Chapitre 43
Cela faisait déjà quatre jours qu'ils étaient de retour. Quatre jours et pourtant Lachlan avait l'impression que le temps filait trop vite. Il avait eu trop de choses à rattraper, d'informations à recevoir, pour prendre une seconde à lui. À tel point qu'il avait l'impression de ne pas avoir vu Catriona depuis qu'ils avaient abandonné leurs montures à l'écurie.
À présent qu'il y réfléchissait, il ne l'avait même pas croisée aux repas. Alors qu'elle aurait pu le rejoindre en pleine nuit ou profiter du sommeil de Neil pour venir le voir, elle ne l'avait pas fait. Soit elle l'évitait, soit elle était elle aussi énormément prise. Cette dernière option était d'ailleurs la plus probable. Il n'y avait aucune raison qu'elle l'évite. Si ?
Lachlan laissa sa plume suspendu de la missive qu'il rédigeait. Non, non ce n'était pas possible. Le trajet retour s'était bien passé et ils avaient profité de chaque instant de solitude. Non, ce devait être autre chose. Il tenta de reprendre son travail, en vain. Des théories, toutes plus incongrues les unes que les autres, fusaient dans son esprit.
Après tout, il méritait bien une petite pause ! Il s'était déjà occupé de tout ce que Darren n'avait pas pu faire pour lui. Il était à jour. Lachlan pouvait parfaitement sortir un peu et se balader. S'il croisait Catriona, par pur hasard évidemment, il en profiterait pour évaluer la température. Oui, voilà ! Ce plan lui convenait.
Décidé, il fit reculer sa chaise dans un grincement désagréable et se leva. Il reposa sa plume plus délicatement, inspectant, lèvres pincées, les taches d'encre qui teintaient ses doigts. D'un geste mécanique, il frotta le côté interne de son majeur de la pulpe du pouce en vain. Lachlan soupira et décida de ne pas perdre davantage de temps. Il s'élança hors de son cabinet de travail. Son premier réflexe fut de se rendre dans la pièce réservée à la guérisseuse. Après tout, à cette heure du jour, elle devait bien s'y trouver.
Ce fut surpris qu'il la trouva vide. Il n'y avait ni Catriona ni patient alité. À première vue, l'âtre semblait sec. Les cendres effritées ne laissaient entrevoir aucune braise refroidie. Visiblement, elle n'y était pas venue de la journée. Voire même depuis deux jours. Lachlan fronça les sourcils. Peut-être qu'Aigneas possèderait une réponse à ce sujet.
Lachlan marcha d'un pas raide jusqu'à l'ancienne armurerie. À son retour du clan MacDonald, il avait décidé de vider la pièce pour la convertir en une salle dédiée à l'amusement et l'apprentissage des enfants. Il avait laissé Aigneas et Darren se charger de la disposition des lieux. Au moins, à présent, les enfants du clan avaient un espace rien qu'à eux. La grande salle ne leur permettait pas de jouer lorsqu'il y avait du monde de réuni.
Le laird entra sans frapper et laissa un sourire étirer ses lèvres lorsqu'il aperçut la jeune femme assise sur le grand tapis, les enfants regroupés autour d'elle. Aigneas leur racontait une histoire qui, à première vue, les passionnait. Quand on le remarqua, les enfants et leur encadrante se levèrent, le saluant d'une même voix. Il leur répondit chaleureusement tandis que son regard alerte effectuait un bref tour d'horizon. Il manquait quelqu'un.
— Neil n'est pas là ?
Aigneas secoua la tête, une moue contrite recouvrant ses traits.
— Nay, laird. Catriona tenait à profiter pleinement de son fils.
— Ils sont retournés dans les bois, compléta une voix fluette.
Lachlan se tourna vers la gamine aux cheveux tressés, le visage aussi jovial que possible. Pourtant, au fond de lui, il craignait de comprendre ce que cela voulait vraiment dire. Catriona n'aurait quand même pas choisi de retourner vivre dans son ancienne chaumière ? Cela lui paraissait très étrange.
— Merci...
— Ona.
— Merci, Ona, reprit Lachlan maintenant qu'on lui avait soufflé son prénom. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Aigneas, j'aimerais beaucoup te voir dans le courant de la semaine lorsque tu auras un peu de temps.
— Bien sûr, laird.
Ils échangèrent un hochement de tête et Lachlan en profita pour s'éclipser. Celle qui devenait petit à petit la gouvernante officielle des enfants du clan méritait un peu de reconnaissance. Il comptait lui en donner. D'autant plus qu'il doutait que Douglas l'eut jamais fait.
Mais pour l'instant, il devait rester focalisé sur son objectif premier : voir Catriona.
Comme si le Divin lui-même cherchait à l'aiguiller, il tomba nez à nez avec elle en arrivant à l'entrée du village. Ou plus exactement, il l'aperçut avant même de l'avoir atteinte. Le vent faisait vibrer sa longue chevelure blonde, pourtant ramenée dans une couronne de tresses sophistiquée. Lachlan sentit sa gorge s'assécher et son cœur s'accélérer dans sa poitrine. Il brûlait de la serrer contre lui et de plaquer ses lèvres sur les siennes. Mais il n'en ferait rien. L'Écossais était focalisée sur son fils. Accroupie sur le sol, elle lui montrait quelque chose dans sa main.
Alors forcément, lorsqu'il arriva à son niveau, Catriona se releva brusquement avant de lui adresser un salut aussi solennel que respectueux.
— Laird.
Si Lachlan tiqua à la mention de son titre plutôt que de son nom, il n'en montra rien. Il adressa un grand sourire à Neil qui tendait déjà sa main vers lui pour lui faire coucou.
— Salut, Neil. Comment tu vas, mon grand ?
— Il va très bien, s'empressa de répondre Catriona à la place de l'enfant. Nous avons fait une longue marche pour profiter de l'air frais et nous allions rentrer à la maison.
— Oh, je peux vous raccompagner à Dun Ringill, si tu le souhaites.
L'expression de Catriona lui fit l'effet d'une douche froide. La crispation de ses traits n'augurait rien de bon. Allait-il lui annoncer qu'elle voulait rentrer chez elle ?
— Je veux profiter un peu Neil, seul à seule. Pour quelques jours nous avons réinvesti notre ancienne maison.
Elle avait déballé ça d'une traite, consciente qu'il percevrait aisément sa tentative de distance. Lachlan acquiesça avec un sourire forcé.
— Je comprends. J'aimerais bien te parler. Peut-être pourrions-nous aller marcher ?
Il voulut lever la main pour lui frôler le bras, mais elle se décala tout en jetant un regard aux alentours.
— Pas maintenant, Lach. Une prochaine fois.
— Mais tout va bien ?
Le sourire qui étira ses lèvres n'atteignit pas ses yeux.
— Aye. Nous devons juste y aller.
— Bien sûr. À bientôt, mon grand, ajouta-t-il en frottant d'une main la chevelure hirsute du petit.
Ils passèrent devant lui et finirent pas s'engouffrer entre les arbres, un peu en contrebas. Un nœud au fond de la gorge, Lachlan ne lâcha le paysage des yeux que bien longtemps après qu'ils étaient partis. L'esprit en ébullition, il se hâta de retourner à son travail. Finalement, il aurait préféré ne pas soulever davantage de questions. Car il en était sûr à présent, Catriona cherchait à mettre de la distance entre eux.
—Wow, t'as vraiment l'air d'avoir passé une journée merdique !
Darren émit ce commentaire en le rejoignant, bien plus tard dans l'après-midi. Lachlan était assis dans un fauteuil, un verre de whisky à la main et l'esprit attiré par une nouvelle solution.
— Tu ne peux même pas imaginer !
Le Campbell fronça les sourcils et vint s'asseoir face à lui après s'être lui aussi servi un verre.
— Que se passe-t-il ? De mauvaises nouvelles de la part de Craig et Guillaume ?
— Nay, nous ne savons toujours pas ce qu'il advient d'eux.
— Si nous n'entendons rien, c'est déjà une bonne nouvelle en soit.
— Je te l'accorde.
Lachlan fit tourner un instant le liquide ambré avant de le porter à sa bouche. Il enchaîna deux grandes goulées, tellement tourmenté qu'il ne tiqua même pas sous la brûlure de l'alcool. Darren se pencha légèrement vers l'avant, les coudes sur les rebords de son kilt.
— Alors que t'arrive-t-il ?
Le laird pinça les lèvres en le dévisageant. Par où commencer pour que Darren soit en mesure de suivre sa réflexion ?
— Le comportement de Catriona est étrange depuis que nous sommes revenus. Elle m'évite et ne s'en cache même pas.
L'héritier Campbell prit une grande inspiration et se recula sur son siège pour plus de confort. Évidemment que la guérisseuse était impliquée. Ces derniers temps elle occupait toutes les pensées de son ami. Guillaume l'avait prévenu lorsque lui et Craig étaient repassés par Dun Ringill et il l'avait ensuite constaté par lui-même. Quand Lachlan lui avait conté tout ce qu'il s'était passé entre eux, Darren aurait menti en se disant surpris.
— Que t'a-t-elle dit ?
— Rien de particulier. Je l'ai à peine croisée depuis notre retour. Aigneas m'a appris qu'elle passait beaucoup de temps avec son fils. Elle est même revenue vivre avec lui dans leur ancienne maison.
— Et tu ne crois pas qu'elle veut juste profiter de Neil ?
Lachlan fronça les sourcils. Catriona avait tellement eu de mal à supporter l'absence de son fils que le retrouver avait été d'une intensité folle. Donc bien sûr qu'elle voulait profiter de son fils. Pourtant, il sentait qu'il y avait autre chose derrière.
— Je suis un peu mitigé, Darren. Évidemment qu'elle a besoin de passer du temps avec Neil, mais en même temps, son comportement était un peu étrange. J'ai eu l'impression qu'elle était mal à l'aise de me voir. Comme si elle avait quelque chose à me reprocher sans oser me le dire.
— As-tu agi d'une façon qui puisse te laisser croire ça ?
Le laird prit le temps de réfléchir. Se pourrait-il qu'il l'ait blessée sans le vouloir ?
— Nay, je ne pense pas.
— Je ne sais pas quoi te conseiller, Lach, déplora Darren. Le mieux serait encore que tu lui parles.
— Je comptais le faire, mais elle ne m'en laisse pas l'occasion.
— Savez-vous ce que vous ressentez l'un pour l'autre ?
— Non, cela fait partie des choses que j'aimerais lui dire.
Darren esquissa une moue que Lachlan n'avait pas la force de déchiffrer. Il secoua la tête, désespéré par sa propre situation, et finit son verre d'une traite.
— Tu devrais le lui prouver.
Le conseil de Lachlan lui arracha un sourire en coin.
— C'est amusant que tu dises ça, il y a quelque chose que j'aimerais faire. J'y ai beaucoup réfléchi et c'est ce que je désire réellement.
— Et qu'est-ce que c'est ? demanda prudemment le Campbell, incertain de ce qu'on allait lui répondre.
— Je vais demander à Catriona de m'épouser.
Il fallut quelques instants à Darren pour que ces mots montent jusqu'à son cerveau.
— Pardon ?
— Aye, Darren, je vais épouser Catriona. Je l'aime et je veux passer ma vie avec elle. J'ai déjà perdu trop d'années à voguer dans le sens contraire à mes désirs.
— Bien sûr, j'avais bien compris cette partie. Je ne souhaite que ton bonheur, Lach, évidemment. Et si tu es sûr que c'est elle que tu veux, tu devrais lui demander sa main. Nay, ce qui m'inquiète c'est qu'elle ne soit pas prête à se remarier. Je ne la connais pas aussi bien que toi, mais si j'ai bien compris ce que tu as pu me dire, sa précédente union n'était pas un succès. Elle a peur des relations maritales, ce qui peut se comprendre, et je crains que, si tu arrives sans qu'elle ne s'y attende avec une demande, elle soit tellement terrifiée qu'elle refuse. Ne l'épouse pas simplement pour la récupérer.
— Je ne l'ai pas perdue, s'empressa de répliquer Lachlan. Ça fait quelques jours que j'y pense sérieusement. Lorsque Catriona a finalement accepté notre attirance mutuelle, elle m'a dit que mon nouveau statut l'effrayait. Qu'un jour je devrais me marier. Elle a raison. Mais qu'est-ce qui m'empêche de la choisir elle ? Je pense lui avoir suffisamment prouvé que je respectais son indépendance et sa personnalité tout entière.
— Certes, mais les craintes sont rarement rationnelles.
— Je le sais bien. C'est pourquoi je compte d'abord savoir ce qu'il en est de notre relation. Je ne vais pas arriver et me mettre à genoux devant elle.
Darren acquiesça. Il faisait confiance à Lachlan pour se montrer délicat.
— Quand comptes-tu rencontrer son père ?
— J'irai voir Connor demain matin. Pourras-tu m'accompagner ? Je ne l'ai pas revu depuis des années...
— Bien sûr, Lach, je suis là pour toi.
— Tant mieux ! Et avant cela j'aimerais passer un peu de temps avec Neil.
— Pour la charmer ?
— Peut-être un peu, sourit le laird, mais avant tout parce que j'aime beaucoup ce gamin.
— Quelle belle famille vous ferez.
Lachlan se figea. Il n'avait pas vu les choses sous cet angle. En s'unissant avec Catriona, qu'il aimait et désirait plus que tout, il adopterait Neil. Finalement, le destin qui se profilait était de plus en plus en beau.
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