21. Le siège de Xu Fahn

Vers la fin de l'après-midi, Nash, Flint et Shayne étaient arrivés à destination. Comme ils l'avaient prédit, l'entrée du village était surveillée par des individus louches, armés et recouverts d'armures. À l'intérieur des limites du village, on pouvait voir un petit nombre de rebelles qui circulaient devant le grand entrepôt de Xu Fahn. Nash estima que ces criminels avaient emprisonné les villageois à l'intérieur de ce bâtiment.

Lorsque le chariot s'arrêta en face du village portuaire, l'un des deux gardes à l'entrée du village interpella Nash. L'autre s'approcha derrière lui.

— Hé ho, le cocher ! Vous ne devriez pas rester ici, fit celui-ci. On vous donne une minute pour repartir, sinon je serai forcé de sonner l'alarme.

— Oh, mais nous ne sommes que de simples marchands d'armes et de breloques en tout genre, dit Nash. Votre chef aurait-il besoin de marchander avec nous ou devrions-nous reprendre la route ?

Il s'était mis une grande chemise à carreaux rouge et marron avec un long chapeau de paille. Flint n'avait pas l'habitude de le voir si décontracté. Il lui jeta un regard du coin de l'œil et esquissa un sourire.

— Nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin au village, répliqua le deuxième individu, plus strict que l'autre. Merci quand même.

— Vous voulez dire que vous avez vandalisé ces pauvres gens ? se risqua de dire le capitaine, qui employait un ton légèrement insolent. Mais que c'est triste... ! Rien ne vaut le bonheur d'acquérir des objets de grande valeur avec son gagne-pain quotidien. Dommage que vous soyez trop entêtés à ne pas vouloir ce qui se trouve dans notre marchandise. Vous auriez pu trouver quelque chose à offrir à votre épouse, ou bien à votre sœur.

— De toute façon, nous ne resterons pas ici éternellement, formula le premier rebelle. Peut-être devrions-nous les laisser entrer... Qu'en dis-tu Sam ?

Celui qui n'avait pas encore parlé était un individu plus court, il haussa les épaules. Flint à l'intérieur du chariot semblait étonné d'entendre son oncle parler avec les rebelles de cette manière. Nash avait toujours été doué pour s'adapter à n'importe quelle situation, niveau relations par contre... Flint était persuadé que son oncle était encore puceau et qu'il n'avait jamais essayé la moindre drogue. Cependant, Flint était loin de se douter que celui-ci avait déjà eu beaucoup de problèmes avec l'alcool, au point que son père avait été contraint de s'en mêler.

Nash était peut-être un peu plus vieux que son neveu, cela ne l'empêchait pas d'être coincé. Par contre, Flint aimait passer du temps en sa compagnie et apprendre de lui. Le capitaine de la Septième Brigade avait ce talent d'improviser à peu près tout et rentrer dans la peau d'un personnage lorsque c'était nécessaire. Son expertise pour l'infiltration, se déguiser et agir de la sorte lui avait valu le surnom du Caméléon.

Flint aspirait à ressembler un peu plus à son oncle, car cela pourrait lui servir un jour, quand il deviendrait capitaine de sa propre brigade. Il ressentait pour Nash beaucoup de respect, mais le voyait aussi comme son plus grand rival. Même s'il avait un objectif secondaire à cette mission, une tâche donnée par son père ; Flint savait que ceci était une occasion en or pour lui d'apprendre du meilleur brigadier.

Tranquillement, les deux gardes accompagnèrent le chariot à l'intérieur de la ville et ils leur montrèrent un grand espace près d'un bâtiment dans lequel ils pourraient s'installer avec leurs marchandises. Il n'y avait que Flint avec Nash.

Shayne avait décidé de sortir du chariot un peu plus tôt avant qu'ils n'arrivent en ville et s'était jeté dans un grand buisson avec Nox. Il avait espoir d'entrer au village pendant que l'oncle et le neveu distrairaient les rebelles. Il comptait se frayer un chemin jusqu'aux prisonniers et les libérer. Nash lui avait donné l'ordre de ne tuer personne, si possible et d'assommer celles et ceux qui le repéreraient.

Tel un fauve, Shayne se faufila derrière la calèche et se cacha derrière quelques barils qu'on avait entreposés près de l'entrée du village ; avant bifurquer dans une petite ruelle sombre où il se tint à l'écart des gens qui circulaient à la lumière du jour. Nox, sous sa forme d'épée, l'aidait de son mieux. Il lui signalait si quelqu'un était tout près ou bien, le cachait dans les ténèbres pendant quelques secondes.

Shayne finit par bondir au toit d'un immeuble. Il humait l'odeur des humains du village. Leur arôme avait été déplacé en abondance vers ce qui semblait être l'entrepôt de Xu Fahn. Là-bas, les pêcheurs mettaient les poissons qu'ils avaient récoltés pour ensuite les revendre dans la république, à travers différents moyens de transports. Shayne comprit que les rebelles avaient emprisonné la majorité des villageois à l'intérieur du bâtiment afin de ne pas les perdre de vue.

Shayne ignorait que Nash avait déjà deviné leur localisation. D'ailleurs, le brigadier ténébreux jeta un coup d'œil du côté de son capitaine et de Flint qui déchargeaient leur voiture de certains objets. Ils étaient entourés d'une dizaine de rebelles qui s'étaient approchés après qu'ils les avaient vus arriver.

Shayne s'accroupit sur le toit de la maison pour éviter les regards des gens. Il bondit sur un autre toit, puis un troisième, jusqu'à ce qu'il atteigne le haut du bâtiment qui servait de boutique de vêtements pour femmes. Le magasin était situé tout près de l'entrepôt.

Il faudrait donc qu'il y entre sans être vu, au risque de provoquer la panique chez les rebelles... il devrait ensuite avoir recours à la violence. Ce n'était pas ce qu'il souhaitait. La discrétion était très importante.

Flint avait déjà vendu une lampe à l'un des individus qui l'avait remarqué après qu'on avait déposé l'objet au sol. Son oncle quant à lui venait de conclure une affaire avec une jeune femme armée de dagues. Elle venait d'acquérir une paire de gants en laine qui pourraient lui servir cet hiver. Nash s'assura de garder Dia à sa ceinture, celle-là n'était pas à vendre, bien qu'elle ait attiré les regards de certains curieux.

— C'est une belle arme que vous avez là, dit la jeune femme aux gants. Où l'avez-vous trouvée ? Je jurerai n'avoir jamais vu une lame aussi pure...

— Elle a été faite par des amis, on me l'a offerte en cadeau pour mon anniversaire, mentit Nash.

— En tout cas, ils se sont servis des meilleurs matériaux qui soient, car dans ma famille, on a grandi entourés d'armes. Mon père était forgeron, ma mère était cordonnière et mon frère a été l'apprenti de mon père avant de prendre la relève.

— Dans ce cas, je vous envie ! expliqua le capitaine. Je n'ai pas les mains d'un artisan, mais je me suis toujours demandé ce que ça faisait de manipuler du fer chaud et de manier tout ça avec un marteau.

— Oh, ça prend de nombreuses années de pratiques avant d'être aussi bons que mon père, mais un jour, j'ai réussi à forger ma propre épée. Le seul problème est que je n'ai jamais été capable de l'utiliser, je n'étais pas assez forte. J'ai vite compris que les courtes armes... c'était mon style. Je n'ai jamais développé la même consistance physique que mon frère, donc je me contente de fabriquer des objets pour le moindre... pratiques et de nombreux accessoires qui pourraient servir à tout le monde. Fourchettes, cuillères, couteaux, marmites, etc. C'est l'une de nos sources de revenus les plus importantes d'où je viens. On envoie souvent plusieurs de nos hommes à la république pour marchander, lorsque que c'est possible.

Pendant que Nash discutait avec la jeune femme, Flint avait vendu une boîte de vêtements à une autre personne. Puis il remarqua au loin, Shayne qui tentait de rentrer à l'entrepôt par l'une des vitres qui se trouvaient en haut de l'immeuble. Le plus important pour le moment était de faire distraction, alors il retourna rapidement son regard sur la marchandise. Il espérait que leur plan réussisse. Il avait cru comprendre, en écoutant les paroles de certains rebelles, que leur supérieur direct avait rendez-vous avec un représentant du Conseil.

Flint espérait que la femme ne découvre pas leur supercherie. Cela briserait probablement ses chances d'accomplir sa mission secrète, celle que lui avait donnée son père avant de partir. Il jugea qu'il leur restait suffisamment de stock à vendre pour encore une bonne dizaine de personnes. Il mit donc devant lui toutes sortes de bricoles et armures bon marché.

Il se demandait comment son père allait se débrouiller avec les négociations. Il ne s'attendait pas à ce que ce dernier s'en sorte vivant, mais au moins, il avait eu la chance de lui dire au revoir avant de partir en mission avec son oncle. Il regrettait toutefois de ne pas avoir eu l'opportunité de passer plus de temps avec lui depuis l'incident de Kritz. Les festivités à la capitale auraient pu être un excellent moment pour eux, afin de resserrer leurs liens, mais les événements avaient fait en sorte que la soirée se termine en catastrophe.

Ce fut avec tristesse que Flint déposa une poupée en porcelaine dans un petit banc en bois qui venait avec l'objet. Il reconnut le jouet préféré de Gwenaëlle, qu'elle avait abandonné après avoir quitté le palais.

Tout d'abord, il avait hésité, puis décidé qu'il valait mieux s'en débarrasser. Le jouet était presque neuf, Gwen n'avait jamais vraiment joué avec ce dernier. Sa sœur s'était contentée de la garder dans un coin de sa chambre durant une bonne partie de son enfance et s'en était servi comme confidente pour lui rapporter toutes sortes de petits secrets. Pendant un certain temps, on croyait que c'était sa seule amie. Puis, elle avait fini par la délaisser et avait rencontré quelques enfants de son âge, dans les ruelles de Baldt avec qui elle avait préféré passer son temps libre.

La poupée avait été recouverte de poussière assez longtemps dans les entrepôts de Baldt. Il était temps pour elle de trouver un nouveau propriétaire. Alors que Flint passait sa main sur la petite robe du jouet, afin d'enlever un vieux cheveu de Gwen, une enfant se faufila entre certains des rebelles pour la regarder de plus près. Flint constata qu'elle était pratiquement une adolescente.

La fille en question avait des cheveux blonds très courts. Elle ne portait aucun maquillage, ni d'accessoires qui laisseraient prévoir qu'elle était une fille. Elle paraissait avoir grandi entourée de garçons, ne portait pas de robe, ni de vêtements très féminins. Elle se grattait la tête et fronçait des sourcils. La poupée semblait l'intéresser. Flint ressentait déjà un pincement au cœur.

— Je ne suis pas vraiment le genre de fille qui aime jouer aux poupées, mais celle-là, je la trouve jolie... dit-elle. Je crois qu'elle serait bien assise dans ma chambre avec mes ours en peluche.

— Je te la donne pour trois pièces d'argent, dit Flint. Normalement, elle vaudrait beaucoup plus que ça. Est-ce convenable ?

— Mmm... Je...

— Tu n'as pas d'argent, c'est ça ? Eh bah tant pis. Prends-la quand même. Je la paierai à mon oncle quand il ne sera pas occupé.

Le visage de l'enfant rayonna de bonheur alors qu'elle ramassa la poupée dans ses mains. Flint crut remarquer quelques larmes qui coulaient le long de ses joues pendant qu'elle se faufila derrière les autres clients, avec sa nouvelle amie. Flint se rendit compte que la plupart de ces gens n'étaient pas du tout agressifs, qu'ils étaient très pauvres et qu'ils cherchaient simplement un moyen de vivre une existence plus heureuse... Nombreux d'entre eux n'avaient pas d'emplois et vivaient comme des sans-abris. Ce qui expliquait pourquoi on en trouvait de moins en moins dans les rues de Baldt. Ils finissaient probablement tous par se faire enrôler chez les rebelles.

Papa avait raison... pensa-t-il. Nous devons passer à l'action.

La situation des rebelles avait forcé ces gens à prendre les armes afin de lutter contre les dirigeants de Baldt. Ils en avaient assez de vivre ce calvaire, cette pauvreté... Ils désiraient tous vivre comme les gens de la république, soit dans la joie et la paix, sans jamais avoir peur de dormir dans les rues et surtout, avoir de quoi manger quotidiennement.

Flint commençait à comprendre un peu d'où ils venaient. Tous leurs vêtements étaient usés et leurs armures aussi. La plupart d'entre eux étaient tous pâles et avaient la peau sur les os. Ils avaient sûrement des problèmes de rations dans leur communauté de fortune, cachée dans les montagnes. Il n'était donc pas étonnant qu'ils aient décidé de se battre contre le système.

Quelques-uns d'entre eux avaient eu la chance de gagner leur vie en vendant ce qu'ils produisaient. Les moins chanceux devaient probablement mendier, comme cette adolescente. C'était avec un pincement au cœur que Flint comprit qu'il fallait agir... non seulement parce que son père lui en avait donné l'ordre, mais puisqu'il le désirait réellement. Il ignorait comment, mais son cœur lui disait que ces gens avaient besoin de son aide. Aider ces rebelles l'étiquetterait certainement de traître, mais il ne pouvait tout simplement pas fermer les yeux sur leur cause. Toute cette angoisse se lisait dans leurs regards. Il pensa qu'il devrait tout faire pour les protéger, puisque c'était le code d'honneur de tout brigadier.

Flint ? avait demandé Artael, avant leur départ, plus tôt dans la journée.

Oui papa ?

Je sais que ça va te paraître idiot ce que je vais te dire... mais une révolution se prépare. Je souhaite que tu rejoignes la cause des rebelles à Xu Fahn. Ne dis rien à ton oncle. Il est beaucoup trop loyal envers la loi pour briser celle-ci.

Minute... tu veux faire de moi un criminel ?

Non. Je veux que tu te prépares à rejoindre ma révolution... Si tout se passera bien selon mes calculs, d'ici à vingt-quatre heures, j'aurai renversé le Conseil de Baldt.

Oh... Mon père qui se rebelle ? Qui l'eût cru ?

Flint secoua la tête pour revenir à la réalité. Comment allait-il agir par la suite ? Nash n'allait sûrement pas être content. Ni Shayne. Artael exigeait de son fils d'accomplir une tâche importante. Une tâche qui compterait comme de l'insubordination aux yeux de Nash et possiblement toute la nation, si la révolution devait échouer. Il se devait d'agir et jouer le jeu. Si cela faisait de lui un traître, il n'avait rien à perdre. Il savait que Gabriel finirait par le retrouver, tôt ou tard.

Nash, de son côté, avait ressenti cette tristesse, dans les regards de ses clients. Certains trouvaient du réconfort dans les objets qu'il avait troqués avec eux alors que d'autres repartaient avec des morceaux de vêtements qu'il avait décidé d'offrir gratuitement ; parce qu'ils étaient trop vieux finalement pour être vendus et qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour se les offrir.

Ces personnes peu fortunées s'étaient toutes unies entre elles pour montrer aux gens de la capitale qu'ils n'accepteraient plus un tel traitement envers les leurs. Ce siège à Xu Fahn n'était qu'un appel à l'aide.

Dans le fond, c'est nous les méchants... réalisa Nash, mentalement. Comment ai-je pu croire qu'ils n'étaient que des criminels sanguinaires, sans honneur ?

Ne pense pas comme ça, Nash, lui répondit Dia par télépathie. Tu ne pouvais pas comprendre leur qualité de vie avant de rencontrer Misaki. Tu n'as fait que travailler toute ta vie et rendre service à ta famille et tes amis. Ce n'est pas ta faute s'il y a autant de gens comme eux qui cherchent à être aidés. Votre gouvernement est corrompu, c'est tout.

Pourtant, s'il avait su... Les choses se seraient probablement déroulées autrement. Peut-être même qu'il serait devenu conseiller, lui-même, et qu'il aurait défendu les droits de ces personnes sans-abris devant la cour. Ce n'était que des idées qui lui passaient par la tête et tout ce qu'il voyait ici lui rappelait à quel point la vie pouvait être cruelle et si fragile.

Il fallait quand même sortir les citoyens de la ville de cet entrepôt... Le simple fait de vivre dans la misère ne donnait aucun droit à ces rebelles de faire souffrir des innocents.

Son esprit s'égara pendant un moment, alors qu'il observait les bâtiments qui les entouraient. Ce n'était pas la première fois que Nash mettait les pieds ici, mais son neveu, si. Certaines maisons et boutiques avaient des allures exotiques. Des toits différents que ceux qu'ils étaient habitués de voir. Il y avait beaucoup de couleurs chaudes, du rouge, de l'orange et quelques teintes de jaunes ici et là.

Les arbres aux feuilles automnales faisaient ressortir le rouge d'un grand bâtiment que Flint reconnut comme étant le collège auquel son père avait étudié. Il l'avait déjà vu en photo, en noir et blanc. Il reconnaissait les formes, mais n'avait jamais vu les couleurs. Le collège était situé tout à côté de l'entrepôt qui était simplement gris avec un toit marron. Il y avait une marée basse ce jour-là, ce qui propageait une forte odeur d'algues et de poissons d'eaux salées.

Flint n'avait jamais été friand des produits de la mer, contrairement à son fiancé qui mangeait de tout. Flint détestait l'odeur. Par contre, il n'était pas difficile avec les croquettes de saumon ou bien de morue, du moment qu'il y avait beaucoup de pommes de terre dans la recette.

Nash discutait toujours avec la fille artisane et chef de leur groupe. Celle-ci ne l'avait pas quitté depuis qu'ils étaient arrivés. Avec le confort qui s'était installé entre ces deux-là, Flint compris que le capitaine allait probablement tenter de soutirer quelques informations subtilement. C'était justement ce qu'il était en train de faire.

— Au fait, Miss. Ça fait longtemps que votre groupe crèche ici ? demanda-t-il avant de servir l'un de ses clients avec une couverture chaude.

— Depuis hier seulement... Vous et votre neveu, vous voyagez ainsi depuis combien de temps ? Il me semble vous avoir déjà vu quelque part.

— Nous sommes sur la route depuis une semaine. On a vendu une partie de nos trouvailles à la capitale, puis on a racheté de leurs breloques, ensuite, on est reparti vers le sud.

— C'est dingue... Vous me faites penser à quelqu'un que j'ai déjà rencontré. Auriez-vous des liens de parentés avec les Markios, par hasard ? L'un des brigadiers qui a saccagé notre village ? Je crois qu'il se fait appeler Troyd...

Malaise. Flint essaya de garder son calme, mais Nash avait déjà remarqué que quelques rebelles avaient soudainement changé leur tenure. La fille artisane pointait déjà l'une des dagues au cou du capitaine.

— Je vous déconseille de bouger... Sinon, ma lame transpercera votre nuque, dit-elle, les sourcils froncés. Qui êtes-vous vraiment ?

— Nash Markios, brigadier et capitaine de la Septième Brigade de Baldt, l'homme à côté de moi est mon neveu, Flint. Celui qui a saccagé votre village était probablement mon frère aîné qui travaille sous les ordres du Président Knox. Je suis sincèrement navré que...

— Très bien, et que faites-vous ici ? trancha l'artisane. Vous ne comptiez quand même pas libérer les gens dans l'entrepôt qu'à deux, n'est-ce pas ?

— Nous sommes venus seuls pour enquêter sur votre groupe afin d'éviter des pertes si possible, mentit le capitaine.

— Ah bon... Je me disais bien que vous n'étiez pas que de simples marchands. Comme vous pouvez le voir, je suis la responsable de ce groupe. Je vais vous ordonner de quitter gentiment les lieux sinon nous serons forcés de vous tuer.

Depuis le reflet d'un miroir face à lui, Flint avait repéré derrière lui qu'une arbalète chargée lui était destinée pour la tête, celle-ci venait d'un grand type baraqué avec un seul œil. L'un des yeux était recouvert d'un cache-œil noir. On aurait dit un pirate. Il faudrait donc faire en sorte que les prochaines actions comptent. S'ils désiraient s'en sortir vivants, Flint devrait faire preuve de prudence et improviser, sortir leurs armes et se préparer à un combat. Mais il était conscient qu'ils étaient deux contre une vingtaine. Il serait alors impossible pour lui d'agir. Il jugea que dans l'entrepôt se trouvait au moins une autre dizaine des rebelles qui veillaient sur les villageois.

Voilà une situation des plus embarrassantes... pensa Flint. Oui, mais bon... je ne suis pas supposé les attaquer, mais les rejoindre... Comment faire comprendre à Nash que...

Toutefois, Flint réalisa que son oncle avait déjà agi.

Agenouillée au sol, la cheffe de ce groupe de rebelles mettait ses mains sur sa blessure saignante. Nash l'avait transpercée avec Dia entre ses mains. Il enleva aussitôt son déguisement, dévoila son armure et se prépara à parer un coup de hache qui venait de sa droite. Flint balança donc la marchandise vers l'avant, se laissa tomber sur le côté et fit trébucher l'arbalétrier qui perdit son arme. Le carreau chargé de l'arbalète s'égara dans la nature. Ensuite, Flint sortit sa propre épée.

Nash utilisa son pouvoir afin d'immobiliser les rebelles après avoir transformé la terre sous leurs pieds en sables mouvants, en l'espace de quelques secondes. Ensuite, ils furent cloués au sol lorsque le sol reprit une forme solide à leurs chevilles. Nash pointait toujours son arme vers la responsable du groupe.

— Évitez tout mouvement brusque et je la relâcherai, dit Nash. Au cas contraire...

— VOUS ÊTES UN MONSTRE ! hurla l'un des rebelles.

— Non... Je l'ai mérité, dit la jeune femme aux pieds du capitaine. Il ne faut jamais lever son arme sur l'ennemi à moins d'être sûr de pouvoir le tuer...

— Tout ceci n'est qu'un misérable malentendu, déclara Nash qui toisa la demoiselle. Mon frère n'a jamais reçu l'ordre de détruire votre village, nous ne sommes pas censés les détruire ! Nous sommes supposés les protéger. Pourquoi croyez-vous que les brigades existent ?

— C'est pourtant ce qui s'est passé il y a trois ans, répliqua la cheffe. Nous vivions une existence tranquille près de bordures des montagnes... Et quand ils sont venus, ils ont demandé la taxe... Et quand ils se sont rendu compte que nous ne pouvions rien payer, ils ont tout détruit, lui et ses soldats...

— Comment se fait-il que nous n'ayons pas été mis au courant ?! grogna Nash pour lui-même, qui essayait de garder son calme, mais n'y réussissait pas.

Le capitaine ne pouvait supporter de voir ce sang, il s'était défendu, mais regrettait déjà d'avoir blessé la demoiselle.

Je peux refermer sa plaie, mes pouvoirs ne sont pas que destructeurs, exprima Dia dans sa tête. N'oublie pas que je suis aussi une guérisseuse...

Nash passa l'arme près de la plaie de la dame, l'objet se mit à briller.

— Que faites-vous ?! demanda la jeune femme. Mais... Ma blessure... Elle se referme ?! C'est quoi cette mauvaise plaisanterie ?!

Les rebelles s'impatientaient. Le piège terrestre de Nash ne résisterait pas longtemps. Certains avaient déjà commencé à creuser la terre à leurs pieds avec leurs armes. Une fois la blessure de la dame refermée, Nash rapprocha son arme près de lui. Elle ne périrait pas, mais avait quand même perdu assez de sang pour être déstabilisée.

— Je ne suis pas mon frère, déclara Nash. Je ne suis pas un meurtrier, ni un destructeur de village. Maintenant que j'y pense, ce que vous dites a du sens. Troyd n'a jamais respecté les lois de la république et a toujours désiré semer le chaos, peu importe où il passe. Je ne devrais pas être surpris qu'il soit responsable de plusieurs raids et qu'il soit aussi celui qui a détruit votre village, pourtant je le suis. Cependant, vous nous accusez tous d'être comme lui et vous avez voulu me tuer, je n'avais pas le choix de vous montrer que je ne me laisserai pas faire. Je n'ai pas l'intention de mourir aujourd'hui.

— Mensonges... MENSONGES ! grogna la jeune femme aux dagues. Les brigadiers sont des monstres ! Ils ont tué plusieurs de mes frères et la majorité de notre village ! Arrêtez de me mentir !

— Je ne vous demande pas de me croire, simplement de comprendre que nous ne sommes pas tous comme lui. Cela va de même pour la réputation de notre président qui ferme les yeux sur tous les problèmes du peuple lorsque cela ne fait pas son affaire !

— Vous... vous êtes tous les mêmes... formula la demoiselle. Monstre !

Nash secoua la tête. Il allait perdre patience encore une fois. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais lorsqu'il était question de Troyd Markios, il perdait souvent sa contenance. Il se pencha afin de ramasser la dame par un bras. Ensuite, il l'aida à se relever même si elle se débattait. Elle avait lâché l'une de ses dagues, cette dernière était au milieu d'une flaque de sang. La rebelle se sentait outrée et confuse, elle disait le détester, mais son cœur semblait indiquer le contraire. Il y avait quelque chose en lui qui la rendait perplexe, admirative mais aussi terrifiée.

— Comment se fait-il que vous ne fassiez rien pour l'arrêter, dans ce cas ? dit-elle à l'attention de Troyd.

— Croyez-moi, si je vous dis que mon autre frère et moi, nous avons tout essayé pour le ramener sur le droit chemin et que nous l'avons emprisonné. Notre père ne nous laissera jamais le punir et nous traite comme des moins que rien. Nous avons souvent songé à quitter la capitale pour cette raison, mais j'ai mon devoir à accomplir, celui de protéger les gens de la ville. J'en ai fait le serment et lui est l'un des conseillers de Baldt.

— Mais comment faites-vous pour dormir la nuit, sachant que vous vivez sous un régime corrompu ?! aboya la demoiselle.

— Je le fais, c'est tout. Nous n'avons pas le choix des fois de vivre avec ces idioties, sinon le monde serait à présent un champ de bataille. Les compromis sont nécessaires parfois si l'on veut vivre en paix.

— Dans ce cas, vous ne valez pas mieux que votre frère... Vous êtes un lâche ! Tous les brigadiers sont des ordures qui défendent leurs propres intérêts. Votre système pue la merde, que vous le vouliez ou non. C'est ce que nous pensons de vous !

Elle cracha à ses pieds avec une telle colère que même Flint en ressenti des frissons.

Ces mots eurent l'effet d'une gifle au capitaine. Il essayait vraiment de se mettre à leur place, mais se sentait soudainement pris de doutes. Il avait envie de se prendre la tête, de hurler à pleins poumons que c'était faux, qu'elle se trompait à son sujet. Il avait surtout envie de boire un verre et de la traiter de tous les noms. Un lâche ? Lui ? Un lâche qui ne pensait qu'à défendre ses semblables ? Non...

— Malgré tout, nous avons le devoir de protéger les gens de la république et les membres du Conseil, dit Nash qui n'avait pas perdu sa garde pour autant. C'est notre devoir et nous devons le respecter.

— Vous ne voyez que ce que vous voulez voir, vous n'entendez ce que vous désirez entendre ! Vous vous bercez d'illusions, mon pauvre ! Et nous, nous subissons votre cruauté depuis des années ! C'est vous les ordures dans cette histoire !

— Ce n'est pas en mon pouvoir de vous aider. Je ne suis pas diplomate et je ne suis pas politicien. Je ne suis qu'un soldat et j'obéis aux ordres !

Voilà bien ton erreur, Nash, pensa Flint, dégoûté par cette scène.

— Votre devoir est de protéger les gens de la république ? Eh bien BRAVO ! Nous étions des membres de cette foutue nation et vous nous avez lâchement abandonnés parce que votre stupide Conseil n'a pas été capable de financer les reconstructions et nous envoyer des patrouilleurs ! Vous vous dites des défenseurs du peuple, mais vous n'êtes rien d'autres que des pantins !

Une deuxième gifle mentale vint percuter l'honneur du brigadier. Nash ignorait s'il serait capable d'encaisser davantage de ces remarques.

— Pensez-vous que c'est facile de se lever chaque jour et de savoir que nous servons des monstres ? dit-il en serrant des dents. Peu de gens dans la capitale sont au courant de tout ce qui se passe derrière leur dos. Notre devoir a toujours été d'assurer la paix et de faire en sorte qu'ils vivent en sécurité, tout comme les villages qui nous entourent. Je me lève toujours en espérant que tôt ou tard, quelqu'un prendra la place de notre président, mais ce n'est pas comme ça que fonctionne notre démocratie. Les lois ne nous le permettent pas !

— Tu parles, ouais ! dit l'arbalétrier borgne, qui se trouvait toujours derrière Flint. Tout le monde sait que ces élections sont truquées ! De toute façon, ils ne prennent pas en compte les votes des gens qu'ils ont délaissés partout dans la région. Le plus con dans tout ça, c'est que vous savez que j'ai raison et que cette nation est corrompue jusqu'à la moelle ! Même mes gosses pensent comme moi ! Si vous croyez que les choses vont changer comme ça aussi facilement, vous vous mettez les doigts dans le cul ! On en a assez de tout ça ! S'ils ne vont rien faire, on va changer les choses de nous-mêmes, pas vrai les gars ?!

Plusieurs individus derrière lui acclamèrent ses paroles pour l'encourager. Nash avait trouvé cet homme grossier, mais appréciait quand même sa franchise.

— Plus on s'avance vers la capitale, plus la qualité de vie s'améliore, râla une autre personne derrière l'arbalétrier. Par contre, quand on s'éloigne, on voit bien que c'est le bordel ! On voit bien que vous vous fichez nous !

Troisième et quatrième gifle. Le capitaine n'en pouvait plus. Ils avaient raison. Il n'avait pas l'étoffe d'un politicien ou d'un véritable leader. Il ne pouvait pas prendre en charge cette république et encore moins punir le président légalement, ni celles et ceux qui aidaient celui-ci à faire gouverner leur nation.

Un peu plus loin, plusieurs personnes sortaient de l'entrepôt alors que la porte s'ouvrit devant eux. Shayne avait réussi de s'infiltrer à l'intérieur et avait assommé la plupart des geôliers avant demander à Nox de l'aider. Le puma noir avait quitté sa forme d'arme pour bondir sur les rebelles, les entasser dans un coin et ensuite montrer ses crocs. Shayne en avait profité pour libérer les villageois et partir rejoindre Nash et Flint au centre de Xu Fahn.

Shayne remarqua que les choses n'avaient pas l'air de bien se dérouler, ce qui ne le rassurait pas, après avoir constaté que Serenity ne se trouvait pas parmi les xu fahniens. Nox retourna à ses côtés après avoir semé une peur bleue aux rebelles de l'entrepôt et proposa à son maître d'utiliser l'un de ses pouvoirs.

Attends un peu, pensa Shayne qui lui fit une œillade.

La panthère hocha la tête.

— Quittons ce village, Flint, déclara Nash. J'en ai assez entendu. Il n'y a rien que nous puissions faire pour eux. Ce n'est pas en mon pouvoir de les aider.

Son neveu le contempla, sidéré.

— Vraiment ? dit-il. C'est tout ce que tu trouves à dire après tous ces témoignages ? Mon oncle, tu me déçois...

— Je... c'est que... poursuivit Nash.

— Nous ne sommes peut-être pas politiciens, mais nous sommes des citoyens de cette république tout comme eux. Si tu ne comptes rien faire pour les aider, alors moi je vais me mettre de leur côté.

— Flint, tu ne comptes tout de même pas...

— Ma décision est prise.

Flint rangea son arme et montra la sortie du village à son oncle.

— Tu diras à mon père que je ne rentrerai pas à la capitale avant que les choses changent, disait-il. Gabriel comprendra mon geste.

Nash fit une moue.

— Te rends-tu comptes que tu es en train de trahir la nation et les vœux que tu as faits pour devenir brigadier ? demanda ce dernier. Toi qui souhaitais devenir capitaine, il y a à peine quelques jours ?

— À quoi servent-ils, ces vœux, si notre nation n'est plus celle que je désire servir ? Je ne suis pas celui qui trahit la république en ce moment. Ce sont toi, ainsi que les brigadiers qui ignorent ces gens ici présents. Toi qui ne fais rien pour que les choses changent. Mon père serait du même avis, j'en suis certain !

— Ne mêle pas Artael dans tout ça !

— Pourtant, c'est lui qui est en mission diplomatique en ce moment ! L'as-tu oublié ?! Tu étais d'accord pour qu'on fasse tout ça pendant qu'il trouverait le moyen de négocier avec leur chef ! Tu as la mémoire qui déraille, Nash !

— Flint, arrête... Tu es en train de perdre la raison !

— Lorsque tu te seras greffé un cerveau, je t'invite à venir m'en reparler, mon oncle. Pour le moment, rien ne me fera changer d'avis !

Le capitaine serra les poings, grinça des dents et plissa les yeux.

— Pars ! ordonna Flint à son oncle, d'un ton autoritaire.

Nash ne dit plus rien et partit rejoindre Shayne et Nox qui avaient assisté à la scène. Flint les observa, les bras croisés, alors que les rebelles regardaient le tout en silence. La responsable des rebelles était abasourdie.

— Ruby, il vaudrait mieux que nous partions du village, lui dit l'arbalétrier borgne. Les citoyens ont été libérés et ils ne sont pas contents...

Sa patronne se retourna pour constater qu'effectivement, les prisonniers étaient sortis de l'entrepôt et que la majorité d'entre eux étaient armés et s'apprêtaient à les attaquer. La rebelle mit ses doigts entre ses lèvres et siffla le signal qui fit savoir aussitôt à son groupe de la suivre. Elle fit signe à Flint de se joindre à eux. En silence, ils quittèrent tous Xu Fahn, alors que Nash, Dia, Shayne et Nox restèrent avec les villageois un moment. Le capitaine était bouche bée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top