42. Yosuke et Misaki

Le soir même où Misaki avait appris que son mari avait été tué au combat, en mars dernier, elle avait reçu la visite de Shayne qui était venu lui présenter ses condoléances en privée. Les médecins l'avaient gardée à l'infirmerie pour la nuit. Il avait choisi de lui remettre l'épée de son défunt mari, mais elle avait refusé.

— Je crois qu'il préférait que tu gardes cette arme, dit-elle. Il disait souvent qu'il était impressionné par ton talent d'escrimeur. Une épée comme celle-là ne se refuse pas.

Shayne fronça des sourcils avant de lui demander :

— N'y aurait-il pas une autre raison qui te pousserait à t'en débarrasser ?

— Disons que j'ai mon lot de problèmes en ce moment. J'ai mon mari à pleurer et j'ai ma fille qui se retrouve sans père.

— Es-tu consciente que c'est un esprit élémentaire ?

— Oui... C'est l'autre raison pour laquelle il serait mieux pour moi de te confier cette épée. Qu'est-ce qui t'a mis la puce à l'oreille ?

Le puma noir répondit pour son partenaire :

— Moi.

— Évidemment, commenta le vampire. Les forces de Giotto sont quasi inexistantes, mais Nox a quand même pu à ressentir sa présence.

— Peut-être devrais-je vous expliquer comment nous avons obtenu cette épée, expliqua Misaki.

Puis, elle commença à leur raconter son récit. Après tout, c'était le mieux qu'elle puisse faire, en mémoire de son défunt mari et de leur étrange rencontre...

¤*¤*¤

Le 13 septembre 3913 AD dernier, aux quartiers généraux des rebelles, Daichi Hatsuki avait préparé avec le reste de groupe ce qu'il avait cru être un plan fantastique. Ils avaient planifié d'envahir la capitale et faire entendre leurs droits au système corrompu. À l'extérieur des camps de leur petite ville, deux tourtereaux s'étaient embrassés et câlinés, loin des autres.

Ce jour-là, Misaki était loin de s'imaginer qu'elle serait envoyée à Baldt d'ici peu, afin de rejoindre les brigades. Daichi avait pour plan de l'envoyer à la capitale afin qu'elle infiltre leurs brigades. Ainsi, elle pourrait les aider à envahir la ville. Il en avait parlé à Yosuke qui hésitait encore d'en discuter avec son épouse. Il était follement amoureux, ce jour-là et avait besoin de passer un peu de temps en sa compagnie.

Leur fille, Sakura, s'était rendue à leur petite école de fortune, avec les autres gamins de la rébellion. C'était une matinée tranquille ; le couple espérait tôt ou tard concevoir un deuxième enfant.

— Alors, si c'est un fils... Que dirais-tu qu'on l'appelle Yuki ? proposa Yosuke, tandis qu'ils descendaient le long d'une pente rocheuse.

— Eh, je ne suis pas encore enceinte, je te signale. Et si c'était une fille ? Yuki, c'est unisexe après tout.

— Ah, bah Sakura est une enfant heureuse... Je me disais qu'un petit frère pour lui donner du fil à retordre lui ferait du bien, plaisanta le guerrier.

— C'est ça, dis plutôt que tu souhaites avoir un fils rien que pour faire des activités sportives avec lui. Estime-toi heureux qu'elle tienne de son grand-père.

— Je sais, je sais. Heureusement pour moi, parce que rares sont mes amis qui aiment autant la pêche ! Ça me fait penser que ce soir, j'aimerais manger du sashimi... Ça nous prendrait du poisson frais.

— Il nous reste du saumon congelé...

— Beurk, je préfère quand c'est fraîchement sorti du lac !

— C'est toi qui décides, mais n'oublie pas que ça va en prendre beaucoup afin d'en préparer assez pour tout le monde. Il nous reste du saké, pas vrai ?

Ils s'étaient dirigés au ruisseau qui coulait tout le long des montagnes, où se trouvaient leurs quartiers généraux. Yosuke avait décidé, au réveil, d'aller pêcher. Misaki l'avait suivi, après qu'elle avait accompagné sa fille à leur école de fortune. Un peu de temps ensemble lui feraient du bien. Elle avait passé la veille à chasser dans les bois et traquer du lièvre, ainsi que de la perdrix qu'elle avait ramenée chez elle. Ses dernières trouvailles lui avaient permis de nourrir sa famille et quelques voisins, ce qui lui avait redonné espoir pour une meilleure qualité de vie, en ces lieux.

Parfois, ils étaient trop pauvres pour se rendre à la capitale et acheter de nouveaux produits. Il y avait certains villages voisins où quelques-uns d'entre eux devaient travailler, dans l'espoir de ramener quelques produits à la maison. D'autres optaient pour piller de la nourriture, un peu partout. Leurs terres n'étaient pas assez fertiles pour y planter leurs propres produits, sauf des pommes de terre et quelques légumes. Leurs récoltes étaient souvent de piètre qualité. Ce jour-là, il avait été décidé qu'il fallait mettre un terme à la cruauté et à la négligence du Conseil de la république. Daichi désirait mener sa guerre aux portes de Baldt, coûte que coûte

— Comme prénom... que penses-tu de Bob ? plaisanta Misaki. Ça fait un peu exotique, non ? La tête que feraient nos voisins... Héhé... !

Yosuke regarda son épouse, soupira, puis leva les yeux au ciel. Elle n'avait pas l'air de le prendre au sérieux. Il désirait avoir un fils plus que tout.

— C'est ça, c'est ça, répondit le guerrier sarcastiquement. Si c'est une fille, je vais te forcer à l'appeler Gertrude.

— Pauvre enfant ! dit-elle en se mettant les mains sur le ventre, alors qu'elle faisait semblant d'être enceinte. Jamais je ne lui donnerai un nom pareil !

— On n'en est pas encore là, répliqua Yosuke qui lui fit son plus beau sourire.

— Nous ne sommes même pas prêts financièrement pour en avoir un deuxième !

Ils bondirent sur de grandes roches, à proximité du ruisseau où ils comptaient s'arrêter pour la prochaine heure. Yosuke avait déjà sa canne à pêche de sortie lorsqu'ils entendirent au loin un long rugissement sonore. Tous deux ressentirent d'étranges vibrations sous leurs pieds ; même que l'eau du ruisseau vacillait. Était-ce un tremblement de terre ? Misaki leva les yeux au ciel et pointa un étrange point sombre qui devenait de plus en plus gros. Son mari remarqua que la chose descendait à une vitesse étonnante.

— Mais qu'est-ce que c'est ?! lança Yosuke.

Il rangea sa canne, puis se dirigea vers une surface plate ; il ressentait le besoin de se dégager au plus vite. Misaki l'imita. Quelques secondes plus tard, une gigantesque créature s'écrasa là où ils souhaitaient pêcher. C'était une espèce de lézard titanesque aux écailles blanches et argentées. La créature ailée saignait au ventre, du dos et des pattes. Elle avait peut-être été attaquée en plein vol.

— Un dragon ?! s'exclama le guerrier. Je croyais cette espèce éteinte !

— Et moi donc ! rajouta son épouse. C'est moi ou il est minuscule ? On raconte qu'ils sont plus grands qu'une montagne...

— Mais qu'est-ce que ça fait ici ?! répliqua le maître d'armes, qui était trop distrait pour répondre au commentaire de sa femme.

L'énorme créature poussa un long soupir plaintif, souffla de la fumée par ses narines, puis tourna son regard vers les deux guerriers.

— Je vous entends parler, mortels, dit-il d'une voix forte. Malheureusement pour moi, je ne survivrai plus pour très longtemps... Il me faut... dormir...

— Voilà qui est sot ! dit Yosuke. Vous mourrez ! Dormir ne vous sauvera pas !

— Au contraire... Nous autres, créatures élémentaires, pouvons régénérer nos blessures facilement en accumulant beaucoup de mana. Toutefois, lorsque nous entrons en hibernation, nous sommes impuissants... Mon seul espoir serait de remettre mon pouvoir entre vos mains, cependant j'ignore qui vous êtes et si vous pourriez un jour rendre service à ma déesse... Je vois en cernant vos âmes que vous n'avez jamais priées Athéna.

— Il ne manquait plus que ça, un dragon athénien ! s'exclama Misaki qui cligna ses yeux. Vraiment des plus étranges...

— Votre religion n'a jamais donné rien de bon à mon peuple, dragon... mentionna Yosuke. Qui me dit que vous ne cherchez pas à semer la pagaille dans nos troupes ? Même si vous êtes blessé, vous avez probablement assez de force pour causer des dommages importants à nos fortifications.

— Il est vrai que les habitants des îles du sud n'ont jamais été très croyants de ma créatrice, cela ne m'empêche pas de protéger le commun des mortels lorsqu'on a besoin de moi...

Aussitôt, le dragon toussa, puis racla sa gorge tandis qu'il observait son reflet dans l'eau vaseuse du ruisseau. Il cracha un filon de sang qui se désintégra à la surface du ruisseau, comme si le liquide mélangé à son sang représentait sa faiblesse. La créature s'affala et ressentit ses forces le quitter.

— Pauvre bête, mentionna Yosuke. Qu'est-ce qui vous a mis dans cet état ? C'est lamentable de voir une si jolie créature se faire attaquer ainsi.

— Ma fratrie et moi sommes pourchassés par le culte de Perséphone d'aussi loin que je m'en souvienne. Leur unique ambition est de nous exterminer, car nous sommes liés au voile qui empêche leur déesse de sortir de sa dimension. Lorsque nous aurons tous trépassés, elle reviendra parmi vous et ce sera la fin du monde tel que vous le connaissez.

— Nous connaissons déjà ces mythes, continua le guerrier. Ce que je veux savoir, c'est qui est l'ordure qui vous a blessé.

— Un sorcier... Un puissant sorcier qui vit près de la capitale. Je crois qu'il fait partie de ce culte. Il m'est apparu en vision alors que je survolais les plaines, puis m'a jeté un sort à distance. Un éclair m'a parcouru le corps...

— Pouvons-nous vous aider ? proposa Misaki, qui démontrait finalement de l'empathie, après avoir été froide en sa présence.

— Je ne crois pas, chérie, mentionna son mari, nous avons besoin d'une quantité immense d'onguents et d'herbes médicinales si nous voulons soigner ses blessures. Je ne pense pas que nos guérisseurs aient tout ça en stock. C'est peine perdue... Je suis sincèrement désolé...

La bête gigantesque fit non avec la tête avant de rétorquer :

— Pas la peine. Je n'ai qu'à prendre une autre forme, comme je vous l'ai expliqué et me reposer jusqu'au jour où j'aurais fini de reprendre des forces... Une sphère, un objet quelconque... Toutefois, me voilà dans de beaux draps, car vous savez qui je suis et vous pourriez en tout temps profiter de mon état pour me vendre au culte...

— Nous ne ferions jamais ça ! répondit Yosuke. Vous avez ma parole.

— Attends un peu, Yosuke-kun... Qu'es-tu en train de lui proposer, demanda Misaki. Nous ne pouvons pas garder un dragon avec nous !

— Tu n'as pas entendu ce qu'il a dit, chérie ? Il peut prendre la forme d'un objet quelconque. Nous pourrions facilement le glisser avec nous au camp.

— Dans ce cas, commenta le dragon, je vais remettre ma vie entre vos mains... Vous me semblez capable de combattre, n'est-ce pas monsieur ? Quelle arme utilisez-vous le plus souvent ? Une épée, je parie ?

— Effectivement, j'utilise des épées... Pourquoi ?

— Parce que je vais prendre cette forme... Une fois transformé, je plongerai dans un profond sommeil. Vous pourrez vous servir de moi, m'effiler chez le forgeron si vous en avez envie. Je ne ressentirai rien. Lorsque le jour viendra, je me réveillerai et je pourrai servir ma cause comme il se doit.

Yosuke cligna les yeux, puis hocha la tête nerveusement. Il n'était pas certain de comprendre la tâche importante qu'on lui remettait. Misaki était tout aussi abasourdie que son bien-aimé. Pendant ce temps, le dragon en face d'eux, commençait à fondre dans le ruisseau, comme un tas de sels qui se faisait dissoudre. Si ça continuait ainsi, la créature finirait par assécher la rivière en entier. De nombreux poissons bondissaient dans tous les sens, ainsi que des grenouilles et des insectes.

Au centre du tas de cendres étranges se dressait une épée argentée avec un étrange symbole en forme de dragon près de la poigne.

Une voix résonna dans leur esprit.

— Au fait, je m'appelle Giotto... dit le dragon. Je suis l'esprit de la création.

— Je suis Yosuke et elle, c'est Misaki, répliqua le jeune homme.

— Très bien... Enchanté... Maintenant, je dois dormir... Au plaisir de vous reparler... À l'un de ces jours, chers amis.

Puis, la voix disparut. Ce fut la toute première et dernière fois que Yosuke l'entendit. Car plusieurs mois plus tard, il serait tué au combat. Il se dirigea dans les cendres encore brûlantes du dragon et ramassa l'épée plantée au beau milieu du ruisseau asséché. Quand il la ramassa, il remarqua qu'elle était légère et bien acérée.

— Par les ancêtres ! s'exclama-t-il. Cette arme est magnifique !

Et il avait raison, d'après Misaki qui le voyait se rapprocher avec l'objet magique. Elle n'avait jamais vu d'arme aussi tranchante et brillante que cette épée, jusqu'à ce jour. Il la fit pivoter à quelques reprises avant de l'enfoncer dans la terre sous ses pieds. Elle tranchait celle-ci comme si elle fendait du beurre, en plus de broyer tout ce qui se trouvait sur son passage. Misaki conclut que sous cette forme, le dragon absorbait le mana au contact des objets. Cela lui permettrait peut-être de guérir un peu plus vite.

— J'imagine que tu vas devoir l'utiliser souvent pour sa réhabilitation, pas vrai ? suggéra la guerrière qui plaisantait, son regard dans celui de son mari.

— Pourquoi pas ? Je vais probablement m'en servir pour découper nos poissons.

— Comment ça ? On n'a rien pêché avec les dégâts causés par lui...

— Vraiment ? Regarde plutôt à ta gauche...

Misaki écouta les paroles de son mari et se tourna vers la direction qu'il venait de lui pointer, du doigt. Effectivement, il y avait du poisson. Beaucoup de poisson, même. Une vingtaine de truites rebondissaient dans les herbes et les grandes pierres, certaines d'entre elles étaient déjà mortes d'asphyxie alors que d'autres se débattaient pour retourner à l'eau. Ce serait pour eux un repas facile. Elle regarda l'épée de son mari, puis remercia en silence Giotto de ce généreux cadeau.

¤*¤*¤

Après avoir raconté à Shayne et Nox comment Yosuke et son époux avaient mis la main sur l'arme, Misaki soupira de soulagement. Sans s'en rendre compte, partager ce fardeau avec son ami vampire lui avait enlevé un énorme poids des épaules.

— Dans mon état actuel, je ne peux pas vraiment m'occuper de Giotto et de sa sécurité, dit-elle. Jusqu'à ce qu'il soit prêt à renaître, je crois qu'il serait mieux pour nous tous que son protecteur soit l'un des meilleurs guerriers de notre nation... Tu es donc celui qui devra relever cette tâche, pour l'honneur de mon mari et pour celui des élémentaires.

— Je vois, répondit Shayne, qui fit une moue. Dans ce cas, je n'ai plus tellement le choix. Cette épée est liée au destin de Nox et des autres, à en croire ton récit. S'il s'agit bien de Giotto, on finira bien par trouver celui ou celle qui devra être son porteur. J'ai déjà Nox, donc posséder un second esprit élémentaire risque de me causer de sérieux problèmes de santé.

— Je sais. Leur puissance est trop dangereuse pour qu'un porteur puisse en manipuler plus d'un. Mais puisque Giotto est inconscient et qu'une bonne partie de ses pouvoirs n'est pas entièrement rétablie, vous ne risquez rien.

Shayne arbora un air sombre vers l'épée argentée qu'il tenait avec fermeté dans sa main gauche. Le puma noir à ses côtés ressentait le doute en lui. Il connaissait cette expression ; il était inquiet. Il était rare de voir l'ex-mercenaire se comporter ainsi. Normalement, il était calme et réglait n'importe quel problème avec la tête haute. Cette fois, il semblait désorienté et perdu.

Le général avait été d'une aide fantastique jusque-là, dans la survie des élémentaires, mais le simple fait d'avoir reçu cette arme en cadeau paraissait le mettre à l'envers. Il n'était pas habitué à tant d'honneur, surtout de la part d'un défunt camarade. Yosuke avait été un collègue exemplaire durant les derniers mois et avait aidé bien des gens durant la reconstruction de certains bâtiments. De plus, il était devenu son partenaire d'escrime, avec qui il avait pratiqué durant leurs entraînements. Sa mort avait semé un énorme vide en lui. Cependant, un autre détail le tracassait en ce moment : il trouvait étrange que la guerrière albinos ne démontrait pas plus d'émotions.

— Pardonne mon indiscrétion, Misaki... mais est-ce que ça va ? demanda-t-il. On m'a dit que tu sembles mieux prendre la nouvelle que tous les autres.

— C'est probablement à cause des nombreux sédatifs que les disciples m'ont injecté dans ma cellule... Ils ont gelé mes émotions, on dirait.

— Est-ce que ton bébé va bien ?

— D'après le médecin, son cœur bat encore.

— Au moins ça...

Misaki prit une courte pause et se pinça la joue fortement, ce qui laissa une marque. Elle ne réagit même pas. Elle secoua la tête.

— Je ne ressens rien. C'est bête non ? Je n'ai aucune douleur, ni tristesse, ni envie de hurler ou de cogner quelqu'un. Je sais ce qu'on a fait à mon mari, pourtant mon organisme ne fonctionne pas comme il devrait...

— Laisse-toi quelques heures, dit Nox. Lorsque que ces drogues seront passées, tu auras besoin de notre compagnie.

Misaki approuva. Elle ne ressentait ni fatigue, ni faim. Elle posa un regard vide sur sa jaquette, toujours allongée sur son lit. Elle avait l'air perdu dans ses pensées. Shayne resta un moment avec la guerrière et prit son pouls à quelques reprises afin de vérifier son état. Les drogues semblaient avoir ralenti sa circulation sanguine. Mais si l'enfant était encore en vie, il n'y avait donc aucun problème selon lui. Il pouvait entendre le fœtus bouger à l'intérieur du ventre de la jeune femme, quand il se concentra mieux. Cette capacité vampirique lui permettait souvent de repérer le moindre son, en plus d'avoir une ouïe finement développée pour un elfe. Peut-être était-ce son imagination, mais tant et aussi longtemps que Misaki porterait ce bébé en elle, il ressentirait cette envie de venir en son aide. Qui d'autre pourrait prendre soin d'elle maintenant que Yosuke était mort ?

Évidemment, elle n'a pas besoin de moi, pensa-t-il. Elle est indépendante et sait se débrouiller sans l'aide de personne... Par contre, Yosuke aimerait sûrement que quelqu'un s'occupe de son épouse...

Il se frotta le menton avant de rajouter verbalement :

— En tout cas, si jamais tu as besoin d'aide, à l'avenir, fais-moi signe.

— Oh, je sais, répondit machinalement la guerrière.

— Je te promets d'être là pour toi et tes enfants en cas de problème. Quand je ne serai pas occupé au travail, j'offrirai mes services pour veiller sur eux, s'il le faut.

— Ne fais pas des promesses en l'air, Shayne. Je sais que tu dis ça pour me réconforter, mais je te rassure, je vais bien.

Le général agréa tristement, puis s'installa à côté du lit de la brigadière. Pour la première fois depuis des semaines, voire des mois, il avait envie de se reposer un peu. Il ferma donc les yeux un instant. La panthère se coucha à ses pieds, confortablement.

Au beau milieu de la nuit, il fut réveillé par les sanglots de Misaki.

¤*¤*¤

En début d'avril, Misaki était retournée à ses activités habituelles. Cependant, il y avait une place à combler pour prendre le poste de capitaine de la Septième Brigade. Puisque Flint avait refusé ce titre et ses privilèges, l'albinos avait demandé à prendre la place de Nash lors d'une rencontre personnelle entre le président, les deux généraux et elle.

— Êtes-vous certaine de pouvoir gérer cette équipe, Megumi ? demanda alors le président à la guerrière. Après-tout, vous en avez bavé dernièrement...

Elle hocha la tête.

— Ce sera un peu comme ma thérapie, dit-elle. Me rendre utile me fait toujours le plus grand bien et ça vous évitera les coûts d'un psychologue, donc...

— Misaki-chan, avec tout le respect que je te dois, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, prononça Daichi qui secoua la tête.

— Au contraire, je trouve qu'elle a le talent pour gérer les situations difficiles, expliqua Shayne. Laissez-moi lui apprendre les bases, après, on verra.

Daichi hésita un moment, puis céda à la requête de son ancienne subordonnée. Shayne avait foi en elle, ainsi que le président. L'ancien rebelle se dit qu'ils savaient probablement ce qu'ils faisaient en l'engageant.

Un peu plus tard, Ellen Prescott souhaita discuter de stratégies de guerre avec Shayne et les responsables de l'armée. Le vampire pensa qu'il valait mieux pour lui de se concentrer sur l'apprentissage de Misaki pendant qu'il en avait encore l'occasion.

Daichi semblait réticent à l'idée que le président ait décidé d'engager la cheffe de guilde comme maréchale de l'armée. Il ne connaissait pas la dame personnellement, bien que cette dernière était très appréciée à travers la région, pour son expertise diplomatique et son intelligence. Il était dépité que le président n'ait pas considéré de le promouvoir à ce poste. Même Shayne aurait mérité ce titre plus que lui. Le fait qu'une inconnue allait avoir un avantage hiérarchique sur eux et l'armée, lui posait un sérieux problème.

Il avait un problème d'ego à régler et ne réalisait pas à quel point ses tactiques pourraient nuire à leur population ou à leurs soldats. Pour cette raison, le Président avait fait ce choix d'engager Ellen ; car il était connu qu'elle arrivait à gérer une horde de guerriers à elle seule, rien qu'avec son savoir-faire et son apprentissage aux côtés des membres de sa famille. Ses connaissances n'étaient pas celles d'un stratège habituel, mais elle avait plusieurs contacts tacticiens qui l'accompagnaient souvent aux réunions, afin d'aider le peuple de Baldt.

Malgré les divergences d'opinions des deux généraux, Shayne prit Misaki sous son aile et fit part de ses intentions au président qui acquiesça à l'idée que la jeune femme soit sous son apprentissage. C'était une façon pour Shayne de rendre service à Yosuke, qui n'était plus de ce monde et d'assurer la sécurité de son épouse et de ses enfants.

Misake s'était sentie un peu à l'écart, durant la conversation des trois hommes. Elle s'était contentée de caresser la tête de Lusso qui dormait dans ses bras. L'animal la quittait rarement depuis qu'ils s'étaient rencontrés dans les cachots secrets de la ville, sauf pour aller chasser durant la nuit. Le chien de prairie aimait dévorer des insectes ou bien cueillir des baies et des champignons. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il avait été absent le soir où Shayne était venu présenter ses condoléances à l'infirmerie. Lusso était revenu vers elle, au matin suivant.

— C'est bien beau tout ça, tout le monde sourit et fait comme si tout était parfait, déclara Misaki. Mais il ne faut pas oublier l'existence des esprits élémentaires. Le culte sait que nous avons parmi nous quatre créatures magiques et ils ne vont pas attendre longtemps pour venir les chercher. Nous devons passer à l'action avant qu'il ne soit trop tard.

Artael fronça des sourcils et renifla. Elle n'avait pas tort.

— Ne t'en fais pas pour ça, Megumi, ajouta Shayne. Ellen et ses collaborateurs sont sur le coup. Ils vont assurer notre sécurité. Tu peux donc dormir sur tes deux oreilles.

— Peut-être, répliqua Misaki, mais nous sommes brigadiers avant tout. C'est notre devoir de protéger les citoyens, pas eux.

— Techniquement, c'est aussi le devoir des mercenaires, désormais, mentionna Daichi. Ellen a fait signer des papiers à tout le monde dans sa guilde. Maintenant, ils représentent aussi notre armée en cas de guerre.

— Je sais déjà tout ça, mais ça ne m'empêche pas d'être soucieuse, continua la guerrière. Après ce qui s'est passé dans les plaines... nous devrions être plus prudents dans la répartition de nos tâches !

Daichi roula les yeux avant de lui répondre :

— En tout cas, nous ne voulons pas te perdre ni toi ni ton enfant, donc tu ferais mieux de nous laisser nous occuper de cette tâche, s'il te plaît...

Misaki se retint pour lui lâcher une insulte, alors qu'elle observait son vieil ami. Elle le trouvait de plus en plus condescendant, depuis qu'il était devenu général.

— Où veux-tu en venir, Daichi-san ? formula-t-elle. Je suis capable de me démerder en combat. Mon bébé va survivre. J'étais encore au bâton lorsque Sakura avait sept mois dans mon ventre. Je serais capable d'endurer n'importe quel assaut !

— C'est sympa d'avoir confiance en soi, mais on ne veut que ton bien, expliqua Shayne. Tu es notre amie après tout et on veut tout simplement faire en sorte que ta grossesse ne soit pas perturbée.

Misaki râla, puis se cogna durement la tête sur le bureau d'Artael, en signe de protestation. Daichi s'esclaffa, il reconnaissait bien là le tempérament de son ancienne camarade. Shayne commençait à être habitué au comportement d'à peu près tout le monde au palais, alors il n'était pas surpris de voir la guerrière se relever la tête avec la marque rouge sur le front. Elle se croisa les bras et bouda.

Le chien de prairie en avait profité pour bondir à terre et commença à faire sa toilette, pendant que les autres ne le regardaient pas.

Artael, quant à lui, se sentait légèrement embarrassé.

— Toujours aussi impatiente, Misaki-chan... dit Daichi.

— Et toi, tu es toujours aussi têtu, répliqua-t-elle, avec des couteaux dans les yeux. Ce n'est pas parce que je suis une femme que je suis faible et un fardeau pour vous, messieurs ! Une femme enceinte peut très bien se battre ! On est capable d'endurer les accouchements, ne venez pas me dire ce que je dois faire de mon corps, compris ? Je suis certaine qu'Ellen serait du même avis que moi. Je sais me contrôler, ne vous en faites pas ! Je ne me surmènerai pas au travail et je resterai à l'écart des conflits physiques. Donnez-moi simplement ce boulot, qu'on en finisse ! J'ai besoin de me changer les idées...

— Nous avions déjà accepté, mentionna Artael. On veut juste s'assurer que tout aille bien pour vous et votre petite.

— Très bien... soupira-t-elle. Je commence quand ?

— Le plus tôt sera le mieux, répondit Shayne. Les membres de la Septième Brigade ont plusieurs tâches qui les attendent.

— Et moi, j'ai hâte de retourner travailler ! ajouta la guerrière.

Une fois cette affaire réglée, Misaki sortit du bureau en compagnie de Shayne et du chien de prairie. Elle ne remarqua même pas Daichi, qui disait tout bas à Artael :

— Est-ce moi ou elle se comporte de plus en plus comme votre fils ?

Pour toute réponse, le président haussa les épaules et lâcha un soupir. Décidément, Flint avait une bien étrange influence sur son entourage.

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