Chapitre 21
Lachlan ne se présenta pas à la Grande Salle pour le dîner. Tout d'abord parce que son entretien avait duré un long moment, mais aussi parce qu'il n'avait pas la force d'expliquer à ses amis ce qu'il s'était passé avec le laird Alistair. Il avait besoin de réfléchir sur la façon dont s'était déroulé les événements et surtout de dormir un peu. Le stress de son entrevue restait ancrée en lui, faisant de sa tension un air de tambour bien rythmé.
On lui avait monté une assiette de haggis bien garnie et un verre de whisky. Il apprécia l'attention et dévora son repas. Il était affamé. Lachlan ne tarda pas à rejoindre les draps blancs du lit moelleux. Il fallait reconnaître que le confort d'un broch bien meublé lui avait manqué. Comme il en avait pris l'habitude, il s'apprêtait à verser quelques gouttes de la potion de Catriona dans sa bouche quand sa promesse lui revint en mémoire.
Nay. Il ne pouvait pas faire ça.
Lachlan reposa la fiole sur le coffre qui jouxtait le lit et s'allongea sur le matelas. Ici il pouvait être sûr que ce n'était pas de la paille, c'était bien plus rebondi et confortable. Finalement, il ne lui fallut pas plus d'une dizaine de minutes pour s'assoupir. Peut-être qu'il n'avait pas eu tort d'écouter Catriona et que les souvenir de la bataille de Verneuil ne referaient pas surface pendant son sommeil.
La tour grise.
La pluie de flèches enflammées.
Les hurlements.
Les épées qui s'entrechoquent.
Le sang.
Lachlan se réveilla en sursaut, le front moite et le souffle court. Sa cicatrice au visage le lançait, parcourue par de petites décharges qui la faisait vibrer. Le laird grogna, tant de douleur que pour extérioriser sa stupeur. Ses jambes emmêlées dans le drap ne parvenaient pas à s'en extraire. Pourtant, il voulait juste sortir et aller prendre l'air un peu. Il en avait besoin.
Quand enfin il se fut retirer de sa prison de lin, il récupéra son tartan, qu'il avait posé à ses côtés, et l'enfila sommairement autour de sa taille. Il ne serait pas bien habillé. Ce qui comptait, c'était de cacher ses parties intimes. Il les réservait pour d'autres occasions.
Trop fébrile pour réfléchir davantage, il marcha à tâtons dans sa chambre pour trouver la porte. Il l'ouvrit d'un geste brusque et sortit d'un pas déterminé. Enfin un pas qui aurait pu être déterminé s'il ne s'était pas pris les pieds dans l'assiette et le verre qu'il avait déposé juste devant l'entrée pour que quelqu'un les récupère au petit jour.
Dans un vacarme de vaisselle qui s'entrechoque et tombe sur le sol, il s'étala de tout son long dans le couloir. Un juron lui échappa, à voix basse, certes, mais un peu trop vif pour qu'il ne réveille pas des dormeurs au sommeil léger. Par chance, il savait que ses hommes pouvaient dormir même avec un sanglier qui leur beuglait dessus. Il entendait encore la mélodie presque symphonique de leur ronflement qui passait à travers la porte de leurs chambres.
En se maintenant au mur d'une main, il se releva lentement. Sa hanche avait cogné suffisamment fort contre le mur en pierres pour en garder les stigmates le lendemain. Il mettrait sa main au feu qu'il y verrait une belle étendue bleutée aux nuances jaunâtres.
Lachlan sursauta quand un léger grincement retentit derrière lui. Il se retourna, sur le qui-vive, en se maudissant de n'avoir pas pris son Sgian Dubh. Tout son être se figea lorsqu'il distingua les traits à moitié endormis de Catriona. Elle tenait dans sa main un chandelier presque éteint dont la lueur éclairait son visage pâle. Sa longue tresse retombait sur l'épaule de sa chemise de nuit, quelques mèches éparses s'en échappant.
— Tout va bien ? murmura-t-elle assez bas pour ne pas réveiller les autres. Tu en fais du vacarme.
— Aye, ça va. Je ne parvenais plus à dormir.
— Encore ces mauvais rêves ?
La lumière qui jouait avec les tendres renflements de son visage avait quelque chose d'hypnotisant. Lachlan n'arrivait plus à s'en détacher. Pourtant, il aurait dû partir au plus vite. Rien dans leurs tenues ou dans les circonstances de leur rencontres n'était convenable. Au contraire.
— Aye.
— Tu veux en parler ? Maintenant que je suis réveillée, je ne suis pas sûre de pouvoir me rendormir.
— Oh, je suis navré. Je voulais simplement marcher un peu et...
— Si tu veux, tu peux venir parler de ton rêve, ça te fera sûrement du bien.
Catriona se décala sur le côté pour le laisser passer dans sa chambre. Lachlan hésita.
— Ce n'est pas très raisonnable, Cat.
— Pourquoi ? demanda-t-elle avec un haussement d'épaules qui remua sa chemise blanche. Nous le faisions lorsque nous avions dix ans.
— Mais nous n'avons plus dix ans. Si quelqu'un nous surprenait ensemble, même si nous ne faisons que discuter ou dormir, il pourrait se faire des idées.
— Alors tu n'auras qu'à partir avant le lever du jour. Personne ne va venir surveiller ce que nous faisons. Nous sommes invités dans ce broch et bien loin de l'aile des maîtres du clan.
Lachlan crispa la mâchoire. Une partie de lui avait envie de passer ce moment avec Catriona. Après tout, elle était réveillée, lui aussi, et ils étaient comme frères et sœurs donc il ne prenait aucun risque. Mais... quelque chose le gênait.
— Je ne sais pas, Cat...
— Écoute, je vais retourner me coucher et te laisser broyer du noir si tu n'es pas capable de prendre une décision. Je n'ai pas de réputation à préserver, je suis veuve, Lachlan, et je ne compte pas me remarier. Nous allons simplement discuter, je ne te demande pas de partager ma couche.
C'était la première fois qu'elle voyait le visage de Lachlan prendre une teinte aussi rouge et elle n'était même pas capable d'en profiter clairement avec l'obscurité ! Elle esquissa un sourire tandis qu'il bégayait :
— Je ne... je ne me serais jamais permis de...
— Bien, alors rentre.
C'était ainsi que l'on vainquait un highlander. Lachlan rendit les armes et passa devant elle. Catriona referma la porte avec un sourire.
— Va t'allonger, nous serons plus à l'aise pour discuter.
Obéissant, il s'allongea sur le lit, son tartan toujours solidement fixé autour de sa taille. Catriona était comme sa sœur, s'allonger avec elle ne voulait rien dire. Ils l'avaient fait tellement de fois étant enfants. Elle le rejoignit, un plaid entre les mains et s'installa à côté de lui avait de les couvrir. Étendue sur le côté, ses cheveux formaient une auréole autour de son visage. Lachlan, un peu plus raide, resta sur le dos pour éviter de la dévisager.
— Que s'est-il passé ?
Ah oui, son rêve.
— C'est comme à chaque fois. Je revois le sang et les morts de me dernière bataille. Sauf que c'est soit Guillaume, soit Darren qui frôle la mort. Je me sens tellement coupable d'avoir survécu.
Les mots étaient si difficiles à laisser sortir de sa bouche. Il se mettait à nu devant Catriona sans s'en sentir honteux. Au contraire, ça lui faisait du bien de mettre des mots sur ce qui le travaillait depuis des mois.
— Tu sais, commença-t-elle après un soupir, je me suis toujours dit que Dieu avait ses raisons de nous faire traverser ce que nous vivons. Nos routes sont écrites et si tu as survécu, Lachlan, c'est que tu le devais. Tu as sans doute encore beaucoup à faire parmi nous, tu étais destiné à devenir le laird des MacKinnon. C'est pour ça que tu es un si bon chef de clan.
Il tourna brusquement la tête dans sa direction, envoyant une vague de décharges dans sa nuque.
— Je ne suis pas un bon laird.
— Alors continue à faire semblant que tu l'es, ça fonctionne très bien. Tu as tellement peur de l'échec que tu ne te rends pas compte de ce que tu as déjà accompli. Même les membres du clan qui appréciaient Douglas te sont devenus fidèles. Ça, ce n'est pas rien, Lach.
— Je ne suis pas sûr que ce soit un si grand succès.
— Alors regarde-toi avec mes yeux et tu verras l'honneur que nous avons tous de t'avoir pour laird.
— J'aimerais en être capable, souffla-t-il.
— Alors laisse-moi être tes yeux.
Ces paroles l'attirèrent dans la bonté de son regard. Comment pouvait-il mériter une personne aussi belle, douce et intelligente que Catriona ? Il n'avait rien à répondre. Il ne pouvait que l'admirer. Contempler la détermination et la fierté qu'il lisait en elle, malgré la lueur faiblarde de la bougie.
Lorsqu'elle sortit la pointe rose de sa langue pour s'humecter les lèvres, Lachlan ne put que suivre son mouvement. Il était envoûté.
— Tu veux essayer de te rendormir ?
La voix de Catriona, aussi discrète que la brise qui caresse les feuillages, fait à Lachlan l'effet d'un baiser. Il se demanda, pendant l'espace d'une seconde, s'il n'avait pas rêvé ses mots.
— Pardon ?
— Tu as l'air ailleurs, veux-tu essayer de te rendormir ? Ne pas être seul pourrait t'éviter de replonger dans de mauvais rêves.
Si seulement. Lachlan avait essayé à plusieurs reprises lorsqu'ils cavalaient en direction de Stirling pour rejoindre le roi Jacques. Darren avait un goût prononcé pour les filles de joie et leur réconfort d'une nuit. Il était parvenu à le convaincre de tenter l'expérience. Non pas une fois, mais au moins une dizaine. Et ce que Lachlan en avait tiré, c'était un bref plaisir, mais certainement pas une nuit reposante.
— Cela ne fonctionne pas. J'ai déjà essayé.
— Peut-être que te sentir en confiance peut changer la donne. Je suis à côté de toi, je te promets de te réveiller si tu commences à t'agiter. Ferme les yeux, Lachlan.
Comment faisait-elle ça ? Le corps du laird lui obéit avant même que son cerveau n'ait le temps d'en donner l'ordre. Il ne prenait aucun risque à tenter de dormir un peu. Après tout, elle était là pour le réveiller.
Et puis... il devait reconnaître que sa présence l'apaisait.
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