1. Le Capitaine Markios

Début du Volume 1 - Le Culte de Perséphone

Un jeune homme, légèrement musclé et aux cheveux blonds, ne tenait pas en place dans sa chambre. Il se préparait à recevoir une réponse de la part de ses supérieurs. Voilà des mois qu'il espérait cette nouvelle avec impatience.

— Non, mais je mets quoi, moi... ? marmonna-t-il.

Ce jour-là, une nouvelle brigade avait été formée – une équipe de personnes capables de combattre des monstres et de partir en missions pour aider la république de Baldt. Lui, Flint Markios, aspirait à devenir capitaine : le rang le plus important de ce groupe.

Il examina nerveusement sa montre et soupira :

— Bientôt l'heure du souper...

Il se tourna vers un homme plus grand derrière lui et souleva une chemise bleue et une autre noire.

— Gabriel ? demanda-t-il. T'en penses quoi ?

— Mets la bleue, Flint. Elle ira bien avec ton jean.

Son ami lui adressa un regard doux et lui mit une main sur l'épaule. C'était un grand gaillard barbu et bedonnant qu'il fréquentait depuis plusieurs années. Tous deux s'étaient fiancés, quelques mois plus tôt. Flint avait l'air d'un cure-dent aux côtés de Gabriel, tellement leurs corpulences étaient différentes. Il dormait à peine dernièrement, excité et impatient à l'idée de connaître son sort.

— Et si on ne me choisit pas... ? se dit-il.

Il commença à trembler.

— T'as une chance sur trois d'être pris, répondit Gabriel qui haussa un sourcil. C'est la même chose pour eux, non ?

— Ouais, mais mon oncle a aussi posé sa candidature. Tu sais comment le Conseil est avec lui... Ils le traitent aux petits oignons sous prétexte qu'il leur rapporte beaucoup d'argent avec sa maîtrise des éléments !

— Ça ne veut rien dire ! Tu te débrouilles très bien pour combattre les créatures qui entrent dans cette ville et tu es capable d'appréhender des criminels sans l'aide de personne ! Et s'il y a bien quelqu'un ici qui se démène depuis des mois, c'est bien toi !

Il essayait de remonter le moral de son fiancé, mais Gabriel savait dans le fond que Flint ne serait peut-être pas choisi. Ce dernier était un peu trop impulsif et avait souvent de la difficulté à travailler en équipe.

Pourtant, Flint avait beaucoup travaillé durant les derniers mois et s'était assagi et en plus de s'être rendu serviable. Même malade, il avait patrouillé les ruelles de Baldt, leur ville. Il avait tant cherché à plaire à leur gouvernement, le Conseil, qu'il avait fini par en perdre la tête... au grand dam de son entourage.

— Dis-toi que ce n'est pas la fin du monde, si tu ne deviens pas capitaine, cette année, ajouta Gabriel. Ton père va sûrement nous placer ensemble, toi et moi, donc...

— Pfft ! Arrête Gab... Tout ça me stresse !

Gabriel se pencha vers son amant et lui fit une bise sur la tête, pour essayer de le calmer. Il lui passa les mains autour de la taille, alors que Flint empoignait sa chemise bleue fermement. Flint se sentit rougir. Gabriel savait toujours comment lui remonter le moral, même s'il était un peu maladroit dans certaines situations.

— Oh... susurra le blond lorsque son fiancé commença à lui bécoter la nuque.

Ils restèrent ainsi un moment, jusqu'à ce que Gabriel recule et lui donne une petite tape sur les fesses. Flint pouffa de rire et lui sortit la langue.

— Va te changer, chéri, dit Gabriel. Ton rendez-vous est dans quelques minutes.

— Bonne idée.

Flint lui passa une main sur la panse – une caresse par-dessus son large chandail de laine. Gabriel lui sourit et l'observa s'éloigner vers leur salle de bain personnelle. Cette pièce était reliée à leur chambre et ils pouvaient s'y rendre quand ils le voulaient. Pratiquement toutes les salles de cet étage étaient agencées de cette façon. Que ce soit le mobilier ou bien les pièces reliées, tout habitant du palais avait droit à son petit coin tranquille.

Gabriel s'approcha alors du grand miroir qu'on avait placé devant leur lit. Il tourna son visage à quelques reprises et frotta son menton, recouvert d'une épaisse barbe marron. Il se demandait s'il ne devrait pas se raser un peu, même s'il aimait sa pilosité faciale. Ses yeux verts lui rappelaient ceux d'un gros chien et il se sentait toujours mal à l'aise lorsqu'on lui faisait cette remarque. Il n'y avait que Flint qui avait la permission de lui donner des petits noms.

— Les gens n'arrêtent pas de me dire que j'ai l'air effrayant avec cette bouille... pensa-t-il. Je ne suis quand même pas si moche que ça, hein ?

Il baissa alors son regard vers son ventre massif et le fit rebondir quelques fois. Sans que personne le sache, il avait appris à aimer ses formes et ne manquait plus une occasion pour s'admirer dans la glace et se trouver sexy.

— Ce n'est pas grave si mon père me rejette... poursuivit ce dernier. Au moins mon chéri m'aime comme je suis... Ce n'est pas tous les jours qu'on tombe amoureux d'un gros golem adorable, après tout... Non ? Maintenant, si seulement je pouvais faire quelque chose avec cette barbe trop longue... Peut-être qu'en taillant un peu... ?

Gabriel Tabris avait été créé artificiellement, mais cela ne l'empêchait pas de se sentir comme un homme véritable. Rejeté par son créateur, il était devenu le serviteur des Markios et était tombé amoureux de Flint, quelques années plus tard. Déjà adulte à sa création, mais possédant l'âme d'un bébé naissant, jamais, il n'avait pris une ride par la suite. Son apparence avait peu changé. Seuls sa pilosité faciale et son tour de taille avaient varié, au fil du temps. Cela ne semblait plus le gêner du tout, ni sa famille adoptive qui avait abandonné tout espoir de le faire maigrir.

— Gab ! héla la voix de Flint, à travers la porte de leur salle de bain. J'ai oublié mes fringues sur le lit ! Peux-tu me les passer, s'il te plaît ? Je suis sur la cuvette !

Gabriel, qu'on surnommait aussi le colosse de Baldt, roula des yeux et retourna au lit, afin de ramasser les articles de son fiancé. Après, il fit demi-tour et s'approcha de la porte et plaça le tout près de leur lavabo. Flint était en train de s'essuyer, chose que Gabriel n'aimait pas observer – ni sentir d'ailleurs. Son fiancé lui sourit bêtement alors que ce dernier retournait dans la chambre principale.

— Non mais suis-je son fiancé ou son esclave ? soupira Gabriel, pour lui-même.

— Gab, tu sais que j'entends tout, hein !? répliqua Flint, qui pouffa de rire.

— Mais euh...

Gabriel entendit des bruits depuis la salle de bain, il se dit que Flint s'était lavé les mains pour ensuite enfiler ses vêtements en vitesse. Il reconnut le bruit d'un aérosol, ce qui voulait dire que Flint appréciait le parfum vanille-lavande qu'il avait acheté au marché, l'autre jour.

Lorsqu'il ouvrit la porte, Flint avait un grand sourire aux lèvres. Il posa ses yeux bleu ciel sur le visage de son futur mari, avant de lui faire une pichenette sur le nez. Gabriel fronça des sourcils et poussa un petit grognement plaintif. Pourquoi fallait-il toujours qu'il se complique la vie ?

— Que t'ai-je dit sur les messes basses ? demanda Flint qui se posa une main sur la hanche.

— De ne pas le faire en présence de la personne concernée, dirent-ils tous deux en même temps.

Flint éclata de rire alors que son partenaire secouait la tête, découragé par son propre comportement. Gabriel avait l'habitude de marmonner ou de dire tout bas ce qu'il pensait des gens, tellement il était timide et manquait de courage pour parler de ses sentiments. Il se parlait aussi souvent tout seul, lorsqu'il ne se croyait pas accompagné. Avec Flint, il était beaucoup plus à son aise.

— Que nous manque-t-il maintenant ? soupira Gabriel.

— Mes chaussettes, mes souliers et mon portefeuille. Toi ?

— Rien à part m'assurer que tu ne manques pas ton rendez-vous. Et tu risques d'être en retard, puisque c'est dans quelques minutes.

Gabriel fixait son bien-aimé d'un air sévère, mais affectueux.

Flint avait la fâcheuse habitude d'être à la traîne et de ne pas faire attention aux horaires qu'on lui imposait depuis tout petit. C'était généralement à Gabriel que revenait la tâche de prendre tous les rendez-vous importants.

— Tu es un excellent valet, chéri, ricana le blond en caressant la barbe de son fiancé. Mais j'ai hâte de te voir défoncer les monstres qui rôdent en dehors de cette ville. C'est toujours un plaisir de te voir les abattre avec ta belle grosse hache. Sans oublier que je me délecterai toujours de tes jolies formes en pleine action...

Gabriel rougit et gloussa. Il adorait ce genre de compliment.

Rapidement, Flint ramassa ses affaires personnelles et suivit son compagnon.

Une fois dans le couloir, Flint s'arrêta et fixa devant lui. Il venait de voir son oncle Nash sortir de son appartement. Il grinça des dents et serra les poings.

— Tu vas voir, toi... marmonna-t-il. La Septième Brigade sera à moi...

Inquiet pour son fiancé, Gabriel tourna son regard vers lui.

— Quelque chose ne va pas, mon susucre ? demanda-t-il.

Flint fit non de la tête, afin de le rassurer.

Gabriel fit la moue. Cette rivalité entre son fiancé et son bon ami Nash finirait par lui causer quelques cheveux blancs. Il se contenta de caresser les cheveux de Flint qui sourit aussitôt. Gabriel avait pris cette habitude avec lui, depuis que ce dernier était tout petit. Ses mains puissantes avaient le don de le rassurer.

— Chéri, je ne suis plus un enfant, gloussa Flint. Mais merci.

— Tu dis ça, mais tu n'es toujours pas capable de ramasser ton linge sale, répondit son fiancé, avant de lui tirer la langue. Petite peste.

Flint pouffa de rire et secoua la tête. Ensuite, il se leva sur la pointe de pieds, donna un câlin à son partenaire et tous deux échangèrent un tendre baiser.

Ils finirent par suivre Nash en silence, et prirent l'ascenseur jusqu'au premier étage, main dans la main. Gabriel espérait que tout se déroulerait bien durant la rencontre entre Flint, Nash et leur supérieur...

¤*¤*¤

La porte du bureau s'ouvrit à la volée. Flint en sortit, fou de rage. Il fit accidentellement tomber une pile de papiers, alors qu'il passait en coup de vent devant le pupitre de la secrétaire. Cela fit sursauter Gabriel qui se tourna nerveusement vers la pièce dans laquelle s'était déroulée la rencontre entre les trois candidats et le conseiller. Il vit le troisième individu sortir, la tête basse. Gabriel comprit aussitôt que Nash avait remporté le titre du capitaine de la Septième Brigade.

Plutôt que de filer en direction de son fiancé, Gabriel préféra rester, un moment. Il souhaitait féliciter l'oncle de Flint.

— Je me doutais bien que cette nouvelle n'allait pas lui plaire, soupira un châtain qui s'approcha de lui.

C'était Nash. Il s'agissait d'une personne un peu plus courte que Flint. Ils avaient des traits similaires, quoique les yeux verts de celui-ci fussent légèrement plus clairs que ceux de Gabriel. Il était bien bâti et avait de nombreuses années d'expérience en tant que combattant. Il portait une épée argentée à sa ceinture et une bourse de pièces d'or.

— Je suis navré qu'il se comporte ainsi, mentionna Gabriel. Je tenais à te féliciter, avant de partir.

Nash posa une main sur l'épaule de l'ancien domestique et lui sourit.

— Merci, Nounours, dit-il. Par contre, je serais toi, j'irais vite le retrouver. J'imagine qu'il est parti s'enfermer dans votre chambre.

— Encore une fois désolé, soupira Gabriel, tête basse.

— Oh arrête, on commence à en avoir l'habitude. Enfin... un peu, quand même. Ça fait vingt-six ans qu'on endure ses petites crises.

Gabriel étouffa un petit rire d'une main. Le pire, selon lui, c'était que Nash avait raison. Flint pouvait être chiant envers beaucoup de personnes, mais il avait bon cœur. Même si Nash le trouvait immature, le colosse savait qu'il l'aimait bien.

— En tout cas, poursuivit le tout nouveau capitaine, nous devons tous nous réunir à la salle de rencontres, dans une demi-heure. Nous serons au moins sept.

— Minute... c'est donc confirmé qu'on fera équipe avec toi ?

— Oui, je pensais que tu le savais.

— Enfin, j'avais la sensation que ce serait le cas, avec tout ce qu'on m'a dit. C'est chouette dans ce cas ! J'ai hâte de combattre à tes côtés !

Gabriel se tapa les poings, ce qui causa une onde de choc autour de lui. Plusieurs objets se mirent à bouger sur le bureau de la secrétaire qui fronça des sourcils et poussa un petit grognement. Gabriel s'excusa rapidement de son exaltation débordante. Il retourna ensuite son attention vers son ami.

— Et pourquoi doit-on se réunir, déjà ? demanda-t-il, intrigué.

— Le protocole, tu sais ? expliqua Nash. Nous devons tous nous rencontrer avant notre première mission. Faire connaissance et tout ça...

— Ah, je vois...

— Je préfère que ce soit aujourd'hui. Ça tombe bien puisque le Conseil veut absolument qu'on se rencontre. Ils ne m'ont pas expliqué pourquoi.

— Je sens que c'est pour notre première mission, pas toi ? s'enthousiasma Gabriel. Je suis tout excité !

— Peut-être, je l'ignore.

— En tout cas, je vais suivre ton avis et aller retrouver Flint. Ciao !

Gabriel sourit timidement et fit un câlin à Nash, pour ensuite le soulever dans les airs. Il faillit lui briser les côtes, le déposa rapidement et s'excusa. Finalement, il lui posa une bise sur le front, puis s'éclipsa du secrétariat afin de laisser le capitaine seul.

Nash observa le golem s'éloigner et sourit. Cette grosse boule d'amour était pour lui un petit frère affectueux qui ne l'avait jamais quitté d'une semelle, jusqu'au jour où ce dernier était tombé amoureux de Flint. Dernièrement, ils passaient beaucoup moins de temps ensemble, mais Nash l'aimait toujours autant.

Il avait été l'un des premiers à donner sa bénédiction à Gabriel, lorsqu'il avait annoncé publiquement ses fiançailles au grand blond. Même si cette nouvelle n'avait pas fait l'unanimité avec les commères de la ville, Nash était très heureux pour eux.

— Que dois-je faire maintenant ? pensa-t-il. J'ai trente minutes à tuer, avant ma première rencontre avec les autres... On m'a dit de ne pas m'en faire, parce que les représentants du Conseil vont tous les localiser dans la ville, mais...

Il décida qu'il valait mieux pour lui d'aller prendre un bain dans sa chambre et de se changer. Il s'approcha donc du pupitre de la secrétaire et l'aida à ramasser ses papiers. Il comptait en glisser un mot à son neveu, quand il le croiserait dans les couloirs. Flint avait vraiment dépassé les bornes en se comportant ainsi.

— Pas étonnant qu'ils ne veuillent pas de lui comme capitaine, soupira la vieille dame qui fusillait la sortie de son regard perçant.

— Je sais, mais ce n'était pas une raison pour jeter tes documents par terre, répliqua Nash. C'est la troisième fois qu'il se fait rejeter. Je crois que je serais devenu un peu comme lui, si cela m'était arrivé.

— Oh, mais ne dis pas de bêtises, Nash, répondit la secrétaire qui changea de ton pour ensuite se tourner vers son interlocuteur. Tout le monde sait que tu es un citoyen exemplaire, contrairement à certaines personnes de ta famille...

Elle faisait allusion à Troyd, l'un des frères jumeaux de Nash. Artael était le deuxième jumeau, mais aussi le père de Flint. Nash préféra ne pas s'y attarder. Rien que d'y penser ruinait déjà sa journée.

— Tu m'excuseras, Berthe, mais je dois partir...

— Oh, mais je comprends ! Félicitations pour ta promotion ! Passe une belle journée.

Nash salua celle-ci et sortit du secrétariat. Un instant plus tard, il croisa une adolescente aux cheveux mauves dans les couloirs. Celle-ci se dirigeait vers la bibliothèque du palais, les mains dans les poches.

— Eh, Luna ! lança-t-il. J'ai eu le poste !

Elle sursauta, se tourna vers lui et esquissa un sourire.

— Bah, tu vois ? Je t'avais dit que tu l'aurais, prononça-t-elle. Par contre, ça va me faire bizarre de t'appeler Capitaine Markios.

Devant lui se tenait une magicienne spécialiste du feu. Une gamine sarcastique et instruite qu'il avait sauvée des griffes d'une embuscade, quelques mois plus tôt. Depuis, elle vivait au palais présidentiel et se cherchait du travail.

— On m'a déjà confirmé que tu ferais partie de notre équipe, mentionna Nash. Gabriel aussi... par contre, tu vas devoir endurer Flint.

Luna n'était pas du tout enchantée par cette nouvelle. Elle roula des yeux et râla un peu. Ces deux-là s'entendaient comme chien et chat. Toutefois, la magicienne était loyale envers son sauveur et la famille Markios. Pour cette raison, elle ne contesterait pas le choix du Conseil.

— Est-ce qu'on connaît les autres membres du groupe ? demanda-t-elle.

— On m'a expliqué que nous serions sept, rien d'autre.

Luna soupira et haussa des épaules.

— Tant pis, dit-elle. Ça fait mon affaire. Du moment que ton imbécile de neveu ne se mette pas dans mes pattes quand je lancerai mes boules de feu...

Nash pouffa de rire même s'il la trouvait effrontée.

— Allons, il n'est pas si mauvais que ça, répliqua-t-il. Enfin... entêté et impulsif, mais je ne pense pas qu'il soit idiot au point de vouloir se faire rôtir les fesses.

— Bof, dit-elle en haussant les épaules. On verra.

Nash décida de laisser l'adolescente à ses activités et se rendit à l'ascenseur. Il était temps pour lui d'aller passer un peu de temps dans sa chambre.

¤*¤*¤

Une elfe à la chevelure brune était assise au bord d'une fontaine au centre du quartier marchand de la ville. Elle était légèrement nerveuse à l'idée de rencontrer son équipe. Elle n'était pas la seule à devoir patienter devant le palais, car d'ici à une vingtaine de minutes, un représentant viendrait chercher les recrues de la Septième Brigade.

Cassandra Appleseed venait de fêter son dix-huitième anniversaire et pour cette raison, avait pris la décision de se trouver un emploi à la ville de Baldt. Certaines personnes la trouvaient étrange. Élevée dans la nature, la demoiselle se démarquait des autres par son style vestimentaire et sa sérénité débordante. Elle était vêtue d'une robe verte, d'un bandeau et de quelques accessoires que les marchands ne vendaient pas dans cette ville. Elle transportait un arc et un carquois remplis de flèches.

— C'est triste que je sois la seule elfe dans les parages, constata Cassandra, pour elle-même. J'ai l'impression que seuls les humains sont importants dans cette communauté... Pour une ville qui se dit contre la xénophobie, en tout cas, ils n'ont pas l'air d'embaucher autre chose que des humains ici et là. Peut-être que je m'en fais pour rien, aussi...

Elle avait beaucoup à apprendre de ce monde. Elle espérait toutefois qu'elle croiserait d'autres elfes, quelque part. Toute sa vie jusqu'à maintenant, elle avait été élevée par une autre espèce et s'était toujours demandé pourquoi on l'avait abandonnée ainsi dans les bois.

Son père lui avait expliqué qu'elle était un présent des esprits, qu'on l'avait envoyé vers eux afin de devenir l'une des leurs. Cassandra savait que ce n'étaient que des bobards pour lui remonter le moral. Au fil du temps, elle avait fini par se dire qu'elle était la seule survivante de ses semblables, en ce monde. Venir s'installer à Baldt confirmait un peu ses doutes.

Un peu plus tôt, Cassandra avait croisé un nain au marché – et c'était probablement le seul non-humain qu'elle avait vu. Lui, il travaillait dans une boucherie et était sorti de sa boutique pour fumer une clope. L'elfe avait poussé une grimace, dégoûtée par l'idée qu'un fumeur s'approche trop près de cette nourriture. Ce n'était pas un problème pour elle, toutefois, car elle était végétarienne. Par contre, elle se demandait pourquoi les gens de Baldt acceptaient un comportement si peu hygiénique.

À sa droite, deux gamines jouaient à la marelle. Elles étaient surveillées par un gardien d'enfants, installé sur un banc à quelques mètres de la fontaine. Alors qu'elle ne faisait pas fait attention, la plus petite des deux filles trébucha, tomba vers l'avant et écorcha la peau d'un genou. La pauvre éclata en sanglots. Cassandra eut comme réflexe de se lever et de s'approcher, d'un mouvement rapide. Elle s'agenouilla près de la blessée.

— Aïe ! pleura l'enfant. Mon genou !

— Pauvre petite ! s'exclama l'elfe. C'est une vilaine éraflure que tu as là... Tu me laisses voir, s'il te plaît ?

— Mais qui... qui êtes-vous ?! demanda alors le responsable des enfants qui se leva d'un bond. Qu'est-ce que vous...

Les mains de Cassandra brillaient déjà au-dessus de la blessure : le sang avait arrêté de couler pendant qu'elle se refermait tranquillement. L'homme comprit aussitôt qu'elle venait d'utiliser un sort de guérison.

— Je suis une nouvelle dans le coin, répondit l'elfe. Je représente la Septième Brigade. Vous pouvez m'appeler Cassandra Appleseed.

Elle s'était relevée pour s'adresser poliment au gardien.

— Ah... Je vois, vous êtes une guérisseuse, dit ce dernier. Vous m'avez fait peur...

Cassandra retourna son regard vers l'enfant qu'elle venait de soigner. Celle-ci l'observait, les yeux écarquillés, étonnée. Son amie réagissait de la même manière.

— Je n'ai même plus mal ! couina la gamine. Comment t'as fait ?

Cassandra gloussa et lui mit une main sur la tête.

— Un simple tour de magie, expliqua-t-elle. Ravie que tu te sentes mieux !

— Merci ! s'exclama la fillette. Quand je serai grande, je veux être comme vous !

L'elfe rougit timidement. Elle ne faisait que son devoir de soigneuse, après tout. Ce n'était vraiment pas pour se faire remarquer. Elle avait toujours ressenti le besoin d'aider son prochain. Elle replaça nerveusement une mèche derrière sa longue oreille.

— Vous dites que vous êtes nouvelle ? demanda le responsable des enfants. C'est la première fois que je vous vois dans le coin.

Elle hocha la tête et sourit.

— En effet, je suis arrivée il y a deux jours. J'ai suivi les petites annonces et je me suis présentée aux bureaux administratifs pour me faire embaucher comme brigadière.

— Ah bon ? Normalement, ça prend quelques semaines pour être sélectionné...

— Ils m'ont fait passer quelques tests sur le terrain d'entraînement et sur papiers, dit-elle. D'après Monsieur Artael, c'était suffisant pour qu'il m'engage.

— Ah ! Dans ce cas, si c'est le grand chef des brigades qui vous a engagée, je lui fais confiance. Un chic type, cet homme !

Le gardien d'enfants lui sourit et lui serra la main.

— Je vous souhaite bonne chance dans votre nouvelle carrière, mademoiselle.

— Nous aussi, madame ! lança l'une des fillettes.

— Dis, tu viendras jouer avec nous, hein ? demanda l'autre.

Cassandra se passa une main sur la joue ; elle ne pouvait pas dissimuler sa timidité. Elle n'avait jamais pu se passer des enfants, tellement elle adorait jouer avec eux et les garder. Là où elle vivait avant, on la considérait comme une excellente gardienne. Son côté maternel et son sens du devoir faisaient d'elle une excellente guérisseuse.

— J'essaierai de vous trouver du temps, c'est promis, dit l'elfe aux gamines.

— Chouette ! fit la fillette qu'elle venait de soigner.

Les deux enfants se présentèrent rapidement, mais Cassandra ne pensait pas qu'elle retiendrait leurs prénoms. Elle avait tant de détails à apprendre depuis deux jours qu'elle se sentait dépassée par les événements.

Cassandra avait encore quelques minutes à patienter, en attendant de rencontrer son équipe pour la toute première fois. Alors, elle s'excusa, car elle devait partir. Déçues, les deux fillettes saluèrent la guérisseuse, puis elle s'éloigna afin d'aller chercher son arme et son carquois.

Un instant plus tard, elle croisa le regard d'une jeune femme aux cheveux blancs, appuyée à un mur de pierres. Celle-ci mangeait une pomme tranquillement et l'observait depuis un moment. La dame avait des yeux rouges semblables à des rubis. Sa peau très pâle faisait penser aux couches de neige que les gens de cette nation avaient l'habitude de voir en hiver.

— Pas mal, le coup de la guérisseuse ! lança l'étrangère. C'était généreux de ta part !

Cassandra enfila son arme et s'approcha de cette curieuse demoiselle.

— Je n'ai fait que mon devoir, c'est tout, répliqua l'elfe.

— Ne me dis pas que tu es une nouvelle recrue, hein ? On va faire équipe, toi et moi.

— Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

Cassandra avait remarqué le bâton plié, attaché derrière l'étrangère. Celle-ci portait des vêtements légers et peu de protections.

— Elle est sûrement une guerrière spécialisée dans les déplacements rapides, se dit l'elfe. Par contre, la couleur de sa peau m'intrigue... Est-elle... humaine ?

Cassandra n'avait jamais rencontré d'albinos de sa vie. À vrai dire, elle avait peu côtoyé les humains, depuis sa naissance. Son père adoptif avait beaucoup voyagé et lui avait tout appris de la race des hommes... Toutefois, elle apprenait rapidement, tout en observant ce qui l'entourait. Tout ceci était nouveau pour elle.

— Bah, pour répondre à ta question, mentionna la guerrière, tu as un arc et des flèches et tu n'as pas l'uniforme des soldats sur toi. Puisque les gens armés sont souvent des mercenaires ou des aventuriers, j'en déduis qu'on t'a recruté pour la nouvelle brigade.

— En tout cas, tu as un bon sens de déduction, car j'ai effectivement été employée par le Conseil. On m'a affecté à la Septième Brigade.

— Ah ! Sympa. Moi, je combats au bâton depuis quelques années. J'imagine qu'on t'a aussi demandé de rester près de la fontaine, pas vrai ?

Cassandra confirma d'un hochement de tête.

— Je vois, continua la guerrière. En passant, moi, c'est Misaki.

Cette dernière jeta son trognon de pomme à terre. Cassandra grinça des dents, mais elle ne souhaitait pas lui manquer de respect. Elle lui montra alors sa main en guise de politesse. Cette Misaki lui faisait une étrange impression.

— Moi, c'est Cassandra. Enchantée.

Misaki lui serra donc la main et ces dernières se mirent à discuter de tout et de rien, pendant les minutes qui suivirent. Elles n'avaient même pas remarqué qu'un homme noir aux vêtements sombres les observait depuis le coin d'un bâtiment...

¤*¤*¤

Shayne Wolfe avait observé la scène en silence, depuis son coin sombre. Un grand chapeau ténébreux recouvrait ses oreilles elfiques, aussi dissimulées derrière sa longue chevelure noir jais. Il avait remarqué la finesse à laquelle Cassandra avait appliqué son sort de soin. Ensuite, il l'avait vu se déplacer vers la guerrière à la peau très pâle. Il avait tout entendu avec son ouïe très développée et repéré leurs parfums. Il n'était aucunement en danger pour le moment, ni elles, par la même occasion.

— Cassandra me semble intéressante... se dit-il. Cette Misaki, par contre, j'ai l'impression qu'elle est nerveuse. Il y a quelque chose d'anormal dans le ton de sa voix. Son pouls est anormalement élevé. Soit, elle est anxieuse, soit, elle a quelques squelettes dans son placard.

Il caressait la poigne de son épée aux couleurs sombres. Celle-ci avait un motif en crâne humain. Il ne s'en était pas séparé depuis des années. Shayne était aussi une nouvelle recrue pour la Septième Brigade, mais ne s'était pas présenté aux deux jeunes femmes car il avait encore envie de les examiner un peu plus.

— Une archère guérisseuse et une guerrière de la culture des îles... songea celui-ci. Je sais déjà à quoi ressemblent la plupart des Markios, donc je me demande comment ils vont réagir en voyant ma sale tronche d'elfe vampire...

Ce mercenaire était arrivé en ville, une semaine plus tôt et avait formé un marché avec le Conseiller Artael. Même s'il n'avait pas tellement hâte de commencer son contrat, il savait qu'il serait bien payé.

— D'après ce qu'on m'a dit, Flint n'est pas un cadeau... soupira celui-ci. J'espère qu'il ne me causera pas trop de problèmes pour la durée du contrat.

Un soldat qui portait l'armure officielle de l'armée baldtienne descendit les marches du palais. Shayne jeta un coup d'œil à sa montre et remarqua qu'il ne manquait plus que cinq petites minutes avant sa première rencontre avec les autres. Cet individu devait sûrement guider les nouvelles recrues à l'intérieur du palais.

— Ce n'est pas trop tôt, songea Shayne. Je commençais à avoir mal aux jambes.

Même s'il avait visité cet immense immeuble à quelques reprises, il connaissait déjà la réputation de la plupart de ses habitants. À force de voyager à travers la république, il avait compris qu'une forte influence dans les affaires du peuple partait du Conseil et des Markios. Le Conseiller Artael avait même expliqué au mercenaire que le capitaine de la Septième Brigade serait son frère cadet, donc cela arrangeait bien des choses pour tout le monde.

— Shayne Wolfe ? appela le soldat, en direction du grand ténébreux.

L'épéiste sortit de sa cachette et s'approcha.

Le représentant de l'armée hésita quand il le vit de plus près, mais lui fit signe de le suivre. En dessous de son grand chapeau, on pouvait voir les iris dorés de l'homme mystérieux et sa peau basanée, recouverte d'écailles à quelques endroits.

Shayne esquissa un sourire et dévoila une canine pointue à celui qui venait de l'appeler.

— Je suis celui que vous cherchez.

— Oh ! fit le soldat. Je vois... Vous êtes un...

— Je n'ai pas l'intention de vous mordre, si c'est que vous pensez, répliqua le mercenaire. Je ne me nourris que du sang des bêtes qui vivent dans la nature.

Il y eut un moment de silence embarrassant et l'envoyé du palais se mit à rire nerveusement. Ce genre de malaise arrivait bien trop souvent à Shayne.

— C'est bon, ce n'est pas la première fois qu'on me confond avec un simple démon... dit Shayne qui roula des yeux. Pourriez-vous me guider vers les autres, maintenant ? La journée a été longue...

Le délégué déglutit et hocha la tête. Se retrouver en présence d'un vampire lui avait foutu la trouille de sa vie. Shayne commençait à être habitué d'être traité comme un monstre, mais il avait surtout hâte d'en finir avec les protocoles. Il comptait aller se présenter et examiner son groupe de plus près. Ensuite, il commencerait son travail.

— Je suis d... désolé, dit le délégué. J'espère que vous vous entendrez bien avec les autres. Je dois vous p... prévenir en avance, le jeune Markios n'est pas un c.. cadeau.

— Moi de même, rétorqua le mercenaire. Et merci pour l'avertissement.

Les deux dames n'avaient même pas fait attention à eux, elles montaient déjà les marches du palais avec leur propre délégué. Shayne soupira de soulagement.

— Une chance pour moi, elles n'ont rien entendu... se dit-il. Je n'aurais pas aimé répondre à plusieurs questions gênantes sur ma personne.

Jugeant que l'affaire était réglée entre le guerrier et lui, l'envoyé du palais dit :

— V... veuillez me s... suivre, M... Monsieur Wolfe.

Malgré le fait qu'il ne courait aucun danger en présence du vampire, il resta toutefois sur ses gardes et jetait fréquemment des coups d'œil derrière lui, alors qu'il montait les marches. Shayne n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi nerveux. Il soupira et finit par suivre le soldat en silence.

Il avait déjà hâte que cette journée embarrassante se termine.

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