Pendant ce temps, à Baldt ; les gens commençaient à retourner chez eux après que les derniers soldats sortaient de la ville. Flint resta à la fontaine longtemps, jusqu'à ce qu'il ait senti une petite main prendre la sienne. Il baissa son visage vers sa droite pour voir Estelle, habillée dans son petit manteau en laine.

— Tu viens, papounet ? demanda Estelle. Tu vas attraper froid si tu restes dehors sans manteau.

— Mais que ferait-on sans toi ? dit Flint qui se pencha afin de prendre sa fille dans ses bras.

— Vous seriez fous, déclara la fillette qui pouffa de rire.

Flint était tout simplement sorti du palais avec ses bottes d'hiver et rien d'autre. Il avait par-dessus sa chemise un blouson noir entrouvert. Son jean n'était pas assez chaud pour la température qui commençait à se faire glaciale. Il ne neigeait pas, mais le vent frisquet dans la capitale venait tout droit des plaines.

Gabriel les attendait près de la porte d'entrée du palais, en robe de chambre. Il voulait aller prendre un bain chaud, mais Estelle avait insisté d'aller rejoindre son père. Ce jour-là, Artael avait fait fermer les écoles donc les élèves devaient rester chez eux. Apparemment, Estelle s'entendait bien avec ses camarades de classe et passait beaucoup de temps avec la petite Sakura. Les deux gamines étaient déjà amies avant même que la petite Markios fut adoptée. Estelle était quand même assez joviale et une vraie boule d'énergie, ainsi, elle ne passait jamais inaperçue, peu importe où elle se rendait. Elle était beaucoup plus heureuse, maintenant qu'elle avait une maison et une famille rien qu'à elle.

Flint embrassa son mari et lui dit de rentrer avant de geler complètement, comme un glaçon. Ce dernier ne se fit pas prier avec le blond qui le suivit. De retour à leurs appartements, Estelle demanda la permission à ses parents pour aller rendre visite à Sakura et Tante Misaki. Flint accompagna donc sa petite chez les Megumi, situés à plusieurs portes de chez eux, puis revint à son appartement auquel il entendit l'eau couler depuis la salle de bain.

Il vit une main sortir des toilettes, qui lui faisait signe d'approcher. Il comprit aussitôt où Gabriel voulait en venir et ôta ses vêtements qu'il laissa par terre. Alors, il esquissa un sourire et ramassa la bouteille de lubrifiant sur leur grand bureau, Flint se dit qu'il était temps pour lui de passer un bon moment avec son ours.

¤*¤*¤

La soirée arrivée, le groupe mené par le Général Daichi s'était arrêté au sud des bois, près de Kritz, où ils installèrent un camp pour la nuit. Il y avait plusieurs feux de camps partout où Nash tournait les yeux. Quelques centaines de représentants de la capitale s'étaient déplacés, car ils voulaient tous participer à l'arrestation des traîtres. D'autres étaient venus par précaution, comme ils étaient certains qu'on aurait besoin de leur aide.

Un bol de soupe dans l'une de ses mains, une cuillère dans l'autre, Nash n'arrivait pas à trouver l'appétit. Assises près de lui, Cassandra et Luna bavardaient avec Dia qui était retournée à sa forme animale. Dans l'obscurité, les gens la prenaient pour une chienne, ce qui laissait la chance à celle-ci de se dégourdir les pattes un peu, tout en restant éloignée des flammes. La louve était consciente que son porteur n'était pas dans son état habituel. Elle se dit que celui-ci avait finalement craqué sous la pression.

— Regardez-les tous, soupira Nash. Ils se dandinent comme des paons... Tout ce qu'ils veulent, c'est participer au massacre de l'homme qu'ils détestent. Ils rient, ils boivent, ils chantent, ils font la fête alors que je m'apprête à exécuter, puis enterrer mon frère. N'ont-ils donc aucun respect pour ma famille ? Bande d'ivrognes... Kyran et Artael ont bien fait de rester chez nous.

Cassandra écoutait son supérieur attentivement. Il était vrai que certains membres de cette milice étaient en train de se saouler et de raconter des blagues sur l'ex-Général Markios ; mais cela ne leur donnait pas le droit de se moquer du reste de sa famille. Elle avait entendu plusieurs commentaires vexant à propos de Flint et de Gabriel. Les gens en profitaient pour dire des méchancetés sur la grosseur du golem humanoïde ou bien le mauvais tempérament du blond. D'autres, surtout des femmes, les critiquaient d'avoir adopté Estelle alors qu'il y avait peu de femmes dans leur famille pour en prendre soin. Nash devait se retenir pour ne pas en frapper plus d'un.

— Laisse-les parler, ils sont stupides, déclara Luna qui mangeait un morceau de sandwich. Ils ne risquent pas de revenir vivants de cette mission. D'après moi, la plupart d'entre eux ne sont que des personnes mal baisées, jalouses de l'amour que Flint et Gabriel se partagent.

— Normalement, je te demanderai de ne pas me parler aussi grossièrement, mais tu as raison, répliqua son supérieur.

— J'ai toujours raison, blagua son interlocutrice.

Nash haussa des épaules, puis laissa son bol qu'il avait à peine touché près du feu. Il s'éloigna ensuite et rejoignit Shayne et Daichi, installés près d'une calèche éclairée par des lanternes. À l'intérieur, l'ancien chef des rebelles avait déplié une carte de son ancien repaire qu'il montrait au vampire. Quand il vit Nash, il lui fit signe de s'approcher.

— Je vois que vous ne chaumez pas pendant que les autres s'amusent, dit ce dernier.

— Nous pensons qu'ils vont se servir des montagnes afin de défendre leurs positions, mentionna Shayne. Des archers et des mages situés autour du village, dans des locations élevées, pourraient très bien leur donner un certain avantage stratégique.

— C'est pourquoi nous pensons déplacer les infanteries lourdes en avant de notre cortège, accompagnés de quelques archers.

Le capitaine agréa, puis écouta le reste de leur plan. Ils semblaient avoir bien planifié le tout, sauf qu'il y avait un léger détail qui le dérangeait.

— Ça me parait bon, tout ça, mais je crois que vous oubliez quelque chose de très important dans vos plans d'attaque : ils ont à leur disposition un scientifique qui maîtrise l'art de la production d'hommes synthétiques, dit-il. Il est fort possible qu'ils nous attaquent par surprise avec des golems en renforts. Dois-je vous rappeler la puissance de Gabriel ?

— Ah... C'est vrai, nous avions complètement oublié Randell, dit Shayne.

— Que devrions-nous faire, dans ce cas ? demanda Daichi. Limiter le nombre d'infanteries à l'avant du groupe et protéger nos troupes de façon équitables ?

— Les archers et les mages derrière une ligne d'assaut, entourés de guerriers en armures lourdes, peut-être ? suggéra le capitaine. Celles et ceux qui combattent sur de longues distances peuvent facilement couvrir plusieurs de leurs alliés, s'ils sont bien protégés.

— Ce n'est pas faux, dit Shayne. Dans ce cas, nous pourrons nous attendre à tout en gardant nos positions. Peut-être serait-il une meilleure idée de diviser nos unités en deux ou trois parties égales...

Les trois hommes continuèrent donc à formuler leurs stratégies durant le reste de la soirée, alors que leurs soldats poursuivaient leurs activités. Ils étaient tous insouciants qu'à quelques kilomètres de là, on les observait depuis l'obscurité. Un danger se préparait à l'horizon...

Luna, Cassandra, Windy et Dia, de leur côté, discutaient dans un coin éloigné au reste des gens. Elles bavardaient de tout et de rien. Luna leur avait expliqué qu'elle avait commencé à faire d'étranges rêves dernièrement, à propos d'un oiseau enflammé dans le ciel. Cela faisait quelques mois que tout avait commencé. Le rêve revenait souvent la perturber durant son sommeil. Les deux esprits élémentaires s'échangèrent un regard, puis Windy jeta un coup d'œil vers sa porteuse.

— Se pourrait-il que Luna soit liée à l'un des esprits ? demanda Cassandra.

— Il y a bien un oiseau de feu dans notre famille, mentionna l'esprit du vent. On l'appelle Kelvin. C'est un phénix qui apparaît rarement. Il veille sur les flammes et la chaleur depuis les débuts d'Aeglys.

— Pourquoi prend-il du temps à se manifester pour moi, dans ce cas ? formula Luna. Il se montre fréquemment dans mes rêves, mais je ne l'ai jamais rencontré.

— Le moment viendra où il viendra à toi, déclara Dia. Peut-être pas aujourd'hui, ni demain. Mais un jour, il le fera lorsqu'il se sentira prêt.

— Ça veut donc dire que bientôt, je vais avoir la même responsabilité que Nash, Shayne et toi, Cassandra... Je vais être responsable d'un esprit...

— Il ne faut pas que ça te monte à la tête, mentionna la guérisseuse. Les esprits, comme tu peux le voir, ont besoin de nous. Ils sont puissants et peuvent nous apporter du soutien lors de nos combats, mais il ne faut pas oublier qu'ils ne sont pas immortels.

— Justement, c'est votre devoir de nous protéger, exprima Dia. C'est en restant vivants que nous arrivons à renforcer le voile qui sépare les deux dimensions. Sans nous, vous ne seriez probablement plus là à l'heure qu'il est. Perséphone et ses sbires feront absolument tout en leur pouvoir pour détruire ce monde...

— Mais j'ai cru comprendre que les membres du culte avaient disparus depuis un certain temps, non ? mentionna Luna. Dans ce cas, vous ne courrez plus aucun danger, pas vrai ?

— C'est bien là le problème, Luna, reprit Dia. Nous ignorons s'ils se cachent ou s'ils ne seraient pas en train de se préparer à nous anéantir, une bonne fois pour toutes. Ça fait des siècles qu'ils nous pourchassent et qu'on se fait facilement avoir. Plusieurs de mes ancêtres sont morts de cette façon et c'est avec de la chance que le pouvoir s'est transmis à moi lorsque je suis née. Avant que je ne choisisse de me fusionner avec une louve, l'une de mes formes était celle d'une fée, ce qui n'est plus qu'un vague souvenir aujourd'hui. Les membres du culte ont presque tous exterminé les fées et j'ignore s'il en reste encore à ce jour. Ils seraient prêts à causer n'importe quel génocide pour arriver à leurs fins.

— Donc, formula Luna, si je me souviens bien, le pouvoir qui est en vous ne disparaît pas complètement lorsque vous mourrez. Il est transféré dans le corps d'une autre créature sous forme de réincarnation... C'est ça ?

— Oui, et dans l'ordre des priorités, il se transfère toujours dans l'une de nos progénitures. Si par exemple, nous avions un frère ou une sœur biologique, notre pouvoir irait à l'un d'entre eux jusqu'à ce que nous soyons tous tués. Alors le pouvoir serait transféré dans un nouveau corps, un nouveau réceptacle. Rares sont les adeptes de Perséphone assez intelligents et puissants, capable de nous tuer et de voler notre essence. Dans ces cas-là, nous n'avons pas le choix de renoncer à notre devoir et de périr définitivement. Je suis l'une des créatures élémentaires qui a eu assez de chance pour se réincarner plusieurs fois. Plusieurs dans ma fratrie n'ont pas eu cette chance...

— Quant à moi, dit Windy, j'étais autrefois une lutine des vents, mais lorsque je suis morte, j'ai décidé de me réincarner dans l'œuf d'une crécerelle. C'était préférable de changer de corps à chacune de mes incarnations.

Cassandra sirotait un thé, alors qu'elle écoutait la conversation. La spiritualité prenait un tout autre sens en présence des esprits élémentaires.

— Cela me fait penser à quelque chose qu'on sait déjà depuis quelque temps, mentionna-t-elle. On sait tous que Gabriel a été créé à partir de l'ADN d'un esprit élémentaire, non ? Donc, comment se fait-il qu'il ne se soit pas encore manifesté comme l'un des vôtres ?

— Probablement parce que la créature qui a servi pour lui donner ses cellules est encore vivante. La même créature pourrait très bien transférer son pouvoir en Gabriel lorsqu'elle mourra, dit Windy. Mais je doute qu'elle acceptera. Gabriel est quand même un golem créé à partir d'une magie obscure et de la science. Je doute que la déesse souhaiterait qu'il soit le prochain à recevoir ce don.

— En tout cas, il a su prouver à de nombreuses reprises qu'il n'a rien d'un démon, dit Luna. Même qu'il est l'homme le plus gentil que je connaisse. Si son autre géniteur venait à mourir, je crois que son héritage spirituel et magique serait entre de bonnes mains, avec lui.

— Peut-être... On n'en sait rien pour le moment, répliqua Windy.

— Sinon, qui sont les autres esprits que nous n'avons pas encore rencontrés ? demanda Cassandra.

— Kelvin, Lusso, Bella et probablement Giotto, s'il est encore vivant, dit la louve. Nous n'avons pas encore rencontré les réincarnations des autres esprits élémentaires dans cette ère. Nous avons aussi quelques cousins, en dehors de notre fratrie qui servent d'autres divinités qu'Athéna... Mais nous ne les voyons pas souvent.

— On en sait déjà un peu sur Kelvin... Pourriez-vous nous en dire plus sur les trois autres ? implora Luna.

Les deux sœurs hésitèrent un moment avant de céder. Ce fut Windy qui décida de répondre à la demande de l'adolescente.

— La dernière fois que j'ai vu Bella, elle avait l'apparence d'une loutre et nageait dans les rivières de Lanartis, expliqua Windy. C'est une prétentieuse qui se prend pour une petite princesse. Elle est la plus immature d'entre nous, donc nous ne nous entendons pas tellement avec elle. C'était il y a trois ans. Lusso est un jeune chien de prairie qui est né récemment. Il aime passer du temps dans les régions chaudes et humides, ce qui veut dire qu'on aurait plus de chance à le trouver dans un désert ou bien près des jungles. Pour ce qui est de Giotto, c'est un peu plus compliqué... C'est un dragon et il préfère rester loin des humains, dans les hautes montagnes. D'aussi longtemps que je me souvienne, il a toujours été capable de survivre de cette façon. Avec le temps, d'autres esprits élémentaires sont nés après les originaux, comme la mère des quadruplés Markios. Celle-là, on ne l'a jamais rencontrée. Elle était déjà toute jeune lorsque votre président l'a rencontrée. Mais je dois dire que rares sont les élémentaires qui choisissent de prendre une apparence humaine, lorsqu'ils se réincarnent.

— Il se pourrait bien que son âme ne se soit jamais transmise dans le corps de l'une de ses progénitures, quand elle est morte, ajouta Dia, à l'attention de Diana. Ce qui veut dire que sa lignée a commencé et s'est terminée avec elle. Mais ce n'est que supposition. Nous n'avons jamais rencontré la deuxième sœur de Flint. Donc, elle pourrait très bien être celle qui remplacera leur mère. La fratrie Markios n'a pas le même genre de pouvoirs que nous avons... S'ils l'avaient, on le saurait. Pour le moment, aucun d'entre eux n'est assez puissant pour protéger le sceau. J'en déduis qu'ils ne sont pas des esprits élémentaires.

— Et quelles sont les qualités requises afin de protéger ce soi-disant abominable sceau ? demanda Luna qui commençait à trouver la conversation un peu trop sérieuse à son goût.

Windy soupira, puis répondit :

— Tout d'abord, il faut savoir que notre déesse ne choisit pas n'importe qui... En ce qui concerne le sceau, c'est très difficile à expliquer... Disons que nous sommes le sceau et nous sommes aussi ses gardiens en même temps. Si nous devions tous disparaître, ce serait la fin pour le règne actuel d'Athéna. Perséphone prendrait le relais et votre monde serait plongé dans le chaos. Nous sommes présents depuis la création de cette planète, dans l'espoir de conserver un équilibre spirituel sur ces terres. Il existe cependant de nombreuses failles dans le pouvoir qui nous anime, car par le passé, des membres du culte ont réussi à invoquer des créatures de l'au-delà et ont affaibli le sceau. Il suffit de nous combattre, sans nous tuer, afin de donner la chance à Perséphone d'envoyer quelques-uns de ses sbires par les portails qu'elle crée. Ces créatures sont des esprits corrompus par son pouvoir et sont capables de nous empoisonner ou nous tuer, ce qui endommage le voile. Mais ces monstres ne se contentent pas de s'attaquer à nous, ils s'infiltrent alors ailleurs dans notre monde et prennent différentes apparences, et travaillent sous les ordres de leur divinité. Certains d'entre eux sont même nommés prêtres ou prêtresses afin de guider le culte vers leur victoire. Dans le but de faciliter notre fardeau, Athéna a offert le pouvoir de guérison aux églises, dans le but de répandre la foi dans le cœur des gens. La foi est pour nous ce qu'est une bonne nuit de sommeil pour les humains. Plus on prie pour nous, mieux, on se sent... C'est en croyant en notre déesse que les gens nous redonnent des forces et nous permettent de mieux travailler pour elle. Tous les pouvoirs que vous avez appris depuis le début des temps sont une manifestation de notre mère. Mais si les gens oublient qu'ils viennent en effet d'Athéna, nos pouvoirs diminuent...

— Avec le progrès de la science à la république, les gens ont fini par se détacher de l'église, commenta Dia. C'est ce qui fait en sorte que dans ces régions, nos pouvoirs sont limités. Normalement, nous pourrions communiquer un peu plus facilement avec nos frères et sœurs, mais comme vous pouvez le voir, ce n'est pas le cas. Nous devons nous contenter de vous et de notre petit cercle d'amis.

Cassandra avait déposé sa tasse près du feu et semblait légèrement anxieuse après tout ce qu'elle venait d'apprendre.

— Pourquoi ne pas nous en avoir parlé avant ? demanda-t-elle. On aurait pu demander de l'aide aux gens de la capitale. Si c'est un problème de foi qui vous empêche de communiquer avec les autres esprits élémentaires, vous auriez pu nous en parler à Nash, Shayne et moi. Aujourd'hui, nous n'en serions même pas là, si nous avions su...

Dia secoua la tête.

— Peut-être, mais c'est plus compliqué que ça, expliqua-t-elle. On ne peut pas commander la foi, il faut la ressentir. On ne peut pas forcer les gens à croire en la déesse s'ils ont d'autres croyances. C'est comme toi, Cassandra. Tu es une enfant des bois et vous avez des coutumes et des croyances différentes, là-bas.

— Pourtant, vous êtes toutes les deux vivantes et je crois en votre existence.

— Oui, mais tu ne crois pas en Athéna... soupira Windy.

— Oh... Pardonnez-moi...

— Il ne faut pas que tu te sentes coupable, Cassandra, déclara Dia. Nous comprenons très bien que notre religion n'est plus aussi grandiose qu'autrefois. Mais nous sommes reconnaissants que vous passiez tout ce temps à vouloir nous aider. Vous avez fini par me redonner espoir en l'humanité avec les deux dernières saisons passées avec vous. Avant de rencontrer Nash, je vivais seule dans un trou noir humide et je n'avais personne avec qui parler. Donc, je jouais des tours aux gens et je hantais les citoyens de Kritz... Maintenant, je sais que nous ne sommes pas seuls. Et qu'il y a de bonnes personnes comme toi, comme Shayne et comme Nash, qui sont encore capables de servir à notre cause avec un sentiment aussi magique que la foi : celui de l'altruisme.

— Qu'est-ce que l'altruisme vient faire là-dedans, demanda Luna. Sans vouloir vous vexer, l'altruisme, c'est cool. Mais ce n'est pas la même chose que la foi.

— Évidemment, reprit Dia. Toutefois, lorsqu'Athéna a mis en place le système de protection de ce monde, elle a eu la sage décision de permettre à celles et ceux qui ne croyaient pas en elle, de nous aider de leur plein gré ; si elle arrivait à trouver une once d'altruisme dans leur âme. Cela nous permet de survivre malgré tout. Les émotions positives comme l'amour, l'altruisme, la gentillesse, la générosité, et cetera. Elles ont tous un effet bienfaiteur sur notre santé et notre morale.

Luna se gratta la tête avant de lui demander :

— Qu'arrive-t-il donc à un esprit élémentaire qui se nourrirait d'émotions négatives dans ce cas ? Finirait-il par changer de camp ?

— Techniquement parlant, oui, répondit Dia. Lorsqu'un gardien nous tournait le dos par le passé, nous le délaissions avant d'être rongés par le mal et pervertis par les esprits maléfiques qui rôdent en ce monde. Il m'est arrivé de devoir fuir l'un de mes premiers gardiens, lorsque nous devions nous rassembler une fois, il y a de cela trois cents ans. Cette réunion n'a jamais eu lieu et la déesse a préféré nous demander de nous séparer aux quatre coins du monde. Elle voulait qu'on se repose jusqu'au jour où elle trouverait des gens valeureux, assez justes pour sa cause. Les décennies se sont écoulées devant nous, puis trois siècles plus tard, nous voilà. Si Nash devait mourir par exemple, je ne mourrai pas, mais je devrais disparaître quelque temps avant de trouver un nouveau protecteur. Nous ne faisons rien au hasard, tout est planifié pour nous...

— Mais n'est-ce pas lassant de savoir quelle est votre destinée à l'avance ? demanda alors Cassandra. N'avez-vous pas envie d'aventures ? Qu'est-ce qui vous empêche de vivre votre vie, à part les ordres qui vous restreignent à votre quête ? Je ne sais pas pour vous, mais ça ne me semble pas marrant du tout.

— Oh, je ne vois pas cela comme un fardeau, répliqua Dia. Nous avons tout le temps devant nous pour vivre différentes expériences à travers nos nombreuses réincarnations. Personnellement, je suis heureuse de me trouver ici, en ce moment. La race des humains est toujours si variée et il y a toujours des personnes intéressantes à rencontrer. Certes, vous ne vivrez pas plus longtemps que certains d'entre nous, mais au moins, nous aurons la chance de croiser vos descendances et leur raconter vos aventures lorsque notre créatrice nous le permettra. J'imagine que si tout se déroule comme l'a prévu Athéna, je serai la gardienne de la descendance de l'un des Markios. Peut-être un petit-fils ou une petite-fille de Nash...

— Je vois... répondit Luna. Vous n'avez peur de rien, à t'entendre...

— Au contraire, déclara Dia. Nous avons peur comme tout le monde. Seulement, des années d'expériences nous ont permis de mieux cacher certains de nos sentiments.

La louve souleva alors sa tête lorsqu'elle entendit quelqu'un sangloter à ses côtés. Elle remarqua que Cassandra était en larmes. Toute cette histoire avait ému la demoiselle qui enlaça le dos de l'animal avant de lui caresser la nuque. Windy, observait la réaction de sa porteuse en silence.

— Tu n'as besoin de pleurer pour nous, Cassandra, fit Dia. Notre devoir est de veiller sur vous après tout. Ça m'a fait du bien, de vous raconter notre histoire... Maintenant, vous comprenez pourquoi nous insistons à protéger ces terres. Elles sont notre héritage et notre seul souvenir de notre mère, notre créatrice. Et si nous devions tous disparaître... ce serait le début d'un règne de cruautés et de malheurs qui prendrait sa place.

— Mais... vous vivez ainsi depuis des millénaires... hoqueta Cassandra. Ce sort est vraiment trop cruel.

— Ta compassion est l'une de tes plus grandes qualités, et cela nous redonne du courage, déclara Windy. Tâche de toujours garder ce cœur qui te fait faire de grandes choses.

— Mais je ne suis pas si spéciale... insista la guérisseuse.

— Je pense l'opposé, dit sa partenaire ailée. Bien que tu sois humble, c'est grâce à ton aide si les gens de la capitale ont résolu certains mystères. Tes doutes sur Misaki ont permis à notre groupe d'en savoir plus sur les rebelles et l'invasion qui se préparait. Ton dévouement envers tes amis et leur nation a fait en sorte que tu sois celle qui a rassemblé tout le monde. Sans ta joie de vivre et ton envie d'aider ton prochain, nous n'en serions pas là aujourd'hui et nous ne serions pas aussi soudés. Il n'y a pas plus noble que toi, Cassandra.

Luna ne pouvait que lui donner raison.

— Windy marque un point, dit-elle. Parfois, je te trouve bizarre, mais il est vrai que tu es un atout très important de notre brigade. Quand on a le cafard ou bien que les choses ne vont pas comme prévu, tu as toujours quelque chose à nous dire pour nous remonter le moral. Un peu comme une mère.

— Cela prouve que les enfants d'Athéna viennent de partout, de toutes les formes et aux différentes origines, déclara Dia qui se croisait les pattes. Qu'ils soient croyants de notre religion ou d'une autre, qu'ils soient grands ou petits, humains ou elfes, nains ou farfadets, kobolds et même des ogres...

— Ça va, ça va, on a compris, trancha Luna. Tu vas finir par déshydrater à force de parler ! Tiens, je t'ai préparée un bol d'eau.

Dia grogna à la magicienne, puis réalisa qu'en effet, elle commençait à avoir la gorge sèche. Toutes, sauf l'élémentaire de la lumière, se mirent à rire. Embarrassée par la remarque de Luna ; la louve se mit à happer l'eau dans la gamelle métallique que son amie lui avait mise devant le museau.

Lorsque Nash revint près du feu de camp où il retrouva les demoiselles, celles-ci s'étaient couchées dans leurs sacs de couchages après avoir alimenté le feu. Il avait assez parlé de stratégies avec Daichi et Shayne pour comprendre que peu importe leurs plans du lendemain, ils n'en sortiraient pas tous vainqueurs. Quelques soldats allaient définitivement y passer. Randell était un adversaire redoutable. Personne ne souhaiterait se le mettre à dos, surtout s'il s'était associé à Troyd Markios.

Pendant que le capitaine se couchait dans son propre sac, tout à côté de la louve, il regarda les étoiles durant un moment et se demanda comment se portait la population à Baldt. Il savait que peu importe le dénouement, qu'il y aurait des gens derrière lui pour prendre la relève. Le mieux serait de tuer Randell et Troyd coûte que coûte. Maintenant, ce n'était plus un simple avis d'emprisonner de simples criminels... c'était une chasse à l'homme ; ou plutôt de deux hommes. La capitale ne serait jamais en sécurité avec ces deux-là, vivants et en liberté en dehors de la république. Nash se répéta dans la tête toutes les paroles qu'il oserait dire à son frère lors de leur confrontation. Ni l'une, ni l'autre était adéquate, mais il savait que peu importe la situation, il devrait être celui qui mettrait fin à ses jours.

Sur ces pensées, il s'endormit finalement...