Chapitre 27

— Nay, mon laird, je suis désolé, s'excusa Cailean.

Rien.

Ils n'avaient toujours rien.

Cela faisait déjà trois jours qu'Alistair avait annoncé les fiançailles de Lachlan et de sa fille et pourtant aucun MacDonald ne s'était ouvertement manifesté contre cette union. Lachlan serra les dents, frustré par cet échec. Il ne persévéraient même pas depuis une semaine, à quoi s'attendait-il ? À ce que, d'un claquement de doigt, il obtienne les éléments compromettants servis sur un plateau ?

Lachlan n'était pas fou, il avait conscience que ses espérances n'avaient rien de réalisables. Malgré tout, son expression se fit froide et emplie d'agacement. Au froncement de sourcils de Guillaume, il comprit que ses hommes le pensaient en colère contre eux. Lachlan s'empressa de les détromper :

— Ne t'excuse pas, Cailean, vous n'y êtes pour rien. Gardez l'œil ouvert et vos oreilles à l'affût. Vous pouvez y aller, je vais rester dehors un peu.

L'air frais faisait vibrer l'herbe haute dans un ballet apaisant. Les MacDonald ne passaient pas beaucoup de ce côté des jardins, bien qu'ils soient à proximité de l'entrée principale du broch. D'ici, ils ne voyaient pas la mer, simplement une étendue tout en nuances de vert. Au loin, en contrebas, on apercevait les bâtisses du village. Contempler le paysage l'aidait à penser à autre chose.

— Lach ?

Intrigué par l'appel de Guillaume, il se força à tourner la tête dans sa direction. Cailean était déjà parti.

— Tu as l'air un peu sur les nerfs, reprit-il, es-tu sûr que tout va bien ?

— Aye, navré, je ne suis pas agréable.

Ce n'était pas peu dire. Ces derniers jours, quand il répondait aux interpellations de ses camarades, il avait eu tendance à parler sèchement. S'il y avait bien une chose que Lachlan détestait, c'était de ne pas comprendre. Et il ne comprenait pas le comportement de Catriona.

Pour oublier ce baiser, il s'était entraîné avec ses hommes pendant des heures, jusqu'à l'épuisement, mais rien n'y faisait. La scène se rejouait en boucle dans son esprit, un peu comme une vieille personne radoterait pour la quinzième fois la même histoire. Il n'en pouvait plus. Il n'avait qu'une envie, c'était de la rejoindre et de la secouer jusqu'à ce qu'elle lui donne des explications.

« Je ne peux pas »

Que ne pouvait-elle pas ? L'embrasser ? Elle avait pourtant eu l'air d'y prendre autant de plaisir que lui. Qu'est-ce que sa raison avait objecté pour qu'elle le repousse de la sorte ?

— Il s'est passé quelque chose avec les MacDonald ?

Lachlan secoua la tête. Peut-être qu'en parler l'aiderait à comprendre. Après tout, les Français n'étaient-ils pas supposés exceller en ce qui concernait l'amour ?

— Pas avec les MacDonald, nay.

— Oh, souffla Guillaume lorsque la lumière se fit dans son esprit, c'est dame Catriona.

— Aye.

— Que s'est-il passé ?

L'hésitation du laird MacKinnon ne dura même pas une minute. Il avait besoin de mettre des mots sur les images qui passaient et repassaient devant ses yeux, même lorsque le soleil était haut dans le ciel. Il n'épargna aucun détail à Guillaume. N'omettant ni la sensualité de ce baiser ni le tourbillon d'émotions qu'il avait réveillé en lui. Il insista aussi sur la douleur du rejet, qui le travaillait sans relâche depuis plusieurs jours.

— Et... elle t'a repoussé sans raison ? s'enquit Guillaume.

— Je suppose qu'il y en a une, je ne la connais juste pas.

— Tu ne lui as pas demandé ?

Lachlan haussa un sourcil. Il lui posait sérieusement la question ? Comme si la communication ne lui avait pas effleuré l'esprit !

— Elle m'évite. J'ai essayé d'aller la voir une bonne quinzaine de fois.

— Peut-être a-t-elle besoin d'espace.

— Et je lui en donne.

— Tu...

Guillaume s'interrompit. Euan, l'héritier du clan MacDonald, rejoignait le broch d'un pas vigoureux, les bras croisés sur son torse. Quand son regard croisa celui de Lachlan, il changea de cap pour se diriger vers eux.

— Je vais vous laisser en tête à tête, murmura Guillaume, ça a l'air sérieux.

Lachlan acquiesça sans se détacher du Macdonald qui s'approchait. Il s'était imperceptiblement raidit, paré à l'affronter. Jusque-là, ils n'avaient jamais eu l'occasion de s'entretenir seul à seul. Euan ne lui avait adressé la parole que dans de rares moments où il n'avait pas eu d'autre choix pour maintenir les apparences. Toujours avec un juste mélange d'affabilité et de froideur. Ce qu'il fallait pour lui faire comprendre qu'il ne désirait pas s'engager dans une discussion personnelle, et assez pour que les gens autour n'y voient rien d'autre que de la politesse.

Alors pourquoi venait-il vers lui ? Selon toute vraisemblance, il aurait dû rentrer dans le broche et l'ignorer superbement.

— Euan, le salua-t-il lorsque celui-ci fut à son niveau. Agréable journée pour se balader, n'est-il pas ?

L'intéressé attendit d'être arrivé à son niveau pour répondre :

— Certes, bien que nous n'ayons pas tous du temps à perdre en contemplations et grandes réflexions, laird.

Lachlan força un sourire. Son ton n'avait rien de sympathique. Euan cherchait à l'agaçait et il était hors de question que Lachlan lui montre à quel point cela fonctionnait.

— Il est certain que je n'ai pas la même activité auprès des vôtres que dans mon propre clan. Votre père m'a fait visité le village et les alentours, je lui ai proposé mon aide, qu'il a aimablement déclinée. Je vous la réitère donc, Euan.

— C'est fort aimable à vous.

Alors pourquoi n'avait-il pas l'air enchanté ?

— Pourtant, reprit Euan, nos activités ne requiert que la participation de notre clan. Nous n'aimons pas trop y mêler des étrangers.

— Nous seront bientôt frères, Euan. Et nos clans seront alliés, je doute que vous y preniez grand risque.

Euan le dévisagea, comme pour mesurer l'impact des mots qu'il prononçait. Comme s'il doutait que Lachlan pût croire à ce qu'il disait.

— Si vous le dites.

Ainsi, il connaissait les plans de son père. Lachlan ne le sentait pourtant pas si emballé que cela. Sinon, Euan n'aurait-il pas joué le jeu du parfait beau-frère ? Peut-être y avait-il un moyen de s'en assurer sans perdre sa couverture.

Lachlan esquissa un sourire qui étira la cicatrice blanchâtre, à peine camouflée par sa barbe naissante. Les bras croisés dans le dos, il observa le paysage pour qu'Euan ne se doute pas qu'il étudiait chacun de ses mouvements du coin de l'œil. Son passif dans les forces écossaises était bien utile.

— Et donc, qu'étiez-vous venu me dire ?

— Comment cela ? répondit le MacDonald du tac au tac.

— Eh bien... je suppose que vous n'êtes pas venu m'accoster dans le simple but de converser. Peut-être vouliez-vous me féliciter pour mes fiançailles avec votre sœur ?

Cette fois-ci, il tourna la tête dans sa direction. Euan avait les sourcils froncés et une mince rougeur colorait ses joues pâles.

— J'aurais pu, mais je doute que des félicitations soient de rigueur.

— Pourquoi ? Nous allons unir durablement nos deux clans.

— Vous ne voulez pas vraiment épouser Ailsa.

Le cœur de Lachlan manqua un battement. Comment Euan connaissait-il son plan ? Avait-il perçu son mensonge depuis le début ? Était-ce la raison pour laquelle il se montrait si froid ? Mais s'il le savait, pourquoi ne pas en avertir Alistair ? Nay, quelque chose n'était pas logique.

— Pourquoi ne voudrais-je pas l'épouser ? énonça calmement Lachlan. Ailsa est jeune, d'une beauté remarquable et je suis persuadé que des héritiers à la fois MacDonald et MacKinnon uniront durablement nos familles.

— Vous croyez que cela suffira, soupira Euan en insistant bien sur le verbe « croire ».

Lachlan resta impassible, pourtant les mots qui sortaient de la bouche de son interlocuteur n'annonçaient rien de bon.

— Et donc vous pensez qu'il ne sert à rien d'essayer ?

— Cela sera vain. Vous y voyez des bénéfices, mais vous ne serez jamais gagnant. Pas contre mon père.

Euan crispa la mâchoire. Cette dernière phrase, prononcée dans un souffle lui avait visiblement échappée. Mais il en avait à présent trop dit pour que Lachlan continue à jouer les sots.

— Pourquoi m'en avertir ?

— Je ne ferais rien qui irait à l'encontre du bien-être de mon clan, laird. Ou contre celui de ma sœur.

— Mon union avec Ailsa serait mauvaise pour votre clan ?

— Non, mais votre mort une fois qu'elle aura eu un héritier l'accablera, elle. C'est une personne sensible. Je ne lui souhaite pas ça.

Lachlan croisa les bras sur son torse. Son tartan se plissa généreusement pour accueillir le frottement de la peau.

— Expliquez-vous, Euan.

— Pas ici. Suivez-moi.

En temps normal, Lachlan n'aurait jamais obtempéré. Euan ne voulait pas son bien, il n'avait aucune raison de lui faire confiance. Néanmoins, il sentait que le fils du laird pourrait être une clé à leur problème. Le fameux MacDonald qu'ils recherchaient inlassablement depuis trois jours.

Euan le conduisit dans une aile du château qu'il ne connaissait pas. Lachlan observa attentivement les portraits devant lesquels ils passaient. On se serait cru dans la galerie des portraits du château de Stirling. D'immenses toiles décoraient les murs, représentant divers lairds, plus ou moins anciens. Tous des ancêtres des actuels seigneurs, sinon ils auraient sûrement été décrochés. Tout comme Lachlan avait soigneusement fait brûler les portraits de Dougal. Il l'avait assez vu pour toute une vie.

— Bien, lança Lachlan une fois qu'ils se furent enfermés dans les appartements de l'héritier MacDonald, vous avez toute mon attention.

— Mon père ne jure que par l'importance du pouvoir et de la richesse. Une alliance avec lui est comme un saut du haut d'une falaise : fatal.

— Il me ferait tuer.

— C'est son plan, acquiesça Euan, mais uniquement après que ma sœur ait mis au monde un fils, sinon il ne s'assurerait pas la main-mise sur votre clan.

Lachlan pinça les lèvres. Cela expliquait pourquoi il avait directement proposé ce genre d'alliance plutôt que de tenter de lui escroquer, à lui aussi, de l'argent.

— Pourquoi me le dites vous ? demanda le laird, les sourcils légèrement froncés.

— Je ne ferais rien qui nuise à mon clan, mais j'aime ma sœur et j'ai, moi aussi, mon intégrité.

— M'auriez-vous prévenu si je n'avais pas amené le sujet ?

— Nay. Je ne voulais pas trahir mon père, c'était un duel entre l'intégrité et l'honneur.

Lachlan hocha la tête. Il comprenait ce genre de dilemme. C'était ce qui l'avait tant détruit pendant la guerre. Maintenant qu'il connaissait les motivations d'Euan, restait à savoir s'il pouvait compter son lui pour mettre son plan en œuvre. Sinon, il repartait de zéro.

— Vous êtes donc prêt à faire tomber votre père ?

— Je ne ferai rien de direct. Mais j'ai des informations qui pourraient vous convenir. Après tout, vous êtes un proche ami du roi.

— Vous me les confierez même si cela peut nuire à votre père, voire lui coûter la vie ? Car nous ne parlons pas d'ici de bagatelles, Euan.

— Aye, répondit-il d'un ton décidé, je vous donnerai ce que je sais. Faites-en ce que vous voulez, à la condition que je puisse récupérer le clan MacDonald à l'issu de votre décision.

— Et votre père ?

— Il était prêt à vendre Ailsa. Nous ne sommes que des pions sur son échiquier, sentez-vous libre d'agir sans m'offenser. Qu'il soit mort ou vif m'importe peu tant que je récupère mon héritage.

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