Chapitre 24
« Lachlan épousera ma fille »
Le souffle de Catriona se coupa dans sa gorge, bloqué par une invisible et pernicieuse forme. Elle posa une main sur l'épaule d'Inaya en guise d'excuses silencieuses et s'éloigna au pas de course en direction des cuisines. La grande porte était trop exposée, elle n'avait ni envie de se faire remarquer, ni envie de répondre à des questions gênantes.
Son sang pulsait dans sa poitrine à un rythme effréné. Le cœur au bord des lèvres, Catriona se demandait ce qui la mettait dans un tel état. Était-ce le choc de la nouvelle ? Savoir qu'elle ne reverrait pas son fils avant au moins plusieurs semaines ? Ou simplement le fait de ne pas avoir été avertie ? Elle n'aurait su le dire. Il y avait trop de choses qui se bousculaient dans son esprit.
L'air froid du début de nuit lui mordit le visage, aussi violent que les gifles de son ancien beau-père. L'étau qui lui enserrait la poitrine se desserra sous le ciel étoilé. Catriona marcha jusqu'à la Grande Arche en pierre qui jouxtait le broch. Les lumières du château, mêlées à celles de la lune éclairaient les alentours d'une douce lueur. Pavée dans l'ombre, elle avait l'impression d'assister à un spectacle qu'elle seule pouvait voir.
Catriona emplit ses poumons de l'oxygène glaçant. Sur son passage, il laissa une traînée froide et brûlante qui lui marqua la gorge et la trachée.
Lachlan allait se marier.
Cette pensée l'assomma quelques instants, comme si elle avait été incapable de l'intégrer jusque-là. Ce n'était pas possible. Il n'était pas homme à accepter ce genre de chose uniquement pour maintenir la paix. Ça ne lui ressemblait pas. Elle avait dû mal comprendre.
— Catriona ?
Étouffée par le souffle du soir, une voix grave lui parvint. A travers ses fluctuations sèches et interrogatrices, elle laissait percevoir un mélange très perturbant de reproches et d'inquiétudes. Qu'est-ce que Craig pouvait bien lui vouloir ?
— Aye ? répondit-elle, faiblarde, sans prendre la peine de se retourner.
Elle ne voulait pas qu'il lise sur ses traits à quel point elle se sentait désorientée. Peut-être sentirait-il combien elle se sentait trahie. Et s'il lui demandait des explications, elle serait bien en peine pour les lui fournir. Elle-même n'y comprenait rien.
— Pourquoi es-tu partie ? On t'a déjà dit de ne pas t'éloigner seule. Surtout de nuit dans des événements de ce genre. N'importe qui pourrait te suivre.
— Parce que ce serait pire qu'un frère ennuyeux qui se croit plus adulte qu'il ne l'est ? claqua-t-elle sèchement.
Dès l'instant où ces paroles s'échappèrent de sa bouche, une pointe de culpabilité la traversa de part en part. Ses yeux s'embuèrent d'eux-mêmes, visiblement davantage conscient du trouble qui l'habitait.
— Tu n'as aucune idée des regards qu'ils posent sur toi ! C'est complètement irresponsable. Tu ne...
— Craig, arrête, le coupa Catriona en se retournant. Laisse-moi tranquille, j'ai besoin d'être un peu seule.
Les émotions se succédèrent sur ses traits lorsque son regard croisa le sien. L'agacement céda place à la surprise, puis à l'inquiétude. Ses sourcils blonds se froncèrent, tordant avec eux son visage juvénile. Il fit un pas dans sa direction.
— Est-ce que tout va bien ?
— Ça va, pars, s'il te plaît.
Elle n'avait plus la force de s'exprimer intelligiblement. Sa voix n'était plus qu'un souffle maigrelet qui se perdait dans le néant.
— Qu'y a-t-il ? insista-t-il. C'est à cause de ce qu'à dit MacDonald ? Je t'ai vue partir après son discours. C'est parce que Lachlan va se marier ? Parce que nous allons devoir rester plus longtemps ?
Catriona marqua un instant d'hésitation.
— Neil me manque, murmura-t-elle, tant par tristesse que par honte.
— Oh, Cat...
Face à la compassion de Craig, une larme s'échappa involontairement du torrent qu'elle tentait d'endiguer. Elle n'aimait pas susciter de la pitié et encore moins alors qu'elle ne sentait pas pleinement sincère.
Oui, son fils lui manquait déjà terriblement, c'était un fait. Quel mère ne désespérerait pas à une telle distance de sa progéniture, sans possibilité de prendre des nouvelles régulières ? Pourtant, ce n'était pas la seule chose qui lui tenaillait l'estomac. Et cette duplicité la mettait extrêmement mal à l'aise.
— Je savais que j'aurais à composer avec son absence pendant quelques jours, mais si Lachlan souhaite rester un peu pour faire connaissance avec sa fiancée, ce ne sera pas seulement quelques jours. Nous allons rester plusieurs semaines et j'ai du mal à l'accepter, c'est tout.
— Tu aurais peut-être dû le dire à Lachlan lorsqu'il t'a annoncé ses projets.
Ah, parce que Craig était au courant qu'il comptait épouser Ailsa ? Cette mise de côté renforça la trahison qui lui poignardait le cœur.
— Je n'en avais pas encore pris conscience, rétorqua-t-elle, peu désireuse d'avouer qu'elle n'en avait simplement pas eu connaissance.
Craig rompit la distance qui les séparait et prit ses mains dans les siennes.
— Tu lui manques aussi, à Neil, tu sais. Quel gamin ne serait pas attristé de voir sa mère partir quelques temps ? Mais Aigneas prend soin de lui, tu n'as pas à t'inquiéter.
— Aye, je sais bien. Je lui fais confiance. C'est juste que la séparation est difficile.
— Mon neveu est un solide highlander, Catriona, il s'en remettra.
Elle leva les yeux au ciel. Bon sang, Craig manquait parfois d'empathie. Ou peut-être était-ce juste de neurones. Elle émettait quelques réserve là-dessus.
— Je ne doute pas que Neil passe un bon moment... C'est pour moi que l'épreuve est compliquée.
— Je sais, je voulais juste t'assurer que mon neveu est plus fort que tu ne le crois. Tu ne devrais pas te mettre dans un tel état. Si tu veux, tu peux lui écrire une lettre tous les jours, pour avoir l'impression d'avoir un peu de lui avec toi.
— Ce n'est...
Elle s'interrompit, songeuse. Son idée était loin d'être mauvaise finalement. Ce serait du gaspillage d'encre et de papier, mais ça pourrait l'aider.
— C'est une bonne idée, se corrigea-t-elle sous l'air moqueur de son cadet.
— Je sais, je n'ai que de bonnes idées, Cat, tu devrais le savoir depuis le temps.
S'il voulait jouer de railleries, elle pouvait le faire elle aussi. Un sourcil haussé et les lèvres retroussées, elle lança :
— Et sauter du haut du grand chêne, c'était une bonne idée ? Tu as failli y perdre une jambe.
— J'avais cinq ans !
— Donc ça fait bien longtemps que tu es irrécupérable.
Craig secoua la tête. Leurs chamailleries fraternelles étaient ridicules, mais au moins il se donnait le mérite d'avoir un peu changé les idées de sa sœur.
— Bon, on rentre ? demanda-t-il en tendant une main dans sa direction.
— Tu peux y aller, je vais rester dehors encore un peu, j'ai besoin d'air frais et d'être seule, Craig. Je ne risque rien.
Elle souleva ses jupes pour dévoiler le poignard qu'elle y avait fixé. Craig éclata de rire avant d'abdiquer :
— Bien, mais ne tarde pas trop, je ne les sens pas trop ces MacDonald.
Catriona acquiesça, un petit sourire planant sur ses lèvres. Elle détestait cacher la vérité à son frère. Durant toutes ces années, pas une seule fois il ne lui avait fait défaut. Au contraire, il s'était montré aussi solide qu'un chêne et aussi rassurant qu'une mère qui vous enlace. Il avait eu, pour elle, toute l'attention du monde lorsqu'elle allait au plus mal.
Elle ne se détendit que lorsqu'il fut enfin parti. Comme par magie, son humeur changea de cap. Elle qui avait retrouvé un semblant d'entrain dans sa discussion avec son frère se rembrunit. La jeune femme reprit sa position songeuse perdue dans les étoiles. Les bras croisés sur sa poitrine douloureuse, elle se rendit compte à quel point la tempête qui faisait rage en elle n'annonçait rien de bon. Quelle que soit la raison pour laquelle elle était réellement perturbée, c'était lié à Lachlan. Cette histoire sentait mauvais...
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