Chapitre 7

« Maman »

Lachlan resta bloqué quelques minutes. Catriona en profita pour susurrer quelques mots à l'oreille de son fils avant qu'il ne reparte avec Aigneas. Que pouvait-il bien penser ? Pourquoi avait-il l'air si choqué ? Après tout, elle avait été mariée. Qu'elle soit mère n'était pas inconcevable.

— Lach ? tenta-t-elle de le tirer de son état de sidération.

Il fuit son regard un instant avant de rendre les armes.

— Je crois qu'en effet tu as beaucoup de choses à me raconter.

Catriona acquiesça. Ces cinq dernières années, elle avait été secouée dans tous les sens. Sa vie avait à peu près autant changé qu'elle-même.

D'un regard, elle inspecta son intérieur. Les murs sombres du hameau dans lequel elle vivait n'avaient rien de très convivial.

— Et si on allait se promener ? proposa la jeune femme avec un petit sourire.

Lachlan ne lui répondit pas. Il se contenta de sortir pour signifier son agrément. Un peu perturbée, la Scott le suivit, récupérant au passage l'arme qu'elle avait laissé tomber. Elle lui demanda de l'attendre, mais le highlander ne lui prêtait pas vraiment d'attention. Agacée, Catriona prit tout de même le temps de ramener son panier à l'intérieur. Après avoir arpenté la lande pendant plusieurs heures, elle n'allait pas jeter le fruit de son labeur.

Quand elle referma la porte derrière elle et se retourna pour le chercher du regard, il patientait, adossé contre le tronc imposant d'un bouleau. Les bras croisés, il l'étudiait avec un mélange très perturbant d'affection et de froideur. Comment parvenait-il à mixer ces deux émotions, pourtant diamétralement opposées ? Catriona en aurait presque frémi.

— Bon, tu te dépêches ? la pressa Lachlan en pianotant sur ses biceps du bout des doigts.

— Je suis là, qu'est-ce que tu veux de plus ? Que je cours, peut-être ?

— Y a de l'idée.

Sa voix se rapprochait plus du grognement que du timbre grave auquel elle était habituée. Catriona souffla bruyamment.

— L'amabilité, c'est une option chez toi ? grinça-t-elle en passant devant lui.

— Tu ne penses pas que j'ai des raisons d'être un peu choqué ?

Catriona serra les dents. Pour qui il se prenait ? N'avait-elle pas, elle aussi, toutes les raisons de l'être ? Après tout il revenait des morts comme si de rien n'était, avec en sus un titre de laird. C'était à n'y rien comprendre.

— Et moi ? Que crois-tu que ça m'a fait de te voir chez moi alors que ça fait des années qu'on m'a dit que tu étais mort ?

Elle ne prit pas la peine de se retourner. Dans le silence de la forêt, il ne pouvait que l'entendre. Lachlan accéléra le pas pour la rattraper et saisit fermement son poignet. D'une pression, il la força à s'arrêter, lui arrachant un geignement quand son épaule l'élança.

— Qui t'a dit ça ? demanda-t-il.

Catriona riva son regard méfiant dans le sien.

— Qu'est-ce que ça change ?

— Rien, mais je voudrais que tu me le dises, Cat.

— C'est Logan, abdiqua-t-elle après une courte réflexion. Ça l'amusait beaucoup de savoir qu'il avait gagné.

La mâchoire de Lachlan se contracta tandis qu'un brusque tressaillement anima tous ses autres muscles faciaux. Dieu, qu'il détestait le fils de Keir. Catriona tira sur son bras pour le récupérer et, comme son laird avait l'air de digérer l'information, elle se massa l'épaule. La douleur était passée, mais on sentait tout de même la résonance du choc. Se concentrer dessus lui permettait de ne pas s'inquiéter sur la réaction de Lachlan.

Revenir dans le clan après des années d'absence devait être aussi jouissif que perturbant. Surtout qu'il revenait à la position suprême. Catriona mourrait d'envie de l'interroger dessus, pourtant l'ambiance n'était pas vraiment aux confidences. Il leur faudrait sûrement un peu de temps avant de s'apprivoiser de nouveau.

— Que s'est-il passé ? murmura enfin Lachlan.

Il n'eut pas besoin de préciser sa question, Catriona l'avait comprise.

— On m'a forcée à l'épouser. J'étais déjà dévastée par ton bannissement, sans personne à qui me confesser puisqu'ils l'ont passé sous secret, et après ça, les choses ont empiré. Une fois que j'étais un membre de leur famille, Logan et Keir m'ont fait regretté d'avoir cherché à lui échapper.

Une leçon dont elle ne voulait pas parler, comme elle le laissait transparaître dans son ton tranchant. C'était de l'histoire ancienne. Catriona espérait juste vivre paisiblement sans que personne ne vienne s'immiscer sur son chemin.

— Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, Cat ?

La voix de Lachlan n'était plus qu'un souffle dangereux qui électrisa sa peau. Elle mit cette réaction physique sur le compte de la surprise des retrouvailles et son allure de colosse.

— Rien qui te concerne. Je t'en parlerai peut-être un jour, mais sûrement pas là.

Il marqua un temps d'arrêt. Il n'aimait pas sa façon de se défiler, craignant le pire. Surtout qu'il connaissait bien la cruauté de Logan et la manipulation de Keir. Les deux combinés avaient dû être terribles à vivre. Le visage du gamin qu'il avait vu lui revint en tête.

— C'est le fils de Logan ? questionna-t-il abruptement.

— Bien sûr, je n'ai été mariée qu'une fois.

Catriona fronça les sourcils devant l'évidence de la réponse. Elle se doutait qu'il n'avait aucune envie de douter de son intégrité, mais la question était tout de même blessante.

— Je ne voulais pas dire que...

— J'ai bien compris, intervint-elle comme il semblait un peu confus. Neil est né deux mois après la mort de son père.

— Donc il ne l'a jamais connu, conclut Lachlan.

La jeune femme haussa un sourcil, amusée de retrouver cette habitude qu'il avait toujours eu. Elle s'esclaffa :

— Tu le fais encore ? Ça m'avait manqué. La prochaine fois que j'aurais besoin d'énoncer une évidence, je t'appellerai.

Cette remarque lui arracha un sourire. Tandis que ses lèvres s'étiraient, sa cicatrice blanchâtre s'allongea sur le côté pour lui donner encore plus d'intensité.

— C'est bon de te retrouver, Cat.

Un brouillard de larmes lui couvrit la vue en un temps record. Pourquoi était-ce si réconfortant d'entendre ces mots et d'avoir Lachlan face à elle ? En parallèle, la culpabilité lui nouait encore plus l'estomac qu'à l'accoutumée. Pendant cinq ans, elle avait revu, tous les soirs avant de s'endormir, son visage se crisper sous l'impact de la trahison et ses yeux devenir plus sombres que de l'obsidienne. Cette image de Lachlan l'avait tellement hantée qu'elle avait perdu l'espoir de trouver un jour une rédemption.

— Je suis tellement désolée, souffla-t-elle avant d'éclater en sanglots.

Ce n'était pas seulement de la culpabilité, mais surtout un trop-plein d'émotions. Comme si cinq années de distance ne venaient pas de s'écouler, Lachlan l'entoura de ses bras, le cœur serré. Ce qui lui avait en partie permis de nourrir sa rancœur, c'était de l'imaginer heureuse au bras de Logan. Car, malgré sa réticence, il espérait que le highlander l'aurait bien traitée.

Apparemment, il s'était trompé.

Lachlan n'aurait jamais cru pouvoir ressentir une telle haine envers un mort. Ni que celle qu'il entretenait à l'encontre de Keir puisse être plus puissante encore. L'instinct protecteur qu'il avait toujours eu pour Catriona était à son état d'alerte maximale. Il resserra sa prise autour d'elle et prononça les mots qu'elle souhaitait tellement entendre :

— Je te pardonne, Cat. Je te pardonne.

Le soupir de soulagement qui se mêla à ses sanglots lui servit de réponse. Ils avaient besoin de parler du passé, il ne se leurrait pas, mais ce n'était certainement pas le moment propice. Ils avaient d'abord besoin de se retrouver et, peut-être qu'ensuite, il serait suffisamment à l'aise pour se confier sur ces années de guerre.

Avec Guillaume et Darren, ils avaient été embarqués dans la même galère. Un regard extérieur lui apporterait sans doute plus d'apaisement. Surtout si ces mots venaient de Catriona. Elle était douée pour écouter et comprendre autrui. C'était certainement ce qui l'avait poussée à devenir guérisseuse.

Quand enfin ils se détachèrent, Lachlan profita du moment où elle essuyait ses larmes pour changer de sujet :

— Donc comme ça, tu es la guérisseuse du clan ?

— Oui, la vieille Mirtha a senti que ses forces déclinaient et grâce au hasard elle m'a transmis toute l'étendue de ses connaissances.

— Et ça ne te pèse pas de ne pas vivre dans le village avec la communauté ?

— Je n'en suis pas si loin, Lach, rétorqua-t-elle.

— Certes, mais avec un enfant en bas âge tu aurais certainement besoin d'aide, non ?

Catriona fronça les sourcils. Où voulait-il en venir ? Même si ça pouvait sembler difficile à croire, elle avait des amies, des personnes de confiance à qui elle confierait sa vie. Et puis... même si sa mère était décédée l'hiver passé, elle avait une famille. Craig était un oncle très attentionné et Connor aimait garder Neil dès que possible.

— Aignes m'est d'une grande aide et j'ai une famille, dit-elle lentement, peu assurée de la conduite à suivre.

— Oui, bien entendu, mais si tu as un souci, c'est difficile d'obtenir une aide rapide. Et puis ta maison est très petite pour deux.

Les paupières plissées, Catriona le dévisagea.

— Vivre ici était le seul moyen d'obtenir mon indépendance après la mort de Logan. Que veux-tu me demander exactement ?

Parce qu'elle sentait que ce n'était pas tout. Qu'il ne formulait pas réellement le fond de sa pensée. Tout du moins cela ressemblait au comportement de l'ancien Lachlan dans ce genre de cas. Il ne pouvait pas avoir changé du tout au tout, si ?

— Dun Ringill est vide, expliqua Lachlan. Je pense qu'il est important que notre broch soit le lieu de vie principal du clan. Je ne dis pas que chaque habitant doit quitter sa maison, bien au contraire, mais certains d'entre nous sont indispensables à notre vie en communauté. C'est ton cas, Catriona. Une guérisseuse doit être disponible à tout moment.

— J'ai un fils.

— Justement. Je voudrais aussi mettre en place un système d'éducation au château. Darren m'a rapporté ce que son clan faisait et je souhaite m'en inspirer. Douglas a négligé le clan depuis trop longtemps.

Catriona acquiesça. Ce projet semblait réellement excellent. Il faudrait sans doute un peu de temps et de persévérance pour sa mise en place, la réticence aux changements était assez commune.

— Ce serait merveilleux.

— Dans tous les cas, je ne te forcerai à rien. Je ferai préparer deux chambres pour vous deux et installer une pièce dans laquelle tu pourras travailler et accueillir des blessés.

— C'est... je... balbutia-t-elle, un millier de pensées incohérentes les unes aux autres arrivant de tous sens.

Lachlan posa une main sur son bras.

— Tu as le temps d'y réfléchir. Je viendrai te voir demain pour obtenir ta réponse. Et, si jamais tu décidais de venir vivre à Dun Ringill, tu garderais ta maison.

Elle hocha la tête et le laissa la raccompagner chez elle. Si elle n'avait pas de réponse à lui fournir pour l'instant, une chose était sûre : elle allait cogiter toute la nuit pour prendre une décision.

Et surtout, Catriona allait devoir en parler avec son fils.

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