Chapitre 8
Lachlan quitta les cuisines, l'esprit en ébullition. Sa discussion avec Moira, dès le matin, avait fait bouillonner en lui de nouvelles idées pour souder le clan. Elle avait paru très enthousiaste et il était donc impatient de les voir appliquées. Il monta les marches quatre à quatre pour rejoindre son cabinet de travail, situé au deuxième étage.
Darren l'y attendait, installé à son bureau, le nez plongé dans les carnets de comptes. Partout autour de lui étaient étalés des carnets plus ou moins gros, généralement ouverts, qui formaient un équilibre précaire. Ils menaçaient de tomber de la table au moindre mouvement trop brusque, ce qui créait un schéma presque harmonieux.
— Je vais aller voir si Guillaume s'en sort avec les hommes, lâcha Lachlan comme son ami avait l'air très concentré. Tu veux venir ?
— Non, répondit-il sans relever la tête. Il me reste quelques années à vérifier.
— Tu es sûr que tu ne veux pas d'aide ?
— Tu as mieux à faire et j'aime bien les chiffres.
Lachlan haussa les épaules. Si le Campbell était sûr de lui, pourquoi le forcerait-il à accepter sa compagnie ? Il n'aimait pas les comptes et encore moins devoir analyser des séries de chiffres griffonnées à l'encre noire. Que ferait-il quand Darren serait parti ? Car il retournerait dans son clan un jour ou l'autre. Ce n'était qu'une question de temps avant que le laird Campbell ne se rende compte que son fils avait fini de se battre.
Le laird MacKinnon sortit sans bruit, ne s'autorisant à respirer qu'une fois sur le pallier. Quand Darren travaillait avec autant de concentration, il ne voulait pas être l'abruti qui respirerait un peu trop fort à côté.
Depuis la veille, son esprit était un peu perturbé. Il avait du mal à comprendre exactement pourquoi. Était-ce dû à ses nouvelles responsabilités qu'il peinait à prendre en main, à Catriona qu'il venait de retrouver ou simplement au manque de sommeil qui commençait à cruellement se faire sentir ? Lui-même avait du mal à reconnaître la dureté de son visage, accentuée par les cernes violacés qui ne cessaient de s'agrandir. « Tu as une tête de déterré », avait lancé Guillaume sur le ton de la rigolade en le retrouvant pour rompre le jeûne.
Eh bien oui. Il le savait. Il s'était regardé dans le miroir avant de se nettoyer le visage. Visiblement, même le luxe du lit douillet des appartements du laird ne suffisait pas à combattre les démons de la bataille de Verneuil. La tour grise, aux pierres froides et rougeâtres, apparaissait toujours dans ses songes pour signer le début d'un combat sanglant et sans merci. Il aurait tout donné pour ne plus jamais revoir ces murs en grisons et pour ne plus revivre ces combats.
Lachlan était exténué.
C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il ne s'entrainait pas avec ses hommes nouvellement recrutés. Il aurait aimé leur enseigner lui-même ces techniques qu'il avait appris aux côtés des forces françaises, mais il ne s'en sentait pas capable.
Il arriva dans la cour du fief au moment où Guillaume sonnait la fin du travail martial. Lachlan l'observa parler aux hommes quelques instants en indiquant des points invisibles avec ses mains. Après quelques hochements de tête, les hommes s'éparpillèrent à gauche et à droite. Lachlan en profita pour signaler sa présence au Français d'un signe de la main.
Il le rejoignit, un sourire jusqu'aux oreilles.
— Comment va mon laird, ce matin ? plaisanta-t-il.
— Je ne suis pas ton laird et je suis fatigué.
— J'aurais pu le deviner tout seul, tu as les traits tirés. Mais je suis chez toi, donc tu es mon chef.
Lachlan soupira. Il n'avait aucune envie de ravoir ce débat. Une fois lui suffisait amplement.
— Si ça te fait plaisir.
— Je me suis permis de donner quelques tâches aux hommes, ils avaient envie de se rendre utiles.
— Bien, acquiesça le laird, c'est une bonne chose. Tu serais un bien meilleur laird que moi...
Guillaume lui donna une tape amicale dans le dos.
— Ne dis pas n'importe quoi. Tu es fatigué et tes nouvelles responsabilités sont un peu effrayantes, c'est tout. Tu as beaucoup plus d'enjeux que moi, c'est pour ça que ça te fait peur. Et puis... mine de rien mon père est duc, même en tant que cadet j'ai reçu quelques préceptes de sa part.
— Et le mien est laird, intervint la voix de Darren sur leur droite. Tu as bien plus de mérite que nous, ne l'oublie jamais.
Bien sûr qu'ils avaient en partie raison. Les parents de Lachlan n'avaient pas une place importante au sein du clan. Connor davantage, mais simplement parce qu'il produisait la majorité des bêtes qui nourrissaient les MacKinnon depuis des années. Son éducation avait été plutôt rudimentaire et sans le soutien du vieux Muirgheal qui lui avait enseigné certaines connaissances plus poussées, il n'aurait même pas pu se démarquer dans l'armée.
— Tu devrais aller te reposer, dit Guillaume avec un signe de tête en direction des fenêtres exiguës de Dun Ringill.
— Je n'y arrive pas. Je suis incapable de trouver le sommeil, quand bien même mon corps ne désire que ça.
Darren le dévisagea en fronçant les sourcils. Si son visage était on ne peut plus sérieux, son regard luisait de compassion. Ils étaient tous traumatisés par les dernières batailles, mais chacun devait trouver sa façon de surmonter les images glaçantes qu'ils avaient vues. Lachlan avait besoin de repos. Et de toute urgence.
Tandis qu'un éclair de génie le traversait, la bouche de Darren s'étira de travers avant de proposer :
— Demande de l'aide à ta petite sorcière.
Le laird MacKinnon tiqua.
— Ne l'appelle pas comme ça. Même pour plaisanter.
Darren ne lui avait entendu un ton si froid qu'avant un combat. Il leva les mains en l'air pour s'excuser.
— Je ne recommencerai pas. Pas la peine de te mettre dans un tel état.
— Désolé, grogna Lachlan, je suis vraiment fatigué, je sais pas trop pourquoi je m'emporte.
Guillaume pinça les lèvres, amusé par la situation. Il n'avait pas rencontré Catriona, mais on lui en avait beaucoup parlé une fois que ses deux amis avaient rejoints Dun Ringill.
— Et sinon, elle est mignonne ? demanda-t-il dans une volonté parfaitement assumée d'embêter Lachlan.
— Guillaume.
— Quoi ? J'ai le droit de savoir, moi ! Elle a plutôt des...
Il se figea face à l'air meurtrier du laird. Il resta concentré quelques secondes avant de fixer un point derrière Lachlan. Un point visiblement hilarant puisqu'il lutta pour garder un visage neutre. Lachlan fit volte-face pour se retrouver face à Darren qui mimait des courbes féminines bien en chair.
Il ne réfléchit pas une seconde avant de lui envoyer son poing dans la figure. C'était un automatisme, un geste non prémédité qui lui fit un bien fou. Et un peu mal au poignet, il fallait le reconnaître. Lachlan secoua sa main tandis que le Campbell geignait de douleur, les doigts sur le nez. Parmi les interstices, des filets de sang apparurent.
— Putain, Lach !
— Ça nous fait au moins une autre bonne raison d'aller chez la guérisseuse, pointa Guillaume en ricanant.
Lachlan expira bruyamment. Il s'en voulait déjà d'avoir frappé son ami, mais il était si irritable. Et c'était de Catriona qu'ils parlaient.
— Allons-y, ordonna Lachlan, ses amis sur ses talons.
Aucun d'entre eux n'osa refaire un trait d'humour sur le sujet, mais Darren choisit ce moment pour l'informer de ce qu'il avait trouvé dans les livres de comptes.
— Au faid, commença-t-il en parlant un peu du nez, j'ai troubé quelques anobalies dans les libres de comptes.
Lachlan sentit son sang se glacer. Il n'avait pas envie de s'attaquer à une fraude ou à des dettes importantes. Il ne manquait vraiment plus que ça.
— Comment ça, des « anomalies » ?
— Des sorties d'argent vraibent impressionnantes. Je te bontrerai tout à l'heure. C'est pour ça que je benais, pas pour be faire casser le nez.
— 'Fallait y réfléchir avant de parler de Catriona.
— Techniquement, Lach, il n'a rien dit, se moqua Guillaume avec cet air de celui qui révèle une vérité incroyable.
Le laird préféra prendre une grande inspiration et s'abstenir de répondre. Il n'avait ni la patience ni l'envie de s'engager là-dedans. Il avait déjà blessé l'un de ses amis, ce n'était certainement pas pour recommencer dès maintenant.
Darren avait remarqué des sorties d'argent anormales. Ce problème le préoccupait bien plus. Si un laird faisait ce genre de transaction en cachette, cela ne laissait rien présager de bon. Et il ne comptait pas faire revenir Keir ou Douglas pour obtenir une réponse directe. Non, il devrait tenter de la trouver par lui-même. Que ce soient l'un ou l'autre, ils avaient bien dû laisser traîner une preuve derrière eux. Personne ne pouvait commettre le méfait parfait.
Étrangement, le fil de ses pensées prit un cours beaucoup moins sérieux lorsqu'ils arrivèrent à proximité de la maison de Catriona. Il espérait de tout cœur qu'elle accepterait sa proposition. Pourquoi ? Simplement parce qu'il voulait la savoir en sécurité. N'importe qu'elle frère désirerait la même chose. Et puis... Craig avait accepté de venir passer du temps à Dun Ringill, c'était donc tout à fait normal qu'il tienne autant à revoir sa famille réunie.
Catriona était installée devant sa chaumière, occupée à écraser des feuilles au mortier. Quand elle le vit arriver, son visage s'éclaira. Elle se leva, épousseta ses jupes et s'approcha de lui.
— Lach, je ne pensais pas que tu viendrais aussi tôt, je... Oh mon Dieu ! s'écria-t-elle devant la main ensanglantée dont Darren se couvrait le visage. Que s'est-il passé ?
— Problèbe de gesdion de la colère.
— Il est tombé, répondit Lachlan en même temps que son ami.
Catriona étudia le nez de Darren. Il n'était pas cassé, c'était déjà ça. Elle le fit asseoir et revint avec le nécessaire pour nettoyer la plaie. Vu tout le sang qui teintait son avant-bras, ça faisait un moment que l'hémorragie avait commencé.
— Bon, ça devrait aller. Ça va peut-être bleuir un peu, mais vous devriez cicatriser rapidement... Darren, c'est ça ?
— Oui, acquiesça-t-il, berci.
Guillaume s'avança et lui tendit une main.
— Bonjour, madame, la salua-t-il en français. Guillaume de La Vallière, pour vous servir.
— Enchantée. Vous êtes un ami de Lach ?
— Pour mon plus grand malheur, intervint le laird pour couper court à ces présentations un peu trop polies. Tu as pu réfléchir à ce que je t'ai proposé ?
Catriona riva son regard azur dans le sien. Les joues rosies par le soleil et des mèches rebelles s'échappant de sa longue natte, il ne put s'empêcher de remarquer sa beauté. Oh, bien entendu elle avait toujours été ravissante, mais il ne savait pas comment interpréter les nouvelles réactions qui le tourmentait lorsqu'il se trouvait face à elle à présent. Elle n'était plus une enfant. C'était indéniable. Et il n'avait plus rien du jeune homme d'antan. Peut-être était-ce simplement dû à la maturité.
Ça devait être ça !
Ça ne pouvait être que ça.
— Aye, je vais accepter.
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