Chapitre 12
Catriona ne dérageait pas. Depuis deux jours, elle restait obstinément enfermée dans son cabinet de travail pour préparer des potions. Tout du moins c'était la raison officielle. Officieusement, elle voulait surtout éviter Lachlan de crainte de craquer une nouvelle fois.
Le côté positif, c'était qu'elle avait beaucoup plus de produits que nécessaire et que sa main énervée n'avait jamais aussi rapidement pilée des plantes. Pour la troisième fois de la journée, elle versa le contenu de son chaudron à la louche dans des récipients inadaptés. Maintenant qu'elle avait rempli des quantités de fioles, elle avait dû demander aux cuisines des réceptacles en verre qui ne leur servaient pas tant que ça.
Le dernier bocal plein, elle balança sa louche au fond de la marmite et s'avachit sur l'un des lits rudimentaires qui avaient été mis en place dans l'infirmerie. Ils avaient déjà accueilli quelques personnes, mais rien de vraiment très grave. Des fièvres ou des blessures bénignes donc tout le monde était ressorti guéri.
Catriona appréciait cette petite pièce aux murs de pierre. Agencée pour servir à ses activités de guérisseuse, elle était superbement opérationnelle. Qu'était-ce du temps de Douglas ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Les murs du château étaient clos, sauf événements particuliers. C'était pourquoi elle était aussi heureuse que Lachlan ou les autres membres du clan d'y voir un peu de vie. Ça ressemblait davantage aux contes d'antan que lui contait sa grand-mère.
Elle s'étira. Elle avait tellement de placard et d'étagères, solidement fixées aux murs, qu'elle pouvait continuer à produire des remèdes ou partir en quête de nouvelles plantes. Chose que Catriona prévoyait de faire prochainement car ses réserves avaient particulièrement diminué. Quand on entrait dans son infirmerie, on voyait tout d'abord une grande table de travail sur laquelle étaient entreposés les préparations en cours de maturation et ses outils pour les fabriquer. Séparés par un paravent qui se trouvait sur la gauche, on arrivait sur les trois brancards un peu durs, espacés chacun d'une bonne distance. C'était pour assurer une intervention simple et rapide.
Tout au fond de son cabinet, un grand âtre brûlait, autant pour chauffer la pièce que pour faire bouillir ses mixtures. Il n'y avait ensuite que des espaces de rangement, du verre et du bois qui se fondaient à la perfection dans la couleur froide de la pierre du broch. De grandes fenêtres, situées au plus haut des murs, éclairaient toute l'infirmerie, dispensant Catriona d'allumer les chandeliers pendant la journée.
Les cheveux défaits et une grande tache maronnasse, étalée à la fois sur ses jupes et sur son tablier, Catriona se releva. Depuis le petit jour, elle travaillait d'arrache-pied. Elle n'était pas contre une assiette de haggis et une tranche de pain. Au même moment, son estomac se manifesta, lui soutirant un rire. Aye, il fallait vraiment qu'elle mange.
Catriona se dépêcha de se rendre aux cuisines avec l'espoir qu'il restait un peu du repas du midi. Quand elle était absorbée par son travail, et une volonté de se cacher, elle pouvait rester terrée au même endroit pendant des heures. Pourtant, elle n'était pas du genre à manquer un repas.
Quand elle fut rassasiée, Catriona se rendit dans la Grande Salle où Aigneas travaillait la calligraphie avec une partie des enfants. Les autres, de l'âge de Neil, étaient assis sur une grande peau de bête où ils jouaient avec des figurines en bois. Elle donna une indication aux plus grands et se dirigea vers son amie.
— Tout va bien, Cat ? Tu as une mine terrible.
Catriona grimaça. Ce n'était jamais très agréable à entendre.
— J'ai assez peu dormi ces deux derniers jours, mais ça va. Au moins j'ai pu avancer dans mon travail.
Aigneas fronça les sourcils avec inquiétude. Quelque chose devait travailler Catriona pour qu'elle cherche tant à s'isoler. Mais quoi ? Elle était plutôt silencieuse depuis son échange avec le laird. Qu'avait-il bien pu se passer ?
— Tu sais que tu peux me parler, n'est-ce pas ? s'assura Aigneas.
— Je le sais bien. C'est juste que...
Alors qu'elle s'apprêtait enfin à s'ouvrir, la grande porte laissa passer un Craig couvert de poussière et essoufflé.
— Cat, les interrompit-il, il faut que tu viennes. C'est urgent. Prends ton matériel de guérisseuse.
La jeune femme se tourna vers son frère, alarmée par l'expression de son visage. Elle l'avait rarement vu aussi grave. Après un signe de tête pour s'excuser auprès d'Aigneas, elle suivit son frère à l'extérieur au pas de course.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle tout de même entre deux inspirations.
— Des enfants jouaient dans l'ancienne église, à côté du cimetière. Quand une partie des murs s'est effondrée. Nous avons été alertés par les cris de l'une des petites qui est parvenue à sortir. Lachlan a libéré les enfants mais un morceau du toit lui est tombé dessus. Les hommes l'ont porté jusqu'à ton atelier. On ne sait pas à quel point il est blessé.
Catriona sentit son sang se glacer à même ses veines. Pourvu que Lachlan aille bien. La dernière fois que des fondations s'étaient abattues sur quelqu'un, la pauvre femme était morte sur le coup. Mais on ne lui aurait pas ramené Lachlan s'il ne respirait pas. Elle avait besoin de le voir.
— Est-il conscient ?
— Il a perdu connaissance dans les décombres, mais on l'a ramené à lui en le déplaçant.
Elle acquiesça. Les dégâts auraient pu être bien pires.
Quand elle arriva dans l'infirmerie, elle ne fut pas surprise de voir Darren et Guillaume en train de maintenir le laird MacKinnon à son lit tandis qu'il vociférait à leur encontre.
— Non, tu ne vas pas bien, Lach, alors reste en place jusqu'à ce que... Oh, dame Catriona ! s'exclama Guillaume en l'apercevant.
Aussitôt, le blessé cessa de gesticuler pour la fusiller elle aussi du regard. Entre deux halètements, sûrement de douleur, il la prit à parti :
— Putain, Cat, dis-leur que j'ai rien.
Lachlan siffla lorsque Darren appuya volontaire sur son thorax.
— Oh pardon, s'excusa le Campbell avec un petit sourire, comme je croyais que tu n'avais pas mal, je n'ai pas regardé où j'appuyais.
— Espèce de...
— Lachlan, le prévint Catriona, ne jure pas. Bon messieurs, laissez-moi un peu d'espace pour ausculter le laird.
Guillaume lui céda sa place avec un hochement de tête tandis que Darren continuait de maintenir Lachlan. Il était couvert de petites plaies, mais rien qui ne semblait trop grave. Au premier coup d'œil, elle ne voyait aucune hémorragie. Son buste légèrement relevé par le coussin lui permit d'accéder facilement à l'arrière de son crâne.
— Dis-moi si je te fais mal.
Sans appuyer trop fort, elle palpa le cuir chevelu. Il n'y avait pas de sang, simplement une petite bosse qui lui arracha un geignement quand elle passa dessus. Comme il ne se plaignait pas plus que ça, elle continua son inspection en descendant. Catriona plia ses bras, ses jambes et tenta de bouger son bassin. Lachlan n'eut aucune douleur, ce qui la rassura. Pourtant, quand elle s'attaqua à son buste, il essaya de se soustraire à son toucher.
— C'est bon, grogna-t-il, tu as fait le tour, je vais bien.
Catriona plissa les yeux.
— Je vais retirer ta chemise pour voir ce qui se passe en dessous. Est-ce que tu y tiens beaucoup ?
— Pourquoi ?
— Je vais prendre ça pour un non, conclut-elle en détachant le poignard qu'elle maintenait à sa ceinture.
D'un geste souple, Catriona coupa le textile sur toute sa longueur pour découvrir une étendue bleuâtre qui lui couvrait les côtes. Elle surprit le regard compatissant de Darren. Aye, ça avait l'air affreusement douloureux. Mais au moins, les côtes fracturées n'étaient pas une blessure si grave. Bien moins que sa bosse à la tête si celle-ci se retrouvait doublée d'une commotion.
— Ça ne va pas être agréable, mais je vais devoir palper ton thorax.
Catriona n'attendit pas sa réponse pour s'exécuter. Elle avait besoin de savoir combien de côtes étaient fracturées. Le visage couvert d'une concentration extrême, elle appuya légèrement à différents endroits pour vérifier que la blessure n'était que bénigne.
— Tu as de la chance, annonça-t-elle en se redressant. Une seule de tes côtes est fracturée. Nous allons vérifier que ta blessure à la tête ne cache rien de plus grave et ensuite je m'occuperai de tes plaies.
— Puisque je te dis que ça va. On peut laisser mes côtes tranquilles, elles se remettront toutes seules.
Elle le dévisagea quelques secondes. Il était si têtu. Une idée germa dans l'esprit de Catriona. Elle acquiesça donc à sa demande :
— Bien, si tu le souhaites. Par contre, reprit-elle comme il commençait déjà à bouger, attends un peu. As-tu des nausées ?
— Non.
— La tête qui tourne ?
— Non.
— Tu te souviens de ce qu'il s'est passé quand le bâtiment s'est effondré ?
— Aye. C'est bon ? Je peux y aller.
Catriona pinça les lèvres.
— Dans deux minutes.
Elle se dirigea vers ses étagères et récupéra l'un des potions qu'elle avait préparées la veille au soir pour la lui tendre.
— Tiens, bois-ça. Dès que ça aura fait effet tu seras tranquille.
Comme il avait l'air un peu plus docile et qu'il obtempérait, Darren se releva sans pour autant le lâcher des yeux.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda le highlander en pointant la fiole vide que son ami tenait entre ses doigts.
— Des plantes, ça va faire passer la douleur et le tranquilliser.
Lachlan tourna immédiatement la tête dans sa direction.
— Comment ça me tranquilliser ? Tu m'as drogué ?
— Non, tu l'as fait tout seul.
— Je... commença-t-il en essayant de se lever, mais ses bras le lâchèrent.
Sa tête tournait sérieusement. Peut-être que s'il fermait un peu les yeux, la sensation s'estomperait. Aye, voilà, il allait faire ça.
— Comment as-tu pu...
Catriona le regarda sombrer avec un pervers mélange de culpabilité et de satisfaction. À la droite du laird, Darren l'observait avec des yeux ronds et la bouche entrouverte.
— C'était... Vous n'avez... rappelez-moi de ne pas vous contrarier.
Elle éclata d'un rire cristallin en se mouvant pour récupérer de quoi soigner les plaies superficielles de Lachlan.
— Ne vous inquiétez pas, tant que vous vous comportez comme un bon patient, je ne risque pas de devoir arriver à de telles extrémités.
— Me voilà rassuré, sourit-il. Il sera furieux vous savez.
— J'en suis bien consciente, monsieur. Mais le laird a besoin d'apprendre qu'il ne peut pas avoir un contrôle total sur chacun d'entre nous.
Cette fois-ci, Darren dut se mordre la lèvre pour s'empêcher de rire. Son meilleur ami n'avait pas menti lorsqu'il lui avait raconté la teneur de son altercation avec la jeune femme. Visiblement elle lui en voulait encore.
— Je suis impatient de vous voir le lui enseigner, Catriona.
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