Chapitre 25

— Donc vous avez guerroyé en France ?

La voix aiguë d'Irvine le força, une nouvelle fois, à détacher son regard de l'entrée des cuisines pour sourire à sa future belle-famille. La femme du laird avait décidé de l'interroger pour évaluer ses capacités à être un bon gendre. S'il en croyait la satisfaction qui éclairait ses traits de porcelaine, il avait réussi le test.

— Aye, ma dame, contre nos ennemis communs : les Anglais.

— Cela a dû être bien effrayant, laird, commenta Ailsa.

Plus elle lui parlait et plus il voyait en elle une jeune femme extrêmement douce et bienveillante. Tout l'opposé de son père. Il était sincèrement attristé qu'elle eût un père comme Alistair qui n'hésitait pas à la vendre au plus offrant.

— La guerre n'est jamais une partie de plaisir. C'est un jeu dangereux dans lequel vous offrez votre vie à votre souverain.

— Est-ce à cela que vous devez...

Ailsa indiqua sa propre joue, rougie par la gêne, d'une caresse subtile de son index.

— Aye, mais j'ai eu la chance de survivre. Ce ne fut pas le cas pour beaucoup des nôtres.

— Au moins, vous savez ce qu'est la bravoure, intervint une voix masculine emplie de froideur.

Lachlan se décala sur la droite pour qu'Euan s'intègre au groupe de discussion. L'héritier du laird MacDonald n'avait rien de sympathique. Son regard sombre semblait vous analyser de part en part, en quête de la moindre faiblesse qu'il pourrait exploiter. Pendant tout le repas, il n'avait fait qu'étudier Lachlan. Peut-être percevait-il son manque de sincérité ou sa fausse résignation ? Dans tous les cas, il fallait le surveiller de près.

La conversation se poursuivit, dans une cordialité un peu moins sincère que précédemment. Lachlan n'aimait pas être le centre de l'attention, mais il se voyait mal faire dériver la discussion. Il resta debout à parler avec les MacDonald pendant au moins une bonne heure, sentant petit à petit la fatigue s'abattre sur lui de son couperet tranchant. Épuisé par toute ce fausseté, il saisit la première occasion pour s'éclipser.

Il monta les marches qui menaient au premier étage quatre à quatre. Alors que tout son être le poussait à aller vérifier que Catriona se portait bien, il frappa tout d'abord à la porte de Guillaume pour obtenir un bilan de ce qu'il s'était passé.

— Lach, le salua-t-il en se décalant de l'embrasure de la porte.

Lachlan attendit qu'il eût fermé la porte pour se renseigner.

— Aucun MacDonald n'est venu vous accoster ?

— Non. Mais plusieurs nous ont dévisagés pendant que nous partions. Je pense que dans les prochains jours, nous pourrions être contactés par certains d'entre eux.

— Il faut rester alerte.

— Oui. Tu comptais aller te coucher ? demanda le Français après un instant de silence.

— Eh bien...

Le laird MacKinnon marqua une pause. Certes il était fatigué et le plus raisonnable aurait été de rejoindre son lit, mais il ne s'en sentait pas capable pour le moment.

— J'ai quelque chose à dire à Cat avant, avoua-t-il avec l'impression d'être un gamin que l'on surprenait en train de faire une bêtise.

Si, jusqu'ici le visage de Guillaume était resté sérieux, il s'étira d'un grand sourire moqueur.

— Tu devrais te dépêcher alors. Ça doit être vraiment urgent pour que, en pleine nuit, tu trouves judicieux de la déranger.

Lachlan leva les yeux au ciel. Il valait mieux s'abstenir de répondre. D'un pas décidé, il sortit et referma bien soigneusement la porte derrière lui pour ne plus entendre le rire du français. Il aimait Guillaume, mais là, il avait envie de lui faire manger sa langue.

Il resta quelques instants devant la chambre close de Catriona, la main levée, prête à frapper, mais incapable de le faire. Une sorte de crainte l'empêchait de le faire. Mais crainte de quoi ? De Catriona ? Qu'est-ce qui lui pinçait le cœur comme ça, l'empêchant presque de respirer ?

Il était ridicule. Lachlan prit une grande inspiration avant d'abaisser son poing contre le panneau de bois à plusieurs reprises. Il réessaya une fois, puis deux, puis cinq. Personne ne répondait. Peut-être qu'elle dormait... Non, non cela paraissait étrange. Elle n'avait pas le sommeil si lourd, des coups à sa porte l'aurait réveillée.

Soudain alarmé par les conclusions qu'il tirait, Lachlan entra.

— Catriona ? appela-t-il d'une voix qui n'avait plus rien de discret.

Seuls les ténèbres de la nuit lui répondirent. Pas une seule bougie ne veillait dans cette grande pièce sans vie. De la glace à l'état pure se répandit dans ses veines.

Elle n'était pas là.

Il fit volte-face, prêt à descendre les escaliers au pas de course et chercher partout s'il le fallait quand la tête de Craig se dessina dans l'embrasure de la porte d'en face.

— Ne me dis pas qu'elle est encore dehors, maugréa-t-il, le regard assombrit.

Lachlan ne sut que répondre. Craig avait l'air particulièrement contrarié, mais aussi un peu ensommeillé.

— Je vais aller la chercher, assura le laird avec un froncement de sourcil. Où était-elle ?

— À l'arche où nous attendaient le laird et sa famille quand nous sommes arrivés.

Le MacKinnon n'attendit pas plus d'indications. Il hocha la tête et partit en direction de l'entrée principale. Il était rassuré que l'on sache où elle se trouvait, mais agacé qu'elle eût pris le risque de sortir seule du broch. Et pourquoi Craig avait-il accepté de la laisser seule ? Il devait être inconscient, Lachlan ne voyait pas d'autres explications !

Quand il arriva au niveau de l'arche de pierre, il eut du mal à l'apercevoir dans l'ombre du bâtiment. Si la lune ne s'était pas reflétée dans le chatoiement discret de sa robe bleue, il ne l'aurait sans doute vue qu'en passant à côté d'elle. Catriona lui tournait le dos, assise sur un banc d'où elle contemplait les grands jardins. Ou du moins ce qu'elle en discernait dans la nuit noire.

Il s'approcha avec la discrétion d'un prédateur qui fond sur sa proie, tout en douceur et en subtilité. Ainsi, lorsqu'elle se retourna avec un sursaut, il était trop tard pour fuir. Mais la dague qui se rapprocha de sa gorge, le surpris davantage que ce à quoi il aurait pu s'attendre. Lachlan n'était pas assez proche pour risquer d'être blessé, mais pas assez loin pour ne pas se sentir en danger. Catriona le dévisagea, surprise, sans prendre le peine de baisser son arme.

— Lachlan, murmura-t-elle.

Il posa la pulpe de son index sur le métal froid, pour le rabaisser un peu plus vers le sol, dans une posture inoffensive.

— Tu essaies de me tuer ? railla-t-il avec un sourire en coin.

— Nay... nay, je...

Penaude, elle se pencha pour glisser le couteau dans sa botte, où il résidait précédemment. Pendant qu'elle s'exécutait, Lachlan suivit chacun de ses gestes avec attention. Non pas parce qu'il la prenait pour une menace, mais parce qu'il était hypnotisé.

Hypnotisé et un peu inquiet.

Il avait remarqué la pellicule fine qui rendait ses yeux brillants et le désarroi avec lequel elle avait constaté sa présence. Quand Craig lui avait dit qu'elle se trouvait dehors, il s'était douté que quelque chose n'allait pas. Mais au point qu'elle en soit si affligée ? Que pouvait-il se passer ? Pourquoi avait-elle quitté la grande salle si brusquement à la fin du discours d'Alistair ?

Les questions se bousculaient dans sa tête sans que le highlander ne trouve la meilleure façon de les formuler. La peine qui brouillait les traits de Catriona résonnait en lui avec un peu trop de force pour ne pas le perturber.

— Tu pourrais me laisser seule, s'il te plait, Lachlan ? supplia-t-elle une fois qu'elle se fut redressée.

Une boule se glissa dans sa gorge.

— Que se passe-t-il ?

Elle leva la tête dans sa direction, percutant son regard avec le sien, furieux. Si elle pouvait le tuer ainsi, il aurait déjà rejoint son Créateur.

— Ce qu'il se passe ? Tu te moques de moi ? Comment as-tu pu me laisser apprendre ça en même temps que tout le monde ? Comment as-tu pu me faire ça ?

Ok, là il était complètement perdu. Donc c'était de sa faute. Au moins il apprenait quelque chose. Les sourcils froncés et l'air déconcerté, il étudiait attentivement l'expression du visage de Catriona. D'attristé, il était devenu courroucé.

— Heu... Je suis désolé ?

Il avait tenté ça comme ultime recours, sachant qu'il valait mieux s'excuser que de montrer qu'il n'avait aucune idée de ce dont il était accusé.

— Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ?

— Dit quoi, Catriona ? Je veux bien faire des efforts, mais je ne comprends même pas pourquoi tu t'énerves contre moi.

Catriona croisa les bras sur sa poitrine, au summum de l'agacement. Malgré lui, il dériva sur son décolleté, plus exposé que d'ordinaire. Dieu, que cette robe lui allait bien ! Tout à coup, il avait la gorge sèche, mais ça n'avait plus rien à voir avec l'incompréhension qui le taraudait.

— Tes fiançailles, Lachlan, je parle de tes fiançailles ! s'écria-t-elle, deux doigts sur l'arrête de son nez pour contenir ses émotions. J'aurais aimé le savoir avant, en même temps que Craig ou les autres !

Lachlan esquissa un sourire, ce qui eut le don de faire redoubler sa rage.

— Tu te méprends, Cat, je...

— Nay ! C'est toi qui ne comprends pas. Je... tu... Je ne vais pas revoir Neil avant un long moment, se reprit-elle après une seconde de pause. Il me manque.

— Et c'est pour cette raison que tu te mets dans un tel état ?

Quelque chose le gênait. Et ça n'avait aucun lien avec la déception qui abattit son couperet mesquin sur sa poitrine. Lachlan sentait qu'elle lui cachait quelque chose. Enfin plus exactement, il le voyait.

— C'est marrant, ajouta le laird, tu te trahis toujours de la même façon quand tu mens.

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