114. Retour à Célestia
Le grand portail aux sous-sols du palais présidentiel s'activa. Flint fut le premier à en sortir, suivi de ses collègues et compagnons de route. Ils s'attendaient à retrouver les sous-sols, tels qu'ils les avaient laissés, mais réalisèrent avec horreur qu'ils se trouvaient dans des ruines poussiéreuses. Les murs étaient moisis avec le temps, rongés par les termites et plus encore. Une partie du toit s'était effondrée et ils pouvaient voir l'étage du dessus. Une atmosphère sinistre régnait. Même le mana qu'ils avaient ressenti dans l'air autrefois n'était plus présent.
— Oh non... fit Luna avant de se recouvrir la bouche.
Elle regarda de chaque côté.
— Mais que s'est-il passé... ? répliqua Wyatt. Où est Nash ?
— Je ne sais pas, mais ça ne me dit rien qui vaille, soupira Flint.
Il se laissa tomber la tête, alors que son père sortait du portail. Ce dernier était accompagné d'Athéna, Perséphone et Thanatos. Tous trois étaient tous aussi confus que les autres membres du groupe.
— La bonne nouvelle, c'est que je ne ressens aucun danger à proximité, répondit Cassandra. Je ne perçois aucune âme, à part les nôtres, à un rayon d'un kilomètre.
— Le palais a été déserté ? fit Artael, incrédule.
— Ça m'en a tout l'air...
— Ce n'est pas normal. Ces lieux devraient être gardés en tout temps.
Flint réfléchit un moment et se dit que si l'immense immeuble s'était retrouvé dans cet état, forcément, il y avait des indices quelque part qui leur expliqueraient ce qui était arrivé à Célestia pendant leur absence.
— Je propose que la majorité d'entre nous reste près de la salle du portail et que nous envoyons quelques éclaireurs fouiller les sous-sols, puis le reste du palais, mentionna-t-il au reste du groupe.
— Bonne idée, fit Scottie. Je suis rapide sur mes pieds. Laisse-moi y aller.
— Je vais t'accompagner, dans ce cas, répondit Shayne.
Flint, quant à lui, se dirigea vers la salle des incubateurs où devaient normalement se trouver leurs corps. Il réalisa que ces derniers avaient été saccagés et que leurs versions originelles leur avaient été dérobées. Il avait un très mauvais pressentiment. Il y avait des traces de sang séché partout, ainsi que plusieurs squelettes recouverts de poussières. Plusieurs années s'étaient écoulées.
— Bon sang, nous ne sommes pas partis si longtemps que ça, pas vrai ? se dit Flint pour lui-même. Oh cette puanteur... Elle me donne mal au cœur...
La moisissure commençait à lui donner le tournis. Malgré cela, il vit que les ordinateurs étaient toujours intacts, au fond de la pièce. Son expérience dans la simulation lui avait permis de comprendre l'utilisation de ces machines, mais pas comment le système de leur planète fonctionnait. Il s'approcha quand même d'un pupitre poussiéreux.
— Hé, Luna ! réclama-t-il par-dessus son épaule.
— J'arrive tout de suite ! fit son amie.
Elle était accompagnée par Wyatt. Elle comprit aussitôt pourquoi il l'avait invoquée dans la pièce et s'approcha d'un pas rapide. Elle tenta d'activer un ordinateur, mais ce dernier ne fonctionnait pas.
— Évidemment, soupira-t-elle. Il n'y a pas assez d'énergie pour qu'ils fonctionnent.
— Comment expliques-tu que la plupart de ces pièces soient éclairées, dans ce cas ? questionna Flint. Je n'ai vu ni torches, ni lumières électriques.
— Les murs contiennent des pierres magiques qui luisent dans l'obscurité, expliqua Wyatt. C'était l'idée de Derek Doyle. Il voulait s'assurer que nous puissions toujours nous promener à travers le palais, sans nous soucier de l'électricité.
— Durant les premières années où vous étiez absents, nous avons connu plusieurs pannes généralisées à travers toute la ville, poursuivit Luna. Nous avons donc dû trouver de nouvelles sources d'énergie. Heureusement pour nous, notre planète produit beaucoup de minéraux de ce genre...
— Eh bah... commenta le capitaine. J'en ai beaucoup à rattraper...
Luna secoua la tête et s'approcha des prises de courants. Elle retira l'un des fils et fit apparaître quelques étincelles magiques qui interagirent aussitôt avec les extrémités.
— La tour a commencé à clignoter ! remarqua Wyatt.
— Très bien, répondit Luna. Appuie sur quelques boutons, pour vérifier...
Le mage effectua la demande de son amie et réussit à mettre en marche l'ordinateur auquel l'experte des flammes avait l'habitude de travailler. Un instant plus tard, cette dernière s'approcha avec le cordon électrique dans sa main.
— Peux-tu tenir ça pour moi ? demanda-t-elle à Flint.
Sans même lui laisser le temps de répondre, Luna passa ce qu'elle tenait au capitaine, puis s'assit à sa chaise d'ordinateur. Son supérieur fronça des sourcils et roula les yeux ; Luna n'avait pas perdu son cran au fil des années. Il remarqua aussi une sphère magique, qui entourait l'adaptateur. La magicienne le surprendrait toujours.
— Ça ne devrait pas prendre longtemps, expliqua-t-elle. Heureusement, j'ai accès aux caméras de sécurité du palais. On finira bien par comprendre ce qui s'est passé...
Flint se gratta la tête. Il se demandait où étaient passés Dia et les autres esprits élémentaires. Il avait espéré avoir des réponses à son retour chez eux, hélas retrouver sa nouvelle demeure en ruines le préoccupait. Il avait peur qu'il ne soit arrivé quelque chose de grave à son oncle et ses amis magiques.
— Ah, tiens donc... se dit Luna pour elle-même. Un document a été mis en évidence au milieu du bureau...
Elle cliqua sur ce dernier avec sa souris et un fichier audiovisuel s'afficha. Sur l'image de la vidéo, ils virent tous trois Nash Markios qui s'adressait à la webcam de l'ordinateur.
— Ce message s'adresse aux membres de la Septième Brigade, formula ce dernier. Si vous voyez ceci, c'est qu'il nous est arrivé malheur. Quelques jours après votre départ pour votre dernière mission, nous avons reçu la visite de quelques représentants du Saint Royaume. Le Conclave est venu nous avertir que si nous ne nous rendions pas, qu'ils allaient déclarer la guerre envers Célestia. Malheureusement pour nous, ils ont fini par découvrir les coordonnées de notre monde et la situation n'a fait qu'empirer depuis ce jour. Nous avons été forcés de déplacer Célestia dans notre véritable dimension, dans une autre galaxie, puisque le Conclave connaissait déjà notre cachette. Durant les semaines qui ont suivi, Gretta et notre Conseil ont tout fait pour négocier une entente avec le Conclave, mais ils ne voulaient rien entendre. J'ai bien peur que ce soit la fin pour nous. Si jamais vous voyez ceci, cela voudra dire que nous avons été éliminés. Je vais m'assurer de laisser les coordonnées du Saint Royaume dans le tiroir auquel Luna range toutes ses affaires. À partir de là, je vous recommanderais la plus grande des prudences.
Flint déglutit en écoutant les paroles de son oncle. Ainsi donc la guerre avait éclaté entre le Saint Royaume et Célestia. Il soupira. La vidéo n'était pas terminée.
— Avant de conclure, j'ai quelqu'un qui voudrait s'adresser à vous, poursuivit Nash.
Ce dernier baissa l'image de la vidéo vers une louve blanche qui pencha sa tête d'un côté, puis de l'autre. Les oreilles pointues de cette dernière s'agitèrent d'excitation, alors qu'elle remua la queue. Elle s'approcha de l'appareil et renifla celui-ci.
— Ça se mange, ce truc ? demanda-t-elle.
— Mais non, gronda Nash. Cette caméra est en train de capturer ton image et ta voix. Tu as un message à faire à Flint et les autres, n'est-ce pas ?
— Capturer ?! Mais c'est quoi cette magie ?! C'est l'œuvre des démons, n'est-ce pas ?!
Le capitaine de la Septième Brigade recouvrit son visage honteusement.
— Elle ne comprend toujours pas la technologie ? exprima Luna avant de mettre une pause à la vidéo. Je plains ton oncle.
— En même temps, c'est un animal, répliqua Flint. Les machines, ce n'est pas son truc.
Luna gloussa avant de remettre le document en marche.
— Dia, qu'est-ce que... mais arrête, fit Nash.
— En garde, piège démoniaque ! grogna la créature à la fourrure éclatante. Au nom d'Athéna, tu seras vaincu !
Il y eut une coupure dans la vidéo, suivit d'un signal sonore. L'image retourna rapidement à la figure de Nash dont les cheveux étaient entremêlés, avec un pansement sur le nez. Flint comprit que la louve lui avait probablement fait mal, par accident.
— Deuxième tentative... soupira son oncle. On recommence.
— Pardon... couina l'esprit élémentaire.
Nash baissa à nouveau l'image en direction de Dia.
— Ça va, tu n'as jamais vu une caméra de ta vie, expliqua-t-il.
— Mais je t'ai fait mal... pleurnicha-t-elle.
Cette dernière baissa la tête, attristée. Sa longue queue touffue était repliée contre son bassin. La culpabilité qu'elle ressentait se voyait à travers son visage. Elle se ressaisit enfin et s'adressa à la webcam.
— Flint ? formula-t-elle. Je ne sais pas si tu m'entends, mais nous avons atterri ici au lieu de vous suivre. Ne vous en faites pas pour mon groupe et moi. On a compris que la destination n'acceptait pas notre magie.
— Je garderai un œil sur eux durant votre absence, répliqua Nash. Mais puisque le Conclave a une dent contre les dirigeants de cette planète, je ne peux pas vous promettre que nous survivrons tous...
— Pas besoin d'être si défaitiste... Pfft !
L'animal sortit la langue vers son interlocuteur. Il y eut un autre signal sonore et une coupure d'image. Cette fois, ils pouvaient voir Dia qui rongeait un os derrière Nash, alors que ce dernier replaça ses cheveux de manière plus propre et ordonnée.
— Bref, ne vous en faites pas pour moi et les esprits, dit ce dernier. Je tâcherai de garder un œil sur eux et m'assurerai que nous soyons en sécurité, quoi qu'il arrive. Tout ce que je peux espérer, c'est que vous reviendrez au palais, sains et saufs. Luna, je compte sur toi pour délivrer ce message à tout le monde. Flint, pas besoin de te gratter le menton, tu es entre de bonnes mains.
Flint sursauta lorsqu'il constata qu'il était en train de se gratter le menton. Son oncle le connaissait assez bien pour prédire comment il aurait réagi en visionnant cette vidéo.
Wyatt esquissa un sourire quand il vit la réaction de son capitaine.
— Il est trop mignon, pensa-t-il, avant de retourner son attention vers l'écran.
L'expression de Nash s'assombrit.
— Je vous dis au revoir, pour maintenant, formula-t-il. Retrouvez-nous et mettons un terme à cette histoire, une bonne fois pour toutes.
La vidéo figea. Pendant quelques secondes, Flint observa le faible sourire en coin de son oncle et soupira. Au moins, on avait répondu à quelques-unes de ses questions.
— Je vais informer Athéna et les autres de ce qui s'est passé, dit Luna qui se leva. Vous deux, vous devriez poursuivre vos recherches à travers le palais.
Wyatt hocha la tête et quitta la salle des machines. Luna prit la corde des mains du capitaine, pour le libérer de sa tâche et retira la sphère magique qu'elle avait invoquée autour de l'adaptateur.
— Tu es douée, mentionna son supérieur.
— Il le faut bien, répondit-elle. Comme on te l'a expliqué, plus tôt, on a eu beaucoup de pannes. Heureusement pour nous, Kylie m'a appris un truc sur l'élément de la foudre. Elle s'en servait souvent du temps qu'elle était musicienne.
Flint se passa les mains au visage.
— Tout ça remonte à Aeglys... dit-il. Je me demande si nous retrouverons un semblant de vie normal, quand tout cela sera fini.
— Il n'y a qu'une seule façon de le savoir, répliqua son amie. Allons botter les fesses de ces types. Après, on fera la fête.
Flint pouffa de rire et mit une main amicale sur l'épaule de Luna, afin de lui montrer qu'il tenait à elle. Ensuite, il se dirigea vers la sortie de la salle des machines.
Luna ouvrit alors le tiroir de son bureau et vit que Nash avait laissé les coordonnées du Saint Royaume sur un morceau de papier. Elle ramassa la note et rangea cette dernière dans sa bague magique. Malgré le fait qu'il n'y avait pas d'âme qui vive, les machines n'avaient pas été détruites, à part les incubateurs. Quiconque avait attaqué ces lieux s'en était seulement pris aux êtres vivants. Elle espérait comprendre pourquoi.
¤*¤*¤
Scottie avait failli tomber dans le vide lorsqu'il avait ouvert la porte principale du palais présidentiel. Il avait désiré voir l'état de la ville. Shayne l'avait attrapé par le collet de son chandail et l'avait tiré vers lui.
— Cette sensation étouffante... prononça l'éclaireur. C'est le néant, n'est-ce pas ?
— J'en ai bien peur, réagit Shayne.
Ils découvrirent rapidement que le palais était entouré d'une magie dévastatrice, la même qui les avait déjà tous tués. En ce moment, plusieurs fidèles d'Athéna fouillaient l'étage de fond en comble. Il n'y avait plus personne qui y vivait depuis une éternité.
— Comment se fait-il que le palais ait été épargné ? questionna Scottie. Est-ce en rapport avec la salle des machines ?
— En effet, déclara une voix derrière eux.
Ils firent volte-face pour voir Athéna qui s'avança vers eux. Elle était accompagnée de Perséphone et de Thanatos. Shayne n'aimait guère leur présence et les toisa alors qu'il fronçait des sourcils. Eux non plus ne l'appréciaient pas.
— Le système en soi a été conçu dans l'essence même de la création, expliqua Athéna. Il s'agit d'une puissante gemme de création, modifiée par mon père afin d'en faire notre réacteur. Contrairement aux noyaux normaux, on peut le recharger autant de fois qu'on le souhaite et il ne tombera pas en poussières, à moins que quelqu'un décide de le retirer de son socle et de le briser en plusieurs morceaux. Il a été fusionné aux machines du palais, ce qui explique pourquoi le néant n'a pas pu réussir à dévorer cet immeuble.
— Donc, nous flottons dans le vide, ajouta Perséphone. Très ingénieux de la part de notre père. Pas étonnant que le Conclave l'appréciait tant...
— Ce n'est pas tout. Le centre de ce monde synthétique est aussi équipé d'un système dont nous pourrions nous servir pour voyager à travers le néant... et ce qu'il y a dans l'espace. Nous sommes en réalité sur un vaisseau spatial.
— Hein ? Tu plaisantes, n'est-ce pas ?
— Pas du tout. Célestia a toujours été un vaisseau, en premier lieu. Seulement, Papa l'avait déguisé de sorte que nous pouvions nous en servir comme une planète.
Scottie cligna des yeux et dévisagea Shayne, tout aussi abasourdi que lui.
— Vous voulez dire que nous pourrions voyager au-delà des étoiles ? interrogea l'elfe basané. Je me souviens vaguement de la NASA, lors de notre simulation...
— Nuance ! rétorqua Athéna. Nous le faisons déjà !
— Mais un vaisseau n'a-t-il pas... je ne sais pas, la forme d'un véhicule ?
— Ça peut s'arranger, tout ça.
Athéna lui fit un clin d'œil.
— Je ne suis pas une femme de science, pour rien, dit-elle. Souvenez-vous que Célestia a été programmé par mon père et moi. Je connais cet endroit comme le fond de ma poche... enfin, son système.
— Tu n'as décidément pas changé, toi, soupira Perséphone. Tu as toujours une avance sur nous tous avec tes inventions les plus abracadabrantes.
— Je tiens ça de papa. Pourquoi crois-tu que j'ai créé Aeglys ? Il fallait bien que quelqu'un prenne une initiative contre le Conclave.
— Oui, mais... Ah puis laisse tomber...
Perséphone repensait à son ex-mari, ainsi qu'au conflit auquel sa vie avait pris un tournant très différent. Ces souvenirs ne la quitteraient jamais. Elle se souviendrait toujours du moment où on l'avait maudite dans la dimension infernale d'Aeglys. Elle se mit une main sur la hanche et souffla des narines.
— Je sais... répondit Athéna. Ce qu'on t'a fait endurer est cruel.
— Ce n'est pas ça qui me déroute, protesta Perséphone. Je pensais surtout au fait qu'à chaque fois que Papa et toi avez créé quelque chose de magnifique, par le passé, ça s'est toujours retourné contre vous. Ces abrutis de dieux aînés détestent tout ce qui est nouveau. Ils ne jurent que par leurs vieilles traditions. La Septième Brigade est partie à ta recherche et voilà le résultat... Je trouve cette situation exaspérante.
— Et moi donc...
Shayne devait reconnaître que la dame qu'il avait autrefois combattue était moins menaçante que dans ses souvenirs. Toutefois, ce qui s'était passé dans la simulation, avec les nombreux meurtres et tout le chaos, le mettait sur ses gardes.
— Nous allons devoir discuter de leurs sanctions, finit-il par dire à Athéna. Je veux bien accepter qu'ils travaillent désormais pour nous, mais n'oubliez pas ce qu'ils ont fait endurer aux gens durant que nous étions coincés dans la dimension sans magie. Et ce qu'ils ont fait sur Aeglys, avant la disparition de notre monde...
— Je comprends où tu veux en venir, répondit Athéna. Ils seront punis en temps et lieux, mais pour le moment, nous devons faire une trêve diplomatique si nous voulons venir en aide aux gens de Célestia.
Elle ne le regardait même pas. Elle avait prédit qu'il réagirait de la sorte. Shayne n'appréciait pas cette décision, mais respectait Athéna suffisamment pour accepter ce qu'elle venait de leur dire. Il fronça les sourcils, serra les dents et posa son regard sur Thanatos qui le dépassait de quelques centimètres. Ce dernier n'avait pas réagi tout de suite aux paroles de l'elfe, mais affichait une expression hostile envers lui. Shayne approcha instinctivement sa main près du pommeau de son arme. S'ils devaient combattre, il n'avait pas l'intention de perdre le duel.
— Ça suffit, vous deux ! gronda Athéna. Vous allez devoir apprendre à travailler ensemble pour quelque temps. Ma décision est prise !
— Avec tout le respect que je vous dois, Votre Altesse, je suis l'un des généraux de l'armée baldtienne. Ma tâche est de veiller sur le bien-être et la sécurité de ma nation. Ils représentent tous les deux une menace pour nous. Vous n'étiez pas là, lorsqu'ils ont envahi notre ville pour la toute première fois. Thanatos a failli tuer mon président. Comment pensiez-vous que j'allais réagir ?
Thanatos hocha la tête.
— Il marque un point, déclara-t-il. Je n'aimerais pas me retrouver dans sa situation.
Artael s'approcha du petit groupe, près de l'entrée du palais présidentiel. Il avait entendu une partie de cette conversation.
— Allons, Shayne, fit ce dernier. Pas la peine de t'en faire. Je vais bien.
Il mit une amicale dans le dos de Thanatos avant de poursuivre.
— Nous combattons tous pour la même cause désormais, ajouta-t-il. Il est temps pour nous de tourner la page et de pardonner ces derniers pour leurs actes lâches. D'ailleurs, je ne suis pas sans péché de mon côté puisque j'ai permis au régime politique de s'en prendre aux amis de Misaki Megumi pendant des années, sans réagir. Nous avons tous commis des erreurs ou des crimes lors des dernières années. Pourquoi ? Parce que nous devions survivre. Je comprends tout à fait ta frustration, mais je crois qu'il est temps pour nous d'aller de l'avant et de montrer aux représentants du Conclave que nous ne nous laisserons pas faire. N'est-ce pas ?
Le politicien tourna son regard vers les dieux renégats.
Thanatos blêmit rapidement, tandis que Perséphone était rouge de honte.
— Enfin, marmonna-t-elle, j'avais envie de me venger contre ma famille... mais il est vrai que je voulais une vie meilleure pour mes compagnons et moi. L'enfer d'Aeglys était le pire endroit où j'ai vécu de toute mon existence... Je ne souhaiterais jamais à personne d'y vivre.
— Cordelia Lawson n'avait pas l'air de s'en plaindre, leur informa Scottie.
Tous se tournèrent vers lui. Athéna sursauta et s'exclama :
— Elle m'était complètement sortie de la tête, celle-là ! Heureusement que tu viens de me le rappeler. Je me demande si elle a réussi sa mission...
— Quelle mission ? questionna Shayne.
— Pour faire court, je l'ai infiltrée sur la véritable Terre où nous devions tous nous réincarner. Sa tâche, là-bas, est de veiller sur cette planète et de me faire des rapports mensuels. Malheureusement, suite à ce qui s'est passé au Saint Royaume, puis mon arrivée sur Aeglys, j'ai oublié tout ça.
— En gros, elle exécute la même tâche qu'elle faisait à l'enfer d'Aeglys, répliqua l'éclaireur. Ça me semble être un emploi très honorable, pour elle.
— Exactement, reprit Athéna. J'imagine que ses rapports ont atterri dans les mains de nos ennemis et que l'un d'entre eux les a menés jusqu'à nous, par accident... Mais bon, nous n'avons pas besoin de nous en faire avec ce détail. Je suis certaine qu'elle va bien.
Athéna essayait de se convaincre que Cordelia était en sécurité, mais après ce qui s'était passé à Célestia, elle avait peur que cette dernière ait été capturée ou bien éliminée par leurs adversaires.
— Nous finirons bien par comprendre ce qui s'est passé, répliqua Artael. Je propose que nous nous éloignions de cette porte, puisque personne n'a envie de mourir en tombant dans le vide... Essayons de bloquer le passage avec un objet très lourd.
— Pas la peine ! lança Luna qui s'approcha d'eux. Nash nous a laissé les coordonnées du Saint Royaume ! Rassemblons tout le monde pour en parler !
— J'aurais pu vous la donner sans problème, mentionna Athéna. Mais bon, il est vrai que nous devrions tous en parler.
— Je meurs de faim... répondit Perséphone. Nous ne pourrions pas dénicher quelque chose à grignoter, avant de passer à l'action ?
— Je peux vous arranger ça, mentionna sa sœur. Laissez-moi me rendre à la salle des machines et je verrais ce que je peux nous préparer avec le système.
— Dans ce cas, je vous accompagne ! fit Luna.
Toutes deux s'éloignèrent en direction du sous-sol et laissèrent leurs camarades discuter entre eux. Tout bougeait si vite autour d'eux que Shayne en avait la berlue. Il avait besoin de se reposer, car il venait de voir un diablotin tomber près d'un guerrier, pour lui planter ses crocs dans la chair. Il réalisa avec horreur que ce n'était pas une hallucination.
¤*¤*¤
— Rassemblez-vous tous au centre du couloir ! ordonna Flint aux combattants.
— Tout de suite, Capitaine Markios ! s'exclama un soldat, qui répondit à son appel.
— Gabriel, à ta droite !
Le gros barbu se tourna brusquement pour assommer un chien des enfers d'un coup dans la gueule, avec son bouclier. Dans son autre main, il portait une longue épée qu'on lui avait passée, un instant plus tôt. Trois cadavres les entouraient, son mari et lui. C'était tous des anciens citoyens de Baldt qu'ils avaient reconnu.
Pendant un moment, les membres de la Septième Brigade, ainsi que les divinités, avaient cru que le palais était sécuritaire. Ils avaient réalisé trop tard qu'ils se trouvaient près d'un nid de monstres gigantesque.
— C'est typique du néant ! leur informa Thanatos. Cette matière noire est instable !
— Dixit le mec responsable d'avoir créé des milliards de monstres en invoquant le néant, rouspéta sa partenaire de vie, à côté de lui. Quelle ironie...
— Ah non, tu ne me la feras pas à moi, Persie ! Tu es autant responsable que moi dans toute cette histoire !
Perséphone haussa les épaules. Le Dieu de la Mort trancha un troll au ventre avec son épée, dont la lame était aussi longue que son corps. Quant à la Déesse des Enfers, elle fouetta une gargouille avec une liane épineuse, qu'elle écrasa dans la tête de l'énorme créature. Derrière eux, Cassandra visa une chauve-souris cyclope droit dans l'œil et la tua. Elle prépara une deuxième flèche lorsqu'un loup-garou tomba du toit.
— Bonté Divine ! lança Estelle. Ils sont en train de se multiplier ! Que fait-on ?!
— Maintiens ton champ de force ! ordonna Flint.
Estelle se trouvait à plusieurs mètres de ses parents et couvrait Wyatt et Artael alors que ces derniers lançaient des sorts aux créatures démoniaques.
— Compris ! répondit la journaliste.
— Kylie, à ta gauche ! cria Scottie, un peu plus loin.
Cette dernière avait saisi une hache à deux mains, ce que Gabriel avait l'habitude d'utiliser, et s'élança dans la mêlée, elle fracassa plusieurs monstres sur son passage. Elle avait tué plusieurs gargouilles et guerriers squelettiques à elle seule. Son frère l'assistait de son mieux, alors qu'il lançait des flèches paralysantes qu'il décochait depuis les escaliers des sous-sols. La jumelle se tourna vers la gauche et fut percutée par un zombie qui tenta de lui mordre le cou. Horrifiée, elle recula et foudroya son visage. La créature fut déstabilisée et tomba à la renverse.
Misaki s'occuperait normalement de repousser la plupart des adversaires avec son bâton, mais elle était occupée à protéger le petit Randell, dans une pièce où les démons n'avaient pas encore pu les trouver. Elle avait caché l'enfant dans un placard à balai et barricadé la porte avec des meubles. Lucas Markios était à ses côtés et maintenait une posture défensive. Ils s'attendaient au pire.
— Quoi qu'il arrive, on n'abandonnera pas ce petit, dit-il à sa compagne.
— C'est le plan ! affirma-t-elle.
Pile au moment où elle prononça cette phrase, trois gargouilles défoncèrent la fenêtre derrière eux et bondirent vers eux. Le pauvre petit garçon pleurnichait dans son placard et criait pour que ses parents viennent le chercher.
Flint, de son côté, commença à flotter dans les airs. Au beau milieu du grand couloir du rez-de-chaussée, il se mit à briller telle une étoile et brûla plusieurs démons au quatrième degré, rien qu'en lançant une puissante attaque de lumière. Il tomba aussitôt dans les bras de son mari, étourdi. Cela leur permit de reprendre leurs forces, malgré le fait que plusieurs petites créatures entraient par les nombreuses failles du palais.
— Flint ! hurla Artael. Tout va bien ?!
Le capitaine leva un pouce en l'air, pour montrer à son père qu'il n'était pas mort.
— Sa magie s'est nettement améliorée ! constata Wyatt, ébahi.
— Wyatt, ce n'est pas le moment de t'exciter ! lui reprocha son mentor.
— Pardon, patron !
— Shayne ! Attention !
Artael fit apparaître une longue chaîne dorée dont il se servit pour entourer Shayne par la taille. Au moment où un spectre munit d'une faux allait lui trancher la tête, le mage tira sur sa chaîne pour faire tomber le général au sol. L'arme évita sa tête de justesse. Shayne en profita pour lancer une flamme ténébreuse vers le fantôme.
Une vingtaine de démons les entouraient. Ils étaient de plus en plus nombreux à chaque seconde. Ils en tuaient deux ; quatre apparaissaient.
— Ils sont trop nombreux ! grogna Perséphone. Nous devons partir !
— Pas maintenant ! répliqua Thanatos.
Hypnos, qui montait des sous-sols, lança un puissant sortilège d'illusion qui affecta la plupart des démons dans son champ de vision. Ils s'évanouirent tous au contact de sa magie. Ce dernier entra à l'intérieur du champ de force d'Estelle et s'écria :
— Athéna et Luna m'envoient vous dire de vous tenir prêts ! Ça va commencer dans moins d'une minute ! Accrochez-vous l'un à l'autre !
À peine avait-il prononcé ces mots qu'une onde magique traversa la pièce et désintégra ce qui restait des monstres, ainsi que leurs cadavres. Le sol se mit à vibrer sous les pieds des combattants, comme s'ils étaient en train d'assister à un tremblement de terre. En vérité, la pièce était en train de rétrécir et de changer de forme sous leurs regards.
Graduellement, les murs devinrent métalliques et furent recouverts de petites lumières étranges reliées à des machines. Là où devait se trouver la porte principale pour entrer à l'intérieur du palais, ils pouvaient voir une fenêtre remplacer cette dernière et s'agrandir à un tel point qu'ils pouvaient voir des étoiles au loin. L'immense bâtiment semblait avancer dans l'espace. Flint était bouche bée.
— Elle ne plaisantait pas ! s'exclama Perséphone. C'est bel et bien un vaisseau spatial ! Je n'en reviens absolument pas !
— Oh, mes aïeux... marmonna Artael, choqué. C'est... merveilleux...
Le vaisseau volait à une vitesse hallucinante, à un tel point qu'ils pouvaient voir des étoiles filantes à travers ce qui paraissait être une énergie bleutée, à l'intérieur de laquelle leur véhicule gigantesque fonçait. Derrière eux, les sous-sols s'étaient transformés et rapidement, Athéna apparut, assise sur un grand siège. Elle se tenait le menton, satisfaite. Luna, à côté d'elle, tentait de rester debout, déboussolée par la transformation du palais. Elle secoua la tête et admira le spectacle.
— Bienvenue à bord du Célestia, moussaillons ! lança Athéna, avant de ricaner. En tant que capitaine, je vous prierai de ne pas d'endommager mon bébé durant notre voyage !
Flint, que Gabriel venait de poser au sol, se tourna vers sa mère. Il haussa un sourcil.
— Fallait-il vraiment que tu nous sortes un cliché de ce genre ? s'exprima ce dernier. Maman... franchement...
Athéna s'esclaffa et se tapa les cuisses.
— Oh, arrête ! fit cette dernière, excitée. Ça fait des années que je rêve de cet instant !
— Ma sœur... tu es ridicule, rouspéta Perséphone, qui ne put s'empêcher de rire à son tour. Mais bon, je dois admettre que tu as toujours eu un penchant pour les histoires de pirates de l'espace... Papa serait fier de toi.
Athéna se leva de son siège et fit une révérence.
— Merci ! Merci ! s'exclama-t-elle, qui en rajoutait.
Le sol cessa de trembler sous leurs pieds, ce qui signifiait que la transformation du palais était enfin terminée. Athéna fit un sourire à la magicienne derrière elle.
— En tout cas, vous pourrez féliciter votre amie Luna pour toute l'aide qu'elle m'a apportée durant ces dernières minutes, dit-elle à tout le monde. Je lui dois une fière chandelle ! Qui aurait cru qu'on réussirait à me surpasser au niveau du clavier ?!
Flint se racla la gorge, ce qui attira l'attention sur lui. Ils étaient au moins une trentaine d'individus dans la toute nouvelle salle de pilotage. Misaki, Lucas et Randell sortirent de ce qui semblait être une petite salle à manger. Athéna se tourna vers son fils.
— Maman, c'est une bien jolie distraction, tout ça, mais que sommes-nous censés faire avec ce vaisseau ? dit ce dernier.
— C'est... une bonne question, répliqua-t-elle. Premièrement, nous sommes tous épuisés par ce dernier combat et nous avons des funérailles à organiser pour nos défunts camarades... Je propose que nous nous reposions pour le reste de cette journée. Notre prochaine destination sera le Saint Royaume, mais vous n'avez pas à vous en faire. Le vaisseau voyagera jusque-là grâce à notre autopilote, sans que nous ayons besoin de nous servir du portail. Prenez le temps de vous familiariser avec les lieux, car le Célestia est très grand. Assurez-vous de mettre à jour vos bagues dans la salle des machines et une nouvelle carte des lieux devrait vous être offerte.
— Vraiment ? Aussi simple que ça ?
— Affirmatif !
Ce fut à cet instant que Luna interrompit la conversation en cours et s'adressa à Athéna, elle était concernée par un certain détail :
— Euh, il y a un truc qui me chicote... Si le Conclave nous a trouvé la dernière fois, est-ce qu'ils peuvent encore nous retrouver, maintenant que nous sommes en déplacement ? Oh... et est-ce que le Saint Royaume peut aussi se déplacer ?
— Pour répondre à ta première question, pas forcément, répondit Athéna. Désormais, nos coordonnées vont changer en temps et lieux. Et pour répondre à ta deuxième question, le Saint Royaume se trouve toujours au même endroit, au même secteur. Il n'a jamais changé de place, puisqu'il s'agit d'un monde dans son propre système solaire. Nous, par contre, nous sommes sur un vaisseau. Ce qui fait que nos coordonnées peuvent changer... Est-ce plus clair, à présent ? Je t'expliquerai tout ce que tu souhaites apprendre du Célestia, un peu plus tard, si tu veux... Est-ce que ça te va ?
Luna hésita, puis hocha la tête.
— D'accord... Je comprends, dit-elle. Mais qu'est-ce qui nous empêche de simplement ouvrir un portail pour nous rendre directement au Saint Royaume ?
— Ce serait du suicide, répliqua Hypnos.
Cette réponse ne plaisait pas à la magicienne.
Même Flint et Gabriel n'étaient pas certains de comprendre ce qu'ils disaient. Toute cette histoire de vaisseau spatial était tout nouveau pour eux, à tel point qu'ils étaient confus. Au moins, ils n'étaient plus directement en danger.
— Qu'entends-tu par suicide ? demanda alors le Capitaine Markios à Hypnos.
— À partir du moment que nous ouvrirons un portail depuis notre vaisseau pour nous rendre là-bas, ils nous trouveront et auront une opportunité de nous envahir, ainsi que de tous nous éliminer un par un. Voilà pourquoi je déconseille de nous y rendre par l'usage de cette magie. Le déplacement du vaisseau avec l'autopilote est la meilleure solution.
— Je suis du même avis, répondit Athéna.
— Avez-vous d'autres questions ? ajouta Hypnos.
— Oui, moi ! lança Scottie, qui se trouvait un peu plus loin, aux côtés de son époux.
Tous se tournèrent vers l'éclaireur qui avait levé la main.
— Tantôt, je suis presque tombé dans le néant, à l'entrée principale du palais. Or, nous sommes à présent entourés par les étoiles... Comment fonctionne ce vaisseau, en fait ?
— Ah, ça ? commenta Athéna. Comme je l'ai expliqué plus tôt, la gemme de création nous permet de repousser le néant. Notre vaisseau était en fait recouvert de cette magie dévastatrice et je crois savoir pourquoi. Le Conclave a tendance à effacer les éléments qui les gênent en faisant appel à cette magie taboue. Il est possible qu'ils espérassent que nous disparaissions. Mais comme vous pouvez le voir, nous sommes sortis de ce nuage de néant.
— Et nous sommes dans l'espace... continua Scottie. Si on arrive à respirer ici, est-ce parce que le palais est équipé du même système d'oxygène que sur la station lunaire ?
— En effet, répondit Athéna. Ça va de soi. Ce vaisseau propose aussi son propre système de gravité, donc il est normal que vous ne flottiez pas dans les airs.
— Fascinant, ajouta Luna. Tout simplement, fascinant... Je dois tout apprendre de cette technologie. Voudras-tu m'enseigner tout ça, Athéna ?
— Mais bien sûr, Luna. Ce sera un plaisir !
Wyatt décida de s'approcher d'Athéna et de Luna.
— Luna est déjà douée avec tout ce qu'elle a accompli ici, depuis plus de dix ans, avoua-t-il à la déesse. Je suis persuadé qu'elle fera une excellente apprentie à tes côtés.
— Toi aussi, je pourrais t'instruire, formula Athéna au mage. Ensemble, nous pourrons reconstruire ce que le Conclave nous a enlevés. J'en suis certaine.
Luna et Wyatt s'échangèrent un sourire complice, émerveillés par toutes les possibilités qui s'offraient désormais à eux.
— Avez-vous d'autres questions ? demanda encore Hypnos, qui regarda autour de lui.
Personne ne répondit quoi que soit. Alors, Athéna tapa dans ses mains pour signaler aux gens de circuler.
— Yip, yip ! lança-t-elle. Il est temps pour vous de vous familiariser avec le vaisseau et nous vous donnerons de nouveaux ordres d'ici aux prochaines heures.
Flint était agacé que sa mère avait décidé de tout prendre en charge, sans même consulter les autres personnes gradées à bord du vaisseau. Il soupira et se tourna vers son mari, qui était tout aussi confus que lui. Tous deux s'approchèrent d'Estelle. Cette dernière semblait étourdie à cause de tout le mana qu'elle avait épuisé. Scottie et Kylie venaient de s'approcher d'elle et l'aidaient à se tenir droit.
— Je suis curieux de voir à quoi ressemble l'intérieur de cet immense véhicule, formula le gros guerrier. Au fait, ça vous dit d'aller visiter la cuisine avec moi ? J'ai la dalle !
Les quatre autres s'échangèrent un regard avant de pouffer de rire. Encore une fois, le colosse ne pensait qu'à manger. Il avait toujours faim après un combat ; ils commençaient à être habitués à son rythme de vie.
— Bah quoi ? Qu'est-ce que j'ai encore dit ? bouda Gabriel, penaud.
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