47. Le Roi de l'Olympe
Le cœur lourd, Zeus s'éloigna du reste du groupe. Il monta alors les escaliers qui menaient à l'étage supérieur où se trouvait une voûte, tout au-dessus du grand trône. Il jeta un regard en direction de sa fille qui se débattait, au fond du hall, puis un second vers Nash qu'on poussait dans une direction opposée ; on lui pointait une lance dans le dos. Zeus se prit le menton et réfléchissait à ce qu'il devrait faire par la suite. Sa fille le traitait comme un vilain, un monstre, mais il ne faisait que défendre son secteur et ses sujets. Les lois avaient été écrites pour une raison. Il fallait les respecter.
Au départ, Zeus n'était pas contre à l'idée de collaborer avec l'alliance. Seulement, son affectation dans le Conclave l'obligeait à respecter plusieurs lois et à maintenir le statu quo que tous les secteurs devaient respecter depuis plusieurs millénaires. Les secteurs avaient leurs propres nations à diriger. Toutefois, ce n'était qu'à travers les nombreuses réunions des rois et des reines du Saint Royaume, qu'on prenait toutes les décisions en ce qui concerne l'avenir du monde spirituel. C'est ce qu'on appelait le Conclave. Une vieille tradition qui existait depuis la création de cet univers.
Le monde d'Aeglys serait détruit d'ici aux prochaines vingt-quatre heures, à moins qu'un miracle ne se produise à son insu. Une fois la planète détruite, il récolterait les âmes qu'il ramènerait au Jardin d'Éden et finirait probablement par se faire pardonner par les membres du Conclave qui n'avaient jamais autorisé la création de cette planète. Il soupira. Que faire dans une situation pareille ? Faire confiance aux anciennes traditions de ses collègues ou bien se rallier à l'alliance des autres divinités et de sa fille ? Si son épouse, Héra, était encore des leurs, elle saurait sûrement comment réagir à cette situation... mais elle leur avait été arrachée de ce monde, il y avait de cela plus de trois mille ans... dévorée par le néant... Le roi souffrait chaque fois qu'il y repensait.
On disait d'Héra qu'elle était la sœur de Zeus avant leur mariage ; mensonge. Il y avait des farceurs dans leurs rangs qui avaient déformé l'histoire des Dieux de l'Olympe afin de taquiner Zeus, à une certaine époque. On racontait qu'il était le fils de géantes, les titans... ce qui était loin d'être le cas. Les géantes étaient en fait des ancêtres des rois qui lui avaient précédé. Elles étaient les gardiennes de ce gigantesque sanctuaire réservé aux divinités... avant de disparaître complètement et de retourner aux côtés de celui qui les avait créés. Désormais, le Saint Royaume flottait dans les airs, au-dessus d'un ciel qui semblait s'étendre jusqu'à l'infini.
Tous les dieux avaient été créés au début des temps par cette entité supérieure qu'on appelait le Créateur. Il leur avait légué des âmes errantes et le pouvoir d'en créer des nouvelles, en plus de fabriquer de nouveaux mondes. Leur quête était simple : le remplacer et veiller sur les âmes de ces milliards de bonnes gens. Ils avaient tous perdu la vie durant la guerre précédente contre les démons d'une autre dimension. Ce qui restait du règne du Créateur n'était plus qu'un ancien souvenir. Zeus était la descendance du tout premier Roi de l'Olympe et se souvenait à peine de ces événements. Lui aussi portait le nom de Zeus.
Les dieux et déesses n'avaient aucun lien de sang, seul le mystérieux Créateur était leur parent commun. D'un sens, ils étaient tous frères et sœurs, spirituellement parlant. Mais la plupart d'entre eux avaient fini par tomber amoureux, avec les années, et plusieurs factions s'étaient formées. Les anges furent créés dans chacune de ces factions afin de protéger les valeurs des dieux et des nombreuses âmes errantes.
On avait formé le Jardin d'Éden, au centre de ce vaste sanctuaire, où les âmes pouvaient reposer éternellement.
Le Conclave fut par la suite formé par les responsables de chaque faction et on trouvait leur salle de réunions au sommet de la tour que l'on avait construite au centre du Jardin d'Éden. La tour de Babel, disait-on. Cette dernière avait été inspirée par le passé de l'histoire sumérienne, où Babylone était encore un royaume de la planète Terre. Les architectes y avaient fait quelques ajustements.
Tout ceci n'était qu'un grain de poussière pour les divinités qui n'accordaient que peu d'importance aux faits historiques. Leur seule priorité était de protéger les âmes et de les mettre en sûreté, contre le diable et ses démons. Durant leur longue existence au sanctuaire, plusieurs dieux avaient fini par perdre la raison et s'étaient retournés contre leurs semblables. Beaucoup avaient fini par s'entre-tuer. Plusieurs de ces déités furent réincarnées, d'autres avaient laissé leurs titres à des proches, afin de transmettre leurs pouvoirs et leurs droits à des personnes de confiances. D'ailleurs, le premier Zeus n'existait plus depuis plus d'un million d'années, déjà.
Certains anges avaient fini par se révolter contre le Créateur, car cette tâche était peine perdue pour les divinités du Saint Royaume. Des milliers de ces anges s'étaient même transformés en démons, au fil des années, puisqu'un fléau s'était abattu au Saint Royaume. Une maladie magique, disait-on. Mais Zeus connaissait déjà la cause de cette maladie... un sombre secret dont seuls les membres du Conclave avaient la connaissance.
À tête de cette nouvelle génération de démons, l'ange déchu Lucifer s'était rebellé contre son père, Yahweh, et fut banni au commencement de la guerre spirituelle. Ses acolytes furent tués puis absorbés par les dieux renégats. Les limites en dehors du Sanctuaire s'étaient agrandies, les enfers avaient été créés, ici et sur les nombreuses planètes conçues par les dieux. C'étaient ces affreux endroits qui semaient la peur chez les mortels. On y bannissait les ennemis du monde spirituel et les démons, ainsi que les anges déchus. Ce procédé existait depuis plusieurs millénaires et avait permis aux dieux de limiter les dégâts... mais toute bonne chose avait une fin...
Cette guerre avait persisté longtemps, puis cessé pendant quelques siècles, jusqu'à ce qu'une alliance fût formée par certains dieux, qui s'étaient lassés des anciennes méthodes du Conclave. Ils souhaitaient mettre un terme à toute cette violence entre les différentes factions qui n'arrivaient plus à gérer le Saint Royaume ensemble. Dans cette alliance, on y retrouvait plusieurs figures d'autorités chrétiennes, sumériennes, hindous, olympiennes, et plus encore. Toutes s'étaient rassemblées dans l'espoir d'un meilleur avenir pour les divinités et les âmes du monde spirituel.
Cela n'avait pas fait l'unanimité dans les factions qui considéraient les membres de l'alliance comme des ennemis du Conclave et de potentiels dieux renégats. Les dieux qui s'étaient rangés du côté d'Athéna et de son groupe, avaient rapidement commencé à fabriquer des mondes illégaux sans l'autorisation du Conclave et y avaient entreposé les âmes errantes ; même qu'ils avaient fabriqué de nouvelles âmes pour assurer la procréation chez toutes les espèces. Cela avait provoqué de nombreuses controverses au Saint Royaume.
Une nouvelle ère avait commencé. Aeglys était l'une de ces planètes, jugée illégale aux yeux du Conclave. Athéna, la fille d'un dieu autrefois respecté, avait influencé quelques membres du véritable gouvernement spirituel à préserver ce monde, malgré le fait que d'autres divinités s'y étaient opposées. Les hostilités entre les factions et les démons furent oubliées pendant un temps, puisque Zeus et les autres dirigeants avaient été trop occupés à discipliner l'alliance. Ils n'avaient même pas vu arriver une nouvelle vague de démons et d'anges déchus. La colère les avait aveuglés.
Plusieurs âmes errantes du Jardin d'Éden furent sacrifiées, puis transformées en démons. D'autres anges et divinités avaient été tués par la même occasion. Quelques secteurs du gigantesque sanctuaire, où vivaient les dieux, furent anéantis. Cela leur avait pris des centaines d'années pour tout réparer. Malgré cela, les déités et les anges survivants avaient réussi à repousser les forces du mal aux enfers, où elles furent bannies une seconde fois. On avait scellé cette fois les portails qui séparaient leurs dimensions avec des sorts encore plus puissants et des runes de protections. Ensuite, on avait doublé le nombre de soldats qui avaient protégé ces entrées.
Quelques siècles après la création d'Aeglys ; Perséphone et son époux, qui faisaient partie d'une faction rebelle, avaient décidé de s'emparer du monde illégal et d'en faire leur propre domaine. Un combat sans merci s'était enchaîné entre Athéna et Perséphone. Il était enfin venu le jour où on avait banni dans la déesse renégate dans une dimension parallèle d'Aeglys, en compagnie de son mari qu'on avait tué lorsqu'il avait tenté de s'échapper.
Le Dieu Hadès avait toujours été un problème depuis qu'il avait été nommé roi et responsable des enfers de la faction olympienne. Se débarrasser de lui avec son épouse avait été la meilleure solution que le Conclave avait prise depuis tout ce temps. Cependant, la mort accidentelle d'Hadès avait rendu Perséphone complètement folle...
Malheureusement pour Zeus et ses loyaux camarades et sujets, ils n'en avaient pas terminé avec les citoyens des dimensions infernales, ni les démons qu'ils n'avaient pas encore réussi à exterminer.
Peu à peu, les enfers du monde spirituel furent vidés de leurs chefs. Toutefois, cela n'empêchait pas celles et ceux qu'on avait emprisonnés dans les nombreuses planètes, de planifier leur vengeance... Pour cette raison, Athéna et plusieurs membres de l'alliance, avaient proposé au Conclave des dieux de créer des créatures à partir de leur sang et de leur savoir. Ces créatures serviraient aussi de sceaux magiques pour les voiles qui séparaient les dimensions. Elles seraient aussi des protecteurs pour les mortels sur chacun de ces mondes. Ainsi furent créés les esprits élémentaires. Toutes immortelles, mais remplaçables par de nouvelles incarnations si elles devaient périr au combat. Ce fut l'unique décision acceptée au Conclave qui fut inspirée par le groupe d'Athéna.
Zeus descendit le long de l'arcade et se dirigea vers la pièce sombre d'où étaient sortis Nash et Athéna, un peu plus tôt. Il pressa sur un bouton en entrant dans la salle et devant lui se dressa plusieurs images holographiques – une série d'étoiles et de planètes de différentes formes et couleurs. Il marcha le long de la pièce et s'arrêta à quelques reprises pour effleurer des doigts quelques planètes qui flottaient près de lui.
Tous ces mondes leur appartenaient, à eux, les olympiens... y compris la plus jeune des planètes : Aeglys. Elle avait les mêmes couleurs que la Terre, sauf que ses continents étaient tous différents. Des centaines d'âmes étaient sortis de cette salle, il y avait un mois de cela, elles avaient toutes été escortées au Jardin d'Éden ; où les responsables les avaient entreposés afin qu'ils puissent s'y reposer jusqu'à leurs prochaines vies.
Cette salle était à la fois un planétarium et un endroit d'arrivée et de départ pour toutes les âmes, ainsi que les dieux et les anges qui décidaient de partir vers un autre monde. Il y avait plusieurs pièces de ce genre, chez toutes les factions.
Lorsque son épouse fut dévorée par cette magie obscure qu'on appelait le néant, Zeus avait ressenti un étrange vide dans son cœur... Normalement, lorsque les divinités étaient blessées ou tuées par d'autres dieux, ils finissaient par guérir ou par se réincarner avec le temps. Leurs esprits étaient transportés aux planètes où leurs âmes fusionnaient avec celles des mortels et où ils prenaient plusieurs années à récupérer des forces. L'âme de tout individu, quand il était absorbé par le néant, ne pouvait plus jamais être réanimée. Elle disparaissait pour de bon. Quand les individus réincarnés périssaient naturellement, ils revenaient au Saint Royaume en compagnie de l'âme qui avait partagé un cycle de vie avec eux ; ils reprenaient alors leurs anciens postes.
Certains dieux préféraient se trouver un apprenti à qui transmettre leur sagesse et leur titre lorsque viendrait leur temps de prendre leur retraite. Leur système était tellement vaste que Zeus se perdait dans toutes ces traditions. Donc, à cause du néant, Héra n'avait jamais été réincarnée. Elle était morte bien avant que Perséphone soit bannie du Saint Royaume, en même temps qu'Hadès et leurs compagnons. Leur univers, bien que hautement politique, était rempli de magie, d'amour et de créativité.
Tous ces mondes avaient un brin de personnalité typique des Dieux Olympiens, y compris la Terre – ce monde qu'ils partageaient avec tant de divinités différentes. La planète en question avait été leur plus grande réussite, mais aussi leur plus grand échec... Voilà pourquoi il existait plusieurs systèmes solaires, ainsi que plusieurs dimensions. Ce n'était pas la seule Terre, mais elle était leur toute première...
Zeus s'arrêta près d'Aeglys et caressa l'image holographique de ses doigts. La magie qui entourait Aeglys était de plus en plus ténébreuse. Il refusait de l'admettre à sa fille, mais il s'inquiétait beaucoup quant à l'avenir des milliards d'âmes qui étaient entreposées. Il avait même développé un certain attachement pour la famille Markios qu'il examinait en silence durant son temps libre. Il avait commencé à s'intéresser à cette famille lorsque les quadruplés étaient nés, quatre jeunes adultes qui tentaient tant bien que mal d'aider leur entourage. Et aussi étrange que cela puisse paraître, il avait soufflé quelques mots dans l'oreille du golem humanoïde, Gabriel, afin de l'aider durant son apprentissage. Tout ça, afin qu'il devienne autonome et responsable.
Zeus n'était en aucun cas un dieu cruel ou mesquin... Il était tout simplement concerné par les lois et le bien-être de tous. Même le pauvre Virgile Knox qu'il avait accueilli ici, dans cette pièce, avait été si mouvementé à sa mort que le Roi de l'Olympe avait passé un bon quart d'heure à le réconforter. Celui qui avait été autrefois le président de Baldt était redevenu un jeune adulte, l'homme qu'il avait été autrefois, avant d'être un simple pantin pour le domaine politique.
Il avait échangé avec Zeus, comme un vieil ami. Seulement, si le fieu avait pris la peine de lire son dossier correctement, il aurait compris que cette âme n'avait pas sa place au Saint Royaume. Zeus l'avait quand même emporté au Jardin d'Éden, où il fut plongé dans un sommeil éternel.
Le système du jardin était assez simple à comprendre. On le reconnaissait à sa gigantesque serre circulaire, qui entourait la tour de Babel. Elle avait plusieurs étages et chaque jour, les anges y entraient pour y déposer de nouvelles âmes ou bien en sortir des anciennes. Les âmes étaient constamment rétablies et réincarnées, dans l'espoir de former de vaillants soldats qui travailleraient un jour pour les divinités.
On déposait ces âmes dans des sarcophages ensorcelés où ils rêvaient sans jamais avoir faim, ni soif. Tout ce qu'ils désiraient, ils l'obtenaient dans leurs rêves et ils avaient le contrôle entier de leurs songes. Certaines âmes y étaient entreposées depuis la création des dieux. Une éternité s'était écoulée et il était toujours possible pour eux de vivre de nouvelles aventures, de nouvelles expériences sur d'autres planètes. Alors, on les réveillait et on les réincarnait quand ils étaient prêts à retourner dans le cycle de la vie. En échange de leur sommeil éternel, les âmes remplissaient d'énergie, des pierres magiques dont se servaient les divinités pour diverses tâches à travers le Saint Royaume. On les appelait les noyaux de création. Ce cycle existait depuis tout ce temps.
Zeus essayait de ne pas penser à tout ce qu'il avait sacrifié pour le bon fonctionnement de sa faction et du Saint Royaume. Malgré tout, il était perdu dans ses pensées et réfléchissait aux sceaux de l'enfer d'Aeglys. Le voile avait été endommagé à quelques reprises, durant les derniers jours. Pire encore ? Perséphone avait trouvé le moyen de quitter son corps d'origine afin d'implanter son âme dans le corps d'une marionnette... Les choses allaient de mal en pis pour ses confrères et lui. L'alliance persistait malgré tout à intervenir dans les affaires du Conclave pour s'assurer qu'on puisse protéger les innocents. Bientôt, ils n'auraient plus le choix que de collaborer avec eux.
— Que faire, maintenant ? pensa Zeus. Dois-je écouter ma fille et laisser tomber mes pairs ? Athéna a plusieurs années d'expérience dans le domaine de la guerre, ses qualités diplomatiques sont un peu rouillées, bien qu'elle arrive toujours à apaiser nos hommes et nos femmes... Elle était destinée à me succéder un jour à titre de reine... Pourquoi fallait-il qu'elle trahisse les valeurs du Conclave et qu'elle complique tout ? Oh ma chère petite...
À travers l'hologramme qui se tenait devant lui, il observa ensuite Flint et Gabriel, qui marchaient côte à côte en direction de Baldt. Ces jeunes tourtereaux étaient la fierté d'Athéna, qui ne cessait de les vanter, tellement elle aimait son fils et son gendre. Ça lui avait pris quelque temps pour digérer l'homosexualité de son petit-fils, mais Zeus avait terminé par accepter cette vérité. Même s'il était une âme créée à partir d'une lignée illégale, il avait quand même le sang de sa fille dans les veines... et pour cette raison, il désirait le rencontrer, lui comme les autres quadruplés.
Son visage s'assombrit toutefois lorsqu'il repensait à Gwenaëlle, sa petite-fille. Celle qui avait été conçue dans la rage et la trahison du traître Troyd Markios... Elle avait disparu. Il ne percevait plus son âme nulle part depuis quelque temps. Il ressentait quelques traces ici et là dans le continent de la Grande Aeglysienne, mais rien de concret. Elle n'avait jamais franchi les portes du planétarium, ce qui voulait dire qu'elle n'était pas nécessairement morte... Mais où pouvait-elle se cacher ?
— Je n'ai plus vraiment le choix, songea-t-il. Il faut que j'intervienne, sinon cette planète disparaîtra d'elle-même et tout ce qu'Athéna a tenté de prouver en volant ces âmes, s'envolera en fumée. En même temps, nous avons les démons à l'extérieur du sanctuaire qui menacent de dévorer les âmes et les anges à tout moment... Nous avons perdu des milliards de nos soldats en moins de dix ans, tous dévorés par le néant...
Au fond de la pièce, une machine étrange s'activa. Un fil relié à la machine des hologrammes était attaché à cet engin gigantesque. Une espèce d'incubateur où des silhouettes bizarres commençaient à prendre des apparences humanoïdes.
— Ils sont au moins une centaine, marmonna Zeus. Des âmes d'Aeglys... Celles qui ont péri durant la dernière heure, dans la région de Baldt...
La première âme à se matérialiser complètement s'avança contre la vitre transparente de l'incubateur gigantesque et la traversa comme si l'on passait à travers une chute d'eau. La vitre magique était fabriquée d'un composant ensorcelé qui se divisait au contact de la peau, mais qui était imperméable lorsque l'on y jetait des objets.
Instinctivement, toutes les âmes qui arrivaient dans cette pièce essayaient de comprendre où elles étaient arrivées, leurs souvenirs étaient embrouillés et les anges finissaient par les retrouver après avoir ressenti leur présence.
Le premier individu à s'adresser à Zeus était un jeune homme chétif, aux cheveux noirs et au regard blême.
— Luna... disait le jeune homme en face de la divinité. Je dois lui dire...
— Eh, attention mon garçon, tu vas trébucher, exprima le dieu.
— Luna... Pardonne-moi...
Derek Doyle sortit de sa transe alors qu'il trébucha sur la corde qui reliait l'incubateur à la machine holographique. Zeus le rattrapa de justesse, puis le regarda d'un air sévère. Il reconnaissait les airs similaires de Marcus Doyle chez cet individu, un autre homme qu'il avait trouvé dans cette salle, il y avait plusieurs mois de cela. C'était un croyant de Poséidon, le Dieu de la Mer. Derek semblait préférer Athéna, à en juger son âme.
— Derek Doyle, c'est bien ça ? demanda Zeus.
— Mmm... Oui, c'est moi, répondit le jeune homme, effrayé.
— Je suis dans le regret de vous informer que vous avez été tué durant le conflit qui vient d'éclater à Baldt. Votre âme a été transportée au Saint Royaume, dans l'au-delà... Votre père vous attend au Jardin d'Éden.
— Ah... Ah bon ? Tout s'est passé si vite...
— Une mort est vite arrivée lorsqu'il s'agit d'une blessure physique causée au crâne. La plaie béante de votre front s'est déjà refermée lorsque vous avez été reconstruit dans l'incubateur.
— Je vois... dit le jeune homme en affichant expression triste.
— Je vais devoir utiliser un charme sur vous afin que vous restiez calme pendant qu'on vous conduirait chez votre père. Me permettez-vous de le faire maintenant ou avez-vous quelques questions à me poser ?
Le jeune homme haussa des épaules, puis regarda son interlocuteur, perdu.
— Là où je vous emmène, vous ne connaîtrez ni peine, ni douleur, déclara Zeus. Un nouveau monde s'offrira à vous si vous le désirez... mais vous avez aussi l'option de rejoindre une académie à laquelle nous formons des anges guerriers qui servent cette nation.
— Moi... Un ange ? Mm...
— Je vous fais cette proposition puisque vous avez mené une existence de servitude pour votre pays et que vous avez juré de protéger vos semblables. Normalement, nous ne prenons pas n'importe qui, mais comme nous avons une pénurie d'âmes volontaires...
— J'accepte ! dit aussitôt Derek. Je souhaite me rendre utile !
— Vous n'êtes pas obligé de répondre maintenant, je pourrai très bien vous faire vivre l'expérience de cette nouvelle existence sans douleurs-
— J'accepte ! trancha Derek, déterminé.
— Très bien, très bien, dit Zeus, étonné. Si vous insistez.
Le jeune homme regarda derrière lui et vit les nombreuses silhouettes en train de prendre formes dans l'incubateur. Certaines d'entre elles étaient entourées de cercles rouges luminescents dans le liquide transparent de la machine. Il plissa des yeux.
— Ces âmes ont été jugées maudites, expliqua le dieu. Celles et ceux qui se sont joint au rang des démons et de Perséphone ne peuvent être privilégiés d'un repos éternel. Ces cercles magiques qui les entourent vont les endormir jusqu'à ce que nous les expédiions aux enfers, où ils devront y demeurer pour l'éternité.
— Vraiment ? Ils n'ont pas donc la chance de se racheter ? demanda Derek.
— En fait... si, expliqua le roi. Ils peuvent négocier avec le Conclave de leur laisser une chance, en les expédiant dans une existence où ils seront moins fortunés. Durant cette vie, ils pourront racheter le pardon des dieux.
— Je vois... dit le jeune brigadier.
— Vous vous attendiez sûrement à un repos éternel plus heureux, j'en doute, mais notre paradis n'a rien d'un endroit joyeux. Nous sommes en guerre, et ce, depuis le tout début des temps. Lorsque nous avons un moment de répit, il nous arrive de pouvoir nous reposer quelques mois avant qu'un nouvel incident n'éclate...
Le jeune homme afficha une expression confuse, légèrement désemparé par ce qu'il venait d'apprendre. Le Dieu de la Foudre se dit qu'il valait mieux continuer leur conversation.
— En passant, je me présente... Zeus, rajouta celui-ci. Je suis le père de votre déesse, celle que vous appelez Athéna. Actuellement, ma fille n'a aucun droit d'accès à cette pièce qui est réservée aux membres du Conclave.
— Et qu'est-ce que le Conclave, monseigneur ?
— ... Monseigneur ? Voilà un titre que je n'ai pas entendu depuis longtemps...
— Pardonnez mon impolitesse, monsieur.
— Non, je vous en prie, mon garçon. Je suis votre supérieur désormais et je trouve très flatteur que vous ayez proposé ce titre en guise de respect. Pour en revenir à votre question, le Conclave est le... Conseil élu des dieux, nous sommes en fonction depuis que le Créateur, notre père, nous a offert le Saint Royaume et les âmes errantes d'un cycle précédent.
— Un... cycle précédent ? répéta Derek, qui fronça des sourcils.
— À vrai dire, les mondes que nous avons créés ne sont pas les premiers. Il existe au-delà de nos pouvoirs d'autres univers, d'autres galaxies que nous n'avons jamais pu explorer, car seul notre père y a accès.
— Le Créateur... C'est votre patron, n'est-ce pas ?
— Dans votre monde, vous pourriez le comparer à un roi ou bien un empereur. Ici, c'est plus ou moins le cas, sauf que nous ne le voyions jamais et devons prendre toutes nos décisions nous-mêmes.
— Je trouve ça triste pour vous, monseigneur. Il a fait de vous des orphelins.
Scandalisé, mais à la fois touché par cette remarque, Zeus observa le jeune homme avec intérêt. Ces paroles, il les avait déjà entendues de la bouche de son épouse, à une certaine époque, et aussi de celle d'Athéna. Sous différentes formes, on lui avait raconté que toutes les premières incarnations des dieux du sanctuaire étaient orphelines.
— Mes excuses, monseigneur, déclara Derek, en réalisant la tristesse qu'il venait d'affliger au dieu.
— Ça se voit tant que ça sur mon visage ? demanda le roi. On me reproche souvent d'être un peu trop expressif.
— J'ai un peu trop d'imagination, comme me disait souvent ma mère... C'est sûrement pour cela que je cause tant de soucis aux gens.
— Non, non... Je replonge tout simplement dans mes pensées...
— On dit de moi que je rêvasse un peu trop, c'est ce qui a causé ma mort.
Derek se mit à rougir, gêné, tandis que le dieu devant lui, commençait à s'en vouloir d'être aussi sévère avec sa fille. L'image holographique de la planète d'Aeglys, derrière eux, commença à subir quelques distorsions. Un autre sceau venait d'être brisé.
— Comment ?! s'exclama la divinité qui venait de se tourner vers l'image de la planète, il ressentait le monde s'affaiblir. Si vite... ? Bon sang ! Mais qu'est-ce qui se passe, là-bas ? À ce rythme, cette pièce et les autres planétariums du sanctuaire vont être remplis d'âmes perdues ! De quoi attirer l'attention des démons, à cent mille à l'heure ! C'est anormal !
— Je ne saisis pas vraiment la gravité de cette situation, monseigneur, mais se pourrait-il que mon monde soit en danger ?
— Pire que ça... ! Une déesse que nous avions enfermée dans une autre dimension, vient de créer une faille entre la sienne et celle d'Aeglys ! Elle est en train d'invoquer une armée !
— S'agit-il de Perséphone ? Je croyais... Je croyais que les sceaux magiques protégeaient notre belle planète...
Le jeune Doyle était confus et effrayé, alors qu'il regardait le dieu s'énerver.
— Oui, mais il n'en reste plus qu'un dans la région ouest de la Grande Aeglysienne, soupira Zeus. Le dernier responsable du voile, dans la région de Baldt, n'a pas encore été capturé ou tué.
— Vous êtes un dieu, ne pouvez-vous donc pas intervenir ?
— C'est plus compliqué que vous ne le pensez... Tout d'abord, nous avons besoin de l'accord du Conclave et ensuite, nous devons envoyer des anges et des âmes spécialement formées pour réparer ce genre de dommages.
— Mais n'est-ce pas un peu paresseux de toujours s'en remettre à l'opinion des autres... surtout lorsqu'une occasion comme celle-ci se présente ? Dans notre nation, nos capitaines de brigades sont choisies justement parce que parfois, nous n'avons pas le choix de prendre des décisions rapides et souvent sans l'accord de notre gouvernement.
— Ce n'est pas vrai ! On jurait entendre ma fille !
Zeus leva les yeux et les mains vers le plafond, exaspéré.
— Pardon ? couina Derek.
— Vous avez raison, soupira le dieu, qui retourna son attention au jeune homme. Dans votre monde, il est vrai que certaines personnes sont nées pour gouverner les groupes et qu'on choisit des gens comme vos capitaines pour s'occuper de petits groupes d'aventuriers. Mais ici, nous opérons sur une plus grande échelle. Nous devons penser aux autres mondes, aux âmes que nous protégeons à chaque jour et aussi aux démons qui commencent à envahir leurs planètes. Le Conclave est nécessaire...
Derek était sur le point de le traiter de lâche lorsqu'il se tut. Il valait mieux ne pas provoquer la colère d'un dieu. Il trouvait injuste qu'une personne aussi puissante ne prenne aucune décision par elle-même. Zeus pouvait lire de la déception dans son âme et soupira.
— De toute façon, poursuivit Zeus. Quelqu'un est déjà intervenu et a fait de l'un de vos coéquipiers un ange. Cela devrait suffire si nous voulons rétablir l'équilibre.
— Ah bon ? Alors, vous nous avez aidé ?
— Moi... ? Non... Mais une organisation servant à de nobles causes est déjà passé à l'action... Plus précisément ma fille.
— Je ne comprends pas, monseigneur...
Zeus était sur le point de lui expliquer l'existence de l'alliance, lorsque plusieurs corps sortirent de leurs stases, dans l'incubateur gigantesque. Il était de son devoir de secourir ces âmes perdues. Derek observa donc Aeglys, sur l'écran holographique. Il était perturbé par ces dernières minutes. Il avait toujours de la difficulté à accepter sa propre mort. Pour la toute première fois, il voyait à quoi ressemblait sa planète... Il n'avait jamais eu la chance de la voir ainsi, ronde et remplie de continents... C'était une étrange sensation. Les nombreuses nations d'Aeglys avaient engagé plusieurs cartomanciens, mais jamais, il n'avait vu de globe, de toute sa vie...
— J'espère que Luna va bien, soupira le brigadier. Je m'en voudrais qu'elle meure part ma faute. Veille sur elle, Gabriel.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top