124. Une chute inattendue
Le 18 octobre 3918 AD, un mois après l'attaque mystérieuse à bord du Célestia, l'équipage était finalement arrivé dans le même système solaire où la planète du Saint Royaume existait, près de son astre solaire. L'attaque des clones ne fut pas oubliée pour autant, car quelques personnes avaient succombé à leurs blessures et d'autres avaient toujours de la difficulté à s'approcher des membres de la Septième Brigade.
Flint et ses camarades avaient reçu l'ordre de rester dans l'aile ouest du vaisseau pendant quelque temps, afin que les autres passagers du vaisseau puissent récupérer psychologiquement. Heureusement pour tout le monde, l'ennemi ne les avait pas retrouvés suite à l'embuscade surprise. Ils n'avaient toujours pas découvert qui les avait trahis et donné leurs coordonnées précédentes au Conclave. Peut-être qu'ils ne le sauraient jamais. Ils ignoraient même si le vaisseau était mouchardé. Ils n'avaient rien trouvé qui aurait pu leur prouver le contraire.
— Je n'aime pas ça... je n'aime pas ça du tout... dit Athéna qui observait la planète, depuis la grande fenêtre de la salle de pilotage. Vous ressentez la même chose que moi, n'est-ce pas ?
Entourée de Perséphone, d'Hypnos, de Thanatos et d'Artael, Athéna avait détecté une énergie maléfique qui émanait du Saint Royaume.
— Il est clair à mes yeux que la guerre spirituelle a pris de l'ampleur depuis notre exil, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi glauque, poursuivit la capitaine du vaisseau.
Hypnos passa une main derrière sa chevelure blanche et se tourna vers Athéna. Il vit qu'elle n'allait pas bien, alors il tenta de la réconforter.
— Ne t'en fais pas, Nana, dit-il. Nous mettrons bientôt un terme à cette histoire.
— Ce n'est pas la raison pour laquelle je suis inquiète, soupira son interlocutrice. Je ne suis pas toujours d'accord avec les décisions du Conclave, mais j'espère qu'ils sont toujours sains et saufs. Le Saint Royaume ne s'en remettra jamais sans la présence de leurs chefs. À en juger l'ambiance malsaine qui règne dans ce système, les barrières des enfers n'existent plus. Nous risquons d'arriver au beau milieu d'un champ de bataille.
— Je propose que nous accostions près du château, le centre nerveux de toute cette guerre, suggéra Artael. Inutile de nous cacher, rendus là.
— Et risquer la vie de notre équipage ? fit Perséphone. Hors de question ! Nous devons trouver un endroit sécuritaire pour nous tous et à partir de là, nous infiltrerons la ville. Après les dernières réparations du vaisseau, notre réacteur possède seulement assez de jus pour prendre la fuite jusqu'à Dickens.
Ils ne pouvaient pas se permettre de gaspiller l'énergie qui leur restait. Ils avaient dû en sacrifier beaucoup lors de l'invasion des clones afin de reconstruire les parties endommagées du vaisseau.
— La bonne nouvelle, c'est que l'élément de la création est abondant au Saint Royaume, expliqua Athéna. Du moins, selon mes souvenirs, parce que là, je ne ressens plus tellement de sa puissance...
Aggravée par ce constat, elle s'approcha au panneau de contrôle qui se trouvait devant elle. Elle appuya sur plusieurs commandes et fit apparaître des images holographiques devant les yeux de ses compagnons. Ils pouvaient voir une ville en ruine, où circulaient des démons et des anges déchus. Tout avait été ravagé et incendié. Il n'y avait pas un seul soldat ou civil. Plusieurs dépouilles traînaient aux pieds de ces criminels de guerres.
La princesse se couvrit la bouche afin d'étouffer un cri.
— Oh, je vais être malade... dit-elle, le visage blême.
— Ressaisis-toi, formula Perséphone, avant de claquer sa langue. Ta faction a besoin de toi, plus que jamais. Ne laisse pas ces cadavres te distraire de ton objectif.
— J'aimerais bien t'y voir, toi ! Ça se voit que tu n'en as rien à faire des civils. Est-ce vraiment une bonne idée de te léguer cette planète ?
Athéna s'était tournée vers sa sœur pour la fusiller du regard. Perséphone baissa les yeux au sol. Autrefois, elle se serait moquée de tout ce qu'on lui disait, mais depuis qu'elle côtoyait les membres de cet équipage, elle s'était adoucie.
— Décidément, mon titre de Reine des Enfers ne me convient plus, pensa cette dernière. Je n'ai plus rien d'une reine. Je n'ai plus le choix de l'admettre, Nana serait un bien meilleur choix pour gérer le Saint Royaume. Je devrais lui en parler, quand les choses se seront calmées.
À cet instant, une ingénieure avec qui ils travaillaient depuis des mois, tourna son regard vers la capitaine du Célestia.
— Madame, je détecte un signal de détresse brouillé ! Me donnez-vous la permission d'éclairer tout ça ?
— Allez-y, voyons ce qui en découle.
— À vos ordres !
Curieux, Artael reconnut une voix à travers les bruits statiques du signal. Ils pouvaient tous entendre la voix féminine à travers l'interphone de la cabine de pilotage.
— ... sez... min... core... pouvait-on entendre à la radio.
L'ingénieure finit par arranger le signal et finalement, ils entendirent ce message :
— Attention, attention ! Ne vous posez surtout pas près du palais ! Peu importe qui entendra ce message, faites demi-tour. Tout est perdu. Venir nous aider serait du suicide ! Passez votre chemin, pendant qu'il en est encore temps ! Tous les membres du Conclave ont été assassinés et l'ennemi s'est emparé de notre palais, ainsi que toutes nos ressources. Ce message sera répété. Attention, attention ! Ne vous...
Athéna soupira et ordonna à la jeune femme de fermer l'appareil. Elle avait reconnu la voix de sa sœur, Artémis qui avait envoyé un signal de détresse dans l'espace. Cette dernière devait sûrement faire partie de la résistance.
— Était-ce qui je pense ? questionna Perséphone. Toujours vivante, celle-là ?
Athéna hocha la tête avant de s'adresser à ses collègues.
— Artémis et son frère Apollon sont des membres importants de notre armée. Je suis certaine qu'ils sont toujours vivants. S'ils ont laissé ce message, c'est qu'ils savaient que nous arriverions tôt ou tard au paradis.
— Ils disent que tout est perdu, devrions-nous les croire ? mentionna Hypnos.
— Je n'ai aucun lien psychique avec eux, depuis cette distance. Il me serait impossible de confirmer leurs dires. Nous devrons nous rapprocher un peu, dans l'espoir de contacter nos alliés. Continuons de survoler le système solaire en mode furtif.
L'ingénieure, qui avait entendu ces paroles, opina du chef et déclara :
— À vos ordres, madame !
— Augmentez aussi nos boucliers de dix pourcents !
— Je le déconseille, Nana, ajouta Hypnos. Nous risquons de causer une panne du réacteur.
— Je connais mon vaisseau mieux que quiconque. Cette bonne vieille Célestia pourra endurer un peu plus de pression.
Athéna pianota sur son panneau de commandes et modifia les fenêtres holographiques. Le paysage dans les images montra une partie du palais, le Sanctuaire, qui s'était effondré, avec une multitude de démons ailés qui volaient autour du vaste bâtiment. Elle déglutit.
— Connaissant Nash, il doit sûrement avoir escorté plusieurs civils en lieu sûr, dit Artael. Si les esprits élémentaires sont toujours à ses côtés, j'imagine qu'il est aussi dans les premières lignes de l'armée.
— Ça m'étonnerait, parce que je ne ressens plus leur présence, expliqua Athéna. Soit leur énergie est très faible, soit ils sont morts. Je ressens toujours la présence de Nash, mais elle est trop faible pour que je puisse trouver ses coordonnées exactes...
— Espérons dans ce cas qu'il aura réussi à préserver leurs âmes. Dia et les autres sont d'excellents alliés. Flint et son groupe auront besoin de leur soutien lorsque nous arriverons sur votre planète.
— Je ne te le fais pas dire, Artie, mais il est possible que l'ennemi les ait déjà convertis en démons. Tout ce que nous pouvons faire, pour le moment, c'est de prier pour leur survie et essayer de trouver des survivants qui pourront éclaircir cette affaire.
L'atmosphère était pesante pour toutes les personnes présentes dans la salle de pilotage. Ils savaient qu'ils n'avaient plus le choix de se préparer à l'inévitable combat auquel l'équipage s'était préparé mentalement et physiquement, depuis des mois.
De puissantes ondes psychiques volaient dans tous les sens au Saint Royaume, les gens à bord du Célestia arrivaient, pour la plupart, à les ressentir. Les créatures maléfiques surpassaient toutes leurs attentes. Ils plongeaient tous dans une guerre sans merci qui datait depuis plusieurs millénaires. Enfin, ils assisteraient à la fin de ce conflit. Personne, à bord du vaisseau, ne s'attendait à survivre. La plupart d'entre eux, toutefois, souhaitaient libérer la planète des dieux et rétablir l'ordre spirituel.
Athéna songea que le moment était venu de s'adresser à ses collègues de travail et de ses subordonnés. Pour cette raison, elle ramassa le microphone près de son panneau de commandes et appuya sur un bouton pour que sa voix se fasse entendre à travers tout le vaisseau. Il était temps pour eux de se préparer à combattre.
— Amis et passagers du Célestia... Ici votre capitaine qui vous parle. Comme vous avez pu le deviner, nous sommes à présent près du Saint Royaume. D'ici à une heure, nous atteindrons notre planète. Malheureusement, elle est infestée de démons. Tout est en ruines, mais ne perdons pas espoir. Il y a sûrement des gens qui ont survécu à cette guerre. Je vous ordonne donc de faire de votre mieux et de sauver qui vous pourrez. Il est temps pour nous d'évacuer le Saint Royaume et de protéger quiconque ne pourra pas être en mesure de se battre.
Elle prit une pause avant de se passer une main dans les cheveux.
— Quant à vous, membres de la Septième Brigade, je compte sur vous afin de combattre à nos côtés, continua-t-elle. Notre objectif est toujours d'infiltrer le château et de nous frayer un chemin jusqu'au Jardin d'Éden. Nous devons aussi réclamer le système des âmes et retrouver tous celles et ceux qui nous ont été enlevés. Cette mission ne sera pas facile, mais j'ai foi en vous. Ne me décevez pas.
¤*¤*¤
— ... me décevez pas, fit la voix d'Athéna par l'interphone du réfectoire.
Gabriel lâcha sa cuillère dans son bol de potage et perdit aussitôt l'appétit. Il avait préparé un repas succulent pour ses amis afin de les encourager après cette lourde journée d'entraînement. Il ne s'était pas attendu à ce qu'ils arrivent déjà dans le système solaire du Saint Royaume. Nerveusement, il tapota la table près de lui, avec les doigts.
— C'est enfin le moment de nous battre ! s'exclama Kylie qui craqua ses jointures de doigts. Ces petits cons du Conclave n'ont qu'à bien se tenir. Je n'ai pas l'intention de partir de ces lieux sans les avoir massacrés.
— Kylie ! gronda son frère. Nous ignorons s'ils sont tous responsables de nos tourments, alors calme-toi un peu. La plupart d'entre eux sont sûrement innocents !
— Gnan, gnan, gnan...
Scottie soupira et roula les yeux. L'esprit rebelle de sa punk de sœur se manifestait de plus en plus, puisqu'elle s'était beaucoup entraînée, dernièrement. Elle était beaucoup plus forte et agile qu'avant, mais n'arrivait toujours pas à surpasser Shayne dans la maîtrise de son arme. Flint et elle étaient presque au même niveau.
— Qu'ils soient innocents ou pas, n'a plus aucune importance, déclara Flint. Nous avons des ordres à suivre et nous devrons veiller sur les arrières d'Athéna et des autres dieux alors qu'ils évacueront la planète.
— Ouais, bah, je n'ai pas l'intention de partir sans avoir dégommé quelques ogres, continua Kylie. Ça fait un bail que j'attends ce moment.
Cassandra, un peu à l'écart de la table à manger, faisait les cents pas avec une tablette électronique en main. Même lorsqu'elle n'était pas à l'infirmerie, elle veillait sur l'état de santé de ses patients. Cette après-midi-là, Gabriel lui avait préparé un couscous aux fines herbes avec une quesadilla aux fèves noires et maïs. Scottie l'avait aidé avec d'autres accompagnements. Shayne, qui avait fini de manger avant tout le monde, se trouvait derrière le comptoir et lavait les chaudrons.
— Cassie ? formula Flint en se tournant vers la docteure. Tu devrais finir ton repas avant qu'il devienne froid. On l'a préparé spécialement pour toi.
— Je sais, je sais, mais il y a Madame Laurent qui n'a pas l'air de bien réagir aux médicaments que je lui ai injectés. Je vais devoir...
— Cassandra... une chose à la fois, coupa son capitaine. Tu n'es pas la seule guérisseuse à bord de ce vaisseau. Laisse tes infirmières s'occuper de tout ça.
Kylie hocha la tête avant de s'adresser à leur amie.
— Ouais, quoi ! De nous tous, tu es celle qui bosse le plus dans son domaine. Tu as bien mérité une petite pause avant que les combats commencent réellement. En plus, on va avoir besoin de toi sur le terrain, alors essaie de bien te nourrir.
Scottie, entre sa sœur et Gabriel, haussa des épaules.
— Honnêtement, je ne crois pas que ce soit une bonne idée de manger autant. Avec tout ce qui se passe au Saint Royaume, je n'ai pas envie de vom...
Il ne termina pas sa phrase, lorsqu'il réalisa qu'il venait de couper l'appétit d'Estelle, devant lui. Misaki avait peu mangé, mais vérifiait que Randell avait consommé tous ses légumes. Flint et Gabriel avaient jugé que la présence de l'enfant avait un effet positif chez la guerrière, qui s'ennuyait éperdument de ses enfants. Elle passait ses journées en compagnie du gamin, qu'elle avait littéralement adopté comme son propre neveu. Lucas, de son côté, avait opté pour s'entraîner aux côtés de son frère pendant les dernières semaines.
Le capitaine tourna son regard vers Lucas. Ce dernier était aussi à l'écart du groupe, il n'arrêtait pas d'éternuer et de renifler depuis trois jours. Il avait choppé une vilaine grippe, et ne souhaitait pas propager le virus à ses amis.
— Tout va bien, toi ? demanda Flint, inquiet.
— Mouais... J'ai simplement besoin de repos...
Le jeune homme malade prit un mouchoir de sa poche de chandail et sortit au couloir pour aller se moucher. Cassandra ne put s'empêcher de s'en faire pour lui. Elle prit un air sévère, se tourna vers le reste du groupe et s'adressa surtout à son capitaine.
— Je vous interdis de l'emmener avec vous pour aujourd'hui. Il doit absolument passer une autre nuit à l'infirmerie pour que je puisse lui donner d'autres antibiotiques.
— Nous sommes en guerre, Cassie, répliqua Flint. Nous savions tous dans quoi nous nous embarquions lorsque nous avons accepté de faire partie de cet équipage.
— Je me débrouillerais pour qu'il y ait tout le temps des personnes pour surveiller les malades et les blessés, dans ce cas. Nous risquons de nous retrouver au Saint Royaume pour plusieurs jours, alors il est important pour moi qu'il se rétablisse.
Flint secoua la tête et retourna son attention à son assiette de couscous. Il n'avait plus très faim et se demandait si Luna et Wyatt avaient apprécié leur repas, puisqu'on ne les avait pas vues depuis ce matin. Tous deux se trouvaient dans la salle des machines et s'occupaient à renforcer le noyau de création avec leur mana, en compagnie d'autres mages. Shayne s'était chargé de leur apporter leurs plats, un peu plus tôt.
— Finissons de manger et partons nous préparer, continua le capitaine. Ramassez tout ce dont vous aurez besoin, nettoyez vos chambres et ne laissez rien traîner. Nous allons devoir camper sur le terrain pour les jours à suivre.
— Oui chef ! répondit Kylie qui se leva d'un bond. Tu viens, Est' ?
La guerrière baissa ses yeux bleus vers son épouse et cette dernière se releva tranquillement, les mains derrière la tête. La plus grande des deux femmes remarqua que sa compagne n'avait pas l'air dans son assiette, alors elle l'escorta en dehors du réfectoire pour lui parler en privé.
Flint, intrigué, décida de ne pas aller les déranger. Il préféra assister Shayne, afin de laver les assiettes. Repus, il lança un coup d'œil à son mari. Gabriel semblait perdu dans ses pensées. Il paraissait perturbé par la nouvelle qu'ils allaient devoir combattre dès ce soir. Flint reconnaissait que son époux n'était pas du genre à stresser facilement, mais il savait que ce dernier avait gardé de très mauvais souvenirs de l'invasion à Baldt. Ce qu'il ignorait toutefois, c'était que le colosse était préoccupé par autre chose.
Gabriel prit une lampée de son potage avant de se laisser choir sur sa chaise.
— Qu'est-ce qui ne va pas, chéri ? questionna son mari, alors qu'il contournait le comptoir. Ce sont les ordres d'Athéna qui te mettent comme ça ?
Gabriel haussa les épaules.
— T'as le droit d'être inquiet, tu sais ? commenta, Scottie. Je le suis pour ma sœur.
Le colosse posa son regard sur son amant éclaireur qui grignotait un peu de sa quesadilla. Il reconnaissait que Kylie pouvait être casse-cou et impulsive, mais n'avait pas peur pour elle. Il savait que sa belle-fille savait se défendre.
— C'est à cause de mon père, tu vois ? continua Scottie. Avant de devenir membre de la Septième Brigade, il m'a fait promettre de toujours veiller sur Kylie. Surtout après cette histoire avec son ex et tout ça...
— Je comprends... formula Flint. Je ressens la même chose pour Lucas. Au moins, il ne risque pas de rejoindre les premières lignes, à cause de son état.
— De toute façon, je serais probablement avec lui puisque quelqu'un doit s'occuper de Randy, commenta Misaki.
Tous tournèrent leurs têtes vers la guerrière albinos et aussi le petit garçon qui avait ouvert son livre à colorier, après son repas. Gabriel se mordit la lèvre inférieure. Il ne voulait vraiment pas mettre son enfant en danger. Le gamin réalisa qu'on parlait de lui et leva son regard vers son père bedonnant.
— Oh, ne t'en fais pas pour moi, dit-il. J'ai quand même plus d'un tour dans mon sac !
Il se concentra alors sur son assiette à moitié vide et cette dernière s'éleva dans les airs avant d'aller se poser entre les mains de Flint, qui cligna des yeux. Randell avait développé des pouvoirs télékinétiques depuis leur arrivée à bord du Célestia, mais il semblerait que cela soit lié à son incarnation précédente. Il utilisait peu ce pouvoir, mais à chaque fois qu'il le faisait, cela avait le don de faire peur à ses proches.
— Sacré p'tit bonhomme ! ricana Misaki avant d'ébouriffer les cheveux du garçon.
Randell grimaça à sa tante et fronça des sourcils, ce qui remonta le moral de Gabriel. Le retour de son créateur dans sa vie lui avait été grandement bénéfique, sachant que ce dernier ne l'avait jamais réellement détesté. Il se leva de table et s'approcha de l'enfant, afin de le prendre dans ses bras. Il lui fit des bisous sur la tête, ce que Randell trouvait très embarrassant. Malgré tout, ils étaient heureux.
— Au moindre signe de danger, tu cours te cacher, d'accord ? dit le colosse.
— Mais je sais me battre, bouda Randell.
— Chut. Tu es encore trop jeune pour t'engager, mon petit bout'chou.
— Bah l'âge, ça n'a pas d'importance. Je peux très bien prendre l'apparence d'un adulte et tu n'y verras même pas la différence...
Gabriel fit la moue et observa son enfant sévèrement dans les yeux. Au bout d'un moment, le gamin céda et soupira.
— D'accord, d'accord ! Je serais sage, papounet...
— Ça, c'est mon fiston ! couina le gros guerrier, ravi. Je t'aime tellement...
Tel un vrai papa poule, ce dernier chatouilla son enfant dans les côtes et l'embrassa partout sur la tête. Le pauvre Randell ne pouvait pas se défendre. Flint roula les yeux, amusé par cette scène. Il souhaitait que cette guerre se termine rapidement, ne serait-ce que pour passer de meilleurs jours en compagnie de sa famille.
Quant à Scottie, ce dernier observa le gros guerrier, une main sur sa joue, appuyée sur la table du réfectoire. Il n'arrêtait pas de se demander à quoi ressemblerait leur vie de polycule, plus tard, quand ils auraient tous tout plein d'enfants à élever. Il avait hâte que Wyatt lui donne le feu vert pour qu'ils puissent enfin commencer leur propre famille...
¤*¤*¤
Estelle entra dans sa chambre la première. C'était une pièce grande et spacieuse. Son épouse et elle n'y passaient plus beaucoup de temps. Kylie avait son propre coin où elle faisait de la musculation, alors que la journaliste avait droit à son propre pupitre où elle écrivait des articles pour passer le temps.
Depuis le départ du Célestia pour l'inconnu, Estelle avait rapidement commencé à rémunérer tous les événements de leurs aventures pour l'écrire dans des documents. C'était sa façon de contribuer à cette guerre étrange. Elle comptait ensuite vendre ses mémoires, un jour, une fois qu'elle aurait récolté assez d'information.
Debout au centre de la chambre, Estelle se prit les bras et grelotta, elle avait le sentiment que ceci serait la dernière fois qu'elle verrait ce bout du vaisseau où elle avait passé les derniers mois.
— Ah, te voilà, toi ! fit une voix familière derrière la jeune femme.
Estelle n'avait pas remarqué la présence de son épouse derrière elle, qui avait dû se rendre à l'infirmerie, un instant plus tôt. L'écrivaine se tourna vers Kylie qui s'approcha d'elle, inquiète.
— Est'... t'es toute bizarre... qu'est-ce qui se passe ? questionna-t-elle.
Kylie passa une main dans la chevelure soyeuse de son épouse afin de la réconforter. Cette dernière lui prit la main et ferma les yeux, tendrement.
— J'ai peur... avoua-t-elle. C'est tout... J'ai peur qu'ils vous enlèvent tous ou bien que vous soyez tous tués... Je n'ai pas envie de revivre... tout ça.
— Tu veux dire... comme la fois où le néant nous avait dévorés ?
Nerveusement, Estelle ouvrit les yeux, leva son regard vers Kylie et hocha la tête rapidement. Elle se souvenait encore des cris et des pleurs de cette fameuse soirée, où elle avait cru perdre les jumeaux à jamais, alors qu'elle disparaissait, elle aussi, dans le noir. Elle en faisait toujours des cauchemars.
Tout cela avait fait en sorte qu'elle eût développé de l'achluophobie – la peur de l'obscurité. Il n'était donc pas étonnant qu'une lampe de chevet était toujours allumée à chaque fois qu'elle travaillait ou bien qu'elle se couchait. Cela avait dérangé Kylie, au début, mais elle s'était rapidement habituée à ce style de vie. Pour elles, dix ans s'étaient écoulés, mais cette peur du noir n'avait jamais disparu.
— Tu sais... moi aussi, il m'arrive d'avoir peur de cette merde qui gobe tout, déclara la jumelle. Mais nous sommes bien entourés, avec Athéna et les autres dieux. Ils ne nous laisseront pas tomber.
— Oui, mais tu n'arrives toujours pas à rester dans la même pièce que Perséphone et Thanatos, plus d'une minute. Il est clair, pour moi, que tu n'aimes pas leur présence.
— Je n'ai pas de points en commun avec eux, c'est tout...
Estelle ressentait une douleur dans ses épaules, tendue à cause de tout le stress accumulé. Kylie comprit que son épouse avait besoin d'un massage. Elle lui fit un signe de tête pour qu'elle aille s'asseoir sur leur lit. La guerrière s'installa alors à genoux, derrière sa partenaire. Depuis qu'elles vivaient ensemble, elle passait la plupart de son temps à masser sa partenaire, quand elle passait de mauvaises journées. Cette technique lui avait été transmise par son père adoptif, durant sa jeunesse.
Tandis que Kylie essayait de trouver tous les points de tension de sa confidente, l'intéressée fixa sa lampe de chevet et essaya de se calmer. Voilà plus d'un mois qu'elle tentait d'avouer à sa conjointe qu'elle ne pourrait pas avoir d'enfants, même si elle en désirait du plus profond de son âme. Comment lui dire qu'après de nombreuses visites à l'infirmerie, que Cassandra lui avait annoncé que ses ovaires ne fonctionnaient plus ? La pauvre Estelle n'aurait jamais le privilège de porter en elle, un bébé, à moins d'avoir recours à un miracle magique. Elle avait décidé de faire son deuil, mais jamais, elle n'en avait discuté avec sa partenaire.
— Y a-t-il quelque chose que tu souhaiterais me dire, Est' ? fit Kylie en approchant son visage vers son épouse. Tu es très silencieuse, ces dernières semaines...
— Ce n'est rien... mentit Estelle. Rien d'important... vraiment.
— Pourtant, tu baisses la tête comme si tu avais fait quelque chose de mal...
— Ce n'est pas ce que j'ai fait de mal. C'est plutôt, ce que je ne peux plus faire... J'avais une fonction tout à fait naturelle et elle n'existe plus en moi...
Elle se sentait fébrile à l'idée de tout dévoiler à son épouse, mais si elle pouvait s'enlever ce stress de ces épaules, peut-être qu'elle aurait moins besoin d'être massée. Elle prit une grande respiration avant de rajouter :
— J'ai fait quelques tests aux laboratoires pour tester ma fertilité... et... je suis stérile. Cassandra m'a expliqué que je suis l'une de ces rares jeunes femmes qui vivent avec cette condition... Je... Je ne pourrais plus porter... de bébés.
Sans pouvoir se contrôler, la blonde sanglota et voulut éviter le regard de Kylie. Même si elle savait que la musicienne n'aimait pas tellement les gamins, Estelle ne pouvait pas s'empêcher de rêver à fonder sa propre famille, à ses côtés.
— Juste ça ?! répliqua la guerrière, surprise. Non mais... Tu oublies qu'on est deux dans ce couple. Si tu as besoin de mes ovules, bah... je suis partante !
Elle lui donna une petite tape dans le dos. Surprise par cette réaction, la petite demoiselle aux cheveux dorés posa ses yeux dans le regard de sa bien-aimée.
— T... Tu... ferais ça pour moi ? couina Estelle. T... Tu porterais un... bébé... dans ton ventre ? J... Je pensais que tu n'en voulais pas...
— Bah écoute, si tout ce dont t'as besoin, c'est d'un gosse, je ne vais pas t'en priver, hein ? Et puis, à te voir jouer avec ton p'tit frère, dernièrement, je me dis bien que tu as envie d'avoir ton propre bonhomme, hein... Je ne suis pas dupe. Par contre, ne me demande pas mettre un pénis dans mon corps ! Oh ça non ! Ce sera l'insémination.
Estelle éclata de rire avant de se retourner vers son épouse. Elle s'agenouilla devant elle et posa ses lèvres sur les siennes. Elles s'enlacèrent alors et se laissèrent tomber sur leur lit douillet. Pendant plusieurs minutes, les deux jeunes femmes gloussèrent et se bécotèrent, comme durant leurs premières nuits passées ensemble. Au bout d'un moment, la journaliste soupira, mélancolique.
— Il n'empêche, que j'aurais aimé être celle qui porterait notre future fille... ou futur garçon... rechigna-t-elle. J'aurais trop aimé vivre un accouchement...
— T'es folle, Est', pouffa son épouse. C'est genre la pire chose à souhaiter à n'importe quelle femme ! Même Cassie a failli y passer, avec sa césarienne.
— Oui, mais ils étaient tellement mignons, ses bébés...
— Tu peux toujours te servir des machines, tu sais ?
Estelle secoua la tête et grimaça. Luna lui avait déjà parlé de cette option, ainsi que Cassandra. Cependant, cela restait de la magie et la jeune femme ne désirait pas que son corps soit modifié comme ça. Tout ce qu'elle pouvait faire, désormais, c'était accepter son destin. Jamais elle n'aurait cru devenir stérile à vingt-sept ans.
— Non merci, soupira-t-elle. Autant mes parents aiment jouer avec ce truc, autant je préfère en rester loin. À part Shayne, on dirait que tous les mecs de notre groupe ont une fascination morbide à jouer avec leurs paramètres...
Elle ne put s'empêcher de repenser à l'un des fameux épisodes où elle avait croisé ses deux pères transformés en hommes-chiens, alors qu'ils sortaient du centre sportif du vaisseau. C'était au beau milieu de la nuit et tout le monde dormait. Elle avait préféré ne pas se poser de questions, puisqu'elle savait que ses parents étaient tordus. Cependant, elle avait aussi été témoin des folies de Scottie et Wyatt avec eux... Des images encore plus troublantes qu'elle souhaitait oublier.
— Ah ouais ! commenta Kylie. Comme la fois où Flint avait la même grandeur et grosseur que ton autre père... Puis aussi le jour où Wyatt a subitement grandi de quelques centimètres... C'est très étrange, je dois l'avouer.
— Sans commentaire, soupira Estelle.
— Mon frère, par contre, je n'ai aucune idée de ce qui lui passe par la tête. Il vit un peu dans son petit monde, depuis que Wyatt et lui sortent avec tes parents. Je le vois moins souvent qu'avant. C'est bizarre, parce que nous étions inséparables...
Estelle n'était pas trop à son aise de parler du polycule. Bien qu'elle fût contente que ses parents puissent exprimer cette nouvelle forme d'amour avec ses propres amis, elle ne pouvait s'ôter cette image de la tête de toutes les bêtises qu'ils pouvaient faire dans leurs chambres. Elle hésitait même à synchroniser avec Scottie, de peur qu'elle reçoive des souvenirs très embarrassants, sans le vouloir.
— Tu en fais une drôle de tête, dit Kylie. Est-ce quelque chose que j'ai dit ?
— Non, non, répondit son épouse. C'est juste que ça va me prendre du temps pour accepter que mes papas sortent avec Scottie et Wyatt.
— Bof, autant te prévenir tout de suite. Le polyamour est autant populaire que la monogamie, au Saint Royaume. Les dieux qui vivent plusieurs milliers d'années finissent par se retrouver avec des tonnes de partenaires. Comment crois-tu que le tout premier Zeus a rempli son panthéon ? Lui, par contre, il trichait ses partenaires monogames...
— Oulah, tu m'en apprends des choses...
— Malheureusement, beaucoup de ces informations se sont perdues au fil des siècles. Parce que la guerre nous aura fait perdre plein de machines et de bibliothèques.
— L'Histoire du Saint Royaume doit être fascinante... remarqua Estelle. C'est dommage ce qui est arrivé à cette planète.
Kylie hocha la tête, tristement. Elle parlait très peu de son monde d'origine, mais depuis que les membres de la Septième Brigade avaient pris connaissance du fait que Scottie et Kylie étaient des dieux du panthéon nordique ; il leur arrivait parfois de mentionner certaines choses qu'ils connaissaient de leur vie antérieure.
Estelle se demandait s'il y avait encore des historiens vivants, au Saint Royaume. Des dieux ou des anges qu'elle pourrait rencontrer, plus tard. Afin d'en savoir plus sur les contes et les légendes de ses ancêtres. Après tout, elle était la descendance d'Athéna...
Alors qu'elles discutaient, de leur entourage coloré et de l'Histoire spirituelle, les deux jeunes femmes en avaient oublié ce pourquoi elles étaient venues dans leur chambre.
Un moment plus tard, Estelle sursauta et réalisa qu'il ne leur manquait plus qu'une trentaine de minutes pour se préparer. Elle commençait déjà à stresser.
— Oh merde, c'est vrai ! s'exclama Kylie. La guerre...
Rapidement, toutes deux ramassèrent ce qui leur serait utile sur le terrain. Elles rangèrent le reste dans leurs bagues magiques, respectives. Cette chambre serait abandonnée pour quelque temps, alors ni l'une, ni l'autre ne pourrait y revenir avant un bail. Il leur fallait faire vite.
Estelle n'avait même pas le temps de se doucher.
— De toute façon, nous sommes en guerre, cogita-t-elle. Nous n'aurons pas le temps de prendre notre bain avant quelques jours... ou semaines... ? Des mois ?
Une fois la majorité de leurs affaires ramassées, la journaliste se tourna nerveusement vers sa compagne. Elle prit une grande respiration et s'en approcha.
— Promets-moi que tout ira bien, supplia Estelle. Promets-moi que nous reviendrons toutes les deux, en vie, de cette mission.
— Je te le promets Est', répliqua Kylie. Et dès notre retour, nous commémorerons notre victoire en gros ! Ne t'en fais pas, on va y arriver !
Même si ses paroles se voulaient d'être rassurantes, Estelle ne put s'empêcher de croire que ceci serait leur dernier moment passé à bord du Célestia.
À sa grande surprise, le vaisseau reçut un énorme coup d'une force inconnue. Cela provoqua une puissante secousse et Estelle tomba dans les bras de sa femme.
Que s'était-il passé ?
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