19. La chasseuse et la crécerelle

Un peu plus tôt, sur la route, alors que Nash conduisait la calèche de marchandises, Flint et Shayne avaient discuté avec lui à travers l'ouverture qui les séparait du banc où était installé le capitaine. Les deux chevaux qu'on avait attelés étaient puissants et trottaient d'un bon rythme. Ils seraient arrivés à destination d'ici à deux heures de l'après-midi, s'ils ne faisaient pas halte en chemin. Flint avait passé un morceau de pain à son oncle qui n'avait pas encore dîné alors que Shayne lui versait un peu d'eau dans une tasse.

— Rappelez-vous, nous allons essayer de pénétrer dans le village, dit Nash. Cependant, nous n'allons pas insister s'ils ne veulent pas nous laisser entrer. Nous irons garer la voiture un peu plus loin et nous tenterons d'infiltrer Xu Fahn par d'autres moyens.

— Nous pouvons toujours utiliser la manière forte, suggéra Flint avant de prendre une bouchée de fromage.

— Je le déconseille, dit Shayne. Ils sont probablement une dizaine ou une vingtaine de rebelles armés, là-bas. Le moindre faux mouvement pourrait causer la mort d'un innocent.

— Alors que devons-nous faire ? On ne va quand même pas laisser ces gens mourir de peur pendant que les rebelles sèment le désordre...

Shayne réfléchit un instant, avant de répondre :

— Je propose qu'on se fasse discrets. J'ai avec nous quelques bombes lacrymogènes qui pourraient nous servir et des carreaux tranquillisants pour mon arbalète.

— J'ignorais que tu avais ce genre d'arme, mentionna Nash.

Shayne lui montra une arme qu'il avait réquisitionnée dans les objets perdus de la ville, ainsi qu'un petit sac rempli de fléchettes.

— Je ne sais pas à qui ça appartenait, dit-il. Par contre, ça pourrait nous être utile.

— Dans ce cas, tâchons de ne pas gaspiller ces projectiles, remarqua le capitaine.

— Sinon il nous reste toujours ta magie, mon oncle, rajouta Flint.

— J'aimerais bien ne pas en arriver là, Flint. Mes pouvoirs sont loin d'être aussi efficaces et malléables que ceux de Luna.

— Pourtant, ton pouvoir pourrait nous permettre de secouer la terre ou bien, de provoquer une énorme vague...

— C'est justement pourquoi je ne veux pas mettre la vie de ces gens entre les mains de Dame Nature. Mon don est pratique, mais trop l'utiliser pourrait m'être néfaste et encore plus pour ceux qui vivent dans mon entourage. Tu n'as qu'à te souvenir de ce qu'il s'est passé à Kritz. Par ma faute, j'ai presque tué les religieux...

— D'accord... Je te présente mes excuses, mon oncle.

Shayne n'avait pas l'air de comprendre en quoi les pouvoirs du capitaine étaient si différents de ceux de Luna. Il n'avait jamais rencontré de gens comme Nash, et ce genre de pouvoir était tout nouveau, pour lui. Même s'il était sage à certains niveaux, il pouvait toujours apprendre quelques trucs qui lui serviraient aux combats.

— Au fait, Nash... fit le vampire. Tu ne m'as jamais expliqué d'où viennent vos capacités magiques, tes frères et toi. Est-ce quelque chose qu'on vous a appris ?

— Plus ou moins, déclara Nash. Lorsque j'étais jeune, les laboratoires du palais ont mené quelques expériences sur ma fratrie et moi. On nous a infusé du sang d'esprits élémentaires comme sérum, afin de voir si les humains pouvaient développer des pouvoirs surnaturels et s'y adapter. À l'époque, je n'étais qu'un garçon tout à fait normal, mais en grandissant, j'ai fini par m'adapter au mélange qu'on m'injectait dans les veines. Cela a provoqué une mutation dans mes gènes. Maintenant, je peux contrôler les éléments de la nature en me concentrant comme il faut. Ça n'a pas de nom propre, mais je définis cela comme le contrôle des éléments, sans créer quoi que ce soit. D'après nos recherches, seules quelques créatures vivantes en sont capables. L'être humain n'en fait pas partie.

— Donc, ce sérum a fait de vous des mutants...

— Je suis plus ou moins comme toi de ce côté-là, mais je ne suis pas né avec la malédiction du vampirisme dans mon sang. C'était notre choix, à mes frères et moi, de procéder à ces expériences. Nous l'avions fait à l'époque afin de rendre service à notre nation. C'est aussi ce qui explique pourquoi plusieurs de nos soldats manifestent d'étranges mutations ou bien des pouvoirs surnaturels. Nous étions leurs prototypes.

— J'espère tout de même que tu réalises que vous avez été abusés, grogna Shayne, choqué. Jamais, au grand jamais, ne devrait-on utiliser des enfants pour des expériences de ce genre.

Nash fronça des sourcils. Malaisé, il préférait ne plus en parler.

Flint changea la conversation, après quelques secondes de silence. Shayne leur avait parlé un peu plus tôt de l'assassin qu'il avait croisé dans les bois durant la veille. Il leur avait aussi mentionné que Nox et lui croyaient qu'il s'agissait d'un membre du culte, puisqu'il avait demandé à ce qu'on lui donne l'esprit élémentaire. Flint s'inquiéta alors pour la sécurité de son oncle et du vampire.

— Cet homme que tu as vu hier... s'agissait-il vraiment d'un adepte de Perséphone ? demanda Flint. J'ai peine à croire que la substance qu'il s'est injecté dans les veines l'a désintégré... Mais quel genre de poison a-t-il utilisé ?

Shayne secoua la tête, incertain de ce qu'il devait répondre. Ce fût Nox sous sa forme d'épée qui parla à sa place.

— Enfin, je ne suis pas certain... dit-il. Néanmoins, nous devons faire preuve de vigilance. Nous ignorons si le culte a des alliés en dehors de leurs rangs. Ces gens peuvent se cacher n'importe où.

— Et vous... Avez-vous pu localiser un autre membre de votre famille ? demanda Nash qui s'adressait à la fois à Dia et à Nox.

— Je pense avoir ressenti l'énergie de ma sœur Windy, dit la louve sous sa forme d'arme, cachée en dessous des draps avec Nox.

— Windy aime se déplacer dans les airs sous forme d'oiseau, ajouta le puma noir. Elle est celle qui aime le plus voyager dans notre famille. Elle ne reste jamais au même endroit très longtemps.

— Dans ce cas, nous ferions mieux de la trouver avant les membres de la secte, dit Flint qui se sentait de plus en plus concerné pour leur cause.

Le reste du trajet se déroula en silence. Nash en avait beaucoup sur la conscience et les deux passagers du chariot préféraient ne pas le perturber.

¤*¤*¤

Cassandra et Misaki avaient fini par se séparer au milieu de l'après-midi, une fois leurs commissions terminées.

Bien que fatiguée et sur le point d'aller se coucher pour faire une sieste, Cassandra avait reçu un avis important d'un messager. Le Conseiller avait besoin de ses services.

De son côté, Misaki était partie rejoindre Gabriel et ensemble, ils escorteraient Artael. Apparemment, les espions du Conseil avaient pu localiser le campement du chef des rebelles tout près des bois, au nord de Kritz. Une bonne dizaine de personnes faisait partie de ce cortège. Sans plus attendre, ils étaient partis une fois la formation complétée avec le colosse et la guerrière albinos.

Cassandra se retrouva seule avec le document qu'elle lut attentivement.

Artael, avant de partir, avait reçu un colis important qu'on devait remettre à Osbourg, à l'est de Baldt. Il fallait transmettre celui-ci au maire de la ville et les autres brigades étaient toutes occupées à d'autres tâches. Cassandra devait ramasser le colis au bureau administratif sans plus tarder et livrer celui-ci dans un délai de soixante-douze heures, maximum, sinon le produit allait expirer. Elle ignorait ce que le colis pouvait contenir, mais sur la boîte, elle put lire les mots : fragile, ne pas secouer. Il y avait une lettre adressée au maire pour l'accompagner. À travers la boîte se dégageait un fort arôme de vanille. Cassandra comprit qu'il s'agissait d'un dessert et qu'il ne fallait pas le briser. La boîte faisait au moins trente centimètres de grandeur et de largeur. Ce qui voulait dire qu'elle devrait être prudente en portant le paquet. Après s'être préparé un thermos de café pour la route et une collation, elle se chargea d'aller atteler une jument à l'écurie et prit la plus petite charrette qu'elle trouva pour accomplir cette livraison.

Autant partir maintenant si je veux avoir une chance d'arriver avant la tombée de la nuit, pensa Cassandra.

Selon les légendes urbaines, il était dit que les dunes qui entouraient Osbourg étaient infestées de monstres qui aimaient surgir des sables lorsque le crépuscule se pointait. La brave chasseuse qu'elle était n'avait pas peur de combattre. Toutefois, elle se souciait davantage de la sécurité de la jument que de la sienne. Elle s'arrangea pour mettre le paquet entre des briques, contre un mur du véhicule, pour être certaine que la boîte ne bouge pas trop. Une fois qu'elle se sentit prête, l'elfe ordonna à l'animal de partir.

Tranquillement, elles longèrent le long des trottoirs du quartier marchand, ce qui laissa à la jeune femme la chance de voir quelques citoyens qui sortaient de la ferme des Doyle en compagnie de Gretta. La pauvre fermière voulait qu'on lui fiche la paix et qu'on la laisse s'occuper des animaux de sa ferme. Cassandra ne comprenait rien aux gestuelles de ces gens, et ne pouvait pas les entendre, mais devinait que la fermière avait besoin d'espace et de tranquillité afin de se remettre de ses émotions.

Après être passée près de la ferme, la voiture passa au quartier résidentiel à l'est de Baldt, où plusieurs maisons avaient été installées en parallèles, de chaque côté de la grande rue. Cette dernière servait à tous pour les circulations de voitures et de piétons. Au fond du quartier se trouvait un gigantesque portail que tous traversaient afin d'entrer ou bien sortir de la ville. Durant la nuit, on la fermait, mais les brigadiers et les gardes de la ville étaient autorisés à utiliser l'une des plus petites portes qui était gardée par les tours de surveillance. Il y avait trois portails en tout : un à l'ouest, un autre au sud des murailles et enfin celui que Cassandra allait franchir, à l'est.

Il n'y avait qu'en arrière du palais où les fortifications ne semblaient pas autant protégées qu'en ville, sauf que le palais se dressait en haut d'une énorme falaise. Cassandra avait été mise au courant par Misaki qu'elle avait été sermonnée la nuit dernière, durant ses recherches. Ce garde devait faire en sorte que les gens ne s'approchent pas trop de cette section de la ville et il n'était pas le seul patrouilleur de nuit. Trop souvent, les gamins de l'orphelinat allaient se promener derrière le palais présidentiel et cela inquiétait le Père Shalom. Cassandra était ravie que son amie lui ait confié tout ça.

Les créatures et les voleurs n'osaient pas s'approcher du rempart naturel, car au fond se trouvait un précipice de plusieurs kilomètres qui débouchait dans les eaux du lac baldtien. Tenter de grimper la falaise serait suicidaire, à moins bien sûr d'en connaître long au sujet de l'alpinisme et d'être équipé sur mesure. Même là, il était fortement déconseillé de s'approcher de cette gigantesque pierre au relief acéré.

Cassandra repensait à l'histoire de la fondation de Baldt alors qu'elle observait les bâtiments de la ville. Même si elle n'avait jamais connu de la république, son père adoptif était fréquemment sorti de la forêt pour marchander.

Maintenant que Cassandra pouvait visiter cet endroit historique librement, elle ne pouvait cesser d'imaginer la vie d'antan des baldtiens. Elle se demandait s'il n'y avait pas des historiens dans cette ville qui pourraient l'aider à retrouver les traces de son peuple. Tout ce qu'elle savait des elfes, c'était qu'ils avaient eu leurs propres sociétés par le passé, leurs propres langages, habitudes de vies et plus encore. Mais tout cela, c'était malheureusement de l'histoire ancienne. Désormais, on ne racontait plus que des légendes à leurs sujets.

Elle avait rencontré quelques personnes racistes et xénophobes au cours de sa courte vie, mais s'était résolue à changer leurs points de vue avec la diplomatie et ses talents de guérisseuse. Elle s'était donnée pour mission d'ouvrir les yeux à ces gens, de sorte qu'ils puissent évoluer. Elle souhaitait leur faire comprendre que dans le fond ; ils étaient tous pareils à l'intérieur et ils avaient tous une âme, malgré leur apparence. Malheureusement, certaines personnes étaient difficiles à convaincre.

Cassandra était très spirituelle et amicale, ce qui permettait aux gens de l'apprécier rapidement. Certes, elle avait plusieurs défauts comme sa naïveté par moment ou bien le fait qu'elle se mêlait de choses qui ne la regardaient pas, mais elle apprenait rapidement à retomber sur ses pattes lorsqu'elle faisait des erreurs. Sa personnalité douce et chaleureuse était un atout important au sein de la Septième Brigade et elle commençait à comprendre pourquoi Artael l'avait choisie. C'était quand même grâce à elle, qu'on avait pu dénicher le secret de Misaki...

Sa présence avait permis aux membres de sa brigade de communiquer plus facilement entre eux. Cassandra avait l'esprit conciliant. Elle n'aimait pas les disputes et encore moins quand les gens se sentaient à l'écart des autres. Elle était empathique, mais s'en faisait un peu trop pour tout le monde. Parfois, elle n'arrivait pas à contrôler ses manières et on lui reprochait d'être trop curieuse. Toutefois, c'était comme ça qu'elle avait été élevée : à aider les autres sans jamais attendre quoi que ce soit en retour. Ce boulot à la capitale l'aidait cependant à se faire un peu d'argent pour survivre. Ces derniers temps, elle s'était fait quelques amis et commençait à y prendre goût. Peut-être était-ce ça, sa destinée... aider autrui.

Avec la jument, ils avaient déjà fait quelques kilomètres à l'est, à travers les sentiers boisés de la république. Dans ces bois, les moines et les sœurs de l'église baldtienne venaient souvent faire des cueillettes de champignons et de fruits, tout ça avec les orphelins de la ville. Cassandra ignorait que c'était aussi par ici que Shayne était passé, la nuit dernière, afin de chasser du lapin. Elle ne remarqua même pas la cape de l'étrange meurtrier derrière un buisson avec ce qui restait de la mystérieuse seringue. Sa monture continuait leur trajet au même rythme qu'ils étaient partis de la capitale. Elle devait reconnaître qu'ils nourrissaient bien les chevaux, à Baldt, puisque sa jument était en parfaite santé, en plus d'être forte.

Alors qu'elle buvait une tasse de café, Cassandra se dit que se retrouver seule avec ses pensées lui permettait de faire le tri avec toutes les émotions qu'elle avait accumulées depuis la mission à Kritz. Elle s'était sentie enragée, triste, de bonne humeur, dépressive et tout ça à cause des personnes qu'elle avait rencontrées et les situations qui n'avaient fait que s'enchaîner les unes après les autres. L'élément le plus marquant durant les dernières vingt-quatre heures, toutefois, fut la nouvelle amitié qu'elle avait forgée avec Misaki.

Jamais elle ne se serait crue capable de lui faire confiance ou bien de s'entendre avec elle, à cause de leurs nombreuses différences d'opinions et de comportements. Néanmoins, elle avait éprouvé beaucoup de respect pour la guerrière qui avait tout sacrifié dans l'espoir d'offrir une vie meilleure à sa famille.

Ce n'était plus un secret pour l'elfe, elle désirait rencontrer Sakura et Yosuke lorsque cette histoire de guerre civile serait estompée. Elle espérait pouvoir aider Misaki dans quoi que ce soit afin d'améliorer leur qualité de vie. Peut-être que le Conseiller Artael réussirait à convaincre les gens au campement de cesser leur envie de guerroyer... ? Cassandra savait que ce ne serait pas aussi facile que ça.

Soudain une ombre verdâtre traversa leur champ de vision, la jument s'arrêta nettement, poussa un hennissement et se cabra. Le thermos, bien qu'encapuchonné, fut presque expulsé hors du véhicule. Cassandra le rattrapa de justesse. Le colis avait légèrement bondi derrière la jeune femme qui supplia le ciel pour que le dessert ne se soit pas endommagé. Puis, elle vit ce qui avait fait peur à la jument.

Installé sur un tronc d'arbre mort renversé, un étrange oiseau de proie venait de se poser afin de prendre une pause. Elle fixa la jeune femme du regard. Cassandra observa l'animal, et se demanda ce qu'il pouvait bien lui vouloir, puis elle descendit de la voiture. Le volatile ne broncha même pas et se contenta de cligner des yeux.

Cassandra reconnut l'espèce de l'animal : une crécerelle. Elle en avait vu quelques-unes dans les bois alors qu'elle servait de garde forestière pour les habitants d'Aöryn. Était-elle blessée ? L'elfe se pencha légèrement.

— Eh bah, t'es plus maigrichonne que dans mes rêves, dit soudainement une voix acérée. La déesse semble croire que tu es faite pour moi. Je ne sais pas ce qu'elle voyait en toi, mais bon... C'est son choix.

— Je rêve ou cet oiseau m'a parlé, marmonna Cassandra qui examinait la crécerelle.

— Euh, non, tu ne rêves pas... Je suis bel et bien en train de causer avec toi, l'elfe.

Cassandra fit une pause. Elle venait de comprendre qu'il s'agissait d'un esprit élémentaire. Toutefois, elle reprit la conversation :

— C'est Cassandra Appleseed, je vous prie.

— Pas besoin de te montrer si formelle. Je suis Windy, l'esprit du vent.

— Eh bah ça alors... D'abord Dia et Nox, et maintenant toi...

La crécerelle bondit sur ses pattes autour de la demoiselle afin de l'examiner, puis battit des ailes pour retourner sur le tronc d'arbre renversé.

— Athéna m'a guidée vers toi et apparemment, tu sais où se trouvent deux de mes frères et sœurs... expliqua l'oiseau. Mon devoir est de les retrouver, alors je crois que tu devrais me conduire jusqu'à eux.

— Je vois... Je comprends...

— Au fait, où t'en allais-tu avec ce chariot ?

— À Osbourg. Leur maire a commandé un gâteau de notre ville. Est-ce que ça vous... Je veux dire, est-ce que ça te dérange que nous y allions avant toute chose ? Je dois m'y rendre avant que trois jours se soient écoulés, parce que c'est un article périssable.

— Pas de problème ! C'est toi qui mènes, après tout. Je ne fais que suivre les ordres qu'on m'a donnés.

Cassandra devait reconnaître que l'animal avait l'air de savoir ce qu'elle voulait. La jeune femme était au courant de la quête de Nash et de Shayne, mais ignorait jusque-là qu'elle deviendrait la porteuse de sa propre arme élémentaire. Peut-être était-ce dû au fait qu'elle était capable de s'adapter rapidement à plusieurs sortes de situations... ? Après tout, n'était-ce pas une qualité recherchée chez les brigadiers ?

Le simple fait qu'elle soit dans la Septième Brigade n'était en aucun cas un hasard. On les avait rassemblés ainsi parce que quelqu'un savait sûrement qu'ils étaient destinés à quelque chose de grandiose. Cette personne ne devait être nulle autre qu'Artael Markios, se dit Cassandra. Mais elle avait des doutes.

— Nous ne sommes pas seuls, dit aussitôt Windy. Si j'étais toi, j'attraperais les harnais avant qu'il ne soit trop tard...

— Hein ? Que veux-tu insinuer ?

— Trop tard...

Un nuage de fumée se forma derrière Cassandra, ce qui fit peur à la jument qui s'enfuit en courant avec la calèche, qui déraillait légèrement dans tous les sens. Rapidement, la crécerelle s'éleva dans les airs.

— Tasse-toi ! ordonna l'oiseau à la jeune demoiselle avant de faire apparaître des ondes tranchantes du bout de ses ailes.

Depuis le nuage de fumée se forma une silhouette bizarre d'où sortit un individu encapuchonné.

C'est probablement un membre du culte, pensa l'elfe qui allait mettre la main sur son arc, mais constata qu'elle l'avait laissé dans la voiture avec la jument.

Elle n'avait même pas ses flèches. Tout ce qu'elle avait à sa disposition, c'était un simple couteau de chasse.

Les ondes tranchantes de Windy frappèrent l'individu qui se retrouva propulsé dans les airs.

— Que nous voulez-vous ?! lança Cassandra à l'attention de l'individu.

— Donnez-moi cet oiseau et je ne vous ferai aucun mal, prononça l'étranger qui se releva ; il n'avait même pas l'air d'avoir mal. Donnez-le-moi maintenant...

— Pourquoi la voulez-vous ?! Que cherchez-vous à accomplir en vous attaquant aux élémentaires ?

— Ça ne vous regarde pas... Si vous refusez de coopérer, je serai forcé de vous tuer...

Windy fonça tout droit vers l'homme encapuchonné et lui picora la tête, tout en lui griffant une partie du visage. Il hurla de douleur et se recouvrit avec ses mains. Du sang giclait à travers ses doigts. La crécerelle n'avait pas l'intention de se faire piéger par cette crapule, alors elle le lacérait et le mordillait à plusieurs reprises, ne laissant aucune chance à celui-ci de riposter. Néanmoins, le brigand réussi à frapper l'animal d'un coup solide, ce qui envoya l'oiseau valser au-dessus de leurs têtes.

Cassandra courut en direction de Windy qui allait bientôt se fracasser au sol, puis l'attrapa au vol. Entre ses mains, l'esprit élémentaire se transforma aussitôt en arc.

— Utilise-moi... dit l'arme qui venait d'apparaître par magie. Ne t'en fais pas pour les flèches, je vais en produire avec le mana qu'il y a dans l'air !

Pour avoir rencontré Cassandra, quelques minutes plus tôt, Windy semblait déjà connaître ses goûts personnels en ce qui concerne les armes. L'elfe décida de lui faire confiance et se mit à tirer sur la corde de l'arc. Aussitôt, une flèche magique apparut entre ses doigts et elle visa le torse de l'individu encapuchonné. Elle laissa la flèche décoller et cette dernière alla se planter dans le ventre de leur adversaire. Puis, elle tira une autre flèche, et une troisième, suivit d'une quatrième, jusqu'à ce que l'homme s'agenouille et se mette à hurler de douleur.

— Qui êtes-vous et pourquoi voulez-vous faire du mal aux élémentaires ? insista Cassandra qui fit apparaître une cinquième flèche qu'elle s'apprêtait à décocher au front de l'homme.

— Plutôt mourir, répondit celui-ci.

— Dans ce cas, je n'ai pas d'autre choix que de vous éliminer...

Elle décocha sa flèche, espérant tuer l'homme. Mais avant que celle-ci n'atteigne l'étrange personnage, celui-ci se désintégra en poussière. Une seringue tomba au beau milieu des vêtements poussiéreux. Cassandra comprit que son adversaire s'était tué. Mais comment ? Avec la seringue ? Elle avait la respiration lourde et essaya de se calmer. Était-elle la seule à avoir rencontré ce genre d'individu, récemment ?

— C'était moins une... gémit Windy. Merci en tout cas. C'est le troisième membre du culte que je croise en moins d'une semaine.

Elle en avait assez de s'échapper à toutes les fois qu'elle les croisait, voilà pourquoi elle s'était lancée sauvagement vers l'étrange individu. Cassandra croyait cette dernière, mais il n'y avait qu'un léger pépin en cet instant : il leur fallait rattraper la jument et le chariot au plus vite, sinon cette mission se terminerait en désastre.

La jeune femme finit par retrouver la jument. Celle-ci s'était arrêtée sur la route et broutait de l'herbe. La première chose que la demoiselle fit en embarquant dans le char fut de vérifier l'état du paquet. Elle remarqua qu'il n'avait pas bougé d'un centimètre. Les briques avaient donc été efficaces. Cassandra poussa un soupir de soulagement. Cependant, elle semblait consternée par l'état de l'esprit élémentaire en sa compagnie. Toujours sous la forme d'un arc, l'elfe prit l'arme magique et la plaça devant elle. Windy reprit sa forme animale et s'accrocha au bout des doigts de la demoiselle, bien qu'elle essayât de ne pas l'écorcher.

Cassandra jugea qu'il lui serait préférable de se trouver des gants en cuir. Elle pourrait facilement s'en acheter en ville. Cependant, elle demanda :

— Comment se fait-il que tu aies reconnu mes préférences de combats ?

Elle examina Windy de plus près.

L'oiseau cligna des yeux et pivota la tête d'un côté et de l'autre avant de lui répondre :

— Au contact de nos porteurs, on arrive à lire les dernières pensées qui circulent dans leurs têtes. C'est une forme de télépathie tactile. Nos âmes sont liées lorsque nous sommes avec eux... ou plutôt, vous. Normalement, tu devrais être capable de te souvenir de certains moments de mon passé d'ici peu.

Windy n'avait pas tort. Des images étranges commençaient déjà à déferler dans le subconscient de Cassandra. Elle s'imaginait en oiseau de proie, chassant des vermisseaux et des lémuriens dans les bois, ainsi que des mulots et des insectes. Puis, elle voyait ces images dans lesquelles elle était pourchassée par d'étranges individus recouverts de capes. Elle tenta de chasser tout ça de son esprit, puisque ça lui donnait une nausée. Nash et Shayne avaient-ils vécu la même chose ?

— Je crois comprendre, maintenant, dit-elle.

— C'est un lien qui facilite notre relation avec celles et ceux qui nous protègent. Ils comprennent ensuite d'où nous venons et nous pouvons leur apporter de l'aide en fouillant un peu dans leurs souvenirs. Nous communiquons aussi par la pensée avec eux lorsque c'est nécessaire. Cependant, il est préférable que nous soyons à portée de main en tout temps, sous notre forme d'arme ou d'accessoire. Cela nous permet de renforcer les liens... Enfin, c'est ce qu'on m'a enseigné à ma création.

Cassandra aimerait toutefois comprendre la signification des rêves qu'elle avait eût à de nombreuses reprises. Ces derniers étaient-ils reliés à cette crécerelle ?

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Windy ajouta :

— Afin de trouver nos porteurs, nous essayons de les contacter à travers les rêves. Il est plus facile de communiquer avec un esprit endormi qu'un esprit éveillé. C'est comme ça que nous arrivons à vous localiser plus facilement. Hélas, c'est aussi de cette façon que les membres du culte arrivent à nous retrouver. Ils semblent connaître cette méthode depuis aussi longtemps que nous.

Les rêves ont donc une signification divine pour les esprits élémentaires... Voilà qui est intéressant, pensa la jeune femme.

Elle scruta l'horizon pendant un moment, avant de répondre :

— De là où je viens, on m'a souvent dit que les songes représentaient un fragment du monde de l'au-delà.

Windy hocha la tête.

— C'est plus ou moins le cas, à vrai dire, déclara l'animal. Nous avons tous été créés à partir des rêves de notre mère, la Déesse Athéna.

— Et ces rêves se sont matérialisés dans notre monde, si je me souviens... C'est ce qui était écrit dans la bible des athéniens.

— C'est exact ! Nous avons par la suite été chargés de protéger les races et les continents en son absence et nous avons erré durant de nombreuses années. Généralement, nous prenions la forme d'objets inanimés lorsque nous devions passer inaperçus, d'autres fois, nous étions sur la route. À une certaine époque, on avait tenté de nous utiliser pour conquérir les terres des autres nations et c'est pour cette raison que nous nous sommes absentés pendant plusieurs siècles. Ceux que nous avons crus être nos détenteurs, cette fois-là, n'étaient que des opportunistes. C'était notre erreur de jugement... Heureusement pour nous, nous n'étions pas tous dupes. Plusieurs de mes frères et sœurs ont été tués par le passé, ce qui a affaibli le sceau qui emprisonne Perséphone dans l'au-delà. C'est aussi pour cette raison que les membres de son culte sont de plus en plus violents et déterminés à nous retrouver.

— Donc il est de notre devoir de vous protéger, si j'ai bien compris. C'est ça le fardeau des porteurs... Je comprends mieux à présent. Notre devoir est de préserver votre espèce coûte que coûte... Hm...

Les mythes que Cassandra avait connus stipulaient que la Déesse Perséphone serait libérée le jour où le sceau serait assez faible pour être brisé. Elle se demandait combien de temps, il leur restait avant qu'un autre esprit élémentaire soit tué. Chacune de leur mort renforçait les pouvoirs de cette dangereuse entité, considérée comme l'ennemie jurée d'Athéna. Cassandra croyait autrefois que les histoires de la bible n'étaient que des récits exagérés, qu'Athéna et Perséphone étaient probablement de simples sœurs en dispute et que les religieux avaient tout compris de travers. Depuis toujours, on lui avait enseigné de tout prendre ce qu'on lui disait avec un grain de sel, c'était aussi ce qu'elle avait fait en rencontrant Windy.

Cassandra ne paniquait que très rarement. Elle pouvait encaisser encore et encore jusqu'à ce qu'elle explose de rage ou bien de larmes. Elle ne se sentait ni anxieuse, ni perturbée en présence de l'animal. Elle avait déjà rencontré Dia et Nox, comme elle l'avait expliquée plus tôt et elle était déjà sensibilisée à leur cause. Néanmoins, elle se sentait insignifiante et légèrement embarrassée à l'idée d'avoir été choisie comme l'une des porteuses de ces armes. Elle, qui n'était pas une athénienne.

— Je ne comprends pas vraiment pourquoi on m'a choisie, mentionna-t-elle à l'oiseau. Je ne vois pas ce qu'Athéna en moi, moi qui ne pratique même pas sa religion.

— Ce que tu as fait pour moi depuis quelques minutes est la raison pour laquelle ma créatrice voulait que tu me protèges, dit l'oiseau. Elle a vu en toi une âme pure et a compris que tu saurais prendre soin de moi. Si tu veux que je parte, je comprendrai...

— Non... non ! Ne dis pas des sottises ! Il est hors de question que je te laisse seule face aux membres du culte. Tu seras en sécurité avec moi, c'est promis. Je ne laisserai personne te faire du mal.

Windy gloussa et commenta :

— Dans ce cas, je te fais confiance.

Cassandra rougit. Elle en avait presque oublié son autre mission. Alors, elles reprirent la route avec la jument.

— Vous retrouver n'était pas si difficile que ça, expliqua Windy. Je n'avais qu'à suivre les traces de Nox et Dia à travers la forêt. Vos derniers combats ont laissé des traces un peu partout. J'ai cru comprendre que vous vous dirigiez vers une communauté de fermiers, pas vrai ?

Cassandra approuva et dit :

— Nash et Shayne sont de chics types. Dia et Nox s'entendent bien avec eux, jusqu'à présent. J'ai cru comprendre que Dia a été prisonnière d'une grotte souterraine pendant plusieurs années avant qu'on la retrouve.

— C'est bien ma sœur, ça ! soupira la crécerelle. Elle a tendance à se retrouver dans des situations vraiment embarrassantes... puis elle disparaît du jour au lendemain sans qu'on comprenne pourquoi. Elle n'a pas de chance, cette pauvre fille.

— Quelque chose me dit que tu aurais été mieux avec Nash et Shayne. Ils sont beaucoup plus expérimentés que moi pour les combats.

Calmée de son dernier combat, l'élémentaire du vent déplia ses ailes et prit son envol au-dessus du chariot afin de profiter de cette occasion pour se dégourdir.

— Je pense que tu te sous-estimes ! lança l'animal au-dessus Cassandra.

— C'est aussi ce que je me dis. C'est une seconde nature chez moi. Je n'ai jamais réellement eu confiance en mes propres capacités. Mon père me dit souvent que je suis trop modeste... Il est rare que je me sente bien dans ma peau lorsqu'on me fait des compliments. Des fois, j'ai tendance à prendre le blâme pour à peu près tout, même si je sais que c'est injustifié de penser de la sorte. Papa m'a souvent répété que je me faisais du souci pour rien, quand j'étais gamine. C'est sûrement pour ça qu'aujourd'hui, je suis capable d'analyser tous les petits détails qui m'entourent.

— Ton père adoptif, c'est l'homme-tigre que j'ai vu dans ton esprit, pas vrai ? dit l'oiseau, sur un air léger. Rappelle-moi de ne pas m'en approcher, hein ? J'ai peur qu'il veuille me manger.

— Oh, rassure-toi, Windy ! Il n'est pas du genre à manger les animaux de compagnie du monde, surtout s'ils sont octroyés de paroles.

L'oiseau flotta au-dessus de la calèche légèrement et chercha un endroit où s'accrocher. Elle battit des ailes avant de mettre ses griffes dans la bordure métallique qui reliait le toit de la voiture au reste du véhicule. Cassandra lui offrit alors son épaule où l'animal bondit et essaya de ne pas enfoncer ses serres dans la chaire de la jeune femme. Au contact, elle se transforma en arc.

— Pour le moment, il vaudrait mieux que je reste sous cette apparence... dit Windy. Ce véhicule n'est pas approprié pour moi. Comme arme, je te serai plus utile.

— Rappelle-moi de m'acheter des gants lorsque nous arriverons à Osbourg. Nous risquons d'en avoir besoin pour les mois à venir.

— Très bien. J'essaierai de m'en souvenir.

Cassandra jeta un coup d'œil en arrière de son véhicule. La capitale n'était plus à portée de vue. La jument l'avait déjà conduite de plusieurs kilomètres. D'ici à un quart d'heure, la température commencerait à changer et deviendrait un peu plus chaude, ce qui leur indiquerait que le désert ne serait plus très loin. Les dunes s'étendaient vers le nord du continent et on y retrouvait des oasis à quelques endroits et plusieurs ossements de créatures étranges.

Au milieu de ce désert, on avait construit une grande ville à partir des ossements trouvés, on l'avait appelé Osbourg. Cette ville était aussi située près d'une grande mine où l'on pouvait trouver plusieurs gisements de pierres précieuses que l'on pouvait raffiner afin d'en faire des bijoux et les revendre un peu partout dans la province. Le reste des gisements contenaient une huile combustible que les gens revendaient pour allumer des lampes ou bien des poêles, un peu partout dans la république. Bref, cette communauté du désert était très importante pour l'économie et c'était pour cette raison qu'on y envoyait souvent des soldats et des brigadiers pour y faire des patrouilles, ainsi que divers achats.

Au sud du désert, on pouvait y trouver une vaste jungle qui s'étendait jusqu'aux plaines baldtiennes. Cette section était peu fréquentée, mais on pouvait y trouver de la végétation exotique et des bêtes sauvages qui préféraient les endroits chauds et humides. Cassandra avait entendu parler de la plupart de ses fruits quand elle avait discuté avec certains voyageurs. Certains racontaient qu'ils étaient excellents. En tant que végétarienne, elle aimait toujours essayer de nouveaux produits de la nature. Peut-être qu'un jour, elle tenterait sa chance dans cette jungle et qu'elle partirait faire une cueillette improvisée ? Elle n'avait jamais vu un véritable bananier de toute sa vie. Apparemment, la plupart de ces plantes poussaient là-bas. Pour le moment, elle devait se concentrer sur un tout autre objectif.

Plus on descendait dans le continent, plus il faisait froid. La Grande Aeglysienne, telle qu'on l'appelait, était l'un des endroits où la faune et les températures variaient le plus. D'ailleurs, la république de Baldt était populaire chez les voyageurs qui désiraient vivre différentes expériences régionales justement pour ces faits.

Tel que prévu, l'air commença à se faire chaud.

On arrive bientôt, songea Cassandra.

Quelques minutes plus tard, sur la route, elle vit les dunes dorées paraître derrière les collines. Bientôt, il lui faudrait trouver un sentier assez stable pour que la jument puisse tirer leur voiture, car il n'était pas rare que des tempêtes de sables effacent les routes dans ces hauteurs. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'elle n'atteigne Osbourg. La jeune femme avait plus que hâte de livrer ce colis afin d'en finir. Elle commençait à craindre que celui-ci ne se soit brisé sur la route. Elle ignorait de quel dessert il s'agissait, mais elle espérait que le maire du village serait satisfait pour les labeurs du pâtissier et cette livraison des plus... troublantes.

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