Chapitre 6
Catriona n'en pouvait plus. Des gouttes de sueur glissaient le long du dos de sa robe. Elle s'était attendue à une froide journée, mais visiblement l'astre solaire chauffait suffisamment pour contrebalancer la fraicheur de l'air. Et puis il fallait dire qu'elle ne se ménageait pas. Elle avait passé la matinée à courir partout pour récupérer les plantes qui commençaient à lui manquer.
Ses cheveux, ramenés en deux nattes collées puis liées l'une à l'autre avec un ruban, étaient poissés de transpiration sur tout le contour de son front. Elle avait encore le souffle court à cause de sa longue marche quand elle aperçut enfin la silhouette de son hameau. Catriona sourit. Si la solitude lui pesait parfois, la quiétude des lieux et l'absence de la tyrannie qu'elle avait autrefois vécue lui faisaient un bien fou. Elle ne souhaitait à personne d'être un trophée dans une jolie vitrine.
Personne, pas même son pire ennemi.
Alors que seulement quelques mètres la séparaient de l'entrée de sa chaumière, un détail attira son attention : la porte n'était pas complètement fermée. Voilà peut-être quelque chose à ajouter à la liste de défauts de son isolation, elle n'avait plus la sécurité du village ou de ses voisins.
Catriona réfléchit à toute vitesse en déposant son panier par terre. Elle avait trop de biens de grande valeur pour laisser des inconnus la dévaliser. Et puis, elle s'était promis qu'à présent plus personne ne lui marcherait sur les pieds. Elle décrocha le Sgian Dubh qu'elle gardait toujours sur elle. D'ordinaire, il lui servait plutôt à couper des plantes, mais si elle devait lui donner une autre utilisation, elle le ferait.
Les battements de son cœur résonnaient à son oreille tandis qu'une petite voix s'immisçait pernicieusement dans sa tête pour lui ordonner de fuir. Elle renforça la prise sur le manche de son arme et la cacha derrière son dos. C'était plus fort qu'elle, l'air ne parvint plus à ses poumons tandis qu'elle appuyait légèrement sur la porte pour la pousser.
Elle entra et se figea à à peine deux pas de la porte. Sa bouche s'entrouvrit d'elle-même et Catriona sentit toute sa combativité disparaître. Sa lame tomba sur le sol dans cliquetis métallique. Par-dessus l'odeur boisée des herbes et plantes qu'elle conservait sur son plan de travail, celle de la transpiration masculine lui chatouilla les narines.
Il était là.
Même défiguré par la guerre ou immolé par le feu, elle aurait reconnu ces deux orbes écorce qui trouvèrent instinctivement les siennes. Il avait tant changé. Ses cheveux châtains avaient considérablement poussé, atteignant maintenant le haut de ses trapèzes, plus musclés qu'il y a cinq ans. Il avait aussi perdu la chétivité qui le tenait depuis l'enfance. Visiblement la rigueur de la guerre l'avait beaucoup changé. Et, si elle en croyait la cicatrice qui durcissait son visage, ce n'était pas que physique.
— Lachlan, murmura-t-elle.
— Catriona.
Un mouvement sur sa gauche attira l'attention de la guérisseuse. Un grand highlander les dévisageait à tour de rôle un sourire amusé sur le visage. Il ne portait pas leur tartan, mais des couleurs vertes et bleu nuit. Elle n'aurait su dire avec assurance à quel clan il appartenait, elle n'en connaissait que très peu et uniquement parce qu'ils étaient déjà passés par là. Ce n'était pas comme si elle avait déjà eu l'occasion de voyager...
— Bon puisque tout le monde se connaît, je vais devoir me présenter moi-même, râla Darren en avançant. Je suis Darren Campbell, ami de Lachlan.
Elle serra la main qu'il lui tendait.
— Catriona.
Darren ouvrit la bouche, prêt à faire un commentaire, mais s'en abstint. Et c'était sans doute le plus judicieux à faire, parce que Lachlan n'était pas d'humeur à ce qu'on fasse de l'humour au sujet de Catriona. La revoir venait de mettre tout son cerveau en pause et il ne savait même pas ce qu'il était autorisé à penser ou non. Les informations étaient beaucoup trop nombreuses. Déjà la voir faisait un choc, parce qu'elle avait pas mal changé aussi, et surtout il apprenait d'une pierre deux coups qu'elle était veuve et guérisseuse. Et aussi potentiellement la meurtrière de son époux, mais comme il haïssait Logan de tout son être, il ne pouvait que la comprendre.
— Je vais aller dehors, chercher Guillaume et Craig. On se retrouver au château, Lach ?
Le highlander acquiesça dans un grognement tandis que son ami s'empressait de quitter la petite maison, comme s'il avait le diable aux trousses.
— Craig ? questionna Catriona sans parvenir à former une phrase complète.
— Oui, il est venu me voir hier à Dun Ringill après mon intervention.
Intervention au cours de laquelle il ne l'avait même pas aperçue.
— Ton intervention ? répéta-t-elle avec hébétement. Que faisais-tu à Dun Ringill ? Que fais-tu ici ? Tu as été exilé.
— Je te remercie de me le rappeler. Après tout tu en es partiellement responsable.
— Je...
— Et j'étais à Dun Ringill pour déchoir Douglas de son titre, mais tu le sais certainement puisque tout le village était là.
Catriona l'observa quelques instants, cherchant à démêler le vrai du faux. Tentait-il de lui faire une blague de fort mauvais goût ? Sans doute pas, il avait plutôt l'air de lui en vouloir. Probablement autant qu'elle s'en voulait elle-même d'ailleurs...
— Tu te moques de moi ?
— Je n'en ai ni le courage ni l'envie.
— Je n'étais pas là hier, avoua-t-elle à mi-voix. J'ai vu des cavaliers arriver au château, mais j'avais plus important à faire. Si j'avais su que tu revenais...
— Qu'aurais-tu fais ? Tu serais venue me présenter des excuses peut-être ?
Une légère rougeur colora ses pommettes.
— Tu sais très bien que oui ! J'étais dévastée et tout est allé trop vite ! Pas un jour ne passe sans que je ne regrette ce qu'il s'est passé il y a cinq ans !
Lachlan haussa un sourcil. Non pas qu'il ne la croit pas. S'il y avait bien une qualité qui caractérisait Catriona, c'était sa sincérité. Non, c'était plutôt qu'il tiquait face à sa véhémence. Et peut-être qu'il n'était pas dans une humeur optimale pour s'attarder sur le passé.
— Pas moi, trancha-t-il pour clore ce sujet. Je suis heureux d'avoir été banni car ça m'a donné une raison de me battre. Et maintenant que j'ai vu le désespoir de Douglas et du chien galeux qu'il se traîne depuis des années, j'ai enfin obtenu vengeance.
— Donc tu...
— Je suis ton laird, Catriona, précisa Lachlan, et j'ai bien peur que cela veuille dire que tu m'auras sur le dos un bon moment.
Catriona se figea. Était-ce une bonne nouvelle ? Elle ne savait même plus vraiment ce qu'elle pensait. Lachlan était là devant elle, elle avait cru qu'elle ne le reverrait jamais. Pour être plus exacte, on lui avait dit qu'il avait péri à la guerre. Il lui avait d'ailleurs fallu plusieurs mois pour se remettre de cette perte.
Ils restèrent silencieux quelques minutes. Lachlan en profita pour l'étudier. Ses courbes s'étaient dessinées, à présent, elle ressemblait davantage à une matrone qu'à la jeune fille qu'il avait quitté. C'était presque difficile de se dire qu'elles n'étaient qu'une seule et même personne. Elle avait gagné en sensualité. Une forme d'attirance qui aurait sûrement fait succomber n'importe quel homme. Une femme bien en chair avec une poitrine voluptueuse, des hanches larges et un ventre rebondi, comment y résister ? Lachlan secoua la tête. Il pensait à Catriona, pas à n'importe quelle femme.
— Tu as l'air changé, constata-t-elle du bout des lèvres, avec un petit sourire qu'elle voulait surement amical.
— Qui ne le serait pas après autant de combats et de bains de sang ?
Il la sentit se tendre face à lui. Un voile aqueux couvrit son regard polaire tendit que la culpabilité lui vrilla l'estomac. S'il avait vécu un centième des scénarios catastrophes qu'elle avait construit dans ses pires cauchemars, il devait la haïr.
— J'ai pensé à toi tous les jours, lâcha Catriona d'une voix chevrotante.
D'une tout autre personne, Lachlan y aurait vu un sous-entendu caché, mais pas ici. Pas Catriona.
— Moi aussi.
Il s'entendit répondre avant même que son cerveau ne valide la réplique. Déjà âgé de dix ans, quand elle avait rempli ses chaussures de boue, il avait été incapable de lui en vouloir plus de vingt minutes.
— Donc tu... tu es mon laird, maintenant ?
— Aye, mais je ne t'obligerai pas à me vouvoyer ou à me faire des révérences, plaisanta-t-il doucement, un sourire au coin des lèvres.
— J'espère bien. Beaucoup de choses ont changé, mais pas celle-ci.
Lachlan s'apprêtait à acquiescer quand une voix féminine parvint de l'extérieur :
— Catriona ?
Elle n'eut pas le temps de répondre qu'une tête blonde entra dans la maison en trombes pour venir s'agripper à ses jambes, manquant de peu de la faire tomber. Catriona se rattrapa au dernier moment et posa une main protectrice sur la tête de l'enfant.
— Oh, je suis désolée, s'excusa une femme en entrant à son tour. Mon Laird. Allez, s'il te plait, s'adressa-t-elle au petit, tu vois bien que maman est occupée !
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