5. Le camp

Flint était en tête du groupe avec son oncle. À dos de cheval, il avait gardé silence depuis leur départ. Ils avaient tous opté pour partir, sans souper, même si Gabriel n'aimait guère cette décision. Ils s'étaient tous préparés, chacun de leurs côtés, afin de partir rapidement. Ils avaient emporté avec eux le strict minimum et s'étaient habillés chaudement. Les journées d'automne commençaient à devenir très froides, surtout en fin de soirées. Cassandra, Gabriel, Misaki et Luna étaient à l'intérieur de leur voiture alors que Shayne leur servait de cocher, le tout tiré par deux étalons.

Nash et son neveu avaient leurs propres chevaux. Flint ne s'était pas attendu à ce qu'ils partent si vite, tout de suite après avoir été assignés à cette nouvelle brigade. Par contre, il trouvait agréable d'enfin quitter la ville et voir du pays. Au moins, ce soir, il n'aurait pas besoin de patrouiller dans les rues – une tâche qu'il trouvait particulièrement ennuyeuse et peu excitante.

Nash connaissait le chemin pour se rendre à Kritz par cœur pour s'y être déplacé au moins une bonne dizaine de fois, durant ces dernières années. Les récoltes de taxes obligeaient les brigadiers à collecter des fonds pour le Conseil, une fois par an. C'était le genre de tâche qu'il détestait le plus. Il n'aimait pas forcer les gens à lui donner une somme de leur argent. Mais c'était la loi de leur république et ils avaient besoin de la coopération de tous afin de financer certains projets gouvernementaux.

À l'intérieur de la voiture, Gabriel ronflait déjà, tandis que Misaki essayait de dormir. Cassandra et Luna discutaient à voix basse.

— Tu as vu comment Flint et Gab se regardent quand ils croient qu'on a le dos tourné ? fit Luna.

— Leur relation ne nous concerne pas, Luna. Ils sont libres de faire ce qu'ils veulent du moment qu'ils ne font de mal à personne.

— Oh... Je sais. Je trouvais tout simplement curieux de les voir agir ainsi.

— Curieux pour toi, mais c'est beaucoup plus commun que tu ne le penses. Aöryn, d'où je viens, a même un couple de vieilles dames qui vivent ensemble depuis plus de cinquante ans. Elles sont aussi les propriétaires de notre boulangerie locale.

— Ah bon ? C'est bizarre pour moi, mais je trouve ça mignon quand même.

Misaki, qui n'en pouvait plus de les entendre bavarder, se tourna sur le banc et s'enfonça le visage dans un trou, entre son corps et le mur de métal qui la séparait de l'extérieur. Elle avait ramené ses jambes à elle et les croisait tout comme ses bras.

— Eh bah... Je sens que le temps va se faire long avec ces deux-là, remarqua l'adolescente.

Elle agita légèrement sa tignasse mauve de l'index ; elle avait cette habitude lorsqu'elle réfléchissait. Elle tourna ensuite son attention dans son petit sac de voyage et en sortit un grimoire magique que lui avait confié son mentor, Artael. Autant apprendre de nouveaux sorts s'ils allaient être sur la route pour quelque temps.

À l'extérieur, Shayne examinait Nash et Flint. Tous deux ne s'étaient pas vraiment adressés la parole, depuis leur départ de la ville. À les voir ainsi, il se demandait s'ils n'étaient pas encore en froid. Peut-être qu'ils n'avaient rien à se dire, tout simplement. Leur relation lui rappelait beaucoup celle de certains de ses anciens compagnons de voyage... mais tout ça, c'était du passé.

Nash s'éloigna un peu et dépassa son neveu. Flint recula son cheval près de la calèche, car il voulait se mettre à niveau avec le mercenaire.

— Au fait, ça ne vous embête pas que Gabriel ait mis sa hache derrière vous ? demanda Flint. Il n'y avait pas assez de place à l'intérieur du compartiment...

— Pas vraiment, je suis habitué à voyager avec ce genre de tracas.

Flint hocha la tête, puis regarda droit devant lui pendant un court instant. D'un geste bref de la tête, le vampire observa celui qu'il devait protéger. Il se demandait à quoi il pouvait bien penser, en ce moment.

Il s'apprêta à lui poser une question, lorsque le blond lui dit :

— Sinon, Shayne... Il y a un autre détail qui me turlupine. Comment se fait-il qu'un vampire puisse se promener ainsi à la lueur du jour ? Pourquoi êtes-vous capable de survivre ainsi, sans disparaître en combustion spontanée ?

— J'ai oublié de le mentionner, en effet, répondit Shayne. Je ne suis qu'à moitié vampire. Cette malédiction m'a été transmise par ma mère, après s'être fait mordre. Normalement, j'aurais dû mourir après sa transformation, mais il semblerait que les gènes de mes ancêtres aient fait de moi quelqu'un d'unique en son genre.

— Ah bon ? Voilà qui m'intrigue...

— Je ne me nourris que de sang animal depuis maintenant trois siècles.

— Et c'est suffisant pour vous ?

— C'est ainsi que je survis. Mon protecteur m'a appris à contrôler ma soif près des humains. Ça m'a pris du temps, mais aujourd'hui je n'ai plus à craindre de semer la panique chez le commun des mortels.

— Je vois... Je comprends.

D'après Flint, il valait mieux ne pas trop se poser de questions en ce qui concerne l'évolution des espèces vivantes. Lui-même appartenait à une minorité. Athéna avait un plan, disait-on et il avait l'intention de laisser la déesse le guider à travers celui-ci.

Comme Misaki l'avait découvert un peu plus tôt, Shayne était partiellement elfique et reptilien. La tribu anthropomorphique des lézards ne vivait plus sur les terres de Baldt depuis longtemps. Ils s'étaient tous déplacés en Lanartis, deux siècles plus tôt, quand la république était toujours un royaume.

— Avez-vous toujours de la famille, en fait ? demanda Flint qui voulait en connaître plus sur son nouveau partenaire de travail.

— Je l'ignore pour être honnête. Tout ce que je sais, c'est que ma mère était une elfe et mon père était de la tribu des lézards. Je n'ai jamais eu de frère, ni de sœur. Je ne sais même pas si j'avais des cousins ou des cousines. S'ils ont de la descendance, peut-être qu'un jour je songerai à aller les rencontrer.

— Ouf... Je n'aimerais pas me sentir comme le seul survivant de ma famille, se dit Flint. Ç'a dû être difficile pour vous... non ?

Shayne hocha la tête avant de poursuivre :

— Oui... Ma mère a été transformée par le chef de mon clan de vampires alors que je n'avais que quelques mois dans son ventre. C'est lui qui m'a élevé, car mon père est mort bien avant ma naissance... Je n'ai pas connu celle qui m'a mis au monde, on l'a tuée à son accouchement...

— Mais... pourquoi donc ? demanda son interlocuteur.

— D'après mon mentor, ce n'était pas beau à voir. Elle avait complètement perdu la raison, alors que la malédiction s'est propagée en elle. On devait la forcer à boire afin qu'elle me garde en vie dans son ventre.

Flint avait affiché une expression horrifiée, lorsqu'il avait entendu les dernières paroles de Shayne. Jamais il ne se serait imaginé une telle histoire.

— Pardonnez-moi... dit Flint qui réalisait qu'il venait peut-être de faire du mal à son coéquipier. Je ne voulais pas vous rappeler ces horribles souvenirs.

Shayne sourit. Ainsi donc, son protégé savait faire preuve d'empathie. Tout le contraire de sa très mauvaise première impression, plus tôt dans la journée. Nash avait en conséquence eu raison de leur dire que Flint avait du cœur. Maintenant qu'il avait eu cette conversation avec lui, il se dit qu'il ne devait pas être si mauvais que ça.

— Ne vous en faites pas, répliqua simplement le mercenaire, légèrement nostalgique. J'ai raconté cette histoire des milliers de fois.

Flint ravala sa salive, puis baissa la tête honteusement. Son cheval suivait tranquillement la route. Nash écoutait la conversation en silence.

— En tout cas, je n'ai jamais rencontré ma mère, non plus... Ça nous fait un point commun, déclara Flint.

— Pourtant je n'ai jamais été seul. Je crois comprendre que vous n'avez manqué de rien. Vous avez votre oncle, votre père et votre entourage...

— Certes, mais l'amour d'une maman est irremplaçable. Au moins, nous avions des nounous et Gabriel pour prendre soin de nous... Je conçois que ce n'est pas la même chose... Toutefois, ce n'est pas comme si nous avions manqué d'affection.

Shayne retourna son regard sur la route.

Ainsi donc, Gabriel représente pour lui plus qu'un simple fiancé... se dit-il. D'après ce que j'ai entendu au bar, ils sont ensemble depuis plusieurs années. J'avoue que je ne comprends pas tellement leur relation, mais ça explique beaucoup de choses.

Flint se passa une main dans les cheveux, embarrassé de s'ouvrir ainsi au vampire. Shayne avait dit, plus tôt, qu'il offrirait une oreille, si jamais on avait besoin de lui. Lui, le cadet des quadruplés Markios, avait donc sauté sur l'occasion. Il en avait beaucoup à dire et se sentait rarement écouté par sa famille. Cette présence était pour lui rafraîchissante, puisqu'il n'avait jamais songé à se confier à quelqu'un, à part Gabriel. Peut-être qu'il recommencerait de temps à autre.

— De mon côté, mon clan m'a donné tout ce dont j'avais besoin, commenta Shayne. Je me suis séparé d'eux lorsque je suis devenu adulte, car je voulais voler de mes propres ailes. Je n'ai plus jamais entendu parler d'eux par la suite. Je me suis dit qu'ils se sont fait tuer par des chasseurs de vampires.

— Je suis désolé d'entendre cela...

— Pas la peine de vous en faire pour moi. Comme je le dis souvent, tout ça, c'est de l'histoire ancienne. Je vis ma vie au quotidien... Même si elle n'est pas évidente. Devenir brigadier pouvait me faire autant de bien que de mal, alors j'ai saisi l'occasion. Tout ce qu'il me reste dans le fond, ce sont mes souvenirs et ceux qui viendront. Ensuite, il y a ce désir de mener une existence tranquille...

Shayne semblait perdu dans ses pensées pendant un moment, mais il reprit :

— Je ne crois pas que je serai capable de vivre paisiblement. Je suis un homme d'action après tout. J'aime bien rendre service en massacrant des bandits et en tuant des démons... Parfois, j'apprécie une bonne bouteille de vin près d'un feu de cheminée et écouter les gens ou bien des instruments de musique.

Flint rit. Voilà qui lui convenait parfaitement. Cet homme aux vêtements ténébreux n'était pas si effrayant que ça, tout compte fait. Certes, il vivait pour l'action, mais avait aussi des goûts simples... pour un vampire. Il délaissa le mercenaire pour rejoindre son oncle, avec son étalon.

— Nous ne sommes plus très loin, expliqua Nash, à haute voix. Au moins une heure et quelques kilomètres à franchir. Nous pourrions atteindre Kritz d'ici à la tombée de la nuit. Toutefois, j'ai déjà prévu que l'on s'arrête à mi-chemin pour qu'on puisse souper. Je commence à avoir faim, pas vous ?

Voilà qui rassurait son neveu et le cocher. Flint hocha la tête.

— Je vais me contenter d'aller chasser, de mon côté, répondit Shayne. La pochette de sang que j'ai bue avant mon entraînement ne m'a pas suffi.

Ils avaient quitté la capitale, une trentaine de minutes plus tôt. Flint se doutait que ce trajet soit plus ou moins court. S'y rendre à pied leur aurait pris la moitié d'une journée. À dos de cheval, c'était beaucoup plus rapide.

Les plaines au sud de Baldt étaient grandes et recouvertes de hautes herbes. Celles-ci étaient infestées de petits animaux sauvages. Parfois, on arrivait encore à croiser de petits gobelins hostiles. Ces derniers s'attaquaient aux gens qui parcouraient les sentiers, mais ils n'étaient pas tellement résistants. Les voyageurs pouvaient s'en débarrasser facilement. Les cochers n'avaient qu'à rester sur les routes, pour éviter de croiser ce genre de créatures à tout bout de champ.

Il vint le moment pour Nash de virer sa monture vers une intersection qui tournait vers les bois. Derrière eux se trouvait Kritz, sur d'autres plaines. Un sentier avait été bâti à travers ces bois, des années plus tôt. Des ouvriers avaient créé ce dernier, afin de faciliter les transferts des marchands et des voyageurs.

— Dis, mon oncle... demanda Flint. Que crois-tu que nous allons trouver là-bas ? Un trésor ? Un monstre ?

— Je l'ignore, mais en temps normal, il pourrait s'agir d'un paquet qui pourrait intéresser les gens du Conseil. La majorité du temps, c'est ce qu'on fait le plus en tant que brigadier. Le prêtre a décidé de demeurer discret, sûrement parce que c'est un objet qu'il ne souhaite pas ébruiter aux oreilles indiscrètes.

— Tout ça me donne la chair de poule. J'ai un mauvais pressentiment...

— Alors reste sur tes gardes. Il est fort possible que tu aies raison d'être soucieux.

Ce compliment toucha Flint droit au cœur. Il n'était pas habitué à en recevoir de sa famille, surtout pas de Nash, son plus grand rival. Il sourit. Il ne l'admettrait probablement jamais, à cause de son ego, mais il admirait beaucoup son oncle et souhaitait devenir comme lui, plus que tout.

¤*¤*¤

Ils s'arrêtèrent au milieu du sentier de la forêt afin de laisser les chevaux se reposer un peu. La rivière qui coulait jusqu'au lac baldtien procurait assez de poissons d'eaux douces pour la ville. Suivre cette dernière permettait à quiconque de retrouver la capitale, si on ne connaissait pas les environs.

Nash et Flint attachèrent leurs montures près d'un grand arbre, situé non loin des eaux, où ils purent lamper un peu d'eau fraîche. Shayne s'occupa d'aller faire boire les deux autres chevaux de sa voiture, alors que le reste du groupe se rassemblait autour du capitaine. L'estomac de celui-ci commença à grogner.

— On a passé l'heure du souper, dit-il. J'opte donc pour que nous nous installions ici et que l'on mange avant de repartir. Ces bois contiennent suffisamment de nourriture pour qu'on puisse y survivre. Je vais avoir besoin de volontaires pour aller ramasser des baies sauvages, des champignons et d'autres ingrédients.

— Si ça ne vous dérange pas, capitaine, formula Cassandra, d'une voix rassurante. Je peux très bien vous rendre ce service. Comme vous le savez déjà, je suis habituée à circuler en forêt et je sais reconnaître les aliments comestibles.

— Je t'accompagne, rajouta Luna, à l'attention de l'elfe.

— Parfait, donc je vais vous confier cette tâche, commenta Nash. Maintenant, il faudrait allumer un feu de camp, mais il ne faut pas qu'il soit trop encombrant. En plus de nos rations pour le voyage, nous pouvons pêcher du poisson dans la rivière avec nos armes... À moins que j'utilise l'un de mes pouvoirs, mais ça risquerait de compliquer les choses.

— Je peux m'en charger, répondit Flint. Gabriel peut s'occuper du feu de camp. Il ne reste plus que Misaki, Shayne et toi.

— Je m'occuperai donc d'aller chercher du bois pour le feu, avec Gabriel, compléta son oncle. Cela ne devrait pas nous prendre longtemps.

Misaki décida d'aller rejoindre les autres filles qui s'éloignaient déjà. Shayne se porta volontaire pour aller chasser, un peu plus loin. Ils se mirent tous au travail.

Pendant que les membres du groupe se séparaient à leurs tâches respectives, Flint descendit le long de la pente menant à la rivière et prépara son épée au cas où il trouverait du poisson à entailler, comme un chiche-kebab. Enfin une tâche qui lui permettrait de se rendre utile ! Concentré, il s'avança dans les eaux légèrement vaseuses et écouta attentivement le mouvement de l'eau. Cette méthode de pêche était très difficile, mais il savait comment embrocher ses adversaires... Toutefois, c'était moins évident de trouver une cible qui circulait sous l'eau et de l'attraper. Il se dit que Cassandra serait mieux placée pour attaquer ces poissons avec des flèches.

Shayne, quant à lui, traversa la rivière avec Flint, mais le quitta à mi-chemin pour prendre une direction opposée. Il disparut derrière un large buisson et le blond crut le voir bondir en direction d'un tronc d'arbre. Le mercenaire n'était plus à portée de vue.

Derrière Flint, Nash creusait un peu la terre afin de préparer le feu dont ils se serviraient pour cuire leurs aliments. Ensuite, il s'éloigna pour aller ramasser de grosses pierres qu'il déposa autour du grand cercle qu'il venait de tracer.

Gabriel revenait déjà avec quelques branches recouvertes de feuilles mortes, rouges et orangées. Il déposa le tout dans le trou, puis retourna en chercher d'autres. Il était toujours de mauvais poil parce que son supérieur l'avait empêché de manger avant leur départ. Toutefois, il avait apprécié sa sieste dans la calèche.

Finis la chaude température de l'été, se dit-il. Ça tombe bien, comme je ne supporte pas la chaleur... Bon sang ! J'ai faim ! Mon estomac n'arrête pas de gargouiller !

Il se massa le ventre, alors que ce dernier n'arrêtait pas de gronder. Il avait à peine mangé durant la matinée et sur l'heure du dîner. Il avait été si nerveux à l'idée de rencontrer tous les autres brigadiers de son équipe, qu'il n'avait pas été capable d'avaler quoi que ce soit. Maintenant, il maudissait son anxiété.

Il n'avait qu'une idée en tête, en cet instant, et c'était de mettre la main sur une part de tarte qu'il avait fait sauver par le cuisinier du réfectoire. Il regrettait d'être parti avant le souper. Il espérait que ce que cueilleraient les dames allait suffire avec leurs autres rations. Peut-être devrait-il rejoindre Shayne ou Flint, une fois qu'il aurait terminé de ramasser les branches... ?

Il s'approcha d'un petit arbre mort et le fracassa d'un coup de hache bien placé.

De son côté, Flint perdait déjà patience. Voilà trois poissons qui lui filaient entre les doigts. Les embrocher avec son épée n'avait pas fonctionné, alors il s'était dit qu'il tenterait sa chance avec ses mains. Il se sentait stupide... en plus d'être trempé.

Je vais finir par vous attraper, maudites pestes ! pensa-t-il.

Il s'éloigna un peu du camp. Il valait mieux pour lui de se rendre vers un endroit où les poissons ne seraient pas effrayés par les bruits humains. Pour cette raison, il remonta à la surface du sol et se promena le long de la rivière.

Un peu plus à l'est, les trois demoiselles du groupe commençaient déjà leur cueillette de fruits, de noix et de champignons.

— C'est plutôt marrant, tout ça, dit Cassandra à Luna. Cette collecte d'aliments me rappelle ma jeunesse. Mon père m'emmenait souvent en forêt, où il m'a enseigné comment survivre dans la nature. Au départ, je trouvais ça lassant. Aujourd'hui, je comprends enfin ce qu'il voulait insinuer par : « Un jour, ce que je t'ai enseigné finira par te servir. » Il avait raison, tout compte fait.

— Il a l'air d'un chic type, ton père, dit Misaki qui avait rempli sa chemise de noisettes et de champignons.

— Oh, il est gentil, mais aussi sévère. Il a toujours fait en sorte que je sois saine et sauve, c'est déjà ça. De plus, vous le saviez déjà, mais c'est lui qui m'a enseigné comment chasser, même si je ne mange plus de viandes depuis quelques années.

— Chanceuse. Je n'ai pas eu la chance d'être élevée par un père. Je n'avais que ma mère jusqu'à l'âge de douze ans et la famille de mon meilleur ami. Maman est morte d'une maladie rare, dans son sommeil... Je ne me souviens pas du nom... Nous n'avions pas de médecins spécialisés pour ce qu'elle avait...

Cassandra jeta un coup d'œil rapide vers sa collègue de travail, choquée. Ensuite, elle retourna son regard vers l'avant, car elle trouvait sa réaction impolie.

— Oh, Misaki... dit l'elfe, chagrinée. Je ne savais pas...

La guerrière haussa les épaules et secoua la tête, avant de poursuivre :

— D'ailleurs, c'est aussi pour cette raison que j'ai commencé à voyager. Je voulais trouver les traces de mon père qui est aussi aventurier. Maman disait qu'il avait quitté les îles, un soir, et qu'il n'était jamais revenu. Elle était toutefois persuadée qu'il était vivant. Si un jour, je le retrouve... Je compte bien lui glisser un mot sur l'abandon de son épouse et de sa fille... Ça ne se fait pas d'abandonner sa famille ainsi !

Misaki fulminait de rage après avoir prononcé cette dernière phrase. Elle prit une grande respiration et se calma aussitôt.

Cassandra baissa son regard, consternée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle ressentait la colère et la tristesse de sa nouvelle camarade. C'étaient deux émotions qu'elle n'aimait particulièrement pas.

— Je souhaite pour toi de retrouver ton père, répondit-elle. Ce n'est pas comme si j'ai eu l'opportunité de rencontrer mes parents biologiques, alors...

— Oh... Pardonne mon impolitesse, dit Misaki. Je ne souhaitais pas te faire de la peine. Seulement, j'en avais beaucoup sur la conscience...

— Ce n'est pas grave. J'ai fini par accepter depuis longtemps que mes parents ont probablement bien fait de m'abandonner à Aöryn. Sans quoi, je n'aurais jamais appris ce que sont la tolérance et la charité, ainsi que tous les talents de mon père adoptif. C'est un mal pour un bien, comme on dit.

Misaki mit une main compatissante sur l'épaule de Cassandra.

— Je vais donc te répéter que tu viens de m'exprimer, nota-t-elle. J'espère que tu retrouveras ta famille. Non parce que tu as forcément besoin d'eux, mais puisque tu mérites de connaître tes origines.

Cassandra lui sourit et poursuivit sa recherche de champignons comestibles.

À quelques mètres des deux jeunes femmes, Luna avait trouvé un buisson de fruits sauvages. Ils étaient tous comestibles, comme lui avait indiqué Cassandra. Ses poches étaient déjà remplies de noisettes, mais elle pouvait très bien relever un bout de sa longue robe, afin d'y mettre des baies. Tant pis, si elle tachait ses vêtements, elle ne se souciait guère de son apparence.

C'est pour les grandes dames, tout ça, pensa-t-elle.

Au moment où elle se pencha pour ramasser les baies, une créature étrange surgit des buissons et bondit sur elle ; elle fut renversée sous l'impact. À en juger l'odeur de cette bête, et les grognements qu'elle poussait, Luna comprit que c'était un loup, et il semblait furieux... peut-être même terrifié. Elle se trouvait trop près de son repaire. La meute de l'animal ne devait pas être loin.

— Luna ! cria Cassandra.

Elle prépara aussitôt son arc et une flèche, qu'elle enleva de son carquois. Misaki laissa tomber ses aliments et se mit à courir en direction de l'adolescente, puis de l'animal sauvage. Son bâton était déjà déplié.

— Ça va les filles, sûrement qu'il a juste peur de nous, qui sait ? suggéra Luna.

Elle essayait de ne pas paniquer, même si elle ressentait soudainement l'envie de hurler et de fuir à toutes jambes. Par contre, ce serait difficile avec le loup qui l'avait plantée au sol, comme une proie.

— Il faut lui faire comprendre que nous ne lui voulons aucun mal ! renchérit-elle.

— Je sais que tu veux bien faire, Luna, mais crois-moi, il ne vaut mieux pas contrarier une meute de loups, dit Cassandra.

Elle lança une flèche devant les pattes du loup, afin de lui faire peur. Il se dégagea aussitôt de Luna, qui roula vers la droite pour se relever promptement.

— Pas le temps de discuter ! hurla Misaki. Abattons cette chose !

Elle cogna violemment l'animal d'un coup de bâton.

L'elfe poussa un soupir, dégoûtée de devoir à présent se battre contre un animal des bois. Même si elle était végétarienne, elle savait qu'elle n'avait pas le choix d'abattre des bêtes de ce genre, si elle devait se défendre ou protéger ses amis. Cela ne l'empêchait pas de se sentir coupable.

Deux autres loups surgirent des buissons. Encore plus gros que le premier. S'avouant vaincue, Luna décida qu'il valait mieux effrayer ceux-ci plutôt que de les tuer. Elle fit apparaître deux brasiers de petites tailles qu'elle lança aux pattes des quadrupèdes. Misaki fit pivoter son bâton afin de parer la morsure de l'un d'entre eux, puis frappa la mâchoire du premier, par la même occasion.

— Je crois savoir pourquoi ils sont agités ! gémit Luna. Écoutez !

Le gazouillement des oiseaux avait disparu depuis quelques secondes. Quelques-uns s'envolaient et circulaient au-dessus des têtes des trois dames. Les loups prirent aussitôt la fuite, alors que le sol se mit à trembler, sous leurs pieds. Cassandra, Misaki et Luna comprirent toutes trois que quelque chose venait de troubler la vie paisible de la forêt... et cela s'approchait dangereusement d'elles.

Trois mètres de haut, aussi imposant qu'un éléphant, un énorme troll verdâtre, musclé et bedonnant détruisait tout sur son passage. Il faisait tournoyer un gigantesque gourdin dans les troncs d'arbres qui tombaient à la renverse. Il courrait en direction des trois brigadières, furieux. La bête semblait leur en vouloir d'être venues sur son territoire. Cassandra écarquilla les yeux, lorsqu'elle réalisa qu'il courait tout droit dans leur direction. Elle leva son arc et ramassa une flèche qu'elle faillit laisser s'échapper de ses doigts.

— Il ne manquait plus que ça ! soupira Luna.

— Oh misère... se plaignit Misaki.

— Vous suggérez quoi, les filles ?!

— FUYONS !

Cassandra poussa un juron, puisqu'elle ne souhaitait pas prendre la fuite. Elle décocha une première flèche en direction du crâne du troll, puis une seconde. La créature gémit de douleur et se prit la tête, d'une main. La chasseuse se déplaça alors rapidement vers la droite, afin d'éviter un coup de gourdin qui lui était destiné. Elle pivota ensuite vers l'avant, ôta la dague de sa ceinture et la planta dans la jambe de l'énorme monstre.

— Cassandra ! couina la magicienne. Mais t'es folle !

— C'est lui ou c'est nous ! hurla l'elfe. Défendez-vous !

— D... d... d'accord !

Alors que Misaki s'élançait en direction du troll, afin de le provoquer, Luna se concentra dans le but de faire apparaître plusieurs boules de feu, au-dessus de sa tête. Elle les lança ensuite une par une, au visage du monstre. Cassandra se cacha derrière un arbre et prépara une autre flèche.

— Mais que peut bien faire ce troll des montagnes dans ces bois ?! hurla Misaki. Ils ne sont pas supposés rôder par ici !

— Je l'ignore, mais nous n'avons pas le temps de réfléchir à ça ! déclara Luna.

Elles avaient besoin de l'aide de leurs autres coéquipiers, pour anéantir cette bête. À trois, elles n'y arriveraient pas. Cela n'empêchait pas Misaki d'abattre son bâton dans le ventre de l'immense créature.

— CHAUD DEVANT ! rugit une voix familière.

Aussitôt, quelqu'un fonça dans les jambes du troll, tel un boulet de canon, avec une hache. Cassandra reconnut Gabriel. Ce dernier était accompagné de leur capitaine et assenait plusieurs coups de hache dans le dos de la bête, tel le guerrier imposant qu'il était réellement. Cela ne manquait pas d'étonner les trois dames qui n'avaient jamais vu le colosse à l'action.

— Ça va, vous trois ?! demanda Nash, inquiet. Vous n'avez rien ?

— Non, tout baigne ! répliqua Misaki.

— À nous cinq, nous pourrons nous en débarrasser !

Le troll n'arrivait pas à se relever, sa pesanteur faisait en sorte qu'il soit trop lent pour se déplacer, face à ses adversaires. Gabriel ne l'épargna pas, car il venait déjà de lui casser les tibias avec sa hache et se préparait à lui fendre son bras armé. Le monstre, bien qu'embêté de s'être fait avoir, empoigna Luna de sa main libre et commença à lui serrer les côtes, déterminé à lui broyer les os.

L'ennemi reçut une flèche, droit dans l'œil gauche et relâcha l'adolescente qui tomba sur ses fesses. Nash profita de cette diversion pour trancher le bras armé de la créature. Misaki bondit vers le troll dans sa course et frappa le crâne du troll, avec un solide coup de bâton. Avant de sombrer dans l'inconscience, la créature envoya la guerrière dans les airs, avec un coup de poing. Celle-ci s'écrasa au pied d'un arbre et fit tomber, par la même occasion, une série de pommes. Elle perdit aussitôt connaissance.

— Eh bah, ça alors... se dit Luna, abasourdie.

— Puisse cette créature reposer en paix ! grogna Gabriel, avant d'abattre sa hache dans le crâne du troll, tuant la bête sur le coup.

¤*¤*¤

La nuit était tombée depuis plus d'une heure. Tout le groupe s'était rassemblé près du feu de camp, y compris Misaki qu'on avait déplacé durant son inconscience. Cette dernière s'était réveillée avec un mal de crâne, mais avait décidé d'aller se recoucher dans la calèche, où étaient attachés les deux chevaux. Ils avaient tous décidé de passer la nuit à la belle étoile, plutôt que de repartir.

Nash avait compris que le groupe avait besoin de se reposer, surtout la magicienne et la guerrière. Il aurait besoin d'elles, le lendemain. Lorsque viendrait le temps de se rendre au village, il espérait qu'elles seraient en pleine forme.

Cassandra s'était absentée un moment afin d'aller chercher des branches dont elle pourrait se servir pour remplacer les flèches qu'elle avait perdues contre leur tout premier adversaire. Luna récupérait des forces tout en mangeant son repas à petites bouchées. Elle n'avait pas d'appétit, mais devait quand même se forcer à consommer quelque chose. Elle était encore sous le choc d'être passée à un cheveu de mourir.

Flint et Shayne avaient récupéré quelques poissons, des lièvres et des perdrix. Le vampire se proposa pour faire des brochettes et prépara donc la viande. On avait apporté ce qui restait des fruits sauvages et des champignons au campement, après avoir tué le troll.

Gabriel avait passé une partie de la soirée à nettoyer sa hache, puisque le sang de troll était très coriace à enlever et qu'il tachait n'importe quel objet facilement. Ensuite, il s'était installé près du feu de camp, au côté de son fiancé qu'il avait embrassé discrètement sur la joue, tandis que les autres étaient distraits.

Cassandra revint de sa recherche avec des brindilles, puis se mit à sculpter ses flèches avec le couteau qu'elle avait pris soin de récupérer sur le monstre, un peu plus tôt. Il ne lui manquerait plus que des silex et de la colle pour terminer ses munitions.

Le groupe était silencieux. Ils écoutaient tous calmement le crépitement des flammes et des branches qui brûlaient à l'intérieur.

Ce combat avait provoqué un malaise au sein du groupe, comme quoi, il fallait s'attendre à tout lorsqu'on voyageait en dehors de la capitale.

— Je suis quand même inquiet de savoir ce qui a fait en sorte que ce troll quitte les montagnes, dit Flint à Gabriel.

Flint faisait rôtir du poisson, au bout de son épée.

— Quelqu'un ou quelque chose a dû l'attirer dans les bois, non ? ajouta-t-il.

Gabriel haussa les épaules. Il ne s'y connaissait pas en matière de monstres. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il était doué pour les tuer. Rien de plus.

Ce fut Cassandra qui prit parole, alors qu'elle continuait à tailler ses brindilles.

— En automne, ce genre de créature doit souvent se déplacer afin de trouver un endroit où hiberner, expliqua-t-elle. D'après mon père, ça ne traîne jamais dans les bois ou près des sentiers connus des humains. Les trolls de cette région détestent normalement tout ce qui est associé à l'Homme.

Nash hocha la tête aux paroles de l'elfe.

— Dans ce cas, il a bien fait de vous enseigner tout ça, dit-il. Vous vous êtes bien battue. Artael a bien fait de vous engager.

Cassandra tourna son attention vers son capitaine et rougit timidement avant de baisser son regard vers les flammes du feu de camp.

— Merci beaucoup, capitaine.

— Il doit se passer quelque chose d'anormal quelque part, dit Shayne. Si j'en crois tes dires, Cassandra, ce sont probablement des déplacements près des montagnes.

— Du moment qu'on n'en croise pas d'autres, c'est tout ce qui compte, formula Luna.

— Il m'est arrivé par le passé de croiser ce genre de situation, ajouta le vampire. Quelques fois, les dragons et les vouivres ont tendance à se déplacer de région en région et vont chasser d'autres monstres de leurs territoires. Les bêtes se battent souvent pour s'approprier de nouvelles terres. C'est à ce moment-là que les gens des communautés font appel à des personnes comme nous pour chasser les intrus.

Nash se laissa tomber la tête, fatigué.

— Espérons qu'il ne s'agisse pas de dragons, dans ce cas, souffla-t-il. Ces créatures me font froid dans le dos...

Shayne haussa les épaules et poursuivit :

— Ce ne sont que des suppositions après tout. Peut-être que cette créature s'est simplement égarée des montagnes et qu'elle a décidé de vivre dans les bois.

Luna roula des yeux et secoua la tête.

— Tout ça me donne mal à la tête, répondit-elle. Je crois qu'on devrait arrêter d'en parler. Il nous reste encore six jours, pour accomplir notre objectif. Couchons-nous.

— En effet, ajouta Nash. Reposons-nous. Demain, on se rendra au village.

Shayne décida d'être de garde pour ce soir ; il avait besoin de réfléchir. Luna et Cassandra partirent rejoindre Misaki dans la calèche, alors que Flint et Gabriel s'allongèrent près du feu et s'endormirent rapidement. Nash resta éveillé pendant un moment, pour observer les flammes. Lui non plus n'arrivait pas à s'endormir. Les chevaux quant à eux dormaient sur leurs pattes, sauf l'un d'entre eux, qui broutait de l'herbe dans son coin.

Afin de ne pas trop faire souffrir les montures de la voiture, Shayne avait ôté leur harnais, pour ensuite les relier aux arbres. Le vampire semblait aimer la présence de ces animaux plus que ses collègues de travail. Un peu plus tôt dans la soirée, il les avait brossés à tour de rôle, pour leur murmurer des compliments et des mots doux.

Nash se dit qu'il y avait peu de choses qu'il connaissait de l'étrange mercenaire, mais il se sentait rassuré de savoir que cet homme n'avait rien d'un être dangereux.

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