon histoire.

Luna pencha sa tête d'un côté. Elle trouvait son histoire peu convaincante. Cependant, elle commençait à apprécier sa compagnie.

— Et tes parents dans tout ça ? dit-elle. Que pensent-ils du fait que leur fils soit un mage ?

— Ils n'ont pas d'opinion là-dessus, ils sont morts depuis des années.

Luna rougit honteusement.

— Désolé, je ne savais pas... dit-elle.

Il haussa les épaules et répliqua :

— Mon village était autrefois à l'est de la capitale. Celui-ci a été envahi par les démons, quand j'avais à peine trois ans. Quelques jours plus tard, Randell m'a retrouvé et m'a emmené vivre à une ferme, où il connaissait des amis de mes parents.

— Minute, tes parents étaient amis avec Randell, tu veux dire ?

— Ouais... Et ma famille adoptive aussi. Ils sont tous originaires de Xu Fahn. J'ai donc grandi entouré de bateaux et de l'eau salée de l'océan. Ça m'a fait du bien de venir vivre ici, car l'air est plus... propre.

— Et qu'en est-il de ta relation avec Randell ?

— Elle était étrange. Il venait me rendre visite de temps à autre pour m'apprendre les bases de la magie. Le reste, je l'ai appris en allant à l'académie. Quand il a quitté la capitale, j'ai dû délaisser mes études afin de venir m'installer ici. C'étaient ses ordres.

— Ah... donc, tu étais vraiment son élève... Je pensais qu'il ne prenait personne comme apprenti.

— C'est aussi ce qu'on disait à Xu Fahn, parce qu'il était très occupé. En tout cas, tu sais déjà tout le reste. Y a-t-il autre chose que tu veux savoir ?

Luna se gratta la tête et fit signe que non. Elle trouvait étrange d'apprendre que l'ancien conseiller avait un neveu dont il n'avait jamais mentionné l'existence à personne, d'autant plus qu'il faisait désormais partie de son équipe.

Les mages étaient très importants dans cette nation et Wyatt avait déjà du potentiel, puisqu'il savait maintenir de puissants champs de force. Avec la trahison de Serenity, qui s'était révélée être leur ennemie jurée et la mort de Nash ; l'armée avait grand besoin de sang neuf. Elle jugeait que les conseillers avaient eu raison de le transférer dans la Septième Brigade. Après tout, ils étaient souvent sur la route. Son apprentissage à leurs côtés lui permettrait de s'entraîner avec Luna.

— Randell souhaitait que je sois en sécurité, même s'il m'a toujours traité comme un chien, déclara Wyatt qui n'avait pas tout à fait fini son histoire. J'aurai tout fait pour lui, tu sais ? Il m'a appris comment utiliser certains sorts et comment survivre par moi-même, mais à part ça, il était difficile à gérer. Il fallait toujours que je me débrouille seul sur plusieurs sujets. Ce n'était pas toujours évident. Il était très strict.

Luna haussa les épaules et secoua la tête.

— Moi, j'ai appris mes pouvoirs sans l'aide de personne, répliqua-t-elle. Tu as sûrement entendu parler des sœurs gorgones qui vivent dans les bois, non ? L'une d'entre elles m'avait capturée, lorsque je n'étais qu'une enfant et durant de nombreuses années, j'en ai profité pour apprendre tout ce qu'elle conservait dans ses grimoires. Je faisais tout ça pendant qu'elle s'absentait.

Le visage de Wyatt s'assombrit, triste pour elle.

— J'avais entendu cette rumeur, désolé...

Les deux mages sortirent de la bibliothèque après avoir terminé leur longue journée de travail et discutèrent de tout et de rien durant un certain temps dans les couloirs. Lorsque le sommeil finit par les rattraper, Luna souhaita bonne nuit à Wyatt et il la remercia pour la discussion. Il sortit ensuite par la porte principale du palais présidentiel.

Il descendit les marches, siffla un air de musique et réalisa qu'il était heureux de s'être fait une nouvelle amie. Tandis qu'il se dirigeait en direction de l'auberge, il ressentit une présence étrange qui planait au-dessus de sa tête. Il leva les yeux brièvement pour admirer un oiseau au plumage enflammé. Cette créature survolait la capitale, dans un vol majestueux.

Mais qu'est-ce que c'est... ? réfléchit le mage qui cligna des yeux. Serait-ce un phénix ?

Il observa l'étrange animal qui disparut, un instant plus tard, devenu qu'un simple brin lumineux parmi le reste des étoiles.

Se pourrait-il que ce soit Kelvin, l'esprit élémentaire du feu ? Après mûres réflexions, il était vrai que son maître cherchait autrefois à mettre la main sur ces créatures emblématiques. Cela n'avait plus d'importance à ses yeux. Il se demandait si cet animal enflammé dans le ciel recherchait quelqu'un. Il s'étira les bras, bâilla, puis se poussa la porte d'entrée de l'auberge.

Sa chambre était au premier étage, petite, mais assez large pour y contenir quelques objets personnels, ainsi qu'un coffre dans lequel il déposait la plupart de ses choses. Il retira ses vêtements et se coucha dans son lit, tout sourire. Ses dernières pensées, avant de s'endormir, tournaient autour du sourire de l'espiègle Luna... 

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