115. Une pause bien méritée
Le réfectoire ressemblait étrangement à la salle à manger où les brigadiers avaient l'habitude de traîner entre leurs missions sur Aeglys. C'était beaucoup plus petit, mais convivial. L'immense véhicule dans lequel Flint et ses camarades se trouvaient, leur rappelait leur palais. Mis à part quelques gadgets auxquels la plupart d'entre eux n'étaient pas encore familiers, l'illusion de leur ancienne demeure les perturbait.
— Je suis en train de perdre la tête avec tout ce qui nous arrive dernièrement, soupira Flint, installé à l'une des tables. C'est trop pour moi.
— Moi aussi, fit Shayne, assis à sa droite. Je donnerais n'importe quoi pour retrouver ma vie d'avant. J'ai horreur de tous ces voyages dans les différentes dimensions.
— Et puis quoi encore ? La prochaine planète que nous visiterons nous transformera tous en vaches ? N'importe quoi. On se joue de nous.
— En tout cas, lorsque cette stupide guerre sera terminée, je crois que je vais demander à ce que je vais laisser mon titre de dieu à quelqu'un de plus compétant.
Flint fixa Shane et hocha la tête.
— Je crois que je vais faire pareil. Je ne vois pas en quoi je serai utile aux mortels, en tant que dieu. Être un brigadier me convient amplement.
Gabriel vint s'asseoir à côté de son mari avec un plateau rempli de burgers qu'il avait préparé pour le groupe. Cassandra était toujours aux plaques et se préparait un chili. Scottie l'assistait et remuait ce qu'il y avait dans sa casserole, tandis que sa sœur préparait une salade de fruits pour leurs desserts. Estelle cuisait des frites.
— Ça m'a manqué, ce genre de repas entre potes, dit le capitaine qui observa Misaki ramasser un burger pour le petit Randell. On peut relaxer un peu, maintenant que nous avons quitté la base lunaire.
— Tout ça me rappelle un truc, mentionna Gabriel qui leva les yeux dans les airs. J'ai de la difficulté à me souvenir de certains détails de la simulation.
— Maintenant que tu le dis... il est vrai que certains souvenirs semblent avoir disparu...
Toutefois, Gabriel se souvenait toujours qu'il avait vécu l'existence d'un homme trans qui travaillait comme strip-teaseur. Il se souvenait aussi des deux termes de fétichisme qui représentait son envie d'être un gros bonhomme. Feeding et gaining. Cela faisait de Flint, un admirateur. Il n'avait pas encore parlé de tout ça à son époux.
Il revoyait des images de la simulation, où son alter ego collectionnait souvent des photos d'hommes encore plus gros que lui, en cet instant. Tous des hommes qui dépassaient parfois les deux cents kilos et plus encore. Gabriel se sentait rassuré de ne pas être la seule personne dans cet univers qui éprouvait une telle attirance pour les grosses personnes, ou le désire d'en devenir une. Seulement, ce genre d'information ne se divulguait pas vraiment aux gens normaux. Il fallait avoir une forme d'esprit tordu pour parler de fétichisme.
Luna, assise en face de Flint, remarqua :
— Il est normal que vous ne vous souveniez pas de tout. Ce projet n'était qu'un prototype, d'après Athéna. La plupart des situations que vous avez vécues là-bas ont probablement été effacées de vos esprits lorsqu'on a dû fermer le serveur de force.
— Et que fait-on de Perséphone et Thanatos, dans ce cas ? demanda Flint. Peut-on vraiment leur faire confiance ?
— Vous les avez tous vu agir en présence d'Athéna. Ils semblent coopératifs... mais si j'étais vous, je resterais sur mes gardes. On ne sait toujours pas s'ils ont un agenda bien à eux... Redoublez de prudence en leur présence.
Shayne émit un petit rictus. Ses camarades se tournèrent vers lui.
— Moi, c'est Athéna que je ne peux pas supporter, formula-t-il. Cette femme se joue de nous depuis la formation de notre brigade. Elle a toujours un point d'avance sur tout le monde et se sert de notre groupe comme son faire-valoir. Je ne serais pas surpris qu'elle nous sacrifie lors d'un prochain combat.
Flint lâcha le burger qu'il tenait entre ses doigts ; du ketchup éclaboussa Wyatt qui s'en prit en pleine figure. Le mage râla et essuya sa joue rapidement.
— Toi aussi, tu as cette impression ? demanda le capitaine. Parce que j'ai beau me dire qu'elle semble vouloir le bien de tout le monde, je la trouve aussi louche. Après tout, notre planète a été conçue spécialement pour servir les dieux en temps de guerre... Ça saute aux yeux que nous ne sommes que des soldats pour son armée.
— En même temps, nous ne devrions pas lui parler ainsi dans le dos, poursuivit Shayne. Je suis certain que ses intentions étaient nobles au départ, mais là, nous sommes impliqués dans un bordel qui n'en finit plus.
Gabriel roula des yeux et grogna afin d'attirer l'attention vers lui.
— Non, mais vous vous entendez parler ou quoi ? gronda-t-il. Je vous signale que Nana a fait tout ça pour vous épargner d'être réduits à l'état d'esclavage ! Ça se voit que vous n'avez jamais vécu au Saint Royaume...
Il déposa son burger sur son assiette et reprit :
— Leurs lois sont strictes : nous serions moins libres d'agir comme nous le désirions et il est fort probable qu'ils auraient effacé nos souvenirs avant de nous balancer dans de nouvelles planètes. Croyez-moi, Nana n'a pas un grain de méchanceté en elle. Elle désire seulement la paix pour nous tous.
Il posa ensuite son regard sur son mari et fronça des sourcils.
— Tu n'as quand même pas oublié que je suis impliqué dans cette histoire depuis le début, n'est-ce pas ? À moins que ta mémoire déraille...
Flint recula son visage et déglutit. Il s'en souvenait. Gabriel était l'un des fondateurs d'Aeglys et avait servi sa mère en tant qu'assistant, autrefois.
— Désolé Gab, rétorqua Shayne. Ce n'est pas envers toi que nous avons un problème. Enfin, je parle surtout pour moi. J'ai horreur des divinités depuis toujours et vous me connaissez suffisamment pour savoir pourquoi je suis énervé. Les dieux devraient laisser les mortels s'occuper de leurs propres affaires, plutôt que de toujours tout détruire en un claquement de doigts. Regardez ce qu'ils ont fait à notre planète...
Le colosse soupira et hocha la tête.
— Mouais... à moi aussi, notre planète me manque, fit-il. Par contre, ça ne se fait pas de parler ainsi d'Athéna alors qu'elle se tue à améliorer notre existence.
Flint leva son regard au plafond et se mit les mains derrière la tête.
— J'aimerais surtout comprendre pourquoi elle a autant de secrets, formula-t-il. Avec elle, il faut toujours s'attendre à qu'elle nous lance une bombe...
— Oulah, imagine les dégâts que ça ferait... plaisanta Luna. Du jus de Gabriel partout.
Le colosse toisa la magicienne et se contenta de prendre une bouchée de son repas.
— Mais c'est vrai qu'elle abuse, quoi, poursuivit la jeune femme. Dernièrement, nous sommes passés à travers tellement de révélations que je me pose des tonnes de questions sur son passé. Il n'y a pas à dire... Elle m'intrigue.
Kylie s'approcha de la table et déposa le bol de salade de fruit au centre.
— Et dire que tout ça a commencé quand nous sommes partis pour Lanartis, remarqua-t-elle. Qui aurait cru que je m'attacherais autant à mes nouveaux coéquipiers ?
Elle ébouriffa au passage la chevelure de Gabriel et lui fit un câlin avant de s'asseoir à côté de lui. Le gros guerrier rougit timidement et gloussa.
— Tu as beaucoup changé, en tout cas, remarqua Flint. Je me souviens que tu étais vulgaire à l'époque de notre rencontre. Sans gêne, même. Ton vocabulaire contient moins d'expressions péjoratives, ou je me trompe ?
— Oh ça ? fit Kylie. J'évite d'utiliser un langage cru près des enfants et au travail. J'ai eu un bon entraînement sous la couette. Pas vrai ma poulette ?
Elle se tourna vers Estelle. Cette dernière était en train d'essuyer le comptoir auquel ils avaient préparé à manger, un peu plus tôt. Lorsqu'elle entendit la remarque de son épouse, elle rougit et figea sur place.
— On avait dit que tu ne m'appellerais pas comme ça devant mes parents... couina la journaliste, embarrassée.
Elle recouvrit son visage de honte.
— En même temps, il fallait bien qu'elle développe ses capacités sociales, avec notre resto, mentionna Scottie par-dessus son épaule. Elle se débrouille bien, je trouve.
— Au fait, d'où est venue l'idée de vous lancer en restauration ? demanda Misaki.
Kylie examina la guerrière albinos, avec qui elle entretenait une relation ambiguë.
— En fait, j'ai voulu faire carrière en musique, mais puisque Scottie avait besoin d'aide pour commencer son commerce, je me suis jeté à l'eau.
— Quant à moi, j'avais envie de me rendre utile, expliqua son frère. La bouffe de Gabriel me manquait, donc j'ai décidé de recréer quelques-uns de ses plats et ils font désormais partie de notre menu. Enfin... faisait partie... Arf... Fais chier...
Le visage de Kylie s'assombrit, quand elle réalisa que tout ce qu'ils avaient construit ensemble avait été détruit. Elle se laissa choir sur la table et gémit.
— Tout ce progrès pour rien... râla cette dernière.
Le colosse lui fit une petite caresse amicale sur le dos pour la réconforter.
— Rien ne vous empêche de tout recommencer, n'est-ce pas ? interrogea Luna. Nous allons être coincés sur le Célestia quelque temps. Ce sera une bonne opportunité pour vous de cuisiner quelques plats.
— Ouais, bah... ça ne sera pas la même chose que d'avoir notre casse-croûte et toute la clientèle que nous nous sommes fait en dix ans, répliqua Scottie.
Ce dernier s'approchait avec le chaudron du chili végétarien qu'il avait préparé avec Cassandra, qui s'installa près de Shayne et se ramassa une assiette de fruits.
Flint remarqua que Lucas n'était toujours pas revenu de sa promenade autour du vaisseau. Il se tourna vers Misaki et demanda :
— Est-ce qu'on garde une assiette pour mon frère ?
— Il m'a dit qu'il n'avait pas faim, dit son interlocutrice.
— Je vais lui garder deux cheeseburgers dans ce cas.
Scottie s'installa près de sa jumelle et fit un clin d'œil à son époux qui dégustait une fraise. L'éclaireur était heureux de voir que le petit Randell demandait déjà du chili. Le nouvel enfant des Markios rajoutait une nouvelle dynamique à leur groupe et débordait d'énergie.
— T'aime les légumes ? constata Estelle. Eh bah, tu me surprends...
— Pourquoi ? demanda l'enfant, qui cligna des yeux.
— Papa Gabriel n'aime pas trop les repas sans viande.
— Ah, mais c'est si bon !
Randy lui fit son plus beau sourire et avala une grande bouchée de son bol. Gabriel frétilla et grimaça de dégoût. Il aimait mieux les chilis de Cassandra, mais Scottie y avait ajouté une sorte de fève qu'il n'aimait pas. La guérisseuse gloussa et se servit un grand bol de ce qu'elle avait préparé avec le jumeau.
— Tant mieux ! Ça me fera une portion de plus pour un prochain repas ! s'exclama Cassandra. En plus, j'adore les nouvelles épices...
— C'est quand même étrange qu'il y ait autant d'aliments dans le garde-manger, dit Flint. Nous sommes ici depuis quelques heures et tout ça me semble si frais...
Il enleva le pain de sa plaquette de viande et gratta celle-ci avec une fourchette.
— Tout ça vient de la magie du réacteur... ou de la gemme de création, expliqua Luna. Nous ne mourrons pas de faim, tant que nous serons à bord de ce vaisseau.
— On dirait de la triche, répondit Flint. Je n'ai pas l'habitude de consommer de la viande que je n'ai pas abattue moi-même.
Cassandra fusilla le capitaine. Il réalisa son erreur et s'excusa. Elle n'avait déjà plus faim. Vexée, elle se leva et se dirigea au comptoir afin d'aller se servir une tasse de thé. Un instant plus tard, elle sortit du réfectoire sans même leur dire au revoir. Cela jeta un froid dans la pièce.
— Quelque chose ne va pas ? questionna Flint qui se tourna vers Shayne.
— Elle s'inquiète pour nos enfants, rétorqua le général. Hypnos m'a avoué qu'elle n'a pas beaucoup dormi depuis la mission de la base lunaire. Disons qu'elle carbure au café et aux fruits.
— Et elle est docteure... Je vais devoir lui parler en privé.
— Pas la peine, elle a juste besoin de temps pour s'adapter à notre nouvelle situation.
— Et moi, j'aurais besoin de vacances...
— Nuance, on a tous besoin de vacances.
Flint et Shayne échangèrent un regard complice et éclatèrent de rire en même temps. Les anciennes tensions entre le capitaine et le général avaient disparu depuis si longtemps qu'ils avaient fini par se respecter mutuellement. Gabriel appréciait de voir qu'ils s'entendaient bien, contrairement au début de leur voyage pour Lanartis.
— Et bah, on dirait deux frères, commenta Luna avant de croquer un raisin.
— La famille Markios : l'essayer c'est l'adopter, plaisanta Scottie.
— Idiot !
Luna pouffa de rire, suivie de Wyatt et Misaki.
Malgré le fait qu'ils avaient perdu quelques valeureux combattants lors de la récente embuscade, les membres de la Septième Brigade avaient mérité ce repos. Flint se sentait fier d'être entouré par ces gens qu'il considérait non seulement comme des amis, mais comme sa famille à part entière. Ils en avaient vu de toutes les couleurs, mais il avait le pressentiment que leur aventure n'était pas sur le point de se terminer.
— Je propose qu'on fasse un autre repas de ce genre, demain soir ! s'exclama Gabriel qui leva une grosse tasse remplie de bière. Montrons à ces dieux comment célébrer, façon baldtienne ! Ce repas m'a fait du bien... hihihi... hic !
Il rougit timidement, alors que ses camarades acclamèrent cette décision en chœur. Cette soirée avait été, pour eux, une réussite. Ils passèrent les prochaines heures à discuter de tout ce qui leur passait par la tête. À quelques reprises, Flint avait surpris Wyatt qui faisait les yeux doux à Gabriel, tandis que Kylie avait remarqué que son frère dévorait Flint du regard. Cette étrange énergie grivoise entre les quatre hommes, était de plus en plus palpable. Kylie ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi ils ne couchaient tout simplement pas ensemble.
— C'est à croire qu'ils sont trop gênés pour se lancer... pensa-t-elle.
Lorsque vint le temps d'aller se coucher, Flint décida de se promener un peu autour du vaisseau spatial. Il n'avait pas sommeil et avait besoin de se changer les idées. Après tout, cette journée avait été longue.
¤*¤*¤
Lucas ne dormait pas. Ce dernier s'était installé à une petite table au fond d'une grande serre où poussaient des plantes et des fleurs. Cette pièce avait été aménagée spécialement dans le vaisseau afin de fournir une ambiance plus sereine aux passagers. Il avait trouvé un rasoir électrique, un peu plus tôt, et s'était rasé la tête. Sa chevelure blonde ne faisait plus que quelques centimètres. Il se tenait à l'écart des autres depuis leur retour à Célestia, ou plutôt à bord du véhicule. Il avait besoin de calme et d'espace. Contrairement à son frère, il faisait tout ce qu'il pouvait afin de rester en contrôle de la situation.
À cran, il avait décidé de trouver une petite pièce où se calmer. Il avait fini par découvrir cette serre qui servait aussi de parc. Il avait aussi déniché un livre dans une salle remplie d'œuvres de différentes cultures et avait opté pour lire quelques chapitres avant de se coucher. Voilà plus de deux heures qu'il lisait en silence, sous les branches d'un érable miniature.
Il entendit la porte automatique s'ouvrir et leva son regard vers son frère dernier-né qui entra, les mains dans les poches. Celui-ci était décontracté.
— Ah tiens, te voilà, toi, dit le capitaine de la Septième Brigade. Je me suis inquiété, durant notre repas. Est-ce que ça va ?
Lucas déposa son livre sur la table et croisa ses mains.
— Ne t'en fais pas pour moi, je vais bien, formula-t-il.
— Tu t'es rasé les cheveux. Pas mal !
— J'avais besoin de changer de coupe. Ça fait maintenant plusieurs années que je les laissais pousser. C'est étrange de ne plus avoir de queue de cheval.
— Ça te va bien en tout cas.
Les cheveux de Flint avaient un peu poussé durant les dernières semaines. Ils n'étaient pas très longs, mais il pouvait désormais passer des mèches derrières ses oreilles. Il décida de s'asseoir avec son aîné, avec qui il n'avait pas eu la chance de parler en tête-à-tête depuis quelque temps.
— Est-ce moi qui hallucine ou bien... ça ne va pas avec Misaki ? demanda Flint, qui avait remarqué une certaine distance entre les deux tourtereaux.
Lucas n'appréciait pas du tout que son quadruplé se mêle de leur histoire amoureuse. Toutefois, puisqu'ils travaillaient tous ensemble ; les brigadiers finiraient tous par l'apprendre tôt ou tard de la bouche de la guerrière albinos.
— Nous nous sommes disputés, expliqua-t-il.
— Ah bon ? Pour quelle raison ?
— Ce qu'elle a fait à Troyd... je n'approuve pas.
Flint haussa un sourcil.
— Je vois. Peux-tu me dire pourquoi ?
— J'avais quelques questions à lui poser. Comme... la raison qui l'a poussé à se convertir au Culte de Perséphone... ou bien pourquoi il est l'une des raisons qui m'a poussé à fuir notre famille...
Lucas se couvrit la bouche et évita le regard de son frère. Ce dernier haussa un sourcil, intrigué.
— Il... t'a fait des trucs, n'est-ce pas ? questionna Flint, concerné.
— On peut dire ça. Il revenait de la taverne. J'étais seul à m'entraîner au tir à l'arc et il a profité de cet instant pour passer ses sales pattes sur mes... seins. J'ai fait volte-face et je lui ai planté mon poing à la figure. Il était inconscient. Lorsque j'ai réalisé qui c'était, je n'ai pas voulu le dénoncer. J'avais peur de cet homme et de son influence sur l'armée. Je vivais une période dysphorique, en plus... alors... ce qu'il m'a fait, ne m'a pas aidé.
— Mais... tu aurais pu nous en parler dès ton retour à Baldt, non ?
— Ça n'avait plus d'importance. Il ne pouvait plus m'atteindre. Je n'étais plus la jeune femme innocente et fragile qu'il avait autrefois pelotée. J'étais un homme... Je l'ai toujours été en fait... Mais je me suis vite rendu compte que revenir chez nous avait réveillé de vieilles blessures en moi. Tout d'abord, il y a eu cette dispute avec Kyran parce qu'il était jaloux de mon utérus autrefois fertile et il y avait toute cette histoire de sa propre infertilité... Ensuite, il y a eu les autres visites au palais, où certains soldats ont porté d'étranges jugements à mon égard. Je ne m'y suis pas senti à ma place avant l'année dernière.
— Comment ça, d'étranges jugements ? Pourquoi n'ai-je pas été mis au courant ?
— Parce que tu n'avais pas besoin de le savoir, Flint. Ce n'est plus important... De toute manière, ces gens transphobes ont fini par accepter mes allers venus au foyer.
— Je veux des noms...
Flint fronça des sourcils et tapa la table, comme quoi, il avait envie de les dénoncer à son père et au Général Wolfe. Lucas gloussa et répondit :
— À quoi bon t'en faire ? Ils sont tous morts.
— Mais nos soldats doivent respecter nos invités en tout temps ! grogna son frère. Ils-
— Tu t'en fais trop. Ils se sont excusés au fil des années. Je n'ai pas besoin de divulguer leurs identités ; ils avaient déjà assez honte de perdre contre moi, lors de nos duels à l'escrime. Je ne perds jamais un match...
Ce commentaire glaça le sang du capitaine. Lucas était effectivement reconnu pour son expertise de manier les rapières et toutes les variantes d'armes d'estoc. Cet art lui avait été transmis par un vieux brigadier de Baldt, plusieurs années plus tôt.
— Il a pris sa retraite un an avant notre départ pour la mission de Lanartis, songea Flint. Je me demande ce qu'il est devenu après être parti de la capitale.
— À quand remontent tes dernières nouvelles de Maître Darius ? formula Lucas. La dernière fois qu'on a discuté, c'était avant ma fugue.
— D'après mes souvenirs, il devait se rendre à Mytira en bateau. Nous n'avons plus jamais entendu parler de lui, par la suite.
— Dommage. J'aurais bien aimé lui montrer mon progrès avec les rapières.
Le plus jeune des deux quadruplés en profita pour discuter d'Éclipse.
— Au fait, Lucas... depuis quand sais-tu manier les faux ? J'ai remarqué que tu te débrouilles bien avec Éclipse.
— Oh ça ? J'ai fait beaucoup de jardinage avec Boris et Priya, durant nos temps libres. Je coupais souvent les mauvaises herbes d'une des fermes d'Archenwald, afin de me faire quelques piécettes en échange. On avait aussi droit à une petite parcelle de terre où nous pouvions planter nos propres légumes. Une partie de cet or a payé mes études pour devenir soldat dans leur armée. Disons que j'étais tellement habitué à trancher les herbes avec cet outil que j'ai décidé d'essayer de les essayer durant mes entraînements. Les plus longues faux ont une longue et large portée, donc c'est pratique contre plusieurs adversaires. Toutefois, je préfère un fleuret pour les duels.
— Eh bah... tu n'as pas chômé, on dirait.
— Toi, par contre, j'ai entendu dire que tu as causé plein de cheveux blancs à Tonton Nash... Vilain garnement. En même temps, ça ne m'étonne pas.
Il fit un petit sourire malicieux à son frère. Flint bouda et se croisa les bras.
— Le Conseil n'arrêtait pas de me mettre des bâtons dans les roues, râla le capitaine. C'était impossible pour moi de sortir de la ville pour aller m'entraîner contre des monstres. Ils n'ont même pas voulu que je rejoigne une brigade avant mes vingt-six ans. Le réalises-tu ? J'ai dû attendre vingt-six ans avant qu'ils m'autorisent à me grouiller les fesses et enfin me rendre utile en dehors du palais...
— Ton tempérament a toujours causé de nombreux problèmes aux fonctionnaires de la région, Flint. Essaie de te mettre à leur place. Les brigadiers sont des gens dignes de confiance. De ton côté, ç'a toujours été très délicat de te trouver une place. Il fallait qu'ils te placent avec Nash, car celui-ci savait comment te parler...
Flint souffla des narines.
— Je n'en reviens pas que tu ne prends même pas la défense de ton propre frère, rechigna-t-il. Et dire que je ferais tout pour toi...
— Allons, ne fais pas cette tête. Si tu es désormais le chef de la Septième Brigade, c'est que tu as mûri et qu'ils ont reconnu tes efforts en tant que bon citoyen.
Le capitaine lui tira la langue. L'ambassadeur gloussa, ce qui dessina un sourire aux lèvres de Flint. Le plus jeune des quadruplés n'était plus aussi rancunier qu'auparavant, mais il se souviendrait toujours de la période de sa vie à laquelle les membres du Conseil l'avaient forcé à patrouiller uniquement dans les rues de Baldt.
Lucas se frotta alors la bouche et observa son frère en silence, pendant quelques secondes.
— Qu'y a-t-il ? demanda Flint. Est-ce que j'ai quelque chose sur le visage ?
— J'ai un truc à te demander et cela pourrait être gênant, en fait.
— Quoi donc ?
— Il se passe quoi entre Gabriel, Scottie, Wyatt et toi ?
— Euh... je... c'est que... Oh punaise...
Flint ne pensait pas que son frère allait lui parler de cela, ici et maintenant. Il aurait préféré discuter de Gabriel et de son envie de fonder une famille avec lui. Mais là, il était évident que pratiquement tous les membres de la brigade, ainsi que Lucas, avaient remarqué les étranges comportements des quatre hommes.
— Avez-vous... fait des trucs ensemble, sans qu'on s'en rende compte ? demanda l'ambassadeur qui pencha la tête d'un côté.
— Ce... Ce n'est pas ce que tu crois... Enfin... Je...
Flint déglutit et se sentit devenir tout minuscule sur sa chaise.
— La polygamie et la polyandrie sont des idées bannies de Lanartis et de la république, commenta Lucas. Toutefois, le polyamour n'est pas interdit par nos lois. Ce que vous faites sous la couette ne nous concerne pas en fait. Tant que ça vous amuse et que vous êtes consentants, qui sommes-nous pour vous juger ?
Le visage de Flint vira au rouge tellement il était embarrassé d'avoir cette discussion avec son aîné. Il baissa le regard un peu sur le livre de son frère avant de répondre :
— En effet... Rien n'empêche deux couples mariés d'essayer des trucs ensemble... si c'est le cas. Mais je n'ai jamais rencontré des gens qui l'ont fait. Je sais juste que Scottie est ouvertement polyamoureux et qu'il a un mariage ouvert avec Wyatt.
— Mais Gabriel et toi... vous êtes intéressés à explorer tout ça avec eux, pas vrai ?
Flint hocha la tête faiblement. Comme s'il avouait son pire péché au Père Shalom.
— Gabriel et moi, on n'arrête pas d'en parler depuis quelques jours, affirma-t-il. Voilà depuis notre retour que nous ressentons quelque chose pour Scottie et Wyatt. Lui comme moi, nous éprouvons des attirances pour les deux.
— Mais est-ce que cela affecte votre couple ?
— Pas du tout ! On compte vivre nos vieux jours ensemble... et euh... on envisage même à agrandir notre propre famille. Mais Gabriel m'a fait promettre de ne pas te parler de certains détails. Merde. J'ai brisé cette promesse...
Lucas gloussa et répliqua :
— Ne t'en fais pas, Flint. Je suis déjà au courant qu'il était un homme trans dans la simulation. Si Gabriel a envie de transformer le bas de son corps pour pouvoir porter des enfants en lui, c'est tout à son honneur. Moi, je déteste mon corps, ça ne veut pas dire que toutes les personnes transgenres pensent de la même manière.
— Oui, mais Gabriel ne se voit pas comme une personne transgenre dans notre réalité. Enfin, lui-même ne sait pas trop comment se définir, à part qu'il est un homme polymorphe. Pendant que nous étions dans la salle de l'hôpital, il m'a avoué qu'il avait peur de passer pour un imposteur ou qu'il t'offenserait s'il décidait de poursuivre nos plans.
— Il ne m'offense pas du tout, Flint. Et s'il s'identifie polymorphe, c'est son droit. Si un jour, il croit être quelqu'un de la communauté trans, c'est aussi son droit. Il l'a bien spécifié que sa vie d'avant, aux côtés de notre mère, était celle d'un homme trans.
— C'est vrai. Je suis content qu'on ait parlé de tout ça... Mais je pense que Gabriel devrait te parler, lorsque les choses se seront calmées avec cette fichue guerre spirituelle. Il veut absolument être celui qui aura ta bénédiction, tu comprends ?
Lucas sourit et répondit :
— Ah Gabou... ce qu'il peut être chou, quand il veut.
Il hocha la tête et continua :
— C'est d'accord. J'accepte de jouer le jeu avec toi. J'attendrai qu'il vienne m'en parler en privé et je lui donnerai ma bénédiction, comme le parrain d'une organisation criminelle.
L'ambassadeur simula une expression machiavélique en rassemblant ses mains devant lui. Ce qui fit glousser son petit frère.
— Ton humour m'a manqué, Luc', formula Flint.
— Et vous m'avez manqué. Même si c'est inhabituel comme voyage, j'aime bien faire partie de cette aventure avec ton équipe.
Bien que Flint était ravi d'entendre son frère lui dire tout ça ; il ne pouvait s'empêcher de repenser au fait que tout le monde dans leur groupe avait pris connaissance de son petit ménage... ou plutôt, manège à quatre... Parce que tout le monde était témoin de leurs curieux agissements. Il soupira.
— J'ai l'impression de retomber en adolescence, exprima-t-il. Je me sens tout bête quand je suis près de Scottie et Wyatt. Une dizaine d'années se sont écoulées pour eux... et ils ont beaucoup changé depuis tout ce temps. Je ne comprends pas pourquoi mon cerveau fonctionne ainsi. Avant, je les trouvais trop jeunes et je me considérai comme quelqu'un de monogame avec Gab. Mais là... on dirait que j'ai cette petite voix dans ma tête qui me dit qu'on devrait faire tout plein de trucs ensemble. Et... c'est super embarrassant, en fait. Je ne sais même pas ce qui leur plait... s'ils sont aussi tordus que nous... Ce qu'ils préfèrent...
Flint remarqua l'expression gênée de son frère et se gratta le bout du nez.
— Pardon, poursuivit le capitaine. Je suis seulement stressé à l'idée de faire toutes ces découvertes avec eux. Enfin... rien ne dit qu'ils accepteront de faire tout ça avec nous mais... C'est comme mes premières fois avec Gabriel. Je fonce vers l'inconnu et ça me fait peur.
— Pourtant, Gab et toi, vous avez une belle relation, non ?
— Oui. Ça nous a quand même pris plein d'années avant de comprendre qui nous étions l'un pour l'autre. Et trouver nos préférences dans tout. Là, lui et moi, on réalise que d'autres opportunités pourraient élargir nos horizons. C'est à la fois excitant et effrayant. Mais je crois que je t'ai assez importuné avec mes affaires de cœur pour ce soir... Je suis désolé d'avoir pris autant de ton temps.
— Pas besoin de t'en faire. Tu avais besoin de te confier à quelqu'un. Est-ce que cette conversation t'a fait du bien, au moins.
— Oui, répondit Flint.
— Parfait. Dans ce cas, nous pourrons reprendre tout ça une autre fois, si tu le souhaites. Pour le moment, j'aimerais poursuivre ma lecture avant d'aller me coucher.
Flint allait se lever quand il se souvint la raison pour laquelle son interlocuteur était en froid avec sa compagne. Il se passa une main dans les cheveux.
— Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour Misaki et toi ?
— Non. Ça ira. Je me suis déjà excusé de m'être emporté et elle a accepté mes excuses.
Il prit une pause avant de poursuivre :
— J'aimerais par contre être seul, maintenant...
Flint hocha la tête, puis souhaita bonne nuit à son quadruplé, mais pas avant de lui poser une bise sur le front. Ensuite, il sortit de la serre et se dirigea vers les dortoirs du vaisseau. Lucas, quant à lui, n'arrivait plus à lire. Cette discussion avait réussi à lui rappeler plusieurs mauvais souvenirs.
¤*¤*¤
Athéna observait les étoiles à travers la grande vitre du pont. Voilà des heures, qu'elle n'avait pas quitté cette pièce. Après avoir programmé plusieurs données sur l'un des nombreux claviers d'ordinateurs, elle avait décidé de s'asseoir sur le siège du capitaine du vaisseau et de se reposer un peu. Perséphone avait voulu discuter avec elle, mais sa sœur était préoccupée. Finalement, ce fut Artael qui vint la sortir de ses pensées. Ce dernier n'arrivait pas à fermer l'œil et trouvait le comportement de son ancienne flamme très étrange.
— Tu ne dors pas ? interrogea Athéna, qui remarqua ses cernes.
— C'est plutôt à moi de te poser cette question.
La déesse, au regard inquiet, esquissa un sourire en coin.
— Je suis une grande fille, Artie. Pas besoin de t'inquiéter pour moi.
— Je t'ai connue plus affectueuse que cela.
Le ton de ce dernier était calme, mais elle pouvait y discerner de l'inquiétude.
— Que veux-tu dire ? formula-t-elle. Ai-je fait quelque chose de mal ?
L'ancien président de Baldt secoua la tête avant de s'approcher de la mère de ses enfants.
— Que fais-tu de notre histoire d'amour ? exprima-t-il. J'ai pleuré de nombreuses années, pour toi, tu sais ? J'ai conscience que nous plongeons au beau milieu d'une guerre, mais tu n'as pas démontré le moindre signe d'intérêt envers moi depuis...
Athéna se leva et rejoignit celui qui avait autrefois fait battre son cœur. Elle posa son index droit sur les lèvres de ce dernier, afin de lui faire signe de se taire.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée... Tu sors à peine d'une relation avec ton ex-amante et je suis convaincue que tu as encore des sentiments pour elle.
Il repoussa la main de la déesse, gentiment.
— C'était il y a plusieurs mois, quand même, répondit Artael. Il est vrai que je ressens toujours un petit quelque chose pour elle, mais c'est surtout platonique... Et puis, elle est sûrement morte ou bien réincarnée quelque part... J'aurais aimé qu'on reprenne peut-être un jour, mais je n'ai jamais ressenti la même chose qu'avec toi...
— On ne construit pas une relation comme ça en quelques années, simplement pour la jeter à la poubelle lorsque son ex-fiancée se pointe dans le décor...
Athéna se croisa les bras et secoua la tête. Elle s'était convaincue qu'il l'avait oubliée depuis tout ce temps, mais elle s'était trompée. Elle ressentait au plus profond de son cœur que si Artael et Ellen n'avaient pas fonctionné comme couple, c'était parce qu'il pensait toujours à elle. Une femme était pourtant morte depuis plusieurs années...
— Mais ne ressens-tu rien pour moi ?! demanda Artael, qui perdit patience.
Il était vexé que cette dernière n'ait pas démontré la moindre émotion romantique à son égard. Ça n'avait rien à voir à son comportement habituel, mais il avait espéré depuis tant d'années qu'ils soient enfin réunis.
— Évidemment que je t'aime toujours... La question n'est pas là. Seulement, tu pourras retrouver Ellen très bientôt, et peut-être essayer de la reconquérir, et... je n'ai pas envie de me mettre entre vous. Vraiment, tu l'as vu toi-même, mon chou, je ne suis vraiment pas faite pour avoir une vie sentimentale. Je suis beaucoup trop compliquée pour toi... Je dois tourner la page. Essaie de comprendre, Artie.
— Ça n'a aucun sens... Rien de ce que tu as fait durant ces dernières années n'a de sens, à mes yeux. Tu t'es servi de nous. Je t'ai fait confiance, pourtant...
— Je t'assure que mes intentions étaient nobles.
— Mais Athéna... Pourquoi... ? Pourquoi tant de secrets ? Que nous caches-tu encore derrières tes jolis yeux ?
— Vous savez déjà tout ce qu'il y a à savoir sur cette guerre et pourquoi j'ai agi ainsi pour ma sœur. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour ma famille.
La voix d'Artael commençait à craquer.
— En toute franchise, Ellen a toujours su que tu étais le grand amour de ma vie...
— Stop ! fit la déesse qui poussa celui-ci d'une main. Je te reconnais bien là, Artie. Tu essaies de me faire culpabiliser pour que je craque à mon tour. Cette tactique ne fonctionnera pas avec moi. Et puis, j'ai refait ma vie, moi aussi... Alors, tu n'as aucun droit de me dire comment je dois me sentir face à tout ça. Tu m'entends ? Et pourquoi voudrais-tu de moi ? J'ai gâché ta vie et celle de nos enfants !
— Ainsi... c'est comme ça que se termine notre histoire ? Sans même nous redonner une chance de s'aimer, comme avant ? Nous pourrions former une belle et heureuse famille... N'est-ce pas ce dont tu as toujours souhaité ?
Les joues de la déesse s'empourprèrent. Elle baissa son regard, timidement.
— Je sais que ça va te paraître bizarre, mais tu étais jeune et moi, je n'avais pas toute ma tête lorsque je suis tombée enceinte de toi... Je ne m'imaginais pas que nous allions avoir des enfants, mais je savais que tu serais un bon père pour ces derniers... Alors...
Artael soupira. Il n'avait pas envie d'entendre le reste de cette excuse.
— Arrête, grogna-t-il. Nous étions amoureux l'un de l'autre. Nous avons conçu ces bébés ensemble et tu m'as dit que tu voulais être mère. M'as-tu menti ?!
Les yeux de la demoiselle s'écarquillèrent alors qu'elle ressentit des sueurs froides.
— Bien sûr que non ! rectifia la dame. Par contre, plus d'une trentaine d'années se sont écoulées pour moi et pour vous tous. J'ai dû faire mon deuil, tout comme vous !
— Donc... c'est vraiment fini nous deux...
— J'en ai bien peur, Artie...
Artael secoua sa tête et souffla des narines. Une partie de lui avait espéré qu'elle pourrait lui retourner les mêmes sentiments qu'avant. Ellen Prescott avait été pour lui une excellente amie durant plusieurs années de sa longue vie. Seulement, lorsque son monde avait été détruit, il avait perdu tout contact avec elle. Ils étaient sortis à de nombreuses reprises et avaient commencé une belle relation, pour ensuite rompre plusieurs mois plus tôt. Ils étaient quand même restés de très bons amis, malgré tout et il s'en voulait un peu de ne pas avoir pu être à ses côtés, quand Aeglys avait disparu. À la mort d'Ellen, il avait réalisé qu'il ne la reverrait sûrement plus jamais, il s'était déjà fait à cette idée.
— Je te trouve bien vite à draguer avec moi, sachant qu'elle n'est plus du côté des vivants, fit Athéna, dans le déni. C'est à croire que tu n'accordes aucune importance à cette femme.
— Puisque je me tue à te dire que c'est fini entre elle et moi ! Et puis, tu es bien hypocrite de croire que j'ai des problèmes d'attachement. Cyrus m'a bien expliqué que tu nous observais avec ta boule de cristal depuis tout ce temps ! Tu devrais être en mesure de savoir que j'ai fait un pacte avec Ellen, qu'on soit ensemble ou non. Si l'un d'entre nous devait mourir avant l'autre—
— Celui ou celle qui resterait devrait refaire sa vie... acheva Athéna. Je sais. J'ai tout vu quand ça s'est passé. Votre relation était tellement étrange, mais j'y voyais tellement de respect et de beauté... Vous aviez cette belle amitié... et... je ne pensais pas que tu tiendrais à cet engagement. J'étais persuadée que tu ferais tout pour la retrouver et tenter de refaire ta vie d'ange avec elle...
— Nous savions tous les deux que la vie est bien trop courte, Athéna. Elle ne méritait pas de finir le reste de ses jours, seule. Moi, non plus. Je t'assure, pour moi, c'est une très bonne amie et ça s'arrête là... C'est toi que je veux.
Athéna se gratta le bout du nez et fronça des sourcils.
— Qu'allons-nous faire, dans ce cas ? formula-t-elle. Tu le sais bien que ma priorité pour le moment, c'est de réclamer le Saint Royaume et de nettoyer le Conclave...
— Tu veux tous les exécuter, c'est ça ?
— Si c'est la seule option qu'il nous reste, pourquoi pas ? Une guerre ne se gagne pas toujours avec une poignée de main.
— Mais as-tu perdu la tête ?! Depuis quand es-tu devenu aussi... froide ?
— Il y a plein de choses que tu ignores de moi ! lui reprocha son interlocutrice. Crois-tu encore que c'est une bonne idée de retomber amoureux d'une femme qui n'est même pas capable de gérer une situation aussi importante ?!
Elle le toisa avec défiance. Il s'approcha d'un pas et la fixa en silence.
— Tu te comportes comme une gamine immature, remarqua Artael. On dirait Flint tout craché. Je commence à comprendre pourquoi il m'a donné du fil à retordre...
— La gamine immature t'a ramené d'entre les morts parce qu'elle savait que tu es capable de gérer une armée et que tu as une tête sur les épaules...
— Si j'avais su que l'image que je me faisais de toi était si fausse, jamais, je n'aurais souhaité te revoir. J'aurais préféré rester mort. Tu me déçois... Je ne te reconnais plus.
Furieuse, Athéna s'apprêta à le gifler violemment, mais elle s'arrêta à mi-chemin et grogna. Elle poussa le mage contre un mur et le fusilla du regard. Il l'observa en retour, pendant quelques secondes. Il était frustré envers la princesse, mais voir cette expression sur le visage de cette dernière le fit glousser.
— Je ne vois pas ce qu'il y a de marrant, bouda Athéna.
— Maintenant, je me souviens pourquoi je suis tombé amoureux de toi... Tu es follement mignonne, même quand tu t'emportes.
Athéna rougit et recula d'un pas.
— Mais je suis une dame... Je n'ai rien à voir à une gamine...
— Pourtant... tu as l'air si jeune qu'on pourrait te prendre pour une adolescente, vu ta petite taille. Tu passerais presque pour la grande sœur de notre belle Estelle.
— Tu ne dis ça que pour me faire plaisir, pfft...
Elle gesticula une main en l'air et mit l'autre dans l'une de ses poches.
— J'ai eu le temps d'en parler avec les autres et j'ai cru comprendre que vous possédez des machines au Saint Royaume qui permettent de modifier nos apparences, reprit Artael. Ça doit sûrement expliquer pourquoi tu gardes une apparence si jeune.
— Oui, mais ça n'a rien à voir. Les dieux vieillissent très lentement. Je suis l'une des plus jeunes olympiennes qui soient encore actives. J'ai vécu plusieurs millénaires, après tout ! Oh... maintenant que j'y pense, il est vrai que je pourrais passer pour une humaine au début de sa vingtaine... Comme c'est embêtant...
— Et dire que j'ai dépassé la cinquantaine...
Son interlocutrice secoua la tête et passa une main sur le visage ridé d'Artael.
— Tu as toujours été bel homme, Artie. Quelques cheveux blancs ne changeront pas l'attirance que je ressens pour toi. Et puis... tu es beaucoup plus responsable qu'à l'époque où on s'est connu, ça c'est certain.
Tendrement, le mage posa sa propre main sur celle d'Athéna.
— Tu m'as tellement manquée, Diana... soupira-t-il.
Les lèvres de la déesse tremblèrent. Elle ne s'était pas rendu compte que sur ses joues coulaient des larmes. Toute la tristesse accumulée par la princesse, au fil des trente dernières années, commençait à se manifester. Il avait réussi à la secouer psychologiquement parlant, ce qui n'était pas facile pour la plupart des gens qui la fréquentaient. On la connaissait pour son attitude assez bornée, en plus de son esprit créatif. Artael était l'un des seuls hommes qui arrivait toujours à la séduire.
— On fait quoi, maintenant ? dit-elle, enlaçant son grand ami.
— Je veux rattraper le temps perdu, répondit le mage. Je veux passer le reste de mon existence à tes côtés, peu importe ce qui en coûte.
— Tu es aussi borné que ton fils, gloussa-t-elle.
— Tous les Markios le sont.
Il lui sourit, sachant qu'il avait dit la même chose à la dame, un instant plus tôt.
— As-tu au moins conscience que le reste de ton existence sera l'éternité ? reprit Athéna.
— Si cela peut me permettre d'être à tes côtés, je le ferais ! Je te serais fidèle et ensemble, nous régnerons sur le Saint Royaume !
— Mais j'ai déjà promis ces terres à ma sœur...
Elle ricana et passa ses doigts sur le duvet qui poussait là où devait normalement se trouver la barbe d'Artael.
— Dans ce cas, nous veillerons sur Célestia ensemble lorsqu'elle sera reconstruite !
— Oulah ! C'est que tu es persistant, ma parole...
— S'il te plaît, ma douce... penses-y. J'ai toujours voulu t'épouser... Ça ne changera jamais. Je souhaite de tout mon cœur que nous fondions la famille dont tu as toujours rêvé. Je veux vivre et mourir à tes côtés... encore et encore...
— Oh... Artie...
Elle bondit vers lui, entoura celui-ci avec ses bras et l'embrassa. Il lui rendit son baiser et ils tournoyèrent près du mur, se bécotant partout. Elle avait envie de cet homme, plus que tout. De vieux souvenirs refaisaient surface alors qu'il descendait le long de son corps. Elle ressentit ses lèvres qui se baladaient sur son torse et gémit de plaisir.
Les traits physiques d'Artael changèrent légèrement pendant ce temps. Ses rides disparurent et ses cheveux blond pâle avaient été remplacés par une couleur dorée plus foncée. Il avait rajeuni d'une vingtaine d'années en l'espace d'une minute.
— Prends-moi... demanda la déesse.
— Avec plaisir...
Ils s'enlacèrent durant un instant, tandis qu'ils échangeaient de tendres regards. Ils finirent par s'éloigner vers le couloir des dortoirs et entrèrent dans une chambre vide où ils enlevèrent leurs vêtements rapidement. Pendant qu'ils réapprenaient à se connaître, ils ne s'étaient pas rendu compte de la lumière sous le cadre de porte de la pièce d'à côté.
¤*¤*¤
Luna n'arrivait pas à dormir, alors elle lisait tranquillement. Assise sur son lit, elle pouvait entendre les gémissements du couple. Athéna gémissait de plaisir, ce qui fit rougir la pauvre magicienne qui referma son livre.
— Moi qui pensais en avoir fini avec tout ce sexe ! pensa-t-elle. Je n'en reviens pas. Maître Artael n'a-t-il donc aucune gêne ?
Elle rougit davantage, lorsqu'elle imagina la déesse qui se faisait emboîter par son professeur de magie. La magicienne se tapa les joues et décida de sortir de sa chambre afin d'aller se servir une tasse de thé au réfectoire. Quand elle passa devant la porte du couple, elle entendit la déesse qui lâcha un cri primal. Mine de rien, Luna comprenait à présent d'où venait cette habitude bizarre de Flint quand il faisait l'amour avec Gabriel.
Luna figea sur place. Son aversion pour les parties de jambes en l'air ne faisait qu'empirer. Et dire qu'adolescente, elle avait tendance à penser au sexe, par curiosité... Elle décida d'ignorer ces bruits perturbants et continua son chemin. Elle avait remarqué les tensions sexuelles entre l'ex-président et la princesse, au cours de la journée. Pire, Flint, Gabriel, Scottie et Wyatt dégageaient, eux aussi, des signaux de ce genre, chaque fois qu'elle les croisait depuis quelques jours.
C'était trop pour Luna. Elle qui avait de la difficulté à ressentir quelque chose pour quelqu'un de cette façon... Elle avait l'impression d'être une intruse dans cet étrange vaisseau de la perversion. Au moins, Derek était doux avec elle. Jamais il ne l'avait mis mal à l'aise... même si elle pensait qu'il serait mieux avec une autre femme.
Même si une partie d'elle était heureuse qu'Artael et Athéna aient ravivé leur amour, elle regrettait d'être à bord du même vaisseau que tout ce petit monde lubrique. Il lui faudrait bientôt se trouver de quoi bloquer tous ces bruits gênants.
— C'est un miracle que Flint et Gabriel n'aient encore rien fait... soupira-t-elle. Ou même qu'ils ne soient pas en train de faire une espèce d'orgie avec Scottie et Wyatt. Beurk... Je vais devoir proposer une règle à tout le monde, afin que nous puissions dormir en paix. Pas de sexe avant d'avoir fini cette guerre... Mouais, ce serait bien...
Luna bâilla et se dirigea au réfectoire. Quand la porte s'ouvrit, elle vit avec horreur Scottie et Wyatt qui faisaient l'amour. Tous deux s'appuyaient sur le comptoir, interrompus dans leur acte. Elle déglutit, les yeux écarquillés. Elle refusait de croire ce qu'elle voyait.
— Non... mais je rêve ?! s'exclama-t-elle. J'en ai marre ! Marreeeuh !
Furieuse, Luna fit volte-face et se mit à lancer des jurons. Elle retourna rapidement dans sa chambre. La pauvre jeune femme en avait marre de tout ça.
Ébahis, Scottie blanchit comme un drap alors que Wyatt rougit honteusement. Wyatt ne s'était toujours pas retiré de son époux.
— Je t'avais pourtant dit que c'était une mauvaise idée... soupira Wyatt.
— Ce n'est pas ce que ton petit oiseau me chante, gloussa Scottie.
— En effet ! Continuons... Ton nid est très confortable...
Il tapa l'arrière-train du cuisinier et reprit son élan. Pour eux, cette soirée endiablée et torride ne faisait que commencer.
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