41. Troyd et Narcissa
Pendant ce temps, à Baldt, Sarah et sa nièce Estelle se trouvaient au marché dans l'espoir d'acheter quelques fruits et légumes pour le repas des orphelins. La fillette s'était portée volontaire afin de porter des sacs de provisions pour la nonne, fière de lui rendre service. Même qu'elle avait envie de cuisiner avec sa tante.
Dans la ville régnait une ambiance de mort. Toutes deux étaient incertaines pour la raison à laquelle quelques brigadiers s'étaient postés près des portes de la ville. Sarah s'était dit que l'armée tentait de renforcer les lieux, en cas d'attaque surprise. Personne au palais ne lui disait jamais rien, en ce qui concerne les procédures à suivre, au cas où une guerre éclaterait. Oui, elle était douée dans l'art de la guérison, mais pour se défendre, c'était autre chose. Elle ne savait pas se battre, sauf si c'était pour lancer des éclats de lumière qui pourraient aveugler ses adversaires.
— J'ai un peu la frousse, pas toi ? dit Sarah.
— Un peu... Mais mes papas vont se charger de tout, tu vas voir !
Sarah devait admettre qu'elle trouvait l'affection d'Estelle pour son frère, particulièrement touchante. Flint était si fier de sa petite, qu'il passait son temps à la gâter ou bien à lui raconter tout plein d'histoires, alors qu'ils se promenaient un peu partout. Sarah les croisait souvent au parc, près de l'église, lorsqu'elle surveillait son petit groupe d'orphelins. Estelle avait pris beaucoup d'assurance, depuis son adoption. Misaki et Cassandra avaient aussi une bonne influence sur elle. Elle ne serait plus jamais seule.
L'enfant cligna des yeux et observa la religieuse. Elle se demandait si elle avait dit quelque chose de bizarre. Finalement, Sarah répondit :
— Je doute que mon frère puisse tout régler, mais je prie Athéna pour que tu aies raison. J'imagine qu'il est déjà en train de rendre service au peuple, quelque part en dehors de ces murs.
— Papa Flint est débrouillard comme un raton-laveur et Papa Gab possède la force de mille hommes ! affirma Estelle, fièrement. Ils vont nous sauver des méchants ! C'est Sakura qui me l'a dit... et je la crois ! Rien ne pourra les tuer.
— Vous avez beaucoup d'imagination, ton amie et toi.
— Eh, mais on dit la vérité ! Ils ont des superpouvoirs après tout !
Sarah approuva d'un sourire. Elle ne voulait pas dire à sa nièce qu'elle exprimait des sottises, mais la voir si heureuse et si confiante lui remontait le moral. Elle remit entre les mains d'Estelle un sac rempli de courgettes et de persil alors qu'elle tenait un autre sac, rempli de pommes de terre. Ce soir-là, elle comptait préparer une salade crémeuse avec le fameux poulet rôti de Sœur Louisa. Sarah comptait même sortir la dernière bouteille de cidre de pomme qu'on avait monté du garde-manger pour l'occasion du trente-troisième anniversaire de Frère Bertrand. Les orphelins adoraient ces recettes simples, mais le cidre était réservé aux adultes puisqu'il renfermait un léger taux d'alcool.
— Alors, que t'apprend-on à l'école dernièrement ? demanda Sarah pendant qu'elles marchaient tranquillement en direction de l'église.
Depuis que les enfants de la ville avaient désormais une école officielle, en ville, les religieux n'avaient plus à se soucier pour leur apprentissage. Parfois, ils se portaient même volontaires pour remplacer les professeurs, quand ils étaient malades.
— Beurk... ! râla Estelle. Dernièrement, on veut me faire passer un cours de mathématiques, mais je n'y comprends rien aux multiplications et aux divisions...
— Ah, tu n'es pas la seule dans ce cas. Tes parents n'ont jamais été bons en mathématiques, ni moi. Ton oncle Kyran, par contre, est un génie en ce qui concerne les chiffres. Pourrait-il t'aider ?
— Tonton Kyran est gentil, mais il est toujours occupé...
— Je suis certaine qu'avec un joli sourire et un câlin, il cédera à ta demande, ajouta la nonne, qui pouffa de rire.
Estelle gloussa, puis sursauta au moment où elles entendirent un cri au loin. Elle lâcha le sac de nourriture et désigna droit devant un individu recouvert d'une longue cape noire qui tenait dans l'une de ses mains une dague ensanglantée. À ses pieds, le cadavre d'une bonne femme venait de tomber au sol. Le premier réflexe de Sarah fut de prendre sa nièce par la main et de faire demi-tour.
Elles s'apprêtèrent à tourner au coin d'une intersection lorsqu'elles foncèrent accidentellement dans un grand gaillard costaud et bedonnant. Sarah crut reconnaître quelques traits familiers avant de recevoir un coup solide sur la tête. Elle s'effondra au sol, alors que des flammes commençaient déjà à se répandre dans la ville.
L'individu vêtu d'une cape ramassa Estelle qui cria, horrifiée.
— Emmenez là au palais avec les autres gamins, ordonna-t-il à quelques hommes encapuchonnés comme lui, qui venaient de l'entourer. La fête ne fait que commencer.
¤*¤*¤
— Ai-je raison de croire qu'elle ne m'a pas tout dit ? songea Gabriel qui observait la doyenne de Doylesbourg, au loin.
Il était en colère d'avoir dû abandonner le village, mais en même temps, si les ordres du maire étaient bel et bien de protéger les civils qui avaient fui, alors pourquoi devrait-il s'en faire ? À force de vivre avec Flint, il avait commencé à devenir comme lui en son absence. C'était sa façon à lui de ne jamais se sentir seul lorsqu'ils devaient être séparés temporairement.
Son estomac se mit à grogner. Il avait peu mangé ce jour-là et avait déjà brûlé toutes ses calories consommées. Il se plaignait mentalement d'avoir donné sa dernière baguette de pain à Derek.
— Et dire que j'ai dépensé mes dernières piécettes pour ça ! bouda le colosse, qui leva un poing en l'air. Mon p'tit Doyle, tu as intérêt à lui dévoiler tes sentiments et vite... Sinon, je vais t'écraser pour m'avoir privé de bouffe !
Un petit cri strident le sortit de ses pensées. Il réalisa que les personnes qu'ils étaient en train d'escorter depuis plus d'une dizaine de minutes, maintenant, étaient en réalité des démons. Car l'un après l'autre, ils avaient quitté leurs corps humains, pour laisser des carcasses choir au sol. De petites et de grandes créatures ailées, aux griffes acérées et aux yeux rouges et globuleux s'attaquaient à Cassandra et Serenity. Gabriel comprit que leurs cibles étaient les esprits élémentaires.
— C'était un piège ! lança Luna, furibonde.
— Formation défensive, et que ça saute ! cria Gabriel qui courut rejoindre ses amis, avant d'écarter quelques monstres avec sa hache.
Derek se mit aux côtés du colosse, son épée en main, alors que Cassandra, Luna et Serenity s'éloignaient des monstres. Gabriel planta son arme dans la tête d'une gargouille répugnante qui allait s'en prendre à Cassandra et Windy. La chose mourut rapidement. Ils étaient entourés d'une vingtaine de bestioles toutes aussi dangereuses les unes que les autres. L'enfant que Cassandra et Serenity avaient soigné, par exemple, était devenu une étrange musaraigne géante aux dents pointues. Elle avait aussi de longues griffes tranchantes qu'elle n'hésitait pas à utiliser pour attaquer ses adversaires.
Les brigadiers finirent par se rassembler, ce qui laissa la chance à Serenity et Luna de lancer des sorts offensifs sans être blessées. Cassandra avait déjà abattu la musaraigne géante, ainsi qu'un étrange papillon gigantesque propageait du pollen toxique dans leur direction.
— Ne respirez pas ça ! lança Luna. Ça peut être mortel !
Windy repoussa alors la poudre, d'un coup d'ailes puissant.
— Qu'est-ce qui s... s... se p... p... passe ?! bégaya le pauvre Derek, en état de choc. J'ai à peine cligné des yeux et ces choses sont sorties de nulle part !
— Je ne peux rien confirmer, lança Gabriel, mais je crois que cette mission était un leurre des disciples ! Il est fort possible qu'ils aient fait diversion avec cette fumée afin de nous avoir par surprise !
— Et les démons ? Que font-ils là ?!
— Il est probable que les habitants de Doylesbourg aient tous été remplacés par ces derniers durant les dernières semaines, déclara Cassandra, à ses côtés. C'était un coup monté pour affaiblir nos rangs.
— Pour le moment, nous n'avons pas fini le combat, alors cessez de jacasser et aidez-nous à les tuer ! aboya Luna qui invoqua une énorme sphère de glace, au-dessus de trois des monstres.
Derek opina du chef, puis se mit à lancer quelques sorts de flammes depuis sa position, tandis qu'il repoussait quelques bêtes avec des coups de pieds et des coups de lames. Les monstres semblaient se multiplier, des créatures des plaines commençaient à se rapprocher à l'odeur du sang de leurs semblables. La puissance magique de Luna perturbait leur tranquillité, tellement ça causait du bruit et affectait le mana dans l'atmosphère. Même les esprits élémentaires commençaient à agir bizarrement. Il y avait trop d'influences maléfiques qui les entouraient.
La concentration de Windy commençait à faiblir lorsqu'elle ressentit quelque chose d'étrange dans l'air. La crécerelle avertit aussitôt son groupe :
— Je ne ressens presque plus Dia !
— C'est Flint ?! hurla Gabriel qui planta sa hache dans le dos d'une gigantesque chenille aux dents acérées. Que lui est-il arrivé ?!
— Je l'ignore ! Les ondes de Dia se sont affaiblies !
— Ils étaient pourtant censés rester au palais ces deux-là ! fit Luna qui assistait Derek avec une autre bestiole.
— Restons concentrés ! ordonna Cassandra. Nous devons survivre pour le moment ! Nous nous inquiéterons plus tard !
— GrrRrRRrOuUuuuAaaaHHhhH ! rugit le colosse qui quitta la formation, en même temps qu'il balayait les monstres avec sa hache ; il devenait de plus en plus impatient.
— Gab, reviens ici tout de suite ! cria Cassandra, comme si elle s'adressait à un chien. Mais que fais-tu, bon sang ?!
À lui seul, l'homme imposant écrabouilla plusieurs monstres et décapita quelques-unes d'entre elles, puis réussit à faire fuir les plus petits avec un deuxième cri de guerre. Pris d'une rage folle, il était recouvert de sang de monstres.
— Ça suffit, ils sont partis ! ajouta Cassandra qui s'approcha de Gabriel pour lui mettre une main compatissante sur l'épaule. Calme-toi ! Rien ne nous dit que Flint soit en danger !
— Il ne quitte jamais Dia depuis qu'il l'a en sa possession, grogna Gabriel, qui fixa son amie d'un air dégoûté. Il a parfaitement compris la tâche qu'on lui a assignée lorsqu'il a accepté de devenir son gardien. Si Dia souffre, ça veut dire qu'il lui est arrivé quelque chose !
— Gabriel, calme-toi et regarde dans quel état tu rends notre équipe !
Cassandra força ce dernier à tourner son visage d'une main, vers Derek, Luna et Serenity qui étaient entassés ensemble, terrifiés et abasourdis.
— Tu deviens comme une autre personne quand tu es enragé, expliqua-t-elle. Nous comprenons que tu as peur pour la vie de Flint, mais nous sommes tes amis avant tout... Nous ne voulons pas te faire de mal alors calme-toi...
Gabriel hocha la tête et se tapa les joues. Il inspira et expira lourdement à quelques reprises, puis ferma ses yeux un moment. Le buffle enragé, tel qu'on avait commencé à le surnommer à Baldt, dernièrement, se mit à méditer sur les paroles de son amie.
Perchée sur l'épaule de sa maîtresse, Windy soupira de soulagement.
— Sincèrement, Cassie, il faudrait glisser deux mots à Shayne pour lui avoir redonné confiance en lui, chuchota-t-elle à l'oreille de sa partenaire.
— En effet, je ne l'ai jamais vu aussi énervé, répliqua sa porteuse.
— Rentrons ! dit Gabriel qui ouvrit les yeux et qui se tourna en direction de la capitale. Nous n'avons pas une minute à perdre !
— Nous ne pouvons pas, Gabriel, dit Serenity, timidement. Il y a peut-être des survivants à Doylesbourg.
— Ça m'étonnerait, répliqua-t-il. Vous le voyez déjà que leur ville est en flammes. Les démons ont déjà dévoré les humains et ont pris leurs apparences. Nous n'avons plus rien à faire là-bas. Partons.
— Il a raison, dit Luna. Je ne pense pas qu'il soit sage d'y retourner. Les disciples de Perséphone nous ont tendu un piège dans l'espoir de semer la panique dans nos troupes.
— Il est clair, selon moi, qu'ils veulent en finir avec nos brigades, dit Cassandra.
Cette atmosphère sinistre engendra un froid dans le groupe alors qu'ils reprenaient la route en direction de Baldt.
Gabriel était devenu amer et découragé. C'était comme s'il avait compris au plus profond de son être qu'un malheur venait de frapper son mari et le reste de leur famille. Le simple fait que les esprits élémentaires ne ressentaient presque plus la présence de Dia dans la région était suffisant pour lui alourdir le cœur.
— D'abord Nash, maintenant lui... marmonna-t-il pour lui-même. Trop, c'est trop ! Ces salauds vont payer pour leurs crimes... J'en fais la promesse...
Cependant, il était loin de se douter que les malheurs de son mari et de la louve étaient tout autres. Cela ne l'empêcherait pas de canaliser sa colère pour les événements à suivre, car il avait la certitude que l'armée passerait à l'attaque d'ici à la prochaine heure... et il avait raison. Il percevait déjà des nuages de fumées en direction de la capitale. Tout avait déjà commencé.
— Je n'en crois pas mes yeux, dit Luna.
Elle devança Gabriel, et se mit sur la pointe de ses pieds pour voir la lueur des flammes, à l'orée du crépuscule.
— Cette diversion va nous coûter cher, j'en ai bien peur ! lança Cassandra. Hâtons-nous ! La ville a besoin de nous !
Ils comprirent tous que Baldt avait été attaqué durant leur absence. Les disciples avaient donc décidé de passer à l'action avant la tombée de la nuit.
— Réalisez-vous que je ne suis pas doué pour les combats ?! se plaignit Derek dans leur course en direction de la ville. Comment voulez-vous que je défende la capitale avec mon manque de savoir-faire ?!
— Reste derrière nous et occupe-toi de protéger Serenity ! répliqua Cassandra.
— Je connais quelques sorts offensifs, mais rien qui ne soit assez puissants...
— Ne t'en fais pas l'ami ! ajouta Luna, ça va nous faire une jolie baston ! Si on est pour mourir ce soir, autant le faire dans l'honneur et la dignité !
Gabriel était essoufflé, mais cela ne l'empêchait pas de suivre les autres qui étaient plus rapides que lui. Il songeait s'arrêter un moment, parce qu'il craignait faire une crise cardiaque s'il ne se calmait pas. La capitale avait besoin de lui. Flint était probablement blessé ou sur son lit de mort. Puis, il y avait Estelle qu'il avait laissée à l'église. Il priait la déesse pour que sa fille soit en sécurité en cet instant. Rien que de penser à elle, il avait envie de pleurer de rage.
Il y aurait une lutte sans pitié une fois de retour à Baldt, ce qui évoquerait la fois où rebelles et brigadiers s'étaient rassemblés avec Artael, pour mettre fin à l'ancien Conseil despote. La dernière fois qu'il avait combattu pour un tel incident, il avait protégé son peuple. Cette fois, c'était personnel. Il jurait que s'il voyait l'un de ces clones de Troyd Markios, qu'il l'écraserait et qu'il se prendrait un sale plaisir à lui défigurer le portrait avant de l'achever avec un bon coup de hache dans le ventre. Il se sentirait davantage satisfait à l'idée de tuer l'original.
Gabriel, qui au départ ne devait être qu'un simple serviteur, était devenu un guerrier assoiffé de vengeance et animé par la haine.
— Au diable, Randell Tabris ! grogna-t-il, intérieurement.
Celui-là, il le tuerait aussi s'il avait la chance de le croiser sur son chemin. Ce mage et scientifique qui l'avait rejeté, ne méritait plus de vivre sur ces terres. Gabriel était prêt à le combattre dans un duel à mort, s'il le fallait.
Cassandra et Luna, qui connaissaient le colosse depuis plus longtemps que les deux nouveaux brigadiers, s'échangèrent des regards inquiets puisqu'elles savaient qu'il n'était pas dans son état normal. Cassandra comprenait que pour lui, toute cette histoire de golems ou bien de clones remplaçables avait fini par le rendre fou. Luna quant à elle n'était pas certaine de vouloir confronter son ami.
Derek suivait le groupe, la tête basse. Il réalisait que malgré ses peurs et ses questions idiotes, qu'il devait maintenant faire ses preuves en tant que brigadier et surtout, en tant qu'homme. La belle Luna, devant lui, risquait de mourir à tout moment dès qu'ils mettraient les pieds à l'intérieur de la ville. Alors, qui serait-il une fois qu'elle aurait besoin de lui ? Un poltron ou bien un chic type ? Il venait à peine de célébrer ses dix-huit ans, loin de sa famille et avait toujours l'impression d'être qu'un gamin.
Bien qu'il se soit senti seul ce jour-là, il était conscient qu'il s'était engagé dans une organisation sérieuse et que les quitter l'affligerait de honte pour le reste de ses jours ; peu importe où il se rendrait par la suite. Son esprit s'égara alors que le groupe s'approchait de plus en plus de la capitale. Il ne vit même pas la pluie de flèches qui leur était destinée. Un projectile pointu se fracassa dans sa tête, tandis qu'un autre lui perfora le cou, puis un troisième lui défonça la poitrine. Le brigadier s'effondra dans son sang.
Luna avait évité deux flèches de justesse et avait fait lever un champ de force devant elle qui repoussa quelques projectiles de tous les côtés. Gabriel reçut quelques-unes d'entre elles qui rebondirent sur son armure de fer, alors que Cassandra et Serenity se cachaient derrière lui, afin de se protéger.
— Ils ont eu Derek ! couina Serenity, au bord de la panique.
— Il n'y a rien qu'on puisse faire ! lança Gabriel. Préparez-vous à combattre !
— Je dois le soigner ! insista la jeune femme.
— C'est trop tard pour lui ! dit Luna qui jeta un coup d'œil rapide en direction de la dépouille. Il est mort !
— Non, non, non... Ce n'est pas possible... gémit Serenity, en état de choc.
— Ressaisis-toi, sinon nous allons tous crever ! aboya Luna.
Alors que les quatre brigadiers laissèrent leur ami pour mort derrière eux ; Derek Doyle s'imagina, tandis qu'il fermait les yeux une toute dernière fois, en train d'embrasser la nuque de la jolie Luna pour qui son cœur avait battu durant ces derniers mois. C'était avec le sourire aux lèvres qu'il lâcha son dernier soupir, ainsi qu'un filet de sang.
Luna s'arrêta tout à coup dans sa course, pour renforcer son champ de force. Elle jeta un dernier regard en direction du pauvre jeune homme qui venait de se faire tuer à cause d'un manque d'attention de leur part.
— C'est bête, je commençai à t'apprécier... pensa-t-elle avant de reprendre son souffle. Désolée de ne pas avoir pu te protéger, Derek.
Gabriel avait déjà repéré les archers qui étaient responsables de la mort de son collègue et s'enfonça dans leur direction, accompagné de Cassandra et de Serenity. Il s'élança avec sa hache et rugit comme une bête féroce, avec une vigueur étonnante.
Les archers, tout comme les individus armés d'épées, de haches et de lances, étaient recouverts de capes noires. Ces disciples avaient reçu l'ordre d'exécuter quiconque s'approcherait de la ville ou bien tenteraient de s'en échapper. Ils étaient au moins une dizaine. Quelques-uns étaient expérimentés alors que d'autres étaient maladroits.
— Crevez, sales lâches ! hurla Gabriel, avant de planter son arme dans le ventre de l'un des archers. Bon séjour en enfer !
Cassandra assista son allié en décochant quelques flèches magiques avec la puissance de Windy. Elle tua deux des disciples qui entouraient l'archer et blessa sévèrement l'un de leurs mages. Serenity activa un champ de force autour de l'archère et elle, pour se rendre utile. Luna ne prit pas de temps à les rejoindre. Deux des individus capés tentèrent de prendre la fuite, mais la magicienne les arrêta juste à temps, quand elle invoqua deux éclairs qui les foudroyèrent aussitôt.
D'autres membres du culte arrivaient de tous les sens, ils étaient poursuivis par d'autres brigadiers. Rapidement, la capitale était devenue un gigantesque champ de bataille. Malgré tout, la Septième Brigade resta soudée. Lusso devint une armure magique comme Misaki l'avait demandée à l'esprit élémentaire et protégea Serenity. Le champ de force de jeune femme ailée aida le reste du groupe à avancer plus facilement vers l'entrée de Baldt. Cependant, le combat devenait de plus en plus chaotique. Des brigadiers et des membres du culte s'entre-tuaient à chaque instant.
Gabriel et son groupe devaient malgré tout se frayer un chemin jusqu'en ville, car parmi les victimes se trouvaient des mercenaires et des volontaires choisis parmi les baldtiens. Le plus important, d'après lui, était de rejoindre le palais présidentiel et d'assurer la protection des civils.
Plusieurs immeubles étaient en flammes et en cendres, y compris la grande église au fond de la ville, qui était sur le point de s'effondrer. Il y avait des corps empilés partout. Il n'y avait aucune trace des religieux ou des orphelins qui semblaient avoir quitté les lieux avant que le combat n'éclate dans la ville.
— Ils sont probablement en sécurité, pensa Cassandra. J'espère que j'ai raison !
— Aaaaaah ! lança une voix familière au-dessus de leurs têtes.
Gabriel leva son regard vers le ciel et remarqua Kyran qui s'envolait en direction du toit d'un bâtiment. Il tourna ensuite son regard en direction de la brute qui avait propulsé le jeune homme dans les airs et sursauta. Il n'en croyait pas ses yeux. Devant lui se dressait un homme légèrement plus grand et plus large que lui, avec les traits familiers de Troyd Markios. Ce dernier avait un sourire narquois.
— Alors, mes petits. Vous ai-je manqué ? dit-il avec une grosse voix rauque. C'est dingue ce qu'on peut faire avec le code génétique de Randell ! Pas vrai, Gabriel ?!
Il se donna ensuite un coup de poing sur la poitrine.
— Monstrueux... tout simplement monstrueux, je n'ai pas d'autres mots pour le décrire, dit Cassandra qui recouvrit sa bouche pour ne pas dégobiller.
— Oh, merde... formula Luna à côté d'elle qui se sentait paralysée face à cette vision d'horreur.
Tout aussi colossal que Gabriel, le titanesque Troyd s'élança dans sa direction et lui donna un coup de poing dans le ventre ; ce qui causa des craquelures dans l'armure du colosse qui se sentit repoussé par la puissance de son adversaire.
Rares étaient les gens capables de pousser ou même de soulever Gabriel, dont le poids était si élevé que même les hommes les plus musclés de la ville ne pouvaient pas le bouger. Une perle de sueur coula le long de sa joue.
— Ah, mais tu t'inquiètes ! dit Troyd. Pas vrai mon gros porc ? Eh bah, tu as intérêt parce que j'ai tes gènes et je suis la version améliorée ! Le fils dont ton père a toujours rêvé ! Que dis-tu de ça ?!
Le colossal Troyd bondit droit en direction du gros guerrier qu'il renversa sous son poids. Il était recouvert d'une énorme et solide armure, fait d'un métal beaucoup plus résistant que celui de Gabriel. Il donna ensuite plusieurs coups de poings dans la figure de ce dernier, décidé à l'éliminer. Gabriel arrivait malgré tout à parer les coups avec ses mains, même s'il gémissait de douleur.
— Le seul désavantage, c'est d'avoir toute la graisse qui vient avec ! s'exclama Troyd, d'un ton moqueur. Mais à part ça, je me sens comme un homme neuf !
— Où veux-tu en venir ?!, demanda Gabriel. Essaies-tu de me provoquer, ou quoi ?!
— Quoi ?! Ne me dis pas que tu ne t'es jamais plaint à ton père de t'avoir donné un corps aussi laid ! J'aurais pu très bien lui demander de me faire un corps de femme, mais m'imagines-tu avec l'apparence frêle de ta sœur ? Jamais de la vie ! Plutôt mourir...
— Pfft ! J'aime mon corps tel quel ! Hors de ma vue !
Dans un élan, Gabriel balança Troyd à quelques mètres de lui et se retourna sur lui-même, pour essayer de se relever. Cassandra, Luna et Serenity se mirent en position défensive autour de lui et visèrent le titanesque clone qui courait déjà vers eux. Luna lança une tornade enflammée en direction de Troyd, puis donna le signal à Serenity de soigner Gabriel. La soigneuse ailée activa aussitôt son sortilège de guérison le plus puissant sur leur allié, ce qui lui redonnerait des forces rapidement. Gabriel était légèrement étourdi.
Cassandra et Windy créèrent une pluie de flèches qu'elles envoyèrent directement au visage de Troyd. Ce dernier hurla de douleur, recouvrit sa tête, pleurnicha, puis lâcha des mots grossiers. À leur grande surprise, les plaies de son visage se refermèrent aussitôt. Enfin, il leur retourna son sourire narquois.
— Ah-ha ! Vous devrez faire plus que ça pour me tuer, dit-il, avant de leur montrer ses dents pointues. Avec les nouveaux pouvoirs que Randell a incorporés dans cette enveloppe charnelle, je suis invincible ! Je vais faire qu'une bouchée de vous !
Suite à ses paroles, la tornade de feu le frappa à plein fouet. Ce dernier hurla de douleur, mais resta sur place, car la puissance du sort n'arrivait même pas à le soulever. La pesanteur de son armure accumulée à celle de son poids lui donnait cet avantage. Cependant, comme tout bon château-fort, il y avait une faille dans sa défense. Le métal n'était pas à l'épreuve des flammes. Son corps se mit à bouillir et le brûlait de l'intérieur. Ce fut avec horreur que Troyd réalisa son échec et qu'encore une fois, l'un de ses clones avait été tué.
— Je me vengerai ! avait-il crié, avant de disparaître dans un tas de cendres.
— C'est ça, c'est ça, toujours la même histoire avec toi, dit Luna qui était de moins en moins impressionnée.
— Gabriel ?! couina Serenity. Est-ce que ça va ?!
Ce dernier fit oui de la tête, alors qu'il reprenait ses esprits.
— Je m'inquiète surtout pour Kyran, dit-il.
Il pointait le conseiller qui venait de se joindre à eux.
— Ça va pour moi, je n'ai rien, révéla le frère de Flint. Où est passé le jeune Doyle ?
— Il a été tué en arrivant en ville, répliqua Cassandra. Sa mort a été rapide.
— Vous m'en voyez navrés...
— Qu'en est-il de Misaki et les autres ? demanda Luna. Sont-ils en sécurité ?
— Je l'ignore, mentionna Kyran. Tout ça a éclaté rapidement alors que je revenais du marché. Des miliciens m'ont prêté main forte jusque-là, mais il m'a été impossible de retourner au palais. La plupart d'entre eux n'ont pas survécu même si je suis toujours en vie... C'est un miracle...
— Et Flint ?! demanda Gabriel, agité. Avez-vous des nouvelles de Flint ?
— Désolé Gabriel, j'ignore où se trouve mon frère, répondit tristement le conseiller. Il est parti en dehors de la ville avant que le conflit ait éclaté à l'intérieur de nos murs.
Le colosse râla. Il craignait le pire. Il détourna son attention vers l'armure qui avait servi à l'imposant clone de Troyd. Il n'en revenait toujours pas que son créateur avait eu recours à une telle manipulation génétique.
— C'est à croire que mon père s'est foutu de ma gueule ! grogna-t-il intérieurement.
La magie de Randell devait cesser, quoi qu'il arrive. Il était beaucoup trop puissant pour toute une armée. Cet art de reproduire les humains avec cette science était plus qu'abject. C'était un acte tout simplement démoniaque. Il était conscient qu'il était lui-même le prototype de ces pantins magiques, cela ne l'empêchait pas de penser que son créateur avait tort de vouloir se prendre pour un dieu.
Cassandra décida qu'il valait mieux pour eux de ne pas rester dans les rues plus longtemps, alors elle donna les directives aux autres de la suivre jusqu'au palais. Sauf que Luna n'avançait pas, elle regardait tristement les flammes qui étaient en train de se répandre dans la ville.
Cassandra se tourna vers son amie et l'interpella :
— Eh ? Que fais-tu ? Tu risques de te faire tuer à traîner derrière nous...
La magicienne, pâle, ne put lui répondre quoi que ce soit. Elle perdit connaissance.
— Luna ! cria Cassandra, qui courut au secours de son amie.
¤*¤*¤
À l'intérieur du palais présidentiel, Troyd Markios sortit de sa transe lorsque qu'il perdit possession du corps qu'il contrôlait à distance. Sur sa tête était posé un diadème avec un cristal ensorcelé qui lui permettait de projeter son esprit sur de longues distances. Il prit son accessoire et le cassa en morceaux avant de jeter les débris au sol.
— Mais c'est quoi cette mauvaise plaisanterie ?! dit-il en avant de regarder froidement Narcissa. Les pantins que m'a offerts ton père, sont de piètre qualité !
L'ancienne servante du palais était assise derrière le pupitre de la bibliothèque, où s'asseyait normalement Luna lorsqu'elle travaillait.
— Que veux-tu que je te dise ? répondit-elle, d'un sourire narquois. C'est toi qui as accepté de participer à ce projet. Papa n'a fait que t'offrir des corps secondaires pour accomplir toutes les tâches que tu ne pouvais pas accomplir tout seul.
— De toute façon, la Septième Brigade est en route pour le palais. Nos hommes devraient s'en charger, mais ils ont avec eux des esprits élémentaires.
— Ah, je vois... Donc, tu voudrais qu'on aille les récupérer, c'est ça ?
— Précisément.
Fatiguée de devoir attendre les prochains ordres de son père, Narcissa, qui portait toujours ses vêtements de servantes par habitude, se croisa les bras et mit les pieds sur le pupitre. Voilà environ une bonne heure qu'ils siégeaient le palais et qu'une bonne partie des civils avaient été enfermés dans les sous-sols et les donjons. Ils étaient au moins deux cents disciples, assistés par des milliers de démons qui leur obéissaient au doigt et à l'œil. Une simple brigade ne leur causerait pas tant de soucis, puisqu'ils avaient été capables de s'infiltrer en ville sans perdre qui que ce soit. Elle mit une main devant sa bouche, puis bâilla fortement.
— Eh, la pute ! remarqua Troyd. Cesse de faire ta grosse paresseuse et suis-moi, qu'on aille dégommer quelques-uns de ces fils de putes qui travaillent pour mon frère !
— Écoute, je n'ai pas envie de mourir maintenant. Si tu as les bijoux de familles qui te démangent, va et fais de toi un homme !
— Je n'aime pas ta façon de parler... Heureusement pour toi, tu as un joli petit cul...
— C'est comme ça que tu t'adresses envers toutes les femmes ? Ça doit te faire drôle de te faire insulter par une dame, pas vrai ?
— Je vais te faire ravaler ta langue, salope... répliqua ce dernier qui serra les dents. On ne me parle pas sur ce ton !
Troyd rugit avant de balancer la grande table à laquelle il était installé, devant lui, ce qui fit peur aux quelques disciples qui les avaient accompagnés dans la pièce. Il bondissait déjà en direction de Narcissa, mais celle-ci fit apparaître des ronces épineuses du bout de ses doigts. L'une d'elles fouetta la brute au visage tandis que l'autre l'entourait pour l'envoyer valser dans les airs. Troyd retomba sur ses pieds et fronça des sourcils. S'il y avait bien une personne dans cette pièce capable d'en venir à bout avec lui, c'était bien elle. Il mit les ronces en flammes avec l'un de ses sorts, ce qui incita Narcissa d'interrompre son pouvoir.
— Va plutôt voir ailleurs si j'y suis, répliqua-t-elle froidement, tandis qu'elle esquissait toujours son petit sourire. J'ai mieux à faire que de jouer les nounous avec un gamin irresponsable qui ne pense qu'à jouer.
Son interlocuteur grogna, puis se tourna en direction de la porte de sortie. Il s'éloigna par la suite, non sans murmurer quelques mots grossiers. Il claqua la porte derrière lui. Narcissa soupira de soulagement. Elle retourna aussitôt son attention vers le parchemin que son père lui avait laissé avant de sortir de la bibliothèque, un peu plus tôt. Celui-ci contenait des directives à suivre.
Une fois qu'elle recevrait le message d'un de ses camarades, elle partirait à son tour pour exécuter la tâche qu'on lui avait assignée. Quelqu'un au palais avait en sa possession deux esprits élémentaires. Plus tôt, on l'aurait trouvé, meilleures seraient leurs chances d'ouvrir des brèches dans le voile, ce qui permettrait au corps de Perséphone de quitter sa dimension. Alors, un nouveau règne débuterait sur ces terres et leur culte pourrait finalement célébrer ce moment de gloire tant attendu...
Randell avait espéré ce moment depuis toujours. Cet objectif s'était transmis à certains de ses pairs, ainsi qu'à sa fille qui avait passé une bonne partie de son existence à ses côtés. Narcissa était fière de son père, même si leur relation avait toujours été discrète par le passé. Maintenant qu'il avait renié la capitale et refusée de servir Artael ; les lois, en ce qui concerne la fabrication des golems, n'étaient plus respectées pour Randell. Il n'avait pas tardé à révéler au grand jour que Narcissa était sa création, illégale. Tout comme Gabriel, elle avait été construite en secret et sans l'accord des autorités. Gabriel avait été le prototype d'une expérience ratée, elle représentait la perfection. Elle était tout ce dont il avait toujours souhaité – une arme parfaite qui l'obéirait au doigt et à l'œil et ne questionnerait jamais son ambition.
— Miss Tabris ? dit une voix qui la fit sortir de sa torpeur.
L'un des serviteurs de Randell venait d'entrer dans la pièce, essoufflé. Il remit un rouleau de parchemin à Narcissa, qui le déroula. Leurs espions avaient repéré celui qu'elle cherchait et qu'elle devait tuer : le Général Shayne Wolfe. Celui-ci était à l'un des étages supérieurs et assistait les brigadiers à protéger le président. Voilà qui était un défi de taille pour la demoiselle golem, mais cela ne l'empêchait pas de jubiler.
Délicatement, elle se leva et ordonna aux disciples de la pièce de la suivre alors qu'elle sortait derrière le messager de son père. Sur son visage, on pouvait y lire un brin de folie, ainsi que de la satisfaction.
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