Chapitre 16

Une bouchée de tarte dans la bouche et les fesses confortablement installée sur les genoux de sa mère, Neil regardait le laird avec attention, suivant chacun des gestes qu'il faisait pour illustrer son histoire. Il était question d'un enfant apeuré, de soldats du roi et d'un gentil lutin.

Même si Lachlan faisait ça pour l'enfant, il sentait le regard de Catriona peser sur lui, comme deux orbes qui le transperçait de part en part. D'ici moins d'une heure, il devrait probablement reprendre ses responsabilités de laird et traiter les problèmes du clan. Alors en attendant, il voulait profiter de la compagnie qu'il avait.

À l'instant où il achevait son conte, quelqu'un déboula dans les cuisines à la hâte. Lachlan se redressa, les sens en alerte, et se figea lorsque Craig se pota devant lui. Il était si sérieux qu'il adressa à peine un signe de tête à sa sœur et son neveu. Un pli soucieux barrait son front et joignait ses sourcils entre eux, donnant à son visage quelques années de plus.

— Un messager est là pour toi, Lachlan.

Le laird se releva de son banc en bois. Qui cela pouvait-il être ? Il ne voyait que le roi, capable de lui envoyer un émissaire à la hâte. Où peut-être le laird Campbell s'il avait déjà appris le retour de son fils.

— Le roi ? demanda-t-il pour en avoir le cœur net.

— Nay. Les MacDonald de Skye.

Les MacLeod, les MadDonald et les MacKinnon étaient les trois clans qui peuplaient l'île de Skye. Ils se partageaient les terres avec plus ou moins d'amitié depuis des siècles. Les MacKinnon et les MacLeod s'étaient déjà liés par le sang des générations auparavant et entretenaient depuis d'assez bonnes relations. Lachlan leur avait envoyé quelques moutons pour leur signifier son envie de renouveler leur alliance.

Il n'avait en revanche eu aucune nouvelle des MacDonald. Dans ses souvenirs les tensions entre leurs deux clans s'étaient un peu ravivées, mais il était parti depuis cinq ans, alors il lui était difficile de tirer des conclusions.

— Comment sont nos relations avec les MacDonald, Craig ? le questionna-t-il tandis que les possibles tenants de ce message défilaient dans son esprit.

Craig échangea un regard avec Catriona, comme si elle pouvait avoir un avis différent du sien sur la question.

— Ni bonnes ni mauvaises. Nous n'avons pas eu de conflits directs avec eux depuis plusieurs années, mais je n'en sais pas beaucoup plus.

— Ils nous menaçaient déjà beaucoup avant que tu ne doives rejoindre Stirling et ça a empiré dans l'année qui a suivi, compléta Catriona. Nous avons subi quelques attaques, notamment à la frontière, puis tout s'est arrêté du jour au lendemain après une intervention de Douglas et Keir. Sans avoir beaucoup plus de détails, je me rappelle simplement avoir entendu Keir mentionné que nous n'avions plus à les craindre.

— Ils les ont peut-être menacés ? proposa Craig.

Lachlan secoua la tête.

— J'en doute, nous verrons bien ce que veut cet homme. Catriona, Neil, s'excusa-t-il en se tournant vers eux, je vous prie de bien vouloir m'excuser.

— Merci à toi pour ton temps, Lach, le remercia-t-elle, son fils serré contre elle.

Alors que Catriona lui glissait quelque chose à l'oreille, Neil les salua de la main avant qu'il ne s'en aille. Bien que l'estomac noué par ce qui pourrait potentiellement se dire dans l'heure qui allait suivre, Lachlan ne put s'empêcher de ressentir une vague d'affection intense qui s'échoua sur lui avec force. Il tourna les talons, Craig sur sa droite et s'engouffra dans les couloirs en pierre de Dun Ringill.

— Où attends le MacDonald ?

— Dans ton bureau, il est avec Darren et Guillaume. On lui a donné un verre pour qu'il se tienne à carreaux.

— Bien.

Lachlan prit une grande inspiration. De toutes les situations qu'il avait imaginées en devenant laird, celle où il faudrait se montrer diplomate était de loin ce qui l'effrayait le plus. Faire le tour de son clan pour affirmer son pouvoir avait été anxiogène, mais rien de tel. Parce qu'il savait que là, la sécurité de son clan tout entier pouvait se jouer.

Il ouvrit la porte avec une assurance qu'il était bien loin de ressentir. Être chef, c'était avant tout en avoir l'apparence, il l'avait compris des années auparavant.

— MacDonald, lança-t-il en entrant, suivi par Craig.

Le messager, Guillaume et Darren se levèrent en même temps pour lui témoigner du respect. Ils n'étaient pas entre amis à ce moment précis. Il y avait un loup dans leur rang et ils n'avaient pas la moindre idée de ses intentions. Les trois hommes s'étaient installés dans des fauteuils à proximité de l'âtre et buvaient un verre de whisky en l'attendant.

— Laird MacKinnon, s'inclina l'homme devant lui. Je suis Aaron MacDonald. Mon laird m'a demandé de vous remettre ceci en main propre.

Il sorti une missive des replis de son kilt rouge, vert, bleu et noir pour la lui tendre. Lachlan la récupéra avec méfiance et brisa le seau des MacDonald, marqué à la cire rouge. Le pli n'était pas bien long : à peine un parchemin, à demi noirci. Lachlan le parcourut des yeux rapidement, sentant sa fureur croître tandis que les mots prenaient voix dans son esprit. Ce message était d'apparence polie, mais il y avait derrière une menace sous-jacente.

On y parlait d'anciennes relations, d'importance de maintenir la paix et de l'implication des MacKinnon dans ce processus. Pas besoin d'être un fin stratège pour sentir le piège se refermer sur lui.

— J'ose espérer que votre laird ne s'attend pas à ce que nous ployons devant des menaces à peine voilées ! tonna-t-il en tendant la missive à Darren pour qu'il la lise.

— Je ne suis que le messager, laird.

— Et vous devriez en remercier le Seigneur puisque sinon vous auriez sans doute une épée en travers du torse.

L'homme leva les mains dans un objectif vain de l'apaiser. Lachlan n'avait pas besoin qu'on lui explique comment lire entre les lignes d'un homme belliqueux. Il avait eu l'occasion de travailler ce compétence en aidant le roi à cerner ses alliés de ses ennemis.

— Je vous prie de croire que mon laird n'a aucune intention belliqueuse.

— Cette lettre est pourtant assez ambiguë, intervint Darren en la secouant.

— Peut-être est-il venu avec un troupeau de mouton pour te convaincre de ses bonnes intentions par un cadeau, railla Guillaume avec un accent français plus prononcé que de coutume.

Lachlan avait déjà remarqué que son ami appréciait montrer ses origines lors d'une situation potentiellement conflictuelle, comme un avertissement tacite. Un avertissement de quel genre ? Il se le demandait, mais n'avait jamais osé interroger directement le Français.

— Il a... il a en effet un cadeau pour vous, laird, mais ce ne sont pas des moutons, hésita le MacDonald.

— Des vaches, peut-être ? renchérit Craig sur le ton de l'humour.

Lachlan aurait aimé partager leur amusement. Quelque chose le dérangeait, un pressentiment qui le prenait aux tripes et lui admonestait de faire attention.

— Le laird MacDonald est prêt à vous offrir sa fille, laird. Il estime que c'est un bien d'une valeur supérieure à tout ce dont nous pourrions convenir.

— Il ne me semble pourtant pas avoir laissé entendre que je souhaitais me marier, releva lentement Lachlan avec autant de diplomatie qu'il le pouvait.

Il n'avait jamais désiré ou écarté la perspective d'une union, il devait le reconnaître. Pourtant l'idée que des vautours se jette sur lui comme sur un bout de viande dans l'espoir de grappiller un peu de pouvoir le débectait. Si les MacDonald avait bien perçu tout cet argent de la part de Kair et Douglas, alors leur dessin n'avait rien de pacifique. Ils ne cherchaient pas la paix, plutôt une emprise.

— Mon laird se doutait que vous ne seriez pas conquis par cette idée. C'est pourquoi il m'a demandé de vous remettre une invitation à vous rendre à Armadale où vous pourrez négocier directement avec lui.

— Et que sommes-nous en train de négocier selon vous ? Il me semblait que mon prédécesseur était parvenu à faire revenir la paix entre nos clans.

— Je ne suis que le messager, répéta-t-il avec un peu plus de dureté pour s'éviter d'avoir à répondre.

— Vous direz à votre laird que nous viendrons dans le courant du mois, nous...

Le messager secoua la tête avec énergie.

— Cela sera trop long. Il m'a été demandé de bien insister sur le caractère urgent de cette visite.

Lachlan contracta la mâchoire. Il n'aimait ni le ton de cet homme, ni sa façon de le regarder avec supériorité. Il n'était personne, même pas un laird voisin, alors il allait devoir redescendre rapidement avant que le guerrier en lui ne prenne le dessus.

— Nous ferons au plus vite dans ce cas, mais il y a des responsabilités auxquelles je ne peux me soustraire. Si votre laird n'est pas aussi incompétent que vous le laissez paraître, il devrait comprendre.

— Je...

— Et je ne viendrai pas seul, l'interrompit Lachlan, vous pouvez dores et déjà préparer des chambres pour mes amis et moi, à proximité les unes des autres.

— Vous œuvrez pour la paix, vous ne pouvez...

— Je ferai ce qui me chante, messager ! s'écria Lachlan de sa voix grave. Je fais déjà l'effort de me déplacer pour un clan qui, apparemment, me menace.

Le MacDonald marqua un instant de silence, incertain de la conduite à suivre.

— Bien, laird, mon laird sera ravi de vous accueillir avec votre escorte.

— C'est parfait. Et avant de rentrer chez vous, poursuivit-il avec un air redoutable, retenez bien que vous me devez le respect. Messager ou non, si vous me coupez à nouveau la parole, je vous arrache la langue moi-même pour la servir à manger aux cochons. Suis-je clair ?

Il acquiesça et quitta le cabinet de travail du laird sans demander son reste. Enfin, Lachlan avait l'impression de pouvoir à nouveau respirer. Sans avoir été une catastrophe, cette entrevue ne s'était pas très bien passée.

Il avait encore beaucoup de travail à faire avant d'être reconnu comme un bon laird par ses pairs...

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