16. La détresse d'une guerrière
Misaki n'était pas restée dans la salle des serviteurs. Elle s'était sentie inutile. Pour cette raison, elle s'était éloignée discrètement du groupe pendant les recherches et s'était dirigée à l'auberge. Les gens n'avaient même pas remarqué sa présence lorsqu'on avait annoncé la mort du conseiller et qu'elle s'était rapprochée des autres.
C'était le désordre là-bas. Elle jugea qu'elle n'avait pas sa place dans cette enquête. Pourtant, elle trouvait étrange que ce meurtre ait été accompli pendant qu'elle explorait les sous-sols. Peut-être avait-il eu lieu avant, qui sait ? Sûrement, on avait tué Marcus avant dix-neuf heures, car c'était durant ce temps où elle s'était faufilée aux sous-sols.
Au crépuscule, elle avait remarqué qu'il y avait peu de gens dans l'établissement. Mais qui donc était responsable de ce massacre ?
Alors qu'elle entrait dans sa chambre, à l'auberge, Misaki remarqua que certains objets avaient été déplacés. La fenêtre était grande ouverte, les rideaux tirés, les draps sur le lit avaient été fripés et sur la table de chevet se trouvait une note qui lui était adressée. Il y avait un couteau planté au milieu. Elle referma la porte et s'approcha de la note après avoir allumé sa petite lampe, sur la table.
Elle lut ce qui suivit :
M.
Ne perds plus ton temps, nous avons décidé de saisir la capitale par la force. Ce soir, nous avons décidé d'envoyer un message au Conseil, en tuant l'un des leurs. D'ici à une semaine, nous allons employer la manière forte pour leur faire comprendre que nous n'accepterons plus leur ignorance, leur négligence et leur mépris envers nous, les pauvres gens. Il est temps pour nous de réclamer nos terres. Attends-nous et rejoins-nous lorsque le temps sera venu. Je t'aime.
Y.
PS : Détruis ce message dès que tu le pourras.
Misaki poussa un grognement de dégoût et froissa le message dans ses mains. Elle n'en revenait pas. Daichi avait donc décidé de passer à l'attaque sans plus attendre. Au départ, il comptait envahir la capitale en réduisant le nombre de victimes si possible. Mais voilà des années qu'ils luttaient contre le président, qui ne répondait jamais à leurs demandes et qui les traitaient comme de la vermine. Même s'ils n'étaient plus des sans-abris avec leur nouvelle communauté, ils vivaient quand même dans la misère et cela, les membres de la rébellion ne pouvaient plus l'accepter. Misaki avala sa salive et se laissa tomber sur le lit auquel elle avait déjà passé plusieurs nuits. Son cœur se mit à battre rapidement. Elle se sentait au bord de la panique.
— Ne me dis pas que tu as des sentiments pour ces gens, Misaki ! pensa-t-elle. Tu savais bien que tôt ou tard, il te faudrait les trahir !
Mais pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Ce n'était pas comme si elle s'était attachée au peuple de Baldt... Mais il était vrai que gens de sa brigade avaient été gentils avec elle. Aussi, le Conseiller Doyle n'avait pas mérité un tel châtiment. Ce dilemme la paralysa pendant un instant.
Tout d'abord, elle devait penser à Yosuke et sa fille... Ensuite, elle se souvenait des gens de la rébellion qui avaient tout perdu à cause de la cruauté et la négligence du Conseil. Elle n'oubliait pas qu'ils avaient tous perdu leurs terres, en plus d'avoir été pillés et envahis par les monstres. Les brigades n'étaient jamais venues les sauver, même si la plupart de leurs territoires avaient été annexés à la république depuis longtemps. Misaki et son groupe avaient dû apprendre à se défendre, eux-mêmes.
Qu'en était-il des derniers survivants de son île ? On racontait aux quartiers généraux de la rébellion, que quelques personnes avaient survécu et qu'elles avaient décidé de tout reconstruire avec le peu de ressources qui leur restaient. Cependant, l'alliance des rebelles continuait toujours de se battre, afin de faire reconnaître leurs droits au gouvernement de la république.
Misaki soupira tandis qu'elle se rappelait le soir où elle avait pris la fuite de son île, avec Yosuke. Il y avait des barbares et des monstres, un peu partout qui avaient saccagé son village natal. Ils avaient abattu presque toute sa population, sauf quelques braves survivants qui avaient refusé de partir avec le groupe de Daichi.
Quelques années plus tard, Misaki avait fini par passer au-dessus cette épreuve difficile, et elle s'était rapidement attachée à Yosuke. Ensemble, ils avaient conçu Sakura. La jeune femme n'avait pas décidé de rejoindre l'armée de Baldt simplement parce qu'elle comptait se venger. Au contraire, elle souhaitait plus que tout protéger ses semblables, ainsi que sa fille qui n'avait jamais connu une vie meilleure.
Misaki ne pouvait pas blâmer Nash et le reste de sa brigade pour la négligence que son peuple avait subie. En même temps, elle ne se souvenait presque plus des événements de son enfance...
Elle revoyait encore le visage horrifié de Gretta, en deuil de son mari, et se sentit comme si on lui plantait un poignard dans le cœur. Et si les rôles avaient été renversés ? Et si on avait tué Yosuke, la laissant seule pour élever Sakura ? Un frisson lui parcourut le dos. Ces pensées l'horrifiaient.
— Je dois me faire forte et prendre une décision, pensa la guerrière qui se leva pour aller refermer la fenêtre et les rideaux. Je vais être dans un sale pétrin, peu importe ce que je décide de faire... J'ai intérêt à trouver une solution et vite.
Elle s'éloigna ensuite aux toilettes rattachées à sa chambre et sortit un briquet avec lequel elle alluma le rouleau de papier froissé dans le lavabo. Pendant que le bout de papier prenait feu, elle fit couler de l'eau du robinet afin d'étancher les flammes. Il ne restait plus que des cendres de ce message maudit... une note qui venait de lui faire réaliser à quel point les choses allaient bientôt changer pour elle... et probablement pour la république.
¤*¤*¤
Au réveil, Nash se dirigea au bureau administratif accompagné de son frère qui avait à peine dormi cette nuit-là.
Artael avait reçu le compte rendu de la mission de Kritz, avant que Marcus Doyle ne soit assassiné. Il n'avait pas eu le temps de voir son frère, afin de lui en parler. Le conseiller était toujours agité par les événements de la veille. L'écroulement de l'église de Kritz ne l'aidait pas du tout. En plus, il était sans nouvelles du groupe des religieux, parti en voyage pour répandre la bonne parole. Il craignait qu'avec toutes ces agitations, les pèlerins se soient fait attaquer par des monstres ou des brigands.
Nash ne portait que ses vêtements de civil pour rencontrer son frère. Il avait envoyé son armure en cuir et sa cape en réparation chez un artisan. Il allait faire rembourrer ses bottes, puisque la température commençait à se faire froide. Il portait une chemise blanche et un jean foncé, avec Dia, attachée à sa ceinture. Elle ne le quittait plus depuis qu'il l'avait trouvée.
— Quelles sont les nouvelles de ce matin ? demanda Nash, qui s'installait au siège devant le bureau de son frère aîné. Les coroners nous ont-ils contactés ?
— Pas pour le moment, répondit Artael. Mais Mademoiselle Appleseed a passé toute la soirée à examiner la scène du crime et à rechercher des indices sur le corps. Nous espérons avoir des résultats bientôt. Pour le moment, j'ai d'autres nouvelles qui risquent de ne pas de plaire aux gens de la capitale.
— Quoi donc, mon frère ? Que se passe-t-il ?
— C'est en rapport avec les gens de la rébellion. L'un de leurs représentants a laissé une note, collée à la porte du bureau de notre président. On l'a trouvée, ce matin. Ils disent qu'ils ont envahi Xu Fahn et réquisitionné plusieurs de nos marchandises... Cela inclut de nombreux produits importés d'outre-mer et les nôtres.
— Ne me dis pas qu'ils ont enfin décidé de passer à l'action, ceux-là...
— C'est le cas. Père m'a ordonné de préparer au moins trois brigades, afin d'aller porter secours aux habitants de Xu Fahn. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, car la population de Baldt est encore secouée par les événements d'hier. Et envoyer nos troupes serait une déclaration de guerre envers la rébellion, ce qu'il faut éviter.
— Qu'en est-il des réparateurs que nous devions envoyer à Kritz ?
— Pour le moment, nous devons nous concentrer sur Xu Fahn. Leur ville est beaucoup plus en danger que la leur.
Nash fit non de la tête.
— Ils sont tous aussi en danger que les xu fahniens, déclara-t-il.
Il fronça des sourcils et croisa les bras.
— Ils vivent près des montagnes dans lesquelles résident les rebelles, ajouta celui-ci. Si nous ne faisons rien pour eux, ils risquent d'y passer aussi. Il nous faut envoyer des réparateurs là-bas ainsi que nos soldats, sinon je ne peux pas te promettre qu'ils survivront à une nouvelle embuscade.
Artael se prit le front d'une main ; il réfléchissait à un plan d'action. Nash avait raison, mais leurs troupes avaient été réduites après toutes les réductions budgétaires des derniers mois. Les pertes qu'ils avaient connues dernièrement, ne les aidaient pas du tout. À cause des dégâts de certaines missions, on ne pouvait plus prendre de risque, sans d'abord consulter le Conseil. Le conseiller ne pouvait pas compter sur Troyd, ni sa brigade. Ces derniers étaient peu désirables pour ce genre de tâche.
Peu importait la décision que leur gouvernement allait prendre, le président insisterait comme toujours d'envoyer son fils adoré sur le champ de bataille. Il avait même fait sortir ce dernier de prison, au moment même où Artael l'avait mis en cellule. Virgile en avait profité pour sermonner le plus jeune des jumeaux, qui devait protéger son frère aîné, plutôt que de toujours le rabaisser. D'après leur père adoptif, il s'attendait de voir le tyran prendre sa place, l'un de ces jours.
— Tu parles, s'était dit Artael. Troyd ne sera jamais capable de gérer notre république. Il mourra avant d'être élu président.
Virgile était bien trop incompétent pour se rendre compte que son fils n'apporterait que désastres sur désastres. Il détruirait le régime actuel rien que pour le remplacer par un nouveau système discriminateur envers la gent féminine et les minorités tels que Flint et Gabriel. Déjà qu'il était l'une des principales sources de problèmes à la capitale, on n'avait pas besoin de lui aux commandes. Baldt méritait mieux.
Artael songeait de plus en plus à se présenter comme candidat aux prochaines élections. Il comptait changer les choses et se débarrasser des gens comme son frère jumeau. Avec la façon dont le président gérait le pays actuellement, le conseiller en avait beaucoup sur la conscience, au quotidien. Il devait faire en sorte que tout se passait bien pour les gens de la ville et ses environs. C'était pour cette raison qu'il se chargeait d'une bonne partie des brigades, lorsque les membres du Conseil n'arrivaient pas à prendre certaines décisions. Il prenait plusieurs initiatives pour les sortir du pétrin et on le remerciait ensuite d'agir ainsi.
Son père adoptif et lui était de moins en moins d'accord sur la manière de gérer les affaires et ces tensions se faisaient ressentir chaque jour. Malgré cela, Artael était reconnu pour être un homme de confiance parmi une poignée de conseillers. Virgile était celui qui prenait souvent les décisions lors de certains débats, mais cela ne voulait pas dire que ses collègues de travail étaient d'accord avec lui.
Les décisions d'Artael avaient fait en sorte de régler bien des conflits, mais il était impossible de calculer, selon lui, le nombre d'imprévus auxquels ils devaient faire face à tous les jours. Voilà pourquoi il avait adopté la philosophie d'une journée à la fois, tentant de trouver un moyen de satisfaire tout le monde, avec les quelques conseillers qui l'appuyaient dans ses démarches. Les autres avaient trop peur de décevoir le président, alors ils essayaient de demeurer le plus neutre possible.
On cogna à la porte du bureau.
La secrétaire annonça que Misaki Megumi désirait le rencontrer en personne. Nash avait haussé un sourcil quand il avait entendu le nom de sa partenaire. Il comptait rester, curieux de savoir ce qu'elle voulait. Artael se dressa devant son pupitre et jeta un coup d'œil par-dessus son frère cadet. Que pouvait bien lui vouloir Misaki ?
— Faites là entrer, dit le conseiller à l'attention de sa secrétaire.
Il se réinstalla ensuite sur sa chaise.
— Nash, tu peux rester... ajouta-t-il. J'ai l'impression que ça concerne ton groupe...
Un instant plus tard, Misaki entra au bureau et s'assit aux côtés de Nash. Elle était nerveuse et se tordait les mains qui étaient moites. Le capitaine remarqua que ses yeux étaient cernés et qu'elle n'avait probablement pas bien dormi de la nuit.
— Parlez, Mademoiselle Megumi, dit Artael. Je vous écoute. Qu'y a-t-il ?
Elle haussa des épaules rapidement avant de répondre :
— Vous devez d'abord me promettre de ne pas vous vexer... Je dois vous avouer quelque chose de très important et vous devez m'écouter jusqu'à la fin de mon récit.
— Nous ne sommes pas des barbares, si c'est ce que vous insinuez, dit Artael.
Il croisa ses mains devant lui et les posa sur son pupitre.
— Très bien... formula-t-elle, nerveuse.
Elle se gratta le bout du nez.
— Donc, par où commencer... ? poursuivit-elle. Je sens que je vais le regretter...
Artael ordonna à sa secrétaire de refermer la porte derrière l'invitée. Ces confidences seraient probablement importantes, alors il préférait faire en sorte que celles-ci ne sortent du bureau avant qu'il ait tout entendu.
— Je n'ai pas été honnête envers vous lorsque vous m'avez engagé pour devenir brigadière, leur confia Misaki. Je suis... ou plutôt, j'étais... une agente infiltrée... pour l'alliance des rebelles. Mon chef m'a envoyé pour trouver des entrées par lesquelles notre armée improvisée pourrait infiltrer la ville et la conquérir... Ils ont planifié d'envahir la capitale dans quelques jours, mais je ne pouvais pas les laisser faire, les bras croisés... Ce qu'ils comptent faire est dangereux... sans compter que c'est du suicide pour la plupart d'entre eux qui ne savent même pas se battre.
— Je me doutais bien que tu nous cachais quelque chose, soupira Nash qui secoua la tête. Nous sommes tombés dans le panneau.
Misaki regarda son capitaine et afficha une expression désolée. Il était déçu, mais elle ne décelait aucune colère dans son regard.
— Je sais... et j'en suis sincèrement désolée... soupira-t-elle. La victime d'hier a été tuée par l'un de nos meilleurs assassins. C'est une façon de vous dire qu'ils vous déclarent la guerre.
Artael était conscient que la rébellion en cours était entièrement la faute de son père adoptif. Tous les responsables de la capitale savaient que les rebelles en avaient marre d'être ignorés par le Conseil. Tous ces gens étaient autrefois des sans-abris, des victimes de nombreux raids de monstres et de brigands ou bien des gens peu fortunés qui ne pouvaient pas survivre en raison des taxes ou du manque d'emplois.
Les rebelles s'étaient réfugiés dans les montagnes, où les terres n'étaient pas taxées ; où ils pouvaient se reconstruire. Seulement, il était très difficile de cultiver les terres dans cette région montagneuse. Il n'y avait que Kritz qui possédaient de belles plaines, ainsi que la ferme de Gretta, qui étaient utilisées pour toute la région. Le reste de leurs fruits et légumes était importé de Lanartis ou même de Mytira. Très peu de gens osaient s'aventurer à l'extérieur de leurs communautés, car les plaines étaient infestées de monstres. Kritz avait quand même plusieurs patrouilleurs qui y circulaient quotidiennement, donc ils n'avaient pas peur de perdre leurs récoltes.
Les conseillers n'avaient pas assez de fonds pour venir en aide aux gens de la rébellion et ne pouvaient pas reconstruire leurs villages détruits. Ils n'avaient pas assez d'ouvriers pour travailler partout dans la province. La qualité de vie des rebelles n'avait fait qu'empirer durant les derniers mois, au point qu'ils commençaient déjà à envahir les plus petites communautés de la région.
Virgile pourrait simplement se montrer plus clément et modifier leur budget, mais il ne le faisait pas. Il assistait surtout le Conseiller Tabris dans ses recherches scientifiques et dépensait beaucoup d'argent pour améliorer l'équipement de l'armée. Virgile prétendait qu'on ne pouvait jamais être trop prudent, en cas d'éventuelles invasions. Un autre pourcentage du budget était utilisé dans les soins médicaux de la population de cette ville et aussi dans l'électricité dont tous les habitants de la capitale se servaient depuis des années.
Si le président avait été plus enclin à collaborer avec ses conseillers, le Conseil aurait probablement pu négocier avec les victimes de cette rébellion. Pour le moment, Artael et celles et ceux qui pensaient comme lui, étaient dans une impasse.
Artael pensait à toutes les recherches scientifiques dispendieuses de Randell et se demandait si elles étaient si nécessaires que ça, en ce moment.
Et il y avait Troyd, qui recevait des fonds supplémentaires de la part de son père. Au lieu d'investir tout cet or dans l'armée, Troyd préférait s'en servir pour des besoins personnels ; tels que l'alcool, se payer des escortes ou même jouer dans des casinos clandestins de la ville. Heureusement, Artael concentrait tous ses efforts à ce que l'armée et les brigades ne manquent de rien.
La majorité de leurs richesses passait donc par Virgile, Randell et Troyd. Tout cela était très nombriliste de leur part, même s'ils s'en fichaient éperdument.
Alors qu'elle tremblait comme une feuille, Misaki continua son histoire.
— Je vous jure, sur la tête de mes ancêtres, jamais, je n'ai voulu qu'ils s'attaquent à Marcus Doyle ! poursuivit cette dernière. Je leur avais pourtant déconseillé d'employer une méthode létale pour combattre votre système injuste... Cependant, ils sont maintenant prêts à tout pour semer la panique dans la république. Notre assassin avait reçu l'ordre de tuer n'importe quel conseiller au hasard. Ç'aurait pu être vous, Monsieur Markios ! Lorsque j'ai réalisé qu'ils avaient décidé de passer à l'action, il était trop tard... J'ai le sang de cet homme sur les mains puisque je suis l'une des leurs... Mais j'ai ma fille... Sakura, qui est avec eux et mon mari... Je suis prise au piège. Je ne sais plus vers qui me tourner face à un tel dilemme ! Ces gens veulent une guerre et moi, je ne veux que la sécurité de ma fille !
Misaki était en larmes, elle expliqua ensuite à Nash et Artael, dans la rage et la peur, comment elle avait rejoint l'armée des rebelles, quelques années plus tôt. Elle leur raconta aussi comment elle était tombée sous le charme de Yosuke et qu'elle avait conçu un enfant avec lui. Elle leur dit toutes les misères qu'ils avaient vécues depuis que leurs villages avaient été attaqués par des pillards et des démons.
— Yosuke et moi, on a survécu des années aux côtés de Daichi, le chef de notre groupe et graduellement, d'autres gens infortunés ont fini par s'ajouter à notre groupe... déclara-t-elle. Finalement, on s'est tous regroupés dans les montagnes au sud de la province, et c'est là-bas que nous avons formé nos quartiers généraux. Tout ce que je voulais, c'était passer du bon temps avec ma famille et laisser toutes ces tragédies derrière nous... Mais Daichi en a décidé autrement. Lui et le reste de notre alliance ont décidé de passer à l'action et de mettre un terme au régime gouvernemental de la république... La plupart d'entre nous pensent que les élections sont truquées et qu'elles doivent changer...
— Voilà qui explique le troll des montagnes dans les bois, remarqua Nash qui repensa à leur confrontation de l'autre jour.
— Je sais, c'est en partie notre faute, soupira Misaki. Les créatures montagneuses n'ont pas aimé qu'on s'installe chez eux et depuis notre arrivée là-bas ; ils ont commencé à migrer en dehors de leurs terres initiales. Ce monstre devait sûrement être l'une d'entre elles. Si ça se trouve, le simple fait que nous vivons dans les montagnes a causé la destruction de tout un écosystème.
Misaki commençait à avoir la gorge sèche et se la racla à quelques reprises. Artael lui passa sa gourde d'eau. Après avoir pris une gorgée, la guerrière rougit timidement, puis remercia le conseiller.
— Malheureusement, les élections ne sont pas truquées, dit Artael. La population vote sans arrêt pour Virgile, car sa façon d'agir leur convient... Cela fait plusieurs fois que je tente de faire voter une loi comme quoi, il serait impossible de faire plus de huit ans de présidence d'affilée... Malheureusement, le Conseil vote toujours non, chaque fois que je ramène le sujet. Comme tu peux le voir, toutes les décisions prises à la république passent par le Conseil et tant qu'ils mangeront dans la main de cet homme, nous devrons endurer ce système...
— Ouais, mais il n'y a pas de justice pour les miens ! grogna Misaki.
Elle donna un coup de poing sur le bureau d'Artael avant de formuler :
— Vous ne vous rendez pas compte à quel point votre Conseil ne fait qu'exploiter les honnêtes gens, rien que pour enrichir ses putains de poches ?! Pendant ce temps, ma famille et moi, on crève de faim, alors que votre ville est remplie de richesses ! Vous vous prenez pour des dieux, ou quoi ?! Vous êtes les plus riches de cette nation ! Essayez de vous mettre à ma place, deux secondes !
— Je sais... déjà tout ça, soupira Artael. Nous sommes sans issue.
— Mais... mais c'est en train de faire de ma vie un enfer ! En plus de ça, des innocents vont perdre leurs villes à cause de mon alliance... Je suis en train de perdre la tête ! S'il vous plaît... Faites quelque chose... Aidez-moi... Je vous en supplie...
Lorsqu'elle eut terminé son histoire, Misaki fondit en larmes une seconde fois et prit les mouchoirs que lui offrit son capitaine.
Artael se releva, puis se dirigea vers la fenêtre de son bureau avant d'y jeter un regard à l'extérieur. Il avait besoin de réfléchir un peu à tout ce qu'il venait d'écouter durant les dernières minutes. Misaki ne semblait pas être une mauvaise personne, alors il serait inutile de la dénoncer au président et de l'emprisonner... Même qu'une idée commençait à germer dans la tête du conseiller, pendant qu'elle essuyait ses larmes. La jeune femme évita l'œillade de son capitaine.
Artael finit par se tourner vers la guerrière et retourna s'asseoir à son bureau. Il fallait trouver une solution à ce problème et ce n'était pas à travers le Conseil que les choses s'arrangeraient. S'il voulait changer les choses, il n'avait pas d'autre choix que d'y aller de sa propre initiative.
— La mort de Marcus Doyle est un regrettable incident, commenta-t-il. Il n'est en aucun cas lié à votre identité. Vous n'avez fait que suivre les ordres de votre chef en rejoignant nos rangs. Je reconnais que ce que vous avez fait serait considérable d'une peine en prison à perpétuité, mais je ne suis pas mon père et je ne suis pas mon frère. Vous venez de nous faire gagner du temps et surtout de nombreuses vies. Bref, vous venez de me convaincre que...
— Ma fille... coupa Misaki. Mon bébé...
Elle sanglotait à n'en plus finir.
— Ne vous en faites pas pour votre enfant, dit-il. Nous n'avons pas l'intention de tuer qui que ce soit... Enfin, pas de mon côté. Croyez-vous qu'il est encore possible de négocier avec celui qui dirige vos troupes ?
— Je... Je l'ignore, Monsieur Markios.
— Je ne désire pas cette guerre civile, tout comme vous, mais il est très important pour nous d'essayer de discuter avec votre supérieur.
Légèrement agacé, Nash ne pouvait quand même pas s'empêcher d'exprimer son inquiétude, lorsqu'il se tourna vers Misaki.
— Tu aurais pu nous en parler plus tôt, non ? dit-il.
— Je... Je ne voulais pas nuire à notre brigade... Je...
— Tu ne voulais pas t'attacher à tes ennemis, c'est ce que tu essaies de me faire comprendre, n'est-ce pas ?
— Oui... Enfin... Non... Je ne sais pas... Tout est si confus... Je ne vous déteste pas, toi et les autres... Pourtant, j'en veux à votre république de nous avoir malmenés depuis tout ce temps... Ce n'est pas notre brigade que je déteste... Je veux simplement que ça change pour celles et ceux qui font partie de mon organisation... J'en ai marre de les voir souffrir sans pouvoir agir légalement... Chaque fois qu'on a essayé de communiquer avec Virgile, il a refusé de nous entendre ou bien ne prenait pas nos problèmes au sérieux.
— Je comprends, répliqua le capitaine.
Artael tapotait ses doigts à son pupitre. Il réfléchissait aux plans d'actions... Comment devraient-ils étouffer l'affaire du siège de Xu Fahn, en plus de Kritz qui était aussi menacé de se faire envahir ? Il devait agir et vite. Aussi fallait-il organiser une équipe, pour aller négocier avec le chef des rebelles.
Il se leva et fit les cents pas dans la pièce, alors que Nash et Misaki gardaient le silence. Ce fut le capitaine qui lui fit une proposition :
— Pourquoi ne pas nous envoyer, ma brigade et moi, à Xu Fahn ? Nous pourrions infiltrer leur ville en nous faisant passer pour des civils. On cachera nos armes dans une voiture. Cela réglerait un problème pour toi et nous donnerait l'occasion de discuter de toute cette histoire, sur la route.
Le conseiller hocha la tête. Il pourrait facilement envoyer quelques soldats vers Kritz avec des ouvriers, afin de garder un œil sur le village des fermiers. Il leur faudrait aussi trouver quelqu'un pour localiser le chef des rebelles et un autre groupe dans le but de l'escorter à lui. Il se gratta les tempes et médita sur ce qu'il ferait par la suite.
— Très bien Nash, dit-il. Prépare ton groupe et partez en mission à Xu Fahn. Soyez prudents. Faites-vous passer pour des marchands, trouvez de la marchandise pour camoufler votre équipement et tentez de protéger leurs citoyens. Durant la nuit, j'enverrai des soldats à votre secours.
— Que ferons-nous pour le reste ? ajouta le capitaine.
— Laisse-moi discuter de tout ça avec les conseillers qui me sont fidèles. Il ne faut pas que notre père envoie Troyd régler tout ça avec la violence. Tu sais à quel point cette ordure adore guerroyer. Il nous faudra agir rapidement et dans l'intérêt de tous. Évitons de verser le sang, avant qu'il ne soit trop tard.
Misaki se mit à rougir, embarrassée. Elle fut soudainement emprise du charisme et des paroles rassurantes du conseiller. Elle n'en était pas amoureuse, mais commençait à l'admirer. Il avait l'air de quelqu'un qu'elle pourrait suivre à travers les pires situations... Il semblait beaucoup plus diplomate que Daichi et surtout, beaucoup plus altruiste que leur président. Bien qu'elle regrettât d'avoir trahi l'alliance, son époux et Daichi ; elle abhorrait l'idée d'une guerre civile...
Elle se leva de son siège et s'inclina.
— Vous êtes trop bons pour moi, dit la guerrière. Je suis misérable à voir, Artael. Mais je vous en supplie, aidez-moi à sauver mes amis de la misère. Nous avons besoin de votre aide et davantage de votre générosité. Je vous suivrai jusqu'à la mort s'il le faut, mais il faut absolument mettre un terme à cette folie !
— Ainsi donc vous nous prêtez serment d'allégeance ? demanda Artael, intrigué.
— Tout pour sauver ma famille et ma culture, ainsi que celle des autres !
— Vous savez que vous n'avez pas besoin de m'obéir au doigt et à l'œil, répliqua celui-ci, amusé. Nous sommes une démocratie – du moins, nous étions supposés l'être. Vous êtes libre de rester parmi nous, du moment que vous ne faites aucun mal à personne. Tout ce que je vous demande, de mon côté, c'est de ne plus mentir à personne, ni de cacher la vérité, car cela compterait aussi pour un mensonge. Vous devrez tout avouer aux membres de votre brigade et faire en sorte qu'ils comprennent que ce que vous êtes en train de faire, c'est pour protéger votre famille et vos camarades... Quant aux lois en ce qui concerne votre trahison... Je constate que vous n'êtes pas une menace directe pour notre capitale. Ainsi donc, vous n'irez pas en cellules et personne n'aura besoin de savoir que vous êtes mon informatrice.
Artael prit une courte pause avant de regarder son frère. Il lui dit :
— À moins que tu n'y trouves quelque chose à rajouter ?
— Non, c'est parfait, répondit Nash. Tout ceci me convient. Quand devons-nous partir pour Xu Fahn ?
Le conseiller haussa les épaules.
— Le plus tôt sera le mieux, dit-il. La ville se trouve à quatre heures de route en calèche. Prenez le temps de déjeuner et partez. Vous avez ma permission.
— Très bien, Artie.
Misaki se leva et serra les mains d'Artael dans les siennes. Elle pleurait encore et le remercia du plus profond de son cœur. Un moment plus tard, elle sortit.
Nash suivit cette dernière, mais avant, il jeta un dernier coup d'œil vers son frère.
— Sois prudent de ton côté, dit-il à Artael. Je n'aimerais pas qu'il t'arrive malheur.
Le conseiller approuva d'un hochement, puis salua son cadet.
Lorsqu'il se rendit aux couloirs, Nash vit Misaki qui l'attendait, près de l'entrée des bureaux administratifs. Elle voulait lui parler.
— Qu'y a-t-il ? demanda le capitaine.
Elle rougit légèrement, alors qu'elle essuyait ses larmes.
— Depuis quand on se tutoie ? ajouta celle-ci. T'as commencé à me parler de façon plus familière au bureau... J'ai trouvé ça étrange.
Nash haussa les épaules.
— Ça vient naturellement, il faut croire, dit-il. Cassandra est la seule qui soit encore gênée de m'adresser de la sorte. Ça ne me dérange pas, en fait. Nous sommes habitués, au palais. Tout le monde est très familier, l'un envers l'autre.
— Ah... bon ? dit la guerrière. Je l'ignorais.
Le capitaine hocha la tête, puis salua cette dernière. Il était temps pour lui d'aller parler des nouvelles directives, au reste du groupe.
Quelques minutes plus tard, Artael s'apprêtait à sortir des bureaux administratifs lorsqu'il croisa son fils dans les couloirs.
— Flint ? Ça tombe bien, j'ai à te parler...
— Qu'y a-t-il encore ?
Flint était loin de se douter que son père avait déjà une mission à lui confier. Le jeune homme entra donc avec Artael dans une salle vide, où ils discutèrent en privé.
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