Chapitre 4
Lachlan se retourna brusquement, un grand sourire sur le visage. Il avait si peu changé et tant à la fois. Ce devait être à cause de son regard, bien plus mature que lorsqu'on l'avait forcé à partir. Ses traits s'étaient affermis, lui donnant à présent l'air d'un homme presque adulte. Il avait aussi beaucoup grandi. Sans l'estrade, Lachlan ne serait pas surpris qu'il fasse la même taille, voire plus que lui.
Quel âge avait-il à présent ? Seize ou dix-sept ans. En tous cas, c'était un beau jeune homme que Lachlan voyait devant lui. Il le contempla avec émotion un moment, dans un échange silencieux lourd de manque et de joie des retrouvailles. Une fois qu'il se fut ressaisi, Lachlan descendit la petit marche qui le séparait de son frère adoptif et l'enlaça.
Il dut lutter contre les tiraillements qui faisaient frémir ses paupières et le nœud vicieux qui lui bloquait la gorge. Il ne voulait pas pleurer. Quand il avait rencontré Darren, à son arrivée dans les forces écossaises, gamin perdu et abandonné, le Campbell l'avait soutenu. Mais il lui avait aussi appris à intérioriser sa douleur. Depuis cinq ans, il n'avait pas versé une larme, même alors que tout son être appelait aux sanglots.
Ce conseil était peut-être stupide, mais il lui avait au moins donné la force de tenir sur le champ de bataille, quand il ne devait se concentrer que sur sa survie et certainement pas ses émotions. Qu'ils soient Anglais ou non, qui avait envie de tuer un homme qui ne lui avait rien fait ? L'amour de la guerre lui échappait toujours autant.
Lachlan se recula légèrement, les mains autour du visage de Craig, pour le contempler.
— Tu as tellement grandi, Craig, constata-t-il.
Le jeune homme esquissa un sourire maussade.
— Toi aussi, tu as beaucoup changé.
Lachlan se retint de caresser la cicatrice qui lui barrait le visage, de la tempe au menton. Il ne voulait pas parler de la guerre à un si jeune homme. Il ne voulait pas lui révéler les atrocités qu'il avait vues ou vécues ces dernières années.
— Tu dois avoir beaucoup de choses à me raconter ! s'exclama-t-il en l'entraînant à une table. Asseyons-nous.
Il héla Guillaume et Darren pour qu'il les imite et fit les présentations :
— Craig, voici Guillaume de la Vallière et Darren Campbell. Guillaume, Darren, voici Craig, mon frère.
Lachlan remarqua l'étincelle de joie qui illumina son regard un bref instant. La distance, l'absence et le motif de son départ devaient l'avoir fait douter de la façon dont il l'accueillerait. Mais Lachlan n'avait jamais nourri la moindre rancœur à son encontre, au contraire, il avait eu beaucoup de mal à surmonter son absence.
Guillaume enjamba le banc à côté de Craig et lui tendit une main pour qu'il la serre. Darren, quant à lui, inclina la tête et lui dit :
— Enchanté, Craig. Nous avons beaucoup entendu parler de toi, tu sais.
— Oh... vous vous êtes rencontrés là-bas ? demanda-t-il timidement.
« Là-bas », c'était un beau moyen détourné de parler des champs de bataille. Lachlan croisa les bras sur la table avant de lui répondre :
— Oui, mais dis-moi plutôt ce que tu deviens !
— J'aide beaucoup mon père dans sa gestion des élevages. Je forme ses nouvelles recrues. Ce genre de choses...
Craig n'avait pas l'air emballé, ça se lisait sur son visage. Pour être honnête, Lachlan ne l'avait jamais imaginé suivre la voie de son père et élever les bêtes. Il avait toujours aimé courir, se battre et défendre un fief imaginaire. Quand il était plus jeune, il l'emmenait souvent escalader la falaise et simuler des combats. Bon, finalement Lachlan avait de quoi le regretter, maintenant qu'il savait ce que c'était, mais il se souvenait du goût de Craig pour l'action.
— Et ça te plaît ?
— Pas vraiment, répliqua le frère de Catriona avec un haussement d'épaule. J'ai voulu participer plus activement à la défense du clan, mais Keir a refusé. Je suis trop frêle.
Guillaume secoua la tête, désespéré par ce qu'il avait entendu. Il détestait ce genre de dénigrement, pour l'avoir trop subi dans sa jeunesse. En tant que plus jeune frère d'une fratrie de dix, il était sans arrêt en compétition avec ses ainés.
— Dis pas n'importe quoi, petit, le consola-t-il maladroitement. Quand je suis entré dans l'armée, je devais avoir ton âge et la moitié de ta carrure. Ce n'est pas le physique qui fait le guerrier, mais la force de son mental.
Lachlan le remercia silencieusement. Ce genre de mot, bien que d'apparence simple, pouvait lui redonner foi en son rêve.
— Et... vous pourriez m'apprendre à me battre ?
— Moi je peux le faire, intervint Lachlan avec un sourire paternaliste. J'ai beaucoup plus de technique qu'avant, tu sais.
Craig le remercia, sincèrement touché de la façon dont il retrouvait son grand frère. Lui qui avait cru ne jamais le revoir...
— J'ai cru que je ne te reverrai jamais, Lach, lacha-t-il après un court silence.
— Honnêtement, j'ai eu peur de ne jamais pouvoir revenir. Faut croire que Dieu ne m'a pas complètement abandonné.
— Comment c'était ?
— De quoi ?
— La guerre, Lach. Comment c'était ?
Lachlan serra la mâchoire pour endiguer le flot d'images qui l'assaillait. La tour grise de Verneuil revenait souvent dans son esprit, comme un symbole qui l'empêchait de tourner la page. Ce fut la main de Darren sur son avant-bras qui le tira de sa courte léthargie.
— On ne le souhaite à personne, petit, répliqua Guillaume avant que Lachlan n'ait le temps de le faire.
— C'est bien différent des jeux et des illusions dont nous nous bercions, Craig.
— Mais... tu vas bien, non ?
— On peut dire ça, oui, hésita brièvement Lachlan. Mais j'ai failli mourir à plusieurs reprises. Les véritables combats n'ont rien d'un jeu.
— Aye, je sais. J'aimerais juste être aussi brave que toi et me rendre aussi utile. Tu as libéré le roi.
Une sueur froide glissa le long de la colonne de Lachlan. Non, il ne pouvait pas laisser Craig croire de telles choses. Ses actes n'avaient jamais été héroïques. Ils avaient soit contribué à sa survie, soit permis de se faire respecter parmi leurs troupes. Rien de plus.
— Je n'ai rien d'un héros, grinça-t-il. Je t'interdis de m'idéaliser ou de me prendre pour exemple, Craig. S'il y a bien une chose que je te souhaite c'est de ne jamais avoir à vivre de bataille.
— Un homme qui part à la guerre ne reste jamais le même, affirma Darren. Tu ne penses qu'à ta survie, tu n'agis pas par honneur ou loyauté, en réalité. Par contre, servir son laird est une preuve de loyauté et quelque chose d'admirable.
Craig esquissa un sourire timide en guise de remerciement. Darren était doué pour trouver les mots justes.
— J'ai du mal à réaliser que tu es mon laird, Lach.
Il ricana.
— Moi aussi. Tu n'imagines pas à quel point. D'ailleurs, je vais avoir besoin d'hommes de confiance. Puisque tu souhaites te diriger vers une voie un peu plus militaire, est-ce que ça pourrait t'intéresser ?
— Aye ! s'écria Craig en se penchant presque par dessus la table en bois.
— Tu nous rejoindras demain matin pour t'entraîner, on va y aller par étape pour éviter que Connor n'ait une raison supplémentaire de vouloir ma mort.
Le sérieux s'abattit sur le visage du jeune homme comme la foudre sur le clocher de l'église.
— Ils s'en veulent tous les deux beaucoup.
Ah. Il parlait aussi de Catriona. Lachlan leur en voulait aussi, cela leur faisait au moins une chose en commun. À quoi s'était attendu Connor en allant se plaindre au laird ? Il savait parfaitement que la sanction serait d'autant plus importante que Catriona était promise au fils de Keir.
Quant à Catriona, Lachlan ne savait pas vraiment à quel point il nourrissait du ressentiment à son égard. Elle s'était jetée sur lui dans l'espoir qu'il prenne son innocence et, bien qu'il l'ait repoussée, il avait payé le prix de son plan tordu.
— Je ne sais pas quoi te répondre, Craig, finit tout de même par dire Lachlan. Ils sont tout autant responsable de mon sort que l'était Douglas.
— Tu devrais leur parler.
— Certes, mais je ne ferai pas le premier pas. Connor viendra quand il sera prêt et Catriona... quand ses responsabilités maritales lui laisseront du temps.
Craig fronça les sourcils.
— Oh, donc tu ne sais pas...
— Je ne sais pas quoi ?
Que devait-il savoir à son sujet ? Qu'elle avait décidé d'aller parcourir le monde avec son abominable mari et ses marmots ? Il préférait l'ignorer. Surtout que Logan MacKinnon, son époux, était le pire homme que cette terre ait jamais abritée. C'était d'ailleurs pour ça qu'elle avait cherché un moyen d'échapper à ce mariage en le manipulant.
Non, il ne voyait pas ce que Craig pouvait lui apprendre d'intéressant.
— Tu ne sais pas que Catriona est veuve, lâcha-t-il enfin.
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