116. Flint et Luna

Le lendemain, alors que Wyatt se servait des tartines à la table du réfectoire, il croisa le regard de Luna qui avait très mal dormi après avoir vu son meilleur ami faire l'amour à son mari. Elle fusillait le mage du regard, les bras croisés.

— Tu sais qu'il y a des chambres pour faire vos trucs ? grogna-t-elle, ses sourcils froncés. Je veux bien comprendre qu'on s'emmerde sur ce vaisseau, mais n'oublie pas que je n'ai pas besoin de voir vos parties de jambes en l'air...

— Bon matin à toi aussi, ma belle, répondit simplement Wyatt avec un sourire.

Luna roula des yeux et soupira. Son collègue de travail n'en avait que faire de ses commentaires. Il était de bonne humeur, ce matin-là.

— Et puis, que faisiez-vous debout à trois heures du matin ? râla Luna.

— Je te retourne la question, très chère.

— Je n'avais pas sommeil.

— Eh bah, figure-toi donc que nous non plus !

Luna se croisa les bras et émit un petit grognement.

— Il y a des livres, des jeux de société, des casse-têtes, et j'en passe... Il y a d'autres activités à faire à bord de ce vaisseau. Pas besoin de faire l'amour à toutes les vingt secondes. Dois-je te rappeler, mon cher Wyatt, que ce vaisseau n'a qu'une centaine de personnes, mais que les murs sont très minces ?!

L'expert des eaux haussa des épaules et gloussa. Cela n'amusait pas du tout son interlocutrice qui le pointait du doigt.

— Ha ! Et ça t'amuse en plus ? Mais que vais-je faire de toi, Wyatt ?

— Écoute, Lu'... Tout le monde ici, sait que tu es dans le spectre de l'asexualité, mais nous sommes des créatures sexuelles à la base. Arrête de me faire la morale, veux-tu ?

— Ce n'est pas le sexe en soi qui me dérange, c'est le fait que vous n'avez aucune gêne de le faire publiquement, répliqua sèchement la scientifique. Les autres n'ont pas besoin de vous voir ou de vous entendre ! Et surtout pas dans une cuisine au beau milieu de la nuit ! Qu'auriez-vous fait si le petit Randell était venu se chercher un verre d'eau ?!

— Pas besoin de t'énerver. J'ai compris où tu veux en venir... Seulement Scottie et moi, nous avons récemment célébré notre anniversaire de mariage et...

— Vous n'auriez pas pu attendre un meilleur endroit pour faire joujou avec vos queues ? expira son amie.

— J'avais très envie de lui, gronda Wyatt. Va plutôt te défouler sur Derek puisque tu n'as que lui en tête, dernièrement ! J'en ai marre que tu me critiques constamment ! C'est toi qui n'as pas voulu de moi après tout, donc ne vient plus jamais me dire comment je dois vivre ma vie ! C'est ça, fais-moi une sale tronche et dégage de ma vue !

Cette fois, il se leva et frappa la table si violemment que Luna faillit tomber de sa chaise après avoir sursauté. Ces mots eurent l'effet désiré : Luna se leva et s'éloigna en sanglots. Elle ne s'était pas attendue à ce que son meilleur ami lui parle sur ce ton. Surtout pas après les confidences qu'ils s'étaient faites, l'autre jour.

Soulagé, le mage se rassit.

— Était-ce vraiment nécessaire de lui parler comme ça ? demanda Flint, derrière lui.

Wyatt se tourna vers le comptoir et vit le capitaine, ainsi que son mari. Ces derniers préparaient le déjeuner pour leur groupe. Il y avait d'autres cuisines à bord du vaisseau, mais ce réfectoire était celui que la Septième Brigade préférait.

— Elle fait une crise de jalousie, remarqua Gabriel qui tournait des tranches de bacon. C'est compréhensible... elle doit se sentir délaissée.

— Sûrement, mais Wyatt n'avait pas à lui parler ainsi.

— C'est normal, Flint. Elle compte beaucoup sur lui pour plusieurs petits détails. Elle doit se sentir perdue et stressée à cause de tout ce qui nous arrive.

Wyatt rougit et posa son regard sur le colosse. Même qu'en cet instant, il réalisait à quel point il devait avoir baissé dans l'estime de Flint et celui de Gabriel.

— Je n'y avais pas pensé comme ça, mais tu marques un point... dit-il à Gabriel. Il est vrai que j'ai passé beaucoup de temps avec Scottie, ces derniers jours. Elle faisait les cent pas dans la salle des machines de la base lunaire, et espérait que vous reviendriez de votre mission, sains et saufs...

— Luna est une jeune femme responsable, mais elle est loyale envers ses amis, dit Flint. Elle s'est toujours inquiété pour nous, d'aussi loin que je m'en souvienne. Notre voyage vers le Saint Royaume ne doit pas la rassurer.

— Moi, non plus, d'ailleurs. Nous savons peu de choses de cet endroit. Et puis, nous ignorons tout du Conclave et pourquoi ils agissent comme des tyrans.

Flint jeta un coup d'œil sur le comptoir et retourna son attention vers Wyatt. Il était curieux d'en savoir plus au sujet de ce qui s'était passé, la nuit précédente. Il décida donc de changer le sujet.

— Alors... Scottie et toi... commenta celui-ci. Dans la cuisine ? Bonté divine. Ils ont appris des maîtres... Pas vrai, Gab ?

Gabriel s'étouffa avec un morceau de pain qu'il venait de mâcher.

— Il faut bien s'amuser un peu, non ? gloussa Wyatt.

— En tout cas, je suis content que tout aille si bien pour vous, continua Flint.

— Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'on tombe amoureux l'un de l'autre, au départ, mais il est désormais mon meilleur ami ainsi que l'homme avec qui je veux passer le reste de mes jours. Je ne pourrais pas imaginer ma vie sans lui.

— C'est bien. Tu le mérites.

Le colosse, à côté de Flint, se tapa le torse et toussa un peu avant de recracher le morceau de tartine qui l'avait étouffé. Il toisa son mari et bougonna. Ce dernier n'y fit pas attention et retourna aux pannes à frire pour retirer une première omelette qu'il mit dans une assiette. Gabriel, peu impressionné, s'éloigna pour aller jeter ce qu'il tenait dans la main et décida de se laver à l'évier de la cuisine.

— Merci Flint, dit Wyatt.

Le mage se leva et s'approcha du comptoir avec son assiette. Il n'avait pas continué son repas. Il souhaitait profiter de ce moment d'intimité pour discuter avec Flint et Gabriel.

— Au fait... j'ai un truc super gênant à vous dire, déclara-t-il.

Le capitaine et le colosse avaient déjà une petite idée sur ce que ça pouvait être. Après tout, Flint avait mentionné à son mari que leurs coéquipiers avaient remarqué leur comportement étrange avec l'autre couple.

— Suis-je le seul qui se fasse des idées... ou bien, il se passe quelque chose entre nous quatre ? demanda Wyatt, qui rougit timidement.

Flint devint tout rouge et se tourna vers Gabriel pour le regarder du coin de l'œil.

— J'ai bien vu comment vous nous matiez, Scottie et moi... et j'avoue qu'on le fait aussi avec vous quand vous avez le dos tourné, expliqua Wyatt. J'espère juste que cela ne nous causera pas de problème. C'est... gênant, à vrai dire.

— Est-ce que ça veut dire que tu me trouves de ton goût ? demanda le colosse, curieux.

— Enfin... peut-être ? Je ne sais pas ce qui se passe en moi depuis une dizaine d'année. Mais je sais que mes goûts ont changé. J'ai honte de l'admettre, mais je m'imagine parfois en train d'enfouir mon visage dans ta grosse poitrine... et t'enlacer... à poils.

Le visage de Gabriel devint aussi rouge que celui de son mari. Il n'avait même pas remarqué que son bacon commençait à brûler un peu. Il se tourna rapidement pour retirer la viande du poêle et ferma celui-ci.

Quant à Flint, ce dernier retourna son attention vers Wyatt et se gratta la joue.

— Eh bah, en voilà toute une surprise, dit-il. Quant à moi... j'admets avoir ressenti quelque chose pour toi dès le premier jour où j'ai assisté à ta transformation. Tu as bien vieilli en dix ans... Tu as l'air d'un bel adulte séduisant.

— Ça me touche vraiment que tu me dises ça, Daddy...

— Daddy ? formula Flint, surpris par ce sobriquet.

Wyatt se mit une main devant la bouche et s'inclina honteusement.

— Oh Athéna, qu'ai-je dit !? Fais comme si je n'avais rien exprimé... Oh merde... Oh merde...

Gabriel s'esclaffa et échangea un regard amusé avec Flint.

— Et bah, Flint. Il faut croire qu'il a beaucoup de respect pour toi.

— C'est plutôt toi, le Daddy de nous deux, gloussa le capitaine. Mais j'aime bien me sentir comme un Daddy... Hé hé...

— Oh la honte, couina Wyatt. Oubliez ce que je viens de dire, s'il vous plaît !

Flint roula les yeux et se tourna vers le mage.

— Oh, ne t'en fais pas Wyatt. Ça ne me dérange pas du tout que tu m'appelles comme ça ?

— Ouais bah... blâmez Scottie. C'est lui qui a commencé à vous surnommer ses Daddies, en premier. Je jure, il vous vénère comme des dieux. Ce qui est ironique, car il était une divinité bien avant vous. À force de vous appeler ainsi... j'ai fini par adopter ces surnoms pour vous aussi, quand vous n'êtes pas là. Je suis désolé...

— Ce n'est pas grave, déclara Gabriel. Nous savions qu'il en pinçait déjà pour nous, quand il n'avait que dix-neuf ans. C'est incroyable qu'il n'ait jamais cessé de fantasmer sur nous, après toutes ces années.

— Par contre, ça ne vous empêche pas de draguer avec lui depuis nos retrouvailles, remarqua Wyatt. Serait-ce l'âge qui fait toute la différence ? Ou bien sa nouvelle silhouette ?

— Le deux, je dirais, commenta Flint. Il était beaucoup trop jeune pour nous avant... mais cette dilatation temporelle nous a choqué, Gabriel et moi. On a toujours été beaucoup plus intéressé par les gens qui sont environ dans notre groupe d'âge. En tout cas, il faut croire que nos phéromones, ainsi que nos hormones sont déréglées. Parce que je n'arrête pas de m'imaginer en train de faire des trucs avec toi, ou bien Scottie... ou bien les deux en même temps. Et je crois que c'est la même chose pour Gab...

Wyatt ressentit beaucoup de chaleur lui monter à travers son chandail. Ce n'était pas le bon moment pour lui de bondir de l'autre côté du comptoir et de s'élancer à la nuque de son capitaine ou celle du colosse, mais dans sa tête ; il s'imaginait déjà les embrasser sauvagement. Il chassa rapidement ces idées et rougit timidement.

— Il dit vrai, répondit Gabriel, avec un large sourire. Nous serions enchantés de vous accueillir dans notre petit ni douillet. Comme je l'ai dit dans la simulation, il y a assez de moi pour tout le monde. Ça me ferait plaisir d'explorer toutes ces options avec vous.

— Voilà qui est très alléchant, répliqua Wyatt. Merde, vous avez sûrement raison. C'est probablement un dérèglement hormonal. Si ça trouve, on a chopé le même virus.

— Le virus de l'amour ? plaisanta Flint.

Le mage pouffa de rire, mais se tapa les joues, afin de se ressaisir. Il y a une autre raison pour laquelle il s'était rapproché du comptoir.

— Ça n'a pas rapport avec notre conversation précédente, mais j'ai un autre truc à vous demander, commenta Wyatt. C'était comment votre première nuit avec Randy ? Il ne vous a pas causé trop de soucis ?

Flint eut un petit rire nerveux avant de répondre.

— Pfft, il a dormi toute la nuit, entre nous. Même qu'il s'est servi de Gabriel comme une grosse peluche et que je me suis réveillé au milieu de la nuit, avec sa main dans ma tronche. On va devoir lui trouver un lit et une chambre, rien qu'à lui.

— Ça doit te faire bizarre de te réveiller avec un tout nouveau fils, gloussa Wyatt. Scottie et moi, on songe de plus en plus à fonder une famille. Enfin, surtout lui. Il aimerait qu'on ait des enfants ou qu'on s'accouple avec d'autres personnes...

— Vous feriez d'excellents parents, j'en suis certain, répliqua Flint, tout sourire.

Il remarqua que Wyatt n'avait pas l'air à son aise, tout à coup.

— Ai-je dit quelque chose de mal ? reprit le capitaine.

— Je ne pense pas que je ferais un très bon père, soupira le mage. J'adore Wyatt, mais honnêtement, je ne m'imagine pas avec des enfants. Tu comprends ? Je préférerais simplement continuer ma vie comme ça, travailler avec vous et qu'on passe tous du temps ensemble... Partir en missions... J'aime mon travail de brigadier et notre routine...

— L'un n'empêche pas l'autre.

— Je sais... mais... Je n'aime pas vraiment les enfants... Enfin, pas comme vous...

Gabriel remplit une assiette de bacon qu'il avait fini de cuire, un peu plus tôt.

— Pourquoi ne lui as-tu rien dit, dans ce cas ? demanda-t-il.

— C'est compliqué, mentionna son interlocuteur. J'aime Scottie et je n'ai pas envie de lui faire de la peine, mais je ne veux pas d'enfants... Du moins, pas maintenant... Je ne peux pas le forcer à faire ce sacrifice pour moi, même si ça fait plus de dix ans que nous sommes ensemble. Je ne sais plus que faire, pour être honnête.

— Est-ce récent, tout ça ? questionna Flint.

— Pas vraiment... poursuivit Wyatt. Au début de notre relation, nous n'en parlions jamais, mais trois ans après votre départ pour Aeglys, il a décidé d'être le baby-sitter des triplés de Cassandra... et disons que cette expérience lui a plu. Il aimerait que l'une des membres de la Septième Brigade soit notre mère porteuse.

— Ça n'a pas l'air simple tout ça.

— Ce ne l'est pas. Scottie hésite à demander à sa sœur ou bien Estelle, comme ça notre enfant aurait quatre parents...

Les yeux de Flint s'écarquillèrent. Il avait encore un peu de difficulté à imaginer sa fille, autrefois adolescente, mariée à Kylie Sanders.

Wyatt se gratta le bout du nez avant de poursuivre :

— Bien sûr, pas la peine de demander à sa jumelle, parce qu'elle a horreur des bébés. Peut-être qu'Estelle accepterait de jouer ce rôle, pour nous.

— As-tu pensé à Luna ? interrogea le colosse. Même si elle n'est pas du genre à tomber amoureuse ou aimer les parties de jambes en l'air, l'insémination artificielle pourrait...

Wyatt s'impatienta et fusilla ses camarades.

— Je ne suis pas prêt ! insista celui-ci.

— Dans ce cas, ce n'est pas à nous de dire ça, mais à ton mari, déclara Flint.

— Je ne suis pas pressé de le lui dire.

— Je comprends. Par contre, s'il désire vraiment fonder une famille, je crois qu'il a le droit de savoir. Ne le fais pas trop languir.

Wyatt allait finir par perdre patience. D'abord, Luna l'avait embêté pour sa partie de jambes en l'air. Là, il se faisait sermonner par les deux hommes avec qui il venait à peine de louanger, à propos d'une affaire personnelle.

— Vous voulez tous me faire un procès ou quoi ? râla-t-il.

— Mais non, choupinou, répliqua Gabriel. Flint et Luna s'inquiètent seulement pour toi.

— J'aimerais bien te croire, mais je suis assez grand pour prendre mes décisions moi-même. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je vais sortir du réfectoire avant de tout détruire avec un iceberg...

Sur ces mots, il fit volte-face et sortit de la grande pièce, les yeux remplis de larmes. Le capitaine et son mari s'observèrent en silence. Au bout d'une vingtaine de secondes, ce fut le colosse qui prit parole. Il était surpris de voir Wyatt si tendu.

— Sais-tu, je préférais retourner dans la simulation de la Terre, plutôt que devoir régler ces disputes avec nos collègues, remarqua Gabriel. Même si j'ai très envie de deux d'entre eux...

— Je ne te le fais pas dire. Au moins, là-bas, nous avions l'impression d'appartenir à un monde. Ça va nous prendre une période d'adaptation pour la vie à bord du vaisseau, j'en ai bien peur. J'espère que Wyatt nous pardonnera pour ces suggestions...

— D'après ce que ta mère nous a dit, un peu plus tôt, nous en avons pour plusieurs semaines de voyage... même des mois.

— Ce serait tellement plus facile de prendre un portail jusqu'au Saint Royaume, tu ne crois pas ?

Gabriel se gratta le menton. Il réfléchissait.

— Non, exprima-t-il. Souviens-toi de ce qu'Athéna et Hypnos ont dit. Nous devons tenter une approche furtive afin de ne pas mettre la vie de notre équipage en danger.

Flint se laissa choir sur le comptoir et soupira.

— Ça va être long... râla-t-il.

— On finira bien par se trouver des activités. D'ailleurs, il y a une salle de simulations où nous pourrions nous servir des ordinateurs, si jamais nous voulions tuer le temps.

— Nous allons devoir réunir tout le monde dans notre groupe et discuter des prochains plans à suivre. Si nous sommes coincés ici, autant trouver un moyen de tous nous entraîner. Et cela va aussi pour toi...

Flint se tourna vers son mari et toucha son bedon avec un doigt. Gabriel gloussa et tenta d'éviter le regard de son partenaire.

— Je suis en meilleure forme que la plupart d'entre nous, rouspéta ce dernier. Pas besoin de me mettre cette pression inutile sur le dos. Vous pourrez compter sur moi, comme toujours, pour nous cuisiner quelques repas. Mais pour ce qui est de ma santé physique, tu n'as pas à t'inquiéter.

Flint s'esclaffa.

— Évidemment, je te connais mieux que quiconque à bord de cet énorme véhicule, déclara-t-il. Seulement, avec ton gabarit imposant, nous devrions tenter de nouvelles tactiques de combats. Tu dois posséder plein de nouveaux pouvoirs, depuis que ton code génétique a été modifié par la machine de Maman...

— Ils ne sont pas très spéciaux que ça, quand même. Je peux désormais lancer des sorts élémentaires mineurs, mais mon pouvoir de métamorphose pourrait bien nous servir.

— En fait, on t'a donné une nouvelle opportunité pour tenter de nouvelles expériences. Je t'envie. Tes nombreuses transformations sont si excitantes... !

Gabriel avait terminé de déposer la nourriture dans les assiettes et s'apprêta à emporter ces dernières sur la plus grande table du réfectoire.

— Tu dis ça parce que tu es un gros pervers, Flint, taquina le colosse.

— Mais non... mais qu'est-ce que tu racontes ?!

Le teint du capitaine passa rapidement du rouge au blanc. Il était conscient qu'il avait tenté différentes expériences de ce genre avec son époux, mais celui-ci enviait quand même le pouvoir si spécial de Gabriel. Selon lui, posséder un pouvoir de métamorphose, ça devait être fantastique. Il s'imaginait se transformer en faucon et survoler les plaines au sud de Baldt, ou bien nager dans l'océan sous la forme d'un dauphin. Rien ne l'empêchait d'utiliser les machines du vaisseau pour tenter une nouvelle expérience, mais cela ne lui procurerait pas le même sentiment d'accomplissement.

— Les autres ne vont pas tarder à se lever, dit Gabriel. Je devrais aller vérifier si tout va bien avec Randy, d'ailleurs...

— Ne t'inquiète pas pour lui, Misaki s'en occupe.

— Que fait-elle éveillée, si tôt ?

— Une vieille habitude qu'elle a. Elle aime normalement s'entraîner quand tout le monde dort. Mais bon... j'espère que Wyatt et Luna vont régler leurs différends parce que je n'ai pas vraiment envie de me montrer autoritaire.

Gabriel haussa des épaules.

— Ils finissent toujours par se réconcilier. Ne t'en fais pas pour eux.

Flint grogna de fatigue et se leva pour se laisser tomber dans les bras de son mari. Il enfouit son visage dans sa grosse poitrine et soupira de soulagement. Selon lui, il n'y avait rien de mieux que d'aller se réconforter en enlaçant l'élu de son cœur.

— Il faudrait vraiment qu'on se trouve une journée de congé, rien que pour nous deux, marmonna-t-il. Ça me manque, nos journées intimes...

— Je sais, chéri, mais on a Randell, maintenant. On doit s'en occuper, en plus de la guerre... On va devoir attendre un peu.

— On n'a qu'à sauter la session d'entraînement que prépare ma mère... Je suis certain qu'elle se montrerait gentille avec nous, si nous le lui demandions.

Gabriel baissa son regard vers son époux et fronça des sourcils.

— Bah quoi ? demanda Flint qui cligna les yeux.

— Ne fais pas ton gros paresseux...

Gabriel se pencha et embrassa son partenaire. Il l'agrippa tout de même d'une main, près des fesses. Il lui caressa le dos et huma son odeur. Flint en profita pour passer ses bras autour du tour de taille imposant de son époux et sourit. Ils restèrent ainsi pendant quelques minutes, à s'embrasser et à se caresser, comme ils avaient l'habitude de le faire.

— Minute, fit aussitôt le capitaine, qui réalisa un petit détail. Est-ce qu'ils ont au moins lavé le comptoir après, tu sais quoi ?! On a placé nos assiettes sur ça...

Il échangea un regard troublé avec Gabriel qui comprit aussitôt où celui-ci voulait en venir. Ils avaient oublié d'en parler avec Wyatt avant qu'il ne parte de la pièce, en coup de vent. Le cuisinier sursauta et déglutit.

— En effet, ce n'est pas très sanitaire, fit ce dernier. Mais connaissant Scottie, il a sûrement désinfecté tout ça avant d'aller se coucher...

Gabriel se pencha et renifla le meuble en question. Il constata que celui-ci sentait le citron.

— Mouais, j'avais raison. On l'a échappé belle.

Flint, soulagé par cette nouvelle, décida qu'il était temps d'aller chercher son fils. Il irait ensuite avertir les autres membres de son groupe que le repas était servi.

¤*¤*¤

Flint avait fini par trouver Luna dans la salle sportive du vaisseau, où cette dernière était installée dans une baignoire à remous. Tous les autres membres de la Septième Brigade déjeunaient, alors que le capitaine avait décidé de partir à la recherche de la magicienne. Elle avait enfilé un maillot de bain à rayures noires et blanches, en deux pièces. Elle était assise, dos à la sortie de la grande salle. Son supérieur posa son regard sur les anciennes cicatrices de sa collègue de travail. Elle les avait recouverts de tatouages. Flint pouvait y voir des fleurs de toutes les formes et couleurs. Il se demandait quand elle avait eu l'idée de se faire encrer.

— Ah tiens, c'est nouveau ça, remarqua-t-il.

Luna regarda par-dessus son épaule et vit son ami. Il se rendit compte qu'elle avait pleuré.

— Quoi ça ? demanda-t-elle. Mon encre ?

— Oui... je trouve ça très joli. J'ignorais que tu aimais les fleurs à ce point.

— Elles me calment quand j'ai besoin de tranquillité.

Flint enleva ses souliers et ses chaussettes afin de mettre ses pieds dans le bain chaud. Il s'installa sur un banc élevé, plus sec que les autres.

— Qu'est-ce qui t'a poussé à en mettre sur tes vielles blessures, si je ne suis pas indiscret ? demanda-t-il.

— J'avais besoin de changement, avoua son amie. J'en avais marre de constamment les voir dans la glace, lorsque j'étais plus jeune. J'ai voulu en faire une œuvre d'art.

— Je comprends. Tu aurais pu les effacer avec les machines d'Athéna, par contre.

— J'ai décidé de les garder... Elles font partie de moi.

Il hocha la tête et esquissa un sourire.

— Tu dois déjà te demander pourquoi je suis ici, n'est-ce pas ? demanda-t-il.

— Pas vraiment. Vous vous inquiétez pour moi ?

— Surtout moi. Wyatt n'est pas resté longtemps pour le déjeuner. Il est parti s'enfermer dans sa chambre. Gabriel t'a gardé un plat pour plus tard.

— Je n'ai pas faim, mais merci.

Flint se gratta le haut du nez et pencha sa tête d'un côté.

— Lu'... tu sais que tu peux tout me dire, pas vrai ? Je sais que tu en as beaucoup sur la conscience avec tout ce que nous avons vécu durant les dernières semaines... Mais tu n'as pas besoin de tout garder pour toi...

— Dernières semaines... ? Flint... Dix ans se sont écoulés pour nous !

Il déglutit. Cette difficulté à s'adapter au passage du temps le rendait de plus en plus mal à l'aise. Il s'en voulait beaucoup de ne pas avoir été plus présent pour elle.

— Oui, pardon... mais ce que je t'ai dit est sincère. Je suis là pour toi. Tu m'as beaucoup aidé à la mort de mon oncle, alors...

Les yeux bleus de la magicienne se perdirent dans le vide, alors qu'elle se laissait flotter dans l'eau chaude, jusqu'à la nuque.

— Je... Je crois que j'ai des sentiments pour Wyatt... C'est compliqué à expliquer.

— Ah... Ah bon ? Je pensais que tu étais... euh ? Flûte, les termes m'échappent...

— Je ne sais même plus ce que je suis... Je ressens très peu de tensions sexuelles et encore moins d'attirances romantiques pour les gens... Mais avec Wyatt... C'est compliqué.

— Tu t'en veux d'avoir rejeté Wyatt, c'est ça ?

Elle leva son regard vers son supérieur, expira, puis retourna dans sa position initiale.

— Il n'y a pas de honte à changer d'avis, Luna, dit celui-ci. Pendant un temps, j'ai aussi pensé que j'étais bisexuel, avant de faire ma sortie du placard en tant qu'homosexuel. Enfin, peu importe ce que je suis, je reste fidèle à mon mari et je l'aimerais toujours. Dis-toi simplement que la sexualité est fluide.

— Je m'imagine parfois... en train de faire des trucs... avec Wyatt et Scottie...

Choqué, Flint leva les sourcils et recula sa tête violemment. Il se demandait ce qu'elle pensait de sa propre relation étrange avec eux. Cependant, il était là pour elle. Pas pour lui.

— Un ménage à trois ? dit-il. Waouh... n'est-ce pas un peu... extrême pour toi ?

Luna gémit de honte et se laissa couler dans l'eau, jusqu'au niveau du nez. Elle fit des bulles avec sa bouche, dans le bain à remous.

— Allons, c'est cool, s'exprima Flint. Tu as tes fantasmes, comme tout le monde. Tu as le droit de rêver, toi aussi.

— Mais ce sont deux mecs mariés, grogna la jeune femme en se relevant. Et puis ce n'est pas ça le truc qui me préoccupe le plus. Bien que je ne désire pas vraiment être en couple avec qui que ce soit... je ressens le besoin de... Je ne sais pas si ce que je vais te dire, a du sens, mais... Je veux une famille... J'aimerais peut-être élever un bébé et je crois que Wyatt serait le parfait parent afin... pour ses gènes... et... euh...

Elle se recouvrit le visage de honte. Elle avait parlé si vite que Flint avait à peine compris la moitié de ce qu'elle venait de lui dire. Cependant, il saisit qu'elle souhaitait fonder une famille, elle aussi. Son visage s'assombrit.

— Wyatt ne veut pas cette responsabilité, malheureusement, déclara-t-il. Il nous en a parlé avant le déjeuner. Scottie désire lui aussi ce que tu souhaites... C'est compliqué.

— Dans ce cas, je plains notre ami éclaireur... Wyatt ne sait pas ce qu'il manque.

— Je pensais que tu détestais les gamins.

— Au contraire... enfin... j'avais l'habitude de ne pas aimer leur présence. Cependant après avoir gardé les triplés de Cassandra et Shayne pendant plusieurs années, j'ai développé ce désir de m'entourer d'enfants... Je songe même à tout laisser tomber mes recherches et devenir enseignante.

— Ça serait un très beau métier pour toi.

— C'est aussi ce que je pense... Je travaillais à temps partiel à l'académie militaire, souviens-toi et j'éduquais des gens de chaque tranche d'âges à pratiquer la magie. Quand nous avons reconstruit l'institution dans la nouvelle version de Baldt, j'ai malheureusement dû me concentrer sur les recherches en ce qui concerne l'évolution de notre monde...

— Mais tout ça, c'est de l'histoire ancienne, puisque Célestia n'est plus qu'un vaisseau. Tu dois être furieuse...

— Non... Je suis surtout découragée. Et tout ça, ça n'arrange pas mes sentiments étranges pour Wyatt. Cette situation est tellement embarrassante...

Flint gloussa et mit une main sur l'épaule de Luna afin de la consoler. Surprise, cette dernière le laissa faire.

— Allons, ma petite Lu', tu vas t'en remettre. C'est promis.

— Décidément, Gabriel a beaucoup déteint sur ta personnalité, gloussa-t-elle.

— Normal, Monsieur Nounours finit par nous rendre tous heureux.

Il relâcha son amie et enleva son pantalon et ses accessoires afin de s'installer dans l'eau chaude, en short. Il avait déjà déboutonné sa chemise. Trempé de la tête aux pieds, Flint profita de la baignoire à remous pleinement. La magicienne était ravie de voir son supérieur s'amuser ainsi. Elle réalisa aussi que leur dynamique avait beaucoup changé, parce qu'il avait adopté un comportement plus amical et plus familial avec tous les membres de son groupe. Le capitaine eut un petit sourire malsain avant de se mettre à chatouiller sa collègue de travail dans l'une de ses côtes.

— Eh... arrête ! pouffa Luna. Tu sais que j'ai horreur de ça !

— Le gros méchant loup va te mannnnnnnger !

— Mais nous ne sommes plus des enfants... T'es pathétique.

— Ça ne fait rien et je m'en fous !

Pour se venger, Luna fit une pichenette sur le nez de Flint. Ce dernier recula et bouda pour ensuite se frotter la narine droite. Il lui sortit la langue.

— Au moins, tu as réussi à me changer les idées avec tes gamineries, constata la magicienne.

Elle baissa toutefois son attention vers l'eau qui la recouvrait et se mit à faire de petites éclaboussures sur son propre corps, afin d'enlever un long poil qui s'était ramassé sur sa peau. Flint l'observa depuis le centre de la grande bassine.

— Sinon... si tu veux me parler un peu plus de tes sentiments, t'as le droit, tu sais ? fit-il. Je ne te jugerai pas.

— Ça va, tu n'es pas un psychologue, mais cette conversation m'a fait du bien.

— Bah, dis-toi que nous sommes pratiquement tous queers dans la Septième Brigade, à part quelques personnes. Entre minorités, on doit s'entraider, non ?

— J'apprécie beaucoup ton soutien, mais je crois que j'en ai assez dit pour aujourd'hui.

Flint haussa un sourcil.

— En es-tu certaine ? Parce que nous avons tous cette matinée de libre pour discuter et faire quelques activités. Maman veut nous rencontrer après le dîner, car elle souhaiterait nous parler de ses plans. On devait faire ça un peu plus tôt, mais elle a préféré repousser ça à plus tard. C'était aussi la raison pour laquelle je te cherchais... pour t'avertir.

Luna se passa une main dans les cheveux et s'appuya sur le bord de la baignoire à remous afin de s'élever et de s'asseoir sur une surface sèche.

— Que veux-tu savoir au juste ? demanda la magicienne. Ça doit être la première fois que je te vois autant t'intéresser à ma vie privée.

— Premièrement... c'est le protocole qui veut ça, mais je te le demande en tant qu'ami : as-tu des pensées... suicidaires qui te trottent dans la tête ?

Il avait hésité sur ces derniers mots. Abasourdie, Luna secoua la tête.

— Mais non ! s'exclama-t-elle. Où as-tu été cherché des idées pareilles ?!

— Disons que quelques personnes de notre groupe qui préfèrent garder leur anonymat m'ont mentionné que ton comportement avait changé dernièrement...

— Laisse-moi deviner... Wyatt ?

— Non. En fait, il s'agit de Gabriel. Il s'inquiète beaucoup pour toi. Il m'a avoué, avant de commencer à manger, qu'il avait déjà entamé une conversation à propos de tout cela, mais que tu ne voulais rien entendre...

Son interlocutrice roula des yeux et secoua la tête.

— Mais que lui prend-il, lui ?

— Tu sais qu'il te prend pour sa petite sœur, hein ? Il ne veut que ton bien.

— Bah, je suis une grande fille maintenant. Gab n'a pas besoin de toujours surveiller mes arrières. J'ai déjà assez de soucis à toujours m'occuper des autres...

— Oui, mais regarde où ça t'a mené ? À force de travailler dur pour Célestia, tu as oublié d'avoir une vie sociale. Attention, je ne fais que te répéter ce que les autres m'ont dit, à table. Ils sont tous reconnaissants que tu aies accomplis tout ça pour la nouvelle république de Baldt, cependant ils te voyaient rarement sortir du palais.

Luna n'était pas certaine comment réagir à ce qu'il venait de lui dire.

— C'est probablement pour cette raison que tu te poses des questions en ce qui concerne Wyatt, n'est-ce pas ? ajouta Flint.

— L'art de mettre le doigt sur le bobo, répliqua la magicienne, découragée.

— J'ai un très bon sens de déduction. Enfin, à force de récolter les informations de nos collègues, j'ai fini par deviner que tout partait du principe que tu ne sortais pas assez de chez toi. Sans vouloir t'accuser, tu t'es renfermée suite à notre départ pour Aeglys. Les autres voulaient passer du temps en ta compagnie, mais tu étais tout le temps occupée.

— Il le fallait bien ! Sans mon aide et celle de nos scientifiques, nous n'aurions pas pu progresser comme nous l'avons fait en dix ans...

— Tu aurais quand même pu t'accorder des vacances. Les experts appellent cela être accro au travail. Ça peut être nocif à la longue. Je suis étonné que tu aies survécu une décennie sans perdre la boule avec tout le boulot que tu t'es tapée.

— C'est ça, l'avantage d'être immortelle.

— Si tu étais encore humaine, par contre, ton corps ne le prendrait pas.

— Tu... Tu marques un point.

Quelques minutes plus tard, ils sortirent du bassin et se nettoyèrent. Ensuite, Flint ferma la baignoire à remous et se rhabilla. Il était plutôt satisfait de sa première visite à la salle sportive du vaisseau. Il comptait y revenir plus souvent. Même Gabriel saurait profiter de cette eau. Cela lui donnait déjà des idées coquines, mais il se corrigea rapidement, sachant que sa priorité du moment était de se rapprocher de Luna.

— Peux-tu me dire comment tu perçois les gens, en fait ? questionna-t-il. Niveau sentimental, je veux dire.

Elle hésita quelques secondes, tout en mettant sa robe de bain.

— Je ne sais pas... Normalement, je vois tout le monde comme de bons amis... mais il m'arrive de ressentir certaines envies étranges pour certaines personnes avec lesquelles j'ai le plus d'affinités. Pour ce qui est de ma sexualité... ça reste un mystère. Je ressens que très rarement l'envie d'avoir une relation sexuelle.

— Et rarement, ça veut dire quoi, dans tes mots ?

— Une ou deux fois par an ? Je ne saurai expliquer...

— Tu savais que l'une de nos commerçantes à Baldt était comme toi ? Je veux dire, sur Aeglys. Il s'agissait d'Adélaïde Dulac, la cousine du boucher. Elle n'avait pas de mari, pas d'enfant, mais entretenait une relation avec le tavernier. Ils se fréquentaient quelques fois par an, pour les festivités et j'en passe. C'était une gentille dame. Gabriel et moi passions souvent dans sa boutique.

— Je me souviens d'elle, en effet. Malheureusement, son âme n'était pas dans la base des données. Elle aurait pu nous aider à relancer le commerce...

Flint secoua la tête et ajouta :

— Ce n'est pas vraiment où je voulais en venir avec mon anecdote. Je voulais simplement te dire que tu n'es pas la seule, à vivre avec des sentiments de la sorte. Avant même qu'on ne commence à sortir ensemble, Gabriel ne voulait rien entendre du sexe. Maintenant, bah... pas besoin de t'en faire un dessin.

Luna plissa son front.

— Essaies-tu de me convertir, ou quoi ? bouda-t-elle.

— Mais non, s'esclaffa son ami. Tu as le droit de vivre ta vie comme tu le souhaites. Asexuelle ou pas, tu restes la même Luna que nous aimons depuis toujours. Et puis, souviens-toi de ce que je t'aie dit plus tôt : la sexualité est fluide. Ça change selon le temps, d'après moi. Estelle ne s'intéressait qu'aux garçons avant de rencontrer Kylie, et regarde où elle en est à présent : bisexuelle et fière de l'être. Il n'y a pas de honte à expérimenter. Tu as le droit d'avoir ton propre bonheur... peu importe ce que ce sera. Que ce soit avec un mari ou non, avec des enfants ou non. Je suis certain que la Luna Kelly que je connais finira par trouver quelque chose de bien pour elle.

La brigadière rougit, tandis qu'elle se séchait les cheveux avec une grande serviette.

— Mon bonheur, je l'ai déjà laissé filé et il s'est marié à notre éclaireur...

Flint voulait l'encourager, mais une voix familière attira leur attention.

— Est-ce vraiment ce que tu penses... ?

Ils se tournèrent tous les deux et virent Wyatt, à quelques mètres du jacuzzi. Celui-ci était seul et portait un plateau rempli de nourriture. Flint conclut qu'il voulait se faire pardonner et offrir un repas à sa meilleure amie.

— Oh... mince... couina Luna qui se recouvrit le visage, gênée.

La magicienne sortit ensuite un flacon de sa pochette de robe et la cala cul-sec. Elle devint aussitôt invisible et laissa tomber ses vêtements avant de s'éloigner rapidement. Flint et Wyatt purent suivre ses pas humides qui se dirigèrent vers la sortie. Le capitaine secoua la tête et ramassa ce que Luna avait abandonné.

— Laisse-lui un peu de temps, proposa Flint. Elle a besoin de faire le tri dans ses méninges. Tu devrais rapporter ça au réfectoire.

— Mais je ne comprends pas... formula Wyatt. A-t-elle réellement des sentiments pour moi ? Comment est-ce possible ? Elle m'a pourtant précisé à de nombreuses reprises qu'elle ne connaîtrait jamais ce genre d'attirance...

— Les voies de notre déesse sont impénétrables...

Le chef de la Septième Brigade plaisantait, mais Wyatt ne trouvait pas cela marrant du tout. Il était sur le point de faire demi-tour quand Flint le retint par un bras.

— Attends, dit ce dernier. Avant de mettre ton mariage avec Scottie en péril, j'aimerais que tu réalises une chose : Luna a besoin de temps pour comprendre ce qui se passe avec elle. Et toi, sérieux, il faudrait vraiment que tu aies la conversation avec ton homme. Ce serait moins lourd à porter sur tes épaules si tu lui disais...

Wyatt garda silence, mais son supérieur pouvait lire de la colère et de la frustration sur son visage. Il ne voulait pas d'enfant, mais Scottie en désirait un plus que tout. Le capitaine s'inquiétait que tout cela causerait des ondes négatives dans leur groupe, s'ils ne réglaient pas le problème au plus vite.

— Je suis désolé, soupira Flint. Je complique tout. Ça ne change pas ce que je ressens pour Scottie et toi. Je n'aimerais pas vous voir séparer à cause de ce que tu n'arrives pas à lui dire.

Wyatt chercha à éviter le regard de son supérieur, qu'il avait affectueusement surnommé Daddy, un peu plus tôt. Il ressentait plein de sentiments étranges envers lui. Une attirance physique, affective, comme un peu de répulsion. Car il l'enviait. Parce qu'il était jaloux de toute l'importance que l'équipage lui donnait. Pourquoi ne pouvait-il pas avoir une position aussi importante que Flint ? Il manquait de cran. Tout ce que représentait Flint à ses yeux. Une image renversée de lui-même. Tout son contraire et pourtant, quelqu'un de si attachant. Il l'aimait comme une partie de lui le méprisait. Comme un rival. Et puis... il y avait tous ces petits détails de Flint qui lui tapaient sur les nerfs, comme ses enfantillages...

— Ça fait des années que tu évites de lui donner une réponse, prononça Flint. Tu lui dois bien ça. Après tout, vous avez sûrement dû en vivre, de belles choses...

— Qu'est-ce que tu t'en sais ?! répliqua sèchement Wyatt, qui le fusilla du regard. Tu n'étais même pas là pendant tout ce temps et nous avons tous dû vivre sans toi et les autres. Tu nous as privés de Misaki, Gabriel, Nash, Shayne et Lucas à cause de tes misérables caprices et ça, c'est sans oublier les esprits élémentaires qui vous ont suivis ! Durant ton absence, c'est Cassandra qui nous servait de capitaine, mais ça tu ne le sais pas parce que tu ne penses qu'à ton nombril ! Tu n'étais même pas fichu de lui demander si elle avait eu des complications de grossesses. Car oui, elle en a eu !

Flint ne s'était pas attendu à se faire parler sur ce ton, mais reconnaissait qu'il avait encore du rattrapage à faire avec celles et ceux qu'il avait laissés derrière afin d'accomplir sa mission sur Aeglys.

— Les triplés sont pourtant vivants et en bonne santé, remarqua-t-il.

— Ouais, bah, on a failli les perdre à cause du stress qu'elle a ressenti, tout ça parce que votre absence la perturbait. Elle a même fait de l'anémie pendant un certain temps, comme elle ne surveillait plus ce qu'elle mangeait. Cassie n'en avait parlé à personne, mais ç'aurait pu facilement être réglé si elle avait pris tous ses suppléments... Mais non, elle s'inquiétait beaucoup trop pour Shayne et votre groupe. Elle se faisait du sang d'encre, quoi. Luna et moi, on a dû veiller sur elle...

Bouche bée, le capitaine ne savait plus comment réagir. Wyatt ne s'arrêta pas là. Flint vit qu'il agrippait sur le plateau si fort qu'on pouvait voir ses veines sortirent légèrement. Le mage écrasa le tout au sol. De la nourriture vola dans tous les sens, mais ce n'était pas ce qui perturba Flint. Wyatt s'approcha de son supérieur et le poussa violemment, d'une main.

— Tout ça, c'est ta faute ! accusa-t-il. Si ce n'était pas de ton immaturité et de ton côté instable, nous n'en serions pas là aujourd'hui et nous aurions probablement encore une planète ! On comptait sur toi et tu nous as abandonnés parce que tu n'es qu'un lâche et un traître ! Et là, t'as le culot de revenir dans nos vies, de commencer à draguer avec mon mari et moi ouvertement... et tu oses me juger, car je ne veux pas d'enfants avec Scottie !? Tu es cruel, Flint ! Pourquoi joues-tu ainsi avec nos sentiments !?

Flint ne dit rien. Il encaissa les reproches du brigadier. Il prit une grande respiration et décida d'ignorer celui-ci. Il contourna donc Wyatt, avec les vêtements de Luna dans ses bras. Wyatt, insulté de ne pas avoir de réaction, lâcha une série de jurons.

— Rendez-vous avec Athéna, après dîner, dit enfin le capitaine. À partir de maintenant, tu es sous probation. Recommence à me parler sur ce ton et je serais forcé de te congédier. Alors là, tu auras vraiment une bonne raison pour te plaindre.

Une fois qu'il fut sorti de la salle sportive, Flint entendit le mage hurler à pleins poumons. Même si normalement, il aurait envie de sourire après avoir remis un collègue à sa place ; ce n'était pas le cas en ce moment. Il avait mal au cœur. Il craignait d'avoir brisé toutes les chances d'un éventuel rapprochement avec lui, à cause de ses convictions.

Mais Wyatt avait raison sur un point. Il les avait tous lâchement abandonnés. Il essuya une larme qui coulait le long de sa joue et se dirigea en direction du réfectoire. 

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