Chapitre 20
Lachlan attendait dans le cabinet du laird depuis une bonne dizaine de minutes. Un verre de scotch à la main, son talon ne cessait de frapper le sol à un rythme régulier. La chaleur qui irradiait de l'âtre lui brûlait le visage, douleur bien agréable pour lui rappeler la colère qu'il devrait masquer lorsqu'Alistair l'honorerait enfin de sa présence. Il devait tout de même reconnaître que les fauteuils en soieries bleues des MacDonald étaient d'un confort appréciable.
Il but une gorgée du whisky qui laissa une traînée brûlante dans le fond de sa gorge. L'arrière-goût de noisette lui resta en bouche tandis qu'il contractait la mâchoire. Ce retard était un manque de respect éloquent qu'il ferait assurément remarquer à Alistair. S'il avait encore eu un doute sur les intentions des MacDonald, cela lui aurait donné une réponse claire.
Le bureau d'Alistair faisait presque trois fois la taille du sien. Tout en bois brut, il devait rendre le laird imposant lorsque celui-ci y siégeait. Des piles de parchemins et de livres abîmés reposaient sur les étagères, dans un désordre que Lachlan n'aurait jamais supporté. Comment pouvait-on s'y retrouver dans un bazar de ce genre ? Ça le dépassait.
Depuis le temps qu'il attendait, il avait pu admirer la vue du grand balcon qui surplombait la mer agitée. D'ici, l'écume était semblable un troupeau de mouton, bien en peine sur l'étendue azurée. Lui qui aimait l'océan, ses mouvements et sa beauté, ne pouvait qu'admettre qu'il avait rarement vu un paysage aussi apaisant. Il faisait concurrence au sommet de Dun Ringill, duquel on pouvait s'immerger dans toute la grandeur de l'île de Skye.
Quand le clic d'une porte qu'on déverrouille vibra en écho aux craquement de la cheminée, Lachlan sauta sur ses pieds. Alistair entra, de côté, tandis qu'il donnait ce qui semblait être des dernières indications à quelqu'un. Il se tourna finalement vers le MacKinnon en refermant le panneau de bois, un sourire contrit sur son visage arrondi.
— Je suis navré, MacKinnon. Les urgences d'un clan, vous connaissez.
— Bien sûr, Alistair, cela ne fait pas si longtemps que j'attends.
Sa langue lui envoya une décharge électrique à l'instant où le mensonge franchit la barrière de ses lèvres. C'était pourtant la réponse appropriée, celle qui arracha un air satisfait à son homologue.
— Cela vous aura au moins permis de profiter du caractère de notre Scotch fait main. J'espère qu'il vous convient.
Instinctivement, Lachlan baissa le regard sur le liquide ambré qu'il tenait entre ses mains.
— C'est en effet un délicieux breuvage. Il pourrait concurrencer les plus grand producteurs de Stirling.
Alistair marcha jusqu'à lui et prit place dans le siège qui lui faisait face. Mal à l'aise, Lachlan se rassit.
— J'ai ouïe dire que vous connaissiez bien Stirling, lança le MacDonald.
— Certes, j'y ai fait mes classes avant de traverser la manche pour me battre en France.
— Vous êtes donc un soldat ?
— Je suis surpris que les « ouïe dire » ne vous aient pas aussi rapporter cela, rétorqua Lachlan avec sarcasme.
Il n'aimait pas ce genre d'interrogatoire à peine voilé. Qu'est-ce qu'Alistair s'attendait à découvrir qu'il ne savait pas déjà ? Un passé de bandit peut-être ? Une raison de le faire chanter qui serait bien plus onéreuse que la paix ?
— Si, c'est évident. Je craignais simplement de vous paraître un peu intrusif si j'avais l'air de connaître toute votre vie.
— Ainsi donc vous pensez tout savoir de moi ?
Le laird se pencha vers la petit tablette sur laquelle reposait le whisky et quelques verres propres. Il se servit une bonne rasade, supérieure à ce que l'on prenait normalement pour ne pas risquer l'enivrement, et s'adossa plus confortablement dans la soie bleue.
— Je pense en savoir beaucoup, Lachlan. Vous avez combattu triomphalement à Baugé, puis avec moins de chance à Verneuil, et vous...
— La chance n'a rien à voir là-dedans, le coupa Lachlan. Les arts martiaux ne sont pas dus au hasard. Ils sont réfléchi, l'ombre d'une stratégie parfaitement menée. La notre était bonne, seulement les Anglais étaient meilleurs, c'est tout ce que nous pouvons en tirer.
— Si vous le souhaitez, convint Alistair. Ainsi vous n'avez pas péri à Verneuil alors que la plupart de vos compagnons d'armes y ont perdu la vie. Le roi a souhaité vous remercier de votre dévouement en vous octroyant les terres de votre enfance. Nul doute qu'il connaissait l'état de sénilité dans lequel se retranchait Douglas. Ce n'est finalement pas plus mal que vous lui ayez déjà succédé. Il ne tenait plus la distance.
Lachlan avait envie de mourir de rire. Ses paroles ressemblaient à un scénario bien ficelé qui visait à le brosser dans le sens du poil. Avait-il vraiment l'air si ingénu ? Certes il n'était pas bien âgé, du haut de ses vingt-six ans, pourtant, peu d'hommes l'auraient défié de paraître plus menaçant.
— Vous oubliez tout de même la partie de l'histoire où mes comparses et moi-même nous sommes introduits dans l'un des forts les mieux gardés d'Angleterre pour délivrer notre roi. Expédition à laquelle tant d'autres avant nous avaient échoué.
— C'est en effet une bien admirable action. En énumérant ainsi vos exploits martiaux, je me demande pour quelle raison vous vous êtes senti contraint de venir avec tant d'accompagnants. Notre clan et le vôtre sont pourtant en paix.
Pardon ? Alistair se permettait de parler de paix alors que lui-même la menaçait ? Lachlan était abasourdi. Comment pouvait-on avoir un tel culot ?
— C'est ce qu'il me semblait aussi, pourtant votre messager m'a clairement fait comprendre que cela pourrait rapidement changer.
— Vous connaissez les subalternes... Donnez-leur une mission que vous pourriez faire vous-même et vous pouvez être sûrs qu'ils échoueront en beauté. Lorsque mon homme m'a fait part de votre retour, soyez assuré qu'il a payé le prix de son échec.
— Donc vous n'avez aucunement l'intention de remettre en question la paix entre nos clans ?
Alistair feint une profonde réflexion le temps d'un instant. Comme si cette question n'avait rien d'évident. Finalement, une telle hésitation était déjà une réponse en soit.
— Je n'en ai aucune envie. Mais comme la lignée des lairds MacKinnon change, je dois m'assurer une certaine fidélité, comprenez-le bien.
— Dois-je y voir un manque de considération de votre part ? Nous ne sommes pas vos vassaux.
— Ce n'était pas mon intention, Lachlan, ne soyez pas si tatillon.
Lachlan préféra faire comme s'il n'avait rien entendu. Il devait se montrer diplomatique, pas foncer dans le tas comme son instinct de soldat le lui commander.
— Et donc, comment comptez-vous vous assurer ma fidélité ? Je suis curieux, Alistair.
Le highlander lui adressa un sourire satisfait et ce fut à ce moment qu'il comprit. Le laird MacDonald avait tendu cette perche dans l'unique but qu'il la saisisse.
— Il existe de nombreuses façons de s'assurer la fidélité d'un clan adverse.
— Nous ne sommes pas encore adversaire, Alistair.
— Certes, mais cela pourrait advenir.
— Vous me menacez donc ? releva Lachlan pour s'assurer que son interlocuteur était bien conscient de la portée de ses mots.
— Il serait bien que vous cessiez de jouer sur les mots, Lachlan. Il existe de nombreux types d'alliance, mais un seul me conviendrait. À moins que vous ne soyez prêt à me montrer votre amitié, je suppose que vous préfèrerez ce terme, par des dons financiers.
L'ordure.
Lachlan ne s'était pas attendu à moins de sa part, mais il était étonné qu'il se montre aussi direct. Au moins, il avait la certitude que ces fonds manquants se rendaient bien chez les MacDonald. Comment Douglas avait-il pu se laisser manipuler de la sorte ? Ce devait être à un moment de grande faiblesse car Alistair ne faisait pas si peur que ça.
— Je n'achèterai pas la paix, MacDonald, clarifions bien les choses.
— Alors il ne vous reste plus qu'à épouser ma fille. Elle a commencé à saigner le mois dernier. Elle est robuste et peut d'ores et déjà porter vos enfants. Ailsa est de toute beauté, tous les hommes s'entendent là-dessus, c'est une qualité non négligeable chez une femme.
Ne pas frapper Alistair se révélait de plus en plus compliqué. La façon dont il parlait de sa fille comme d'un objet à vendre le répugnait. C'était courant et bien entendu les alliances passaient pour beaucoup par le sang, mais il avait envie de vomir. On lui présentait Ailsa comme une jument reproductrice que l'on mettait sur le marché.
— Ne suis-je pas un peu âgé pour plaire à votre fille, Alistair ?
Le laird partit d'un rire gras. La gorge tendue vers le plafond et sa main droite claquant sa cuisse, on aurait dit qu'il n'avait jamais rien entendu d'aussi hilarant.
— Allons, Lachlan, un peu de sérieux, voulez-vous. Elle n'a pas son mot à dire, elle fera bien ce que son vieux père lui ordonnera. Et votre âge est loin d'être un problème. J'ai déjà pensé à la marié au laird Fergus Sinclair du grand nord. Il a perdu sa cinquième femme en couche il y a quelques mois. Il est boitillant, presque sourd et bien moins fringuant que vous.
Aye, Lachlan voyait parfaitement qui était Fergus Sinclair. Il devait au moins avoir la soixantaine. Dans le genre vieil homme épuisé par la vie, on pouvait difficilement faire mieux. Le laird s'était rendu, avec son fils le plus âgé, au rassemblement des chefs de clan pour présenter ses hommages au roi Jacques Ier. Maintenant qu'il y pensait, Alistair n'était pas plus présent que Douglas. L'île de Skye avait été bien mal représentée...
— Quelle serait sa dot ? demanda Lachlan, dans son rôle de prétendant sérieux.
Le sourire qui éclaira les traits gras d'Alistair savourait clairement sa victoire déjà acquise.
— Un troupeau de nos meilleurs moutons, quelques bijoux, mais avant tout la paix. Pouvez-vous vraiment la monnayer, MacKinnon ?
— Il faut croire que oui puisque vous étiez prêt à me demander de l'acheter.
Pris à son propre piège, MacDonald se renfrogna. Ses sourcils se touchaient presque alors qu'il attendait une réponse. Il voulait gagner cette bataille. Vaincre le nouveau laird MacKinnon serait pour lui une bien douce victoire.
— Ce n'est pas le propos. Allez-vous épouser ma fille ?
Quand Lachlan ouvrit la bouche pour répondre, aucun son n'en sortit. Ce n'était pas être intimidé par Alistair, c'était plutôt craindre ce qu'il allait prononcer. Car après tout, ça scellerait beaucoup de choses...
— Aye, Alistair. J'épouserai Ailsa.
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