52. Le grand ménage

Au beau milieu de l'après-midi, Luna ramassa les livres qu'on avait éparpillés un peu partout dans la bibliothèque du palais. Furieuse et pressée de reprendre les affaires du quotidien, elle remit le tout en ordre alphabétique, dans les rangées qui avaient été saccagées ou bien démêlées durant les dernières heures. Quelques personnes étaient venues lui proposer leur aide, mais la plupart d'entre eux étaient maladroits et lui tapaient sur les nerfs. Aussi, elle avait un mal de tête qui ne la quittait pas depuis ce matin-même. La sieste qu'elle avait faite après le déjeuner ne l'avait pas aidé du tout.

En ce moment, Luna était distraite par ses pensées. Durant les derniers mois, sa brigade et elle avaient tout fait pour protéger les esprits élémentaires. Elle se sentait jalouse de ne pas avoir sa propre bête. Elle se demandait même, quel genre de créature magique serait en sa possession. Avec Gabriel, un peu plus tôt, elle avait blagué qu'elle ne serait pas étonnée si elle était destinée à rencontrer Bella, un jour ou l'autre. Celui-ci lui avait répondu que son affinité avec les flammes ferait sûrement d'elle un excellent choix pour Kelvin, le phénix.

La dernière fois qu'ils avaient entendus parler de l'oiseau, c'était lors de l'embuscade à Doylesbourg. Tout ça n'avait été qu'un piège tendu par l'armée de Perséphone. Luna fut vexée d'apprendre que celui-ci avait explosé avant de devenir un tas de cendres. Elle avait manqué sa toute première chance de le rencontrer.

Quelques heures plus tôt, Shayne avait ordonné à plusieurs de ses hommes de se diriger au centre de détention, abandonné au nord-ouest de la ville. Il espérait y trouver des disciples et de potentiels prisonniers de guerre. Il avait aussi déclaré aux brigadiers que cet établissement serait détruit et que les restes seraient ramenés à la capitale, afin de servir pour la reconstruction des bâtiments et peut-être même, la fondation de l'académie militaire. Plusieurs personnes présentes, lors de cette demande, avaient approuvé cette idée. Transporter le tout leur prendrait des semaines ; voire, des mois.

Luna n'avait aucun intérêt pour cette école, elle voulait simplement remettre sa bibliothèque en ordre et reprendre ses études de magie. Elle jeta un coup d'œil du côté de son bureau, où Wyatt Silverwind préparait une potion. Il suivait une recette dont la fonction était de contrer les effets du mal de tête de sa nouvelle collègue de travail.

Il avait été décidé, quelques heures plus tôt, qu'il devait rejoindre la Septième Brigade en tant que membre officiel. Plusieurs brigadiers avaient été tués lors de l'invasion et pour ce faire, les généraux et les conseillers n'avaient pas eu le choix de faire plusieurs transferts. Luna n'était pas certaine si elle allait l'apprécier. Elle n'aimait pas partager la vedette, en tant que magicienne officielle de la Septième Brigade. Embêtée, elle tapotait nerveusement la table près d'elle.

— Alors, il s'en vient ce remède miracle ou vais-je devoir aller le préparer moi-même ? bouda-t-elle.

— Patience, Luna, j'y suis presque !, dit-il avant de verser une pincée de poudre dans la potion en préparation.

— Eh... fais attention ! Ça change de coul-

Trop tard. La flasque avait changé de couleur et la potion explosa au visage de Wyatt. Le bureau prit feu, ainsi que plusieurs morceaux de papiers et de parchemins qui traînaient sur le pupitre. Pendant que Wyatt essayait d'éteindre les flammèches qui volaient dans tous les sens sur le pupitre de sa nouvelle amie, la magicienne explosa :

— Et ça se dit un expert en fabrications de potions ?! Non, mais je rêve !

Un brigadier qui passait de l'eau savonneuse sur une table avec un vieux chiffon, prit son seau d'eau et le jeta sur le pupitre enflammé de Luna. Cela eut l'effet de faire hurler l'adolescente, envers Wyatt et celui-ci.

¤*¤*¤

Pendant ce temps, à l'extérieur de la bibliothèque, Gabriel et Misaki discutaient alors qu'ils aidaient d'autres personnes à nettoyer les dégâts. Sakura et Estelle jouaient avec leurs poupées, quelques mètres plus loin, en compagnie d'un groupe d'enfants. Gabriel avait vu son mari revenir au palais avec Dia. Il voulait aller les rejoindre, mais il souhaitait aussi rendre service à l'albinos.

— Crois-tu que c'est sage de lever autant d'objets dans ton état ? dit Gabriel à Misaki.

— Arrête de t'en faire avec ça, répliqua-t-elle. Je peux très bien me ménager. Je ne suis pas stressée, je mange bien et je vais à mes sessions prénatales avec toutes les autres femmes enceintes, alors...

— C'est bon, c'est bon, dit-il en écarquillant ses yeux. J'ai compris.

— Pour la dernière fois, Gabriel. Je vais bien.

— Désolé.

— Maintenant aide-moi, veux-tu ? Il faut enlever la crasse de ce mur.

Elle lui passa un chiffon et un seau d'eau savonneuse et lui pointa ensuite les taches de sangs qui séchaient par terre et sur le mur près d'eux. Il grimaça dédaigneusement et s'agenouilla au sol, non sans se plaindre que ses os lui faisaient un mal de chien. Quand il eut terminé de se lamenter, il commença son travail.

Misaki détourna son attention vers Estelle et Sakura, ainsi que les autres gamins ; ils étaient tous en compagnie de quelques servantes. Lusso semblait s'entendre malgré tout avec les fillettes qui le prenaient pour une peluche. Il supplia sa porteuse du regard afin qu'elle le reprenne avec elle. La guerrière se contenta de hausser les épaules et partit rejoindre d'autres brigadiers ; ceux-là avaient besoin d'aide pour répartir les nombreuses tâches du rez-de-chaussée. Elle commença donc à donner de nouveaux ordres.

Gabriel de son côté continuait de frotter les taches de sang, et se demandait pourquoi Flint et Dia n'étaient pas venus le voir, plus tôt.

Quelque chose ne tourne pas rond avec eux, cogita-t-il, alors qu'il tordait le chiffon. J'espère que ce n'est rien de grave.

Il nettoya les carrelages devant lui et s'avança lentement. Il entendit les cris de rage de Luna dans la pièce d'à côté et cela lui donna froid dans le dos.

— Non... mais quand va-t-elle grandir un peu ? soupira-t-il. Je plains ce pauvre Wyatt. Je ne m'attendais pas à ce qu'il rejoigne notre équipe aujourd'hui même...

Il roula les yeux et continua sa tâche, machinalement. Il entendit aussitôt un battement d'ailes derrière lui et ressentit les serres de Windy s'agripper à son épaule.

— Aïe ! lança-t-il avant de se tordre de douleur. J'ai horreur que tu fasses ça !

Cassandra ricana derrière lui alors que Windy donnait des petits coups de becs affectueux, à l'oreille de Gabriel pour se faire pardonner. Elles avaient l'habitude, depuis leur rencontre, de lui faire peur occasionnellement. C'était juste pour rire, mais elles n'avaient rien tenté depuis quelques semaines. Gabriel soupira et caressa la tête de la crécerelle, avant de lui donner une friandise qu'il gardait dans l'une des poches de son pantalon.

— Dis-toi que c'est la dernière fois que je vais avoir l'occasion de te faire peur, avant un bail, déclara Windy. Nous partons, moi et les autres, d'ici aux prochaines vingt-quatre heures. Tu sais ? Le Saint Royaume et tout ça...

— Ah bon ? Vous y allez finalement ?

— Ce sont les ordres de la déesse et aussi de Dia.

— C'est triste hein ? dit Cassandra qui monta sa main gantée vers la crécerelle, afin qu'elle aille s'y percher. Windy va drôlement me manquer lorsqu'elle partira. Les autres aussi.

Gabriel fronça alors des sourcils, attristé par cette remarque.

— Voilà pourquoi Flint avait une triste mine tout à l'heure, dit-il.

Il essuya son front qui ruisselait de sueurs. La brunette fit non de la tête.

— Je crois plutôt qu'il a vu un fantôme, mentionna-t-elle. Je ne pourrais pas t'expliquer tout ça en détails, mais j'ai ressenti une présence surnaturelle près de la chapelle, il y a un moment. Windy aussi, d'ailleurs.

— Peut-être s'ennuient-ils de Nash, suggéra la crécerelle.

— Possible. Ça fait quand même quelques semaines, après tout.

— Le temps passe si vite... dit Gabriel. C'est à peine si on a pu s'en remettre. C'était toujours un drame par-dessus l'autre.

— En tout cas... Moi, ça me donne envie de rendre visite à mon village, déclara Cassandra. Je n'y ai pas mis les pieds depuis septembre. J'ai la chance de pouvoir communiquer avec mon ancienne communauté par courrier, mais ce n'est pas la même chose que d'être avec eux. Des vacances me feraient le plus grand bien... Je me demande si Misaki me permettra ce congé...

— Il faudrait d'abord qu'elle prenne le sien, suggéra Windy qui pointa la guerrière enceinte d'un coup de tête.

Misaki était toujours en train de donner des ordres à quelques servantes, elle voulait faire déplacer les corps des victimes un peu vers la sortie du palais ; les conseillers attendaient que les corps soient transportés au cimetière de la ville.

— Je peux lui toucher deux mots à ce sujet, suggéra Cassandra, qui cligna des yeux. Mais en même temps, je me sentirai bête de quitter la capitale, alors que vous avez tous besoin d'aide. Je vais attendre quelque temps avant de partir, je crois.

— Bonne idée, dit Gabriel.

Cassandra et Windy saluèrent le colosse avant d'aller assister Misaki. L'étage au complet avait besoin d'être reconstruit, à plusieurs endroits. Il n'y avait que la librairie, quelques salles de rencontres et le réfectoire qui n'avaient pas été grandement affectés par la confrontation des deux armées.

Lorsqu'il eut terminé de laver les tuiles à côté de lui ; Gabriel laissa le seau d'eau et le chiffon derrière lui, se rendit au groupe d'enfants et s'agenouilla auprès de sa fille, afin de lui faire un câlin.

— Dis, papa ? demanda Estelle, qui avait toujours envie de jouer. Est-ce que je peux passer plus de temps avec Sakura ?

Gabriel hocha la tête et l'embrassa sur le front, avant de remercier les servantes. Il s'éloigna ensuite en direction du réfectoire.

Il y retrouva Flint et la louve dans un coin de la grande pièce, leur assiette avait à peine été touchée. Tous deux semblaient réfléchir en silence, alors que Flint tenait la louve contre lui et que l'animal avait déposé son museau sur la table. Lorsque le blond vit son mari, il sortit de sa transe.

— Vous avez l'air d'avoir vu un mort, dit Gabriel qui s'installa en face d'eux.

— C'est le cas de le dire... J'ai vu Nash et ma mère dans une vision... Ils veulent que je sois une sorte de champion pour leur cause... Les ténèbres approchent. Kyran, Sarah et moi sommes destinés à combattre les forces du mal... Un truc dans le genre. La routine des élus quoi...

— Bah, ça ne parait pas si terrible que ça. Tu es déjà le membre d'une brigade dans laquelle il nous arrive souvent de combattre des démons et de vilaines créatures. Tu es doué pour le combat, tu ne peux pas le nier.

— Ça ne veut pas dire que je désire combattre pour le reste de mes jours...

Puisque son mari avait des pensées assez étranges, Gabriel décida de lui changer les idées et lui posa une question différente :

— Que sert-on de délicieux aujourd'hui, d'après toi ?

Flint haussa les épaules, puis mit son menton sur la tête de sa louve qu'il serrait contre lui.

— Voilà qui est ridicule, Flint, dit le colosse. On devrait commémorer notre victoire plutôt que de pleurer. Il faudrait aussi que tu te joignes à nous pour le grand nettoyage, hein ?

— Ça va, ça va... Je vais contribuer. J'ai juste besoin d'être seul pour le moment, seul avec Dia... Elle s'en va demain...

— Oui, mais je vais revenir, mentionna la louve qui se tourna le visage vers son porteur, pour lui lécher le menton.

Flint gloussa et caressa la fourrure de Dia, avant de regarder ce qui restait dans son assiette. Il tourna ses yeux vers sa partenaire. Celle-ci zyeutait la viande avec insistance.

— Mange le reste, si tu le veux, dit-il. Sinon, je le jette.

La louve ne se priva pas de dévorer ce qui restait du poulet en deux ou trois bouchées, puis ôta ses pattes de la table avant d'aller rejoindre Gabriel.

— Je crois que Luna aurait besoin d'un coup de pouce... mentionna ce dernier. Ses sautes d'humeurs sont de plus en plus dévastatrices... Je crains le pire...

On pouvait entendre les beuglements de l'adolescente tandis que la porte de bibliothèque s'ouvrait à ce moment même.

— Elle aurait plutôt besoin d'une muselière, blagua la louve. Ce qu'elle peut être casse-pieds quand elle veut...

— Euh... c'est qu'elle a une bouche et tu n'as pas de pieds, répondit Gabriel.

— L'art de briser un punch, Gabriel ? grogna l'animal qui toisa son interlocuteur.

— Désolé...

¤*¤*¤

Shayne se reposait à son bureau et buvait un verre de scotch. Il était en compagnie de Nox. Il semblait prendre la nouvelle que son meilleur ami allait partir bientôt, avec légèreté. Après avoir vécu tant d'années, le vampire qu'il était n'avait pas peur de s'ennuyer du puma noir quand il partirait pour un mois. Les têtes étaient vieilles et nouvelles à ses yeux, il pouvait se faire de nouveaux amis facilement, mais rien ne changerait l'affection qu'il ressentait pour son vieux partenaire de route – son frère d'armes.

— Ah mon cher Nox... dit-il pendant qu'il observait la panthère allongée sur le rebord de sa fenêtre. J'ai passé de très belles aventures à tes côtés... J'espère que nous passerons encore quelques années ensemble, avant que tu ne quittes ce monde.

Nox observa son camarade, d'un air amusé.

— Nous ne vieillissons pas comme le commun des mortels, mais tu le savais déjà, dit le félin. Si le destin joue en notre faveur, je vivrai éternellement à tes côtés, et ce, jusqu'à la fin des temps.

— Alors, nous serons les apôtres de nos camarades et les conteurs d'histoires pour les futures générations. Je bois à ta santé, mon frère !

Nox secoua la tête, car il trouvait Shayne ridicule.

— L'alcool et toi, vous ne faites pas bon ménage, formula-t-il.

— Oh ça va... Je suis peut-être un buveur de sang, mais un peu de scotch ne me tuera pas. Même qu'en ce moment, ça me prendrait un truc beaucoup plus fort, pour m'assommer...

Même s'il ne dormait jamais, l'alcool était le seul moyen qu'il avait trouvé pour entrer dans une transe léthargique. Ce jour-là, il avait envie de perdre connaissance quelque temps, afin de se distancer de tous les drames qu'il avait vécus dernièrement.

Ça, c'était après qu'il eut décidé de faire quelques ajustements aux brigades. Puisqu'il ne pouvait plus travailler avec la Septième Brigade pour un certain moment, il avait décidé de mettre Wyatt Silverwind dans leur équipe. Il espérait qu'il s'entendrait bien avec Luna. Quelqu'un capable de lancer des champs de force, leur serait utile.

— Shayne, le scotch te fait agir bizarrement, accusa le puma noir.

— Maiiis pas du tout... – HIC ! – Je t'assure que je suis capable d'en prendre encore plus, insista le général.

— Tu en es à ta quatrième bouteille...

Nox observa son porteur, un moment, qui le dévisageait bêtement. Finalement, le vampire perdit connaissance sur son bureau. La panthère roula les yeux, descendit du rebord de la fenêtre, puis sortit de la pièce. Shayne avait bien mérité son repos, après avoir mené un combat acharné contre la vilaine déesse et son chevalier tyrannique.

L'esprit élémentaire avait compris que son partenaire avait dépensé d'énormes quantités de mana, durant ce combat et qu'il aurait besoin de quelques jours de détentes avant de retrouver sa forme...

Peut-être serait-il une bonne idée pour lui de chasser, l'un de ces soirs, pensa Nox. L'alcool ne l'aidera pas à récupérer tout le mana dépensé...

Malheureusement pour l'animal, il ne serait plus là pour les jours à suivre et il ne pourrait pas servir d'aide-mémoire à son porteur. Il savait que Shayne était capable de se débrouiller seul et qu'il s'en sortirait sans lui, durant son absence. Toutefois, Nox avait un pincement au cœur rien qu'à penser qu'il ne se réveillerait plus chaque matin à ses côtés, alors qu'il serait au Saint Royaume. Il avait développé tant d'habitudes, avec lui...

Il se rendit donc au couloir principal et s'assit aux côtés de Misaki, qui donnait des instructions à quelques hommes et femmes. Plusieurs volontaires s'étaient rassemblés près d'elle. Nox réalisa qu'elle avait le sens des affaires et qu'elle avait la situation en main, en ce qui concernait le ménage et la reconstruction des lieux. Les ouvriers l'écoutaient à la lettre, allaient et venaient dans la pièce à tout moment.

« Oui madame ! », « Tout de suite, chef ! », pouvait-on entendre, à chaque instant qu'un ouvrier passait devant elle.

Nox était impressionné par l'autorité de sa collègue. Il semblerait que son temps en tant que capitaine de la Septième Brigade lui avait permis de se tisser des liens avec les gens de la capitale. Plusieurs personnes, qui craignaient autrefois les anciens rebelles, la prenaient comme l'une des leurs, désormais. Il avait aussi remarqué que Daichi s'était réveillé à l'infirmerie et qu'il participait à la reconstruction d'un mur défoncé. Il avait accepté de répondre aux ordres de Misaki, sans faire d'histoire.

La panthère décida d'aider tout le monde. Il transportait des seaux d'eau ou bien des outils, avec sa gueule ou sa magie ténébreuse. Puisque son porteur ne serait pas disponible pour quelques heures et qu'il n'était pas fatigué, il préférait se rendre utile.

Vers la fin de la journée, Misaki remercia Nox et les ouvriers d'avoir participé à la restauration du couloir principal. Ensuite, elle invita tout le monde à prendre une bonne nuit de sommeil, car les travaux continueraient, le jour suivant.

Nox attendit que tout le monde soit partit avant de s'adresser à Misaki :

— J'ignorais que tu maîtrisais ce genre de situation, dit-il.

— Lorsque nous vivions aux quartiers généraux de la rébellion, j'étais souvent à la tête des femmes et je parlais pour elles. J'étais leur représentante et aussi l'une des membres appréciées de nos troupes. Voilà pourquoi je donnais souvent des ordres à mes pairs, sinon nous n'en serions pas là aujourd'hui... et nous ne cohabiterions pas avec les gens de Baldt. Il fallait que je sois forte pour nous tous.

— Et maintenant, je comprends pourquoi on t'a nommé capitaine... dit Nox. Dommage que tu doives bientôt céder ta place.

— Crois-moi, ce n'est pas l'envie qui me manque, mais comme tu vois, j'approche mes derniers mois de grossesse et il est hors de question que je travaille trop d'après les médecins. Je m'arrangerai pour faire les paperasseries, c'est tout. J'adore nos missions en dehors de la ville... Tout comme j'adore la compagnie de nos coéquipiers. Par contre, nous avons perdu l'un des nôtres durant l'embuscade de Doylesbourg... Tout ça à cause d'une stupide bourde que j'ai faite. Derek n'a vraiment pas mérité un sort pareil.

Nox reconnaissait que le fils des Doyle n'avait pas été avec eux depuis longtemps, mais celui-ci s'était quand même démarqué parmi les nouvelles recrues. C'était qu'un débutant, mais il avait démontré beaucoup de potentiel. Même Shayne avait reconnu qu'il ferait, un jour, un excellent guerrier.

— Ce n'était pas ta faute, Misaki, soupira le puma noir. Nous avons tous été bernés par la supercherie des disciples.

Elle opina du chef, il avait raison.

— Je n'ai pas le courage d'écrire une lettre à sa mère et sa sœur, expliqua-t-elle. Je ne sais pas comment leur dire qu'il est mort pour notre cause...

— Ça viendra... répondit Nox. De toute façon, Lanartis finira par apprendre cette histoire et la nouvelle va se répandre à travers tout le continent. Il faudra leur donner des explications, le jour où elles reviendront à la capitale.

— Encore faudrait-il que l'on retrouve le cadavre de Derek... La majorité de nos défunts ont tous été dévorés par les démons.

Misaki soupira et mit ses mains derrière sa tête. Elle dévoila accidentellement une partie de son ventre légèrement bombé à la panthère. Le bébé semblait prendre de plus en plus de place en elle, ce qui était bon signe.

— As-tu assez mangé aujourd'hui ? Je ne t'ai pas vu quitter le couloir depuis ce matin, commenta Nox. Tu sais euh... Je ne dis pas ça pour t'offenser mais...

— Je sais, je sais. Mon bébé passe d'abord, j'ai compris le message, répliqua sèchement Misaki. Tout le monde s'inquiète pour moi, mais je suis capable de me débrouiller comme une grande. Oh là là... Si seulement on pouvait me faire confiance.

— Ce n'est pas qu'on ne te fasse pas confiance. C'est surtout que les gens s'inquiètent pour toi, parce que tu es veuve et tu as déjà Sakura sur les bras...

— Je fais mon deuil à ma façon, pas besoin d'en rajouter... Merci...

Elle détourna son regard, de sorte que la panthère ne puisse pas lire l'expression de son visage, mais Nox savait qu'il venait de toucher une corde sensible. Il était clair que Yosuke lui manquait cruellement. Elle essayait malgré tout de rester forte et de faire avancer les choses, plutôt que de s'apitoyer sur son sort.

Misaki s'excusa auprès de Nox et décida de partir. Elle retourna à son appartement, où une servante s'occupait de garder Sakura et Estelle durant l'absence de leurs parents. La halte-garderie improvisée à l'entrée du couloir s'était dispersée après l'heure du dîner.

Nox remarqua que son amie ne s'était pas rendue au réfectoire... Peut-être devrait-il mentionner ce détail à quelqu'un ?

Il opta pour retourner au bureau de Shayne qui était toujours endormi sur son pupitre.

Si on peut appeler ça endormi, réfléchit la panthère.

Le vampire ne dormait pas, il était dans une transe étrange, les yeux grands ouverts. Il ne bougeait pas. Pour lui, c'était se reposer. Pour quelqu'un d'autre, ce serait comme s'il était mort. Les seuls temps où il pouvait se permettre ce genre de repos était lorsqu'il buvait une grande quantité d'alcool ou bien qu'il manquait de substances magiques dans son organisme. Il récupérait alors durant cette transe, du moment qu'on ne le dérangeait pas.

Bonne nuit, mon ami, lui dit Nox dans ses pensées, pendant qu'il s'allongea près du pupitre de son partenaire de combat.

Le reste de cette soirée se passa dans le calme.

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