27. Le passé de Luna Kelly

Le 22 janvier 3914 AD, Ellen Prescott attendait la visite d'une cliente.

Quelques jours plus tôt, elle avait fait une étrange rencontre dans les rues. Une adolescente s'était approchée d'elle et lui avait demandé si elle pouvait lui dénicher quelques informations sur une vieille femme appelée Méduse. Elle lui avait aussi demandé quand il serait possible d'avoir un rendez-vous avec elle, en privé.

Ellen avait réalisé quelques secondes plus tard à qui elle s'adressait, alors qu'il neigeait en abondance à l'extérieur. La cheffe de l'organisation avait reconnu la jeune mage qui travaillait pour l'armée de Baldt. Luna Kelly. Évidemment, Ellen lui donna un rendez-vous d'urgence pour le 22 janvier, puisqu'elle n'avait rien de mieux à faire.

Luna avait une assez bonne réputation avec les garçons de son âge qui passaient souvent à la bibliothèque du château, rien que pour l'observer discrètement. Elle était petite et farouche, mais d'ici à quelques années, Ellen se dit qu'elle serait une jolie jeune femme qui briserait bien des cœurs.

Ellen occupait sa position depuis quelques années. Après la retraite de son père, elle avait pris la relève et était devenue une employeuse à temps plein dans ce bâtiment. Durant les derniers mois, elle avait vu les gens aller et venir dans la ville, mais surtout beaucoup de changements qui avaient apporté plusieurs profits à son organisation.

Ce jour-là, elle portait une robe bleue avec un nœud-papillon de la même couleur que sa chevelure noire. Ses yeux de couleur miel rayonnaient à la lueur des chandelles alors qu'elle relisait la lettre de l'adolescente.

Lors de leur dernière rencontre, Luna avait dit rechercher des informations sur une certaine vieille dame qui vivait dans les bois. Une mystérieuse Méduse. Ellen connaissait cette femme pour avoir été l'une de ses clientes, mais elle ne la portait pas dans son cœur. Cette femme portait un faux alias depuis des années et n'avait jamais donné son véritable prénom à personne. Du moins, c'était ce qu'elle croyait.

La vieille dame que Luna recherchait était probablement une sorcière tout ce qu'il y avait de plus normal. Elle errait dans les bois, vivait seule dans une vieille cabane, s'habillait de haillons et fabriquait souvent des potions magiques qu'elle revendait dans les villes et les villages qui entouraient la forêt. Ellen avait l'impression qu'elle sortait tout droit d'un conte de fées où cette dernière aurait pu être une horrible personne. Mais il ne fallait pas se fier aux apparences.

Même si la cheffe de guilde avait une imagination débordante, elle ne devait pas juger les gens de l'extérieur. Le plus important pour une femme d'affaires comme elle, était de maintenir de bonnes relations avec ses clients. Sinon, elle pouvait dire adieu à son gagne-pain avec la perte de leur confiance.

Vers treize heures, on cogna à sa porte.

— Entrez, c'est ouvert ! dit Ellen.

La fenêtre était grande ouverte, mais sa salle de bureau était vaste. La table à laquelle elle était installée, au fond de la pièce, était éclairée par des chandelles ou bien des lampes à huile qu'on avait posées à deux coins de la pièce. Elle avait le droit d'utiliser des prises d'électricité, cependant, par choix, elle ne les utilisait pas pour cette pièce. Ellen avait une certaine préférence pour les choses simples. Elle était fleur bleue, voir romantique et aimait s'entourer d'une ambiance chaleureuse, quoique mystérieuse avec un brin d'ésotérisme. Ce pourquoi cette pièce était remplie de reliques en tout genre, de gris-gris étranges, de pierres précieuses dans quelques pots, des bougies ici et là et des fleurs exotiques qu'elle arrosait tous les jours.

De grands rideaux écarlates en coton, opaques et soyeux, avaient été installés au fond de la pièce, autour de l'unique fenêtre de la pièce. Ellen aimait les ouvrir de jour pour admirer les couleurs de la ville. Les reflets du soleil entraient à peine chez elle, cependant il y avait toujours un brin de rayon qui venait alimenter ses fleurs au début de la matinée. Elle devait parfois mettre ses plantes à l'extérieur sur le balcon de la guilde, mais en hiver, elle devait se résigner à laisser les laisser mourir. Elles repoussaient quand même lorsque revenait le printemps, après avoir planté de nouvelles graines.

Ellen vivait chaque jour que la déesse lui permettait de vivre, comme si c'était le dernier. Elle se disait que tout était éphémère et qu'elle aurait l'éternité dans l'au-delà pour songer à ses anciens soucis. Elle n'était pas facile à inquiéter. Toutefois, la venue de la magicienne Luna Kelly, cet après-midi-là, bouleversa ses chakras.

L'adolescente entra, à ses ordres, vêtue d'un manteau noir qui recouvrait presque tout son corps. Sur son visage, Ellen pouvait lire la peur, mais aussi de la détermination. À voir les yeux gonflés de la gamine, la dame devina que cette dernière avait pleuré. Les Prescott étaient reconnus pour leur grande écoute et aussi leur ambition à venir en aide aux gens, c'était probablement pourquoi Luna avait décidé de passer par ici, afin de se confier de ses malheurs à quelqu'un.

Ellen n'avait rien d'une psychologue, mais elle avait souvent entendu des mères de familles pleurer, surtout à cause de leurs maris absents ou bien ceux qui leur étaient infidèles. Plusieurs d'entre elles apportaient différents contrats pour son organisation, des livraisons ou bien des punitions pour certains. Les assassins n'étaient pas les bienvenus dans cette guilde, mais des fois l'art de l'intimidation pouvait arranger bien des choses ; notamment dans ce monde dans lequel les hommes et les femmes combattaient côte à côte ; face aux monstres qui rôdaient partout.

Ce jour-là, l'organisation devrait apporter son lot de réconfort à cette adolescente qui avait besoin de confier son histoire à quelqu'un.

— Je vais avoir besoin de votre aide pour retrouver et rencontrer la femme que je recherche... mais j'aurai besoin de vous en parler un peu plus... dit Luna qui s'approcha lentement de la table, d'un pas hésitant. Avant de prendre une décision, promettez-vous que tout ce que je vais mentionner dans cette pièce restera entre nous ? Je ne voudrais pas que cette histoire s'ébruite et que les gens découvrent ces choses de mon passé...

Ellen, qui se leva pour aller rejoindre tranquillement la magicienne, hocha la tête. Ce qui entrait dans cette pièce resterait dans cette pièce sauf si le client demandait à ce qu'on fasse du grabuge. La cheffe ferma la porte de la pièce et invita Luna à s'asseoir. Elle sortit son calepin de notes où elle avait déjà inscrit quelques informations sur Méduse, ainsi que certaines de ses activités publiques. Elle avait aussi un stylo, au cas où Luna lui donnerait de nouvelles informations importantes qui pourraient les aider dans leurs démarches.

— Contrairement à certaines compagnies, nous ne divulguerons pas les informations de nos clients à moins qu'ils ne nous en fassent la demande, dit Ellen, qui avait répété cette phrase de nombreuses fois par le passé. Nous tenons à votre vie privée.

— Très bien... Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai rejoint les brigades en octobre dernier, après que les Markios m'ont recueillie dans leur famille, n'est-ce pas ? Je vous ai croisée à plusieurs reprises au marché.

— Évidemment, j'ai entendu dire que vous avez été sauvée lors d'un raid qui a eu lieu près de Kritz. Des brigands avaient volé quelques récoltes et menacés de tuer des villageois, mais vous étiez présente et Nash Markios vous a sauvé la vie, je crois. D'après nos informateurs, vous étiez une orpheline errante et vous créchiez chez les aubergistes.

— C'est en effet comme ça que j'ai vécu quelque temps... Comme une vagabonde. En fait, je dois vous avouer que ma vie avant de me retrouver à Kritz était loin d'être ma plus grande fierté... C'est d'ailleurs pourquoi je suis venue quérir votre aide... C'est très difficile pour moi d'en parler... Peut-être serait-il mieux que je vous montre...

Ellen ne comprenait pas vraiment où elle voulait en venir, mais Luna qui avait enlevé son manteau, déboutonna sa chemise et se tourna dos à la cheffe de guilde pour laisser tomber son vêtement légèrement. Elle dévoila alors des cicatrices le long de son dos. Des marques laissées par son passé. Ellen sentit le sang bouillir dans ses veines. Elle avait une petite idée sur le sujet que Luna avait en tête.

Après avoir remis sa chemise, l'adolescente se retourna, honteuse et reprit sa position initiale. Elle déglutit avant de reprendre :

— Je n'ai jamais connu mes parents. J'ai vécu pendant un temps avec un autre orphelin adolescent qui s'est fait tuer par une bête lorsque j'avais à peine cinq ou six ans. Je ne me souviens même plus de son prénom... c'est bête... Le village auquel nous vivions a été saccagé durant une nuit chaude d'été et j'ai été la seule survivante. Avant de mourir, mon ami adolescent m'avait caché dans le grenier de la maison dans laquelle des gens charitables nous ont hébergés... Je n'avais nulle part où aller, je ne savais pas comment me débrouiller, toute seule après cet incident. J'étais écartée dans ces ruines, loin de la capitale et sans personne pour prendre soin de moi. Je suis restée cachée au grenier pour une journée entière, en attendant que les monstres ne partent du village. C'est en sortant le lendemain que j'ai vu qu'une vieille dame qui portait des haillons. Elle examinait des corps déchiquetés, un peu partout, dans les rues. Des restes laissés par les monstres. Elle était venue vandaliser les maisons. À cet âge, je ne savais pas faire la différence entre les gentilles personnes et celles qui étaient... monstrueuses...

— Ça n'a pas dû être facile, en effet, commenta Ellen à l'expression remplie de compassion, mais aussi de tristesse.

— Effectivement, ce ne fut pas le cas... Malheureusement, j'ai compris trop tard que cette vieille dame allait faire de moi son esclave. J'ai voulu prendre la fuite, mais elle m'avait ensorcelée. J'étais incapable de bouger et de prononcer quoi que ce soit... On a passé devant des voyageurs, sur la route. Je n'étais même pas capable de crier à l'aide, parce que j'étais sous son contrôle. Quand elle s'est rendu compte que je résistais trop à son sortilège, elle m'a assommé à mi-chemin et j'ai perdu connaissance.

Luna soupira et versa quelques larmes. Ellen prit sur sa table une boîte de papiers mouchoirs qu'elle offrit aussitôt à l'adolescente.

Après une longue minute de silence, la magicienne reprit son récit.

— À mon réveil... J'étais loin de chez moi... dit-elle. Elle avait sûrement choisi de me déplacer dans ses bras pendant que j'étais inconsciente... C'était une vieille cabane dans les bois. J'étais enchaînée au mur par les chevilles... Rapidement, elle m'a donné des ordres, de mettre du bois dans sa cheminée et d'allumer un feu... Je n'avais que six ans, je n'étais pas instruite. Voyant que je ne savais pas comment faire, elle m'a giflé et fouetté avant de me donner un coup de pied dans le ventre... Je suis ensuite tombée sur mes fesses, et j'ai compris que ce ne serait pas la dernière fois qu'elle me malmènerait. Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps alors que je la voyais qui allumait le feu de la cheminée... Après elle m'a craché au visage et m'a dit que j'avais intérêt à apprendre au plus vite, sinon elle me donnerait à manger aux loups. Je n'avais pas le choix de mémoriser tout ce qu'elle faisait, sinon je savais que tôt ou tard, elle tiendrait sa promesse de me tuer.

— Quelle horrible vipère... formula Ellen.

— Je sais... Mais ça n'a pas arrêté là. J'ai été prisonnière de cette femme pendant au moins neuf longues années. Plus je grandissais, plus les chaînes s'accumulaient et elle me jetait des sorts pour me faire oublier, voir accepter, mon existence d'esclave. Elle m'a tout appris en ce qui concerne les tâches ménagères et comment faire des potions ou des onguents qu'elle vendait aux alentours. Lorsqu'elle partait et me laissait seule chez elle, j'en profitais pour lire des trucs dans sa cachette secrète. Elle y conservait des grimoires de sorcellerie et d'ingrédients de potions. Elle ignorait que mon ami adolescent m'avait enseigné les bases de l'écriture et de la lecture alors que j'allais bientôt fêter mes quatre ans... Parfois, il m'arrivait d'expérimenter mes propres potions et j'ai fini par découvrir comment fabriquer un philtre... Celui-là me permettait de repousser les mauvais sorts. J'ai eu la chance d'en produire en petites quantités tandis que je préparais d'autres potions pour ma maîtresse.

Luna déglutit, elle commençait à avoir la gorge sèche. Ellen lui passa sa gourde d'eau pour qu'elle s'humecte le palet. Ce qu'Ellen ne savait pas, c'était que Luna avait prétendu pendant longtemps d'être maladroite dans la fabrication de potions, à ses collègues brigadiers. En fait, la jeune magicienne avait menti à tout le monde, car elle souhaitait oublier cette histoire avec son ancienne esclavagiste.

Il était vrai, toutefois, que Cassandra se débrouillait mieux qu'elle dans la fabrication de certaines potions. Luna en avait encore beaucoup à apprendre au sujet des onguents, des philtres et des poisons. Tout ce que Méduse lui avait enseigné faisait pâle figure, à côté de ce qu'elle avait récemment appris aux côtés de l'elfe guérisseuse et d'Artael Markios.

Un instant plus tard, l'adolescente continua son histoire.

— Mon philtre, je le cachais dans mon petit lit de fortune, formula-t-elle. Il était constitué de pailles et de vieux linges souillés qu'elle n'avait jamais pris la peine de laver. J'ai fini par décrasser tout ça avec des savons qu'elle m'offrait en cadeau, lorsque je me conduisais comme l'esclave parfaite. Sinon, elle me crachait au visage quand j'accumulais les gaffes, me giflait ou bien me fouettait encore et encore jusqu'à ce que je perde connaissance. J'étais son pantin, je ne méritais rien de plus que la misère selon elle. Je n'étais pas sa première victime, car le sous-sol à l'abandon depuis mon arrivée, contenait des ossements humains ou animaux qu'elle n'avait jamais pris la peine d'enterrer. Tôt ou tard, j'aurais fini comme eux, comme de la vidange et je me serais fait dévorer par les vers et les insectes...

Elle soupira et poursuivit :

— C'était comme ça qu'elle m'avait élevé et comme ça qu'elle comptait me garder vivante. Mais je n'avais pas dit mon dernier mot... J'avais toujours mon philtre qui me permettait de conserver chacun de mes souvenirs, je n'avais qu'à jouer la comédie et prétendre que j'étais qu'une marionnette à ses yeux... Elle n'y a vu que du feu, ma ruse m'a permis de conserver toutes mes connaissances... et j'en ai profité pour concocter mon plan d'évasion.

— J'en déduis qu'elle a fini par découvrir que vous lui jouiez dans le dos, n'est-ce pas ? demanda Ellen. C'est pourquoi vous êtes ici aujourd'hui, vivante...

— C'est plus compliqué que ça... En fait, vers la fin de mes quatorze ans, j'étais devenue assez forte pour me défendre contre cette femme, j'avais même appris plusieurs sortilèges qui me permettraient de m'échapper un jour de cet endroit pourri. Finalement, un beau matin, elle est partie vendre les potions que j'avais préparées pour elle... C'est là que j'en ai profité pour détruire mes chaînes et prendre la fuite du cabanon que je n'avais jamais quitté jusque-là. Mes nouvelles connaissances étaient suffisantes pour me permettre de me défendre dans les bois, mais non pour rejoindre la société humaine. J'étais capable de canaliser le mana dans mon organisme et d'en faire des boules de feu ou bien de créer des bourrasques en claquant des doigts ; mais j'ignorai toute la direction à prendre pour me rendre au prochain village. J'ai donc couru aussi longtemps que mes jambes ont pu me le permettre.

Elle prit une autre gorgée de la gourde avant de continuer.

— Je me rappelle avoir trouvé des arbres de fruits sauvages comestibles dont je me suis nourri durant ma fuite, expliqua-t-elle. J'ai fini par sortir de la forêt, mais j'ai sombré dans l'inconscience due à mon épuisement. À mon réveil, les aubergistes de Kritz m'avaient trouvée et soignée. J'étais recouverte de chardons et d'égratignures, d'après eux. Je me souviens m'être débattue avec des musaraignes sauvages qui tentaient de défendre leurs arbustes de fruits... Ils n'avaient pas pu m'abattre, mais avaient quand même été assez nombreux. Ils m'avaient mordue et égratignée. J'étais trop près de leur territoire, je crois.

Elle soupira et secoua la tête.

— Bref, ça n'a pas d'importance, ajouta-t-elle. Les aubergistes ne m'ont jamais posée de question sur mes cicatrices, ni sur mes origines. Ils avaient compris que j'étais une enfant battue et abandonnée qui avait besoin d'un endroit où loger, manger et dormir. Ils ont fait de moi leur protégée jusqu'au jour où j'ai décidé de partir pour la capitale avec mon nouveau tuteur, Nash Markios. Celui-ci ne m'a jamais traitée comme une esclave, mais comme une amie et une adolescente normale. Je ne lui ai jamais révélé cette histoire, de crainte qu'il me voie d'une autre manière... Personne n'a encore eu la chance de voir mes vieilles blessures, à part les aubergistes et vous. Je leur ai fait promettre de ne jamais en parler à qui que ce soit.

Ellen secoua la tête, abasourdie. Elle recouvrit son visage puis se redressa rapidement.

— Neuf ans de servitude... dit-elle, choquée. Pour une sorcière avec qui nous avons travaillé à plusieurs reprises ! Si j'avais su, je n'aurais pas fait affaire avec elle... Plusieurs des potions qu'elle a vendues à mes hommes étaient probablement vos créations... Oh l'horreur ! Nos clients se jetaient sur ces philtres comme des pains chauds... Mais ce n'est pas ça le plus important... Que dois-je faire pour vous aider, à part, bien sûr, récolter des informations sur cette vilaine femme ?

— Je veux simplement avoir la certitude qu'elle se trouve encore au cabanon et comment m'y rendre à partir de Baldt. Je ne cherche pas à recruter personne pour la tuer, je souhaite m'en charger moi-même. Il est plus que temps de mettre fin à ce cauchemar.

— Je doute fort qu'il soit sage d'affronter cette sorcière seule, mais je comprends votre opinion. Vous avez besoin d'affronter vos démons...

— Je paierai les frais appropriés le moment venu, lorsque j'aurai des réponses. Je ne vous demande pas d'envoyer quelqu'un maintenant, peut-être dans les semaines à venir, lorsque la température se sera améliorée. D'ici à ce printemps, il est fort probable que je retournerai dans les bois. Mais je vais avoir besoin de quelqu'un pour me tracer la direction à prendre pour me rendre à destination... C'est une situation très délicate.

— Dans ce cas, j'engagerais des personnes pour traquer cette femme. Peut-être un mage ou deux afin d'assurer leurs arrières.

— Ça fait mon affaire.

Luna tourna son regard vers ses cicatrices un moment, avant de soupirer. Après s'être confiée ainsi à Ellen, elle se sentait comme si elle s'était libérée d'un poids de ses épaules. Il était plus que temps pour elle de tourner la page. Pour cela, elle ne pouvait pas agir en tant que brigadière, mais en tant qu'ancienne esclave qui rendrait une ultime visite à son ancienne maîtresse. Il lui fallait l'éliminer.

Certes, tuer était illégal, mais il fallait pour Luna lâcher prise... Et la seule façon qu'elle y arriverait, serait de tuer Méduse.

— Votre vie jusqu'à présent a été un désastre et vous méritez de mettre fin à toutes vos misères, déclara Ellen. Plusieurs de mes clientes arrivent ici, défaites parce que leurs maris sont infidèles... Rares sont les personnes comme vous, qui venez nous rendre visite... avec de véritables blessures comme preuves. Si j'ai appris quelque chose avec mon expérience de cheffe de guilde, c'est qu'il ne faut jamais sous-estimer nos clients... et ceux qui ont le potentiel de l'être. Des fois, des gens arrivent ici avec de ces histoires incroyables... Mais je comprends parfaitement où vous voulez en venir avec tout ça. Cette femme devra payer de ses crimes.

Elle prit une grande inspiration avant de poursuivre :

— Je doute que les brigades puissent vraiment vous aider sur ce cas-là, car tout ce qu'elles sont autorisées à faire est d'emprisonner les criminels, à moins d'avoir l'autorisation du président. Vous avez besoin de la faire souffrir autrement... Comme vous le savez déjà, nous ne pouvons être engagés pour assassiner qui que ce soit. Toutefois, si jamais elle devait nous attaquer lors de nos recherches, nous n'hésiterions pas à recourir à la violence pour lui faire comprendre que nous ne sommes pas des faibles. S'il faut la tuer, alors qu'il en soit ainsi. Je vous promets qu'aussitôt que j'aurai des informations à son sujet, vous recevrez une lettre au palais présidentiel. Nous pourrons par la suite prendre un second rendez-vous. D'ici là, je vous suggère de vous préparer mentalement, car votre rencontre avec Méduse risque d'être brutale.

— Merci... Merci infiniment, Miss.

— Non... Merci à vous de rendre service à notre communauté, dit la dame qui raccompagna Luna à la porte de sortie. Que la déesse soit avec vous.

Luna remit son manteau, puis sortit de la grande pièce. Ellen retourna s'asseoir et repensa aux nombreuses cicatrices qu'elle avait vues dans le dos de l'enfant. Le sang lui bouillait toujours dans les veines. Elle était à la fois furieuse d'avoir fait confiance à Méduse et dégoûtée de ne pas avoir pu aider Luna davantage. Son cœur lui disait que si ç'avait été sa propre fille ; qu'on l'aurait enlevée et qu'on l'aurait torturé ainsi pendant des années, elle ne se serait jamais pardonnée et serait devenue aussi violente qu'une tempête, aussi brutale qu'une harpie et aussi vive que l'éclair. Elle aurait tué pour défendre ses petits, comme une lionne.

Heureusement pour la cheffe de guilde, elle n'avait jamais eu d'enfant, sinon elle serait encore plus bouleversée par cette histoire. Par contre, elle ne pouvait pas s'empêcher de repenser au visage de Luna alors qu'elle lui avait tout raconté dans les moindres détails... Elle n'avait pas dans son regard de la peur, seulement de la colère, du désespoir à l'état pur. Comment pouvait-on ruiner une vie comme ça, sans en avoir honte ? Plus elle y pensait, plus elle avait envie de défigurer la vieille dame. Elle devait se ressaisir, toutefois.

Résolue à trouver les informations pour Luna, elle décida de s'habiller chaudement et choisit un grand manteau rembourré avant de sortir du bâtiment. Elle connaissait quelques traqueurs dans la ville et savait qu'ils sauraient l'aider pour cette requête. Luna méritait d'avoir des réponses.

¤*¤*¤

Tel qu'elle l'avait prédit, les traqueurs avaient accepté de l'aider et durant les mois qui suivirent, ils avaient récolté toutes les informations dont elle avait besoin pour donner une piste à suivre à la magicienne. Au début de mars 3914 AD, Luna avait déclaré qu'elle était prête à passer à l'action et avait accepté un rendez-vous avec Ellen.

Le jour même où Cassandra et Misaki allaient partir de la capitale, Luna cogna à la porte du bureau d'Ellen. Elle ignorait qu'elle était suivie par le puma noir de son ami Shayne. L'animal se dissimulait facilement dans les ombres et avait suivi l'adolescente à l'intérieur du bureau, où il alla se cacher sous la grande table de la cheffe de guilde. Elles ne l'avaient même pas remarqué.

Ellen portait ce jour-là des vêtements plus chauds qu'à sa première rencontre avec Luna. Un grand chandail de laine beige et des pantalons marron assortis avec sa paire de lunettes aux contours noirs, elle ne s'en servait que pour la lecture. Autour du cou, elle portait un long foulard rouge. Lorsqu'elle vit Luna entrer, elle déposa ses lunettes sur la table et alla serrer la main de sa cliente.

— Je suis heureuse que vous ayez accepté de venir nous revoir, Luna, dit-elle. Les gens de ma guilde ont finalement trouvé Méduse. Elle vit encore là où vous l'avez devinée. Nous avons même pu tracer un chemin jusqu'à chez elle.

L'adolescente arborait un air rigide, mais sa petite voix troublée trahit son visage. Elle avait des trémolos dans la gorge.

— Trè... très... bégaya-t-elle. Très bien.

— Vous savez que vous n'êtes pas obligée d'y aller toute seule, n'est-ce pas ?

— Je sais... Mais c'est moi et seulement moi qui pourrai régler ce problème. Je ne veux pas impliquer la vie de mes amis là-dedans, ni celles des aventuriers qui travaillent pour vous. Vous en avez déjà assez fait pour moi.

— Vous m'avez envoyée plus d'or qu'on le demande pour ce genre de requête. Normalement, je devrais vous offrir quelques services supplémentaires pour cette somme. Je me sentirai mal de prendre ce surplus, vous comprenez ?

— J'insiste, gardez-le et investissez cet argent dans la guilde. J'ai besoin de peu au palais, alors cette somme m'a été facile à ramasser avec mon salaire... Maintenant, j'aimerais que vous me donniez les informations dont j'ai besoin avant que je ne change d'avis... et que je décide de ne plus y aller...

Ellen soupira, se racla la gorge, puis ramassa un calepin sur sa table qu'elle tendit à Luna. Celle-ci ouvrit le cahier de notes et remarqua qu'on avait tracé une partie de la carte sur deux pages ; indiquant l'endroit où se trouvait la capitale, le nord, l'ouest, le sud et l'est, ainsi que la forêt dans laquelle elle devait se rendre. L'endroit était situé quelque part à l'est de Kritz. Ils étaient passés par ces bois pour s'y rendre. Cependant, il n'y avait pas de sentier menant au cabanon. Il y avait un « X » au centre de la forêt, démontrant à l'adolescente qu'elle devrait se rendre là.

— Mes traqueurs se sont perdus pendant une semaine avant de trouver l'endroit où Méduse vit, déclara Ellen. Ils l'ont rencontré alors qu'elle se rendait à Kritz pour y vendre des potions. Mes hommes lui ont expliqué qu'ils chassaient de la volaille, puisqu'ils étaient équipés pour la chasse. Ils ont déduit qu'elle vivait quelque part dans les sentiers peu fréquentés par les voyageurs. C'est pourquoi ils ont attendu qu'elle s'éloigne avant de poursuivre leurs recherches. Ils ont finalement trouvé la hutte près d'un ruisseau qui débouchait près d'une grotte remplie de champignons. Une fois dans les bois, vous reconnaîtrez sûrement le bruit d'une chute d'eau au loin, c'est près de cette chute qu'elle vit. Les lacs et les rivières ont commencé à fondre, donc il vous sera facile de vous repérer en suivant ces directives. Ils n'ont pas découvert d'autre esclave dans le cabanon lorsqu'ils y sont rentrés. Ils ont crocheté la serrure, mais ils m'ont dit que l'ambiance de cet établissement était assez lugubre. Ils ont aussi fouillé le sous-sol, comme vous l'avez mentionné, et y ont trouvé des ossements humains et des bêtes qui ont pourri sous terres. Ils ont décrit dans mes rapports, que l'odeur infecte leur a forcé à quitter les lieux.

— J'ai fini par m'y habituer. L'arôme des potions m'aidait à rester calme et à ne pas perdre la tête. Elle utilise ces odeurs de chairs en décomposition pour attirer d'autres bêtes qu'elle tue afin de pouvoir les manger. Sinon, elle se sert de leurs restes pour certains rituels.

— J'admire votre détermination et votre courage de vouloir changer les choses, mais je suis sincère lorsque je vous dis que cette histoire ne devrait pas se terminer ainsi. Vous risquez d'en mourir.

— Quoi qu'il se passe, j'ai pris ma décision et je ne reviendrai pas en arrière.

Ellen approuva et rassembla ses mains près de son torse.

— Dans ce cas, je vous souhaite bonne chance et j'espère que vous réussirez à revenir vivante de cette aventure, dit-elle. Si vous ne revenez pas d'ici à quelques jours, j'enverrai du renfort.

— Ce n'est vraiment pas nécessaire...

Luna s'assura que les notes étaient bien rangées dans son petit sac de voyage en cuir, puis salua Ellen avant de se diriger vers la porte de sortie. Elle salua la cheffe de guilde et partit. Nox, toujours sous sa forme d'ombre, la suivit rapidement sans faire de bruit.

Ellen avait un mauvais pressentiment, tandis qu'elle se frottait le menton. Peut-être serait-il mieux pour elle d'aller parler de tout ça au Général Wolfe ou à l'un des capitaines de brigades ? Envoyer une adolescente ainsi vers sa mort était irresponsable de sa part. Si jamais Luna mourait, elle en aurait beaucoup sur la conscience.

Au bout d'une longue minute de réflexion, elle décida de se rendre au palais et murmura une prière à la déesse pour qu'elle veille sur l'enfant.

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