Chapitre 11

Lachlan s'assit sur les galets sombres à moins d'un mètre des traces d'écume. La mer était calme. Le vent, aussi doux que la caresse d'une plume, la parsemait de délicates ondulations. Catriona ne devrait plus tarder. Non pas qu'ils eussent mis longtemps à rentrer, mais Lachlan en avait profité pour passer un peu de temps avec Neil. Lui qui n'appréciait pas particulièrement les enfants se sentait étrangement à l'aise avec cette réplique miniature de sa sœur de cœur.

Ils avaient mangé une part de tarte, plaisanté et Lachlan lui avait même raconté la façon dont il avait délivré le roi. En l'adaptant un peu à un enfant de trois ans. Il n'était pas complètement inconscient non plus.

Un sourire naquit sur ses lèvres. Aye, il avait passé un excellent moment.

Mut par une soudaine envie, il se déchaussa et glissa un peu plus près de la disparition des vagues. Il frissonna lorsque l'eau froide lui lécha le bout des orteils. Qu'il était heureux d'être de nouveau à Dun Ringill. Il assumait de mieux en mieux sa tâche de laird, retrouvait sa place au sein du clan et surtout il passait des nuits complètes. Quelles que soient les plantes utilisées par Catriona, il ne pouvait plus s'en passer. Pour rien au monde il ne comptait subir de nouveau ses cauchemars incessants.

Lachlan n'avait plus repensé à la bataille de Verneuil depuis un mois. En même temps, à présent qu'il dormait convenablement, il ne faisait rien d'autre que de travailler. Sa visite sur toutes les parcelles du clan MacKinnon avait d'ailleurs était très intéressante. Beaucoup d'hommes avaient annoncé leur volonté de rejoindre Dun Ringill dans les semaines à venir, pour son plus grand plaisir. Le broch était enfin un peu plus vivant, il n'allait pas s'arrêter en si bonne voie.

Sur tout cet amoncellement de positivités, il y avait toutefois cette histoire de comptes qui le travaillait un peu. Ils n'avaient toujours pas la moindre idée du destinataire de ces biens et personne ne s'était manifesté. Ses amis tentaient de restés optimistes, mais tout comme lui ils n'y croyaient plus tant que cela.

Le bruissement des galets le tira de ses pensées. Lachlan se tourna et découvrit Catriona qui avançait vers lui, le bas de ses jupes relevé. Elle se posa à sa droite sans rien dire, obnubilée par ses pensées. Comme il sentait leur profondeur de l'extérieur, il préféra attendre que les ondes négatives qui l'inondaient se calment.

— Ça va ? demanda-t-il après quelques minutes de mutisme.

La jeune femme conservait son visage résolument tourné vers la mer, comme pour éviter de trop dévoiler ses sentiments. Ses traits ne laissaient transparaître ni tristesse ni joie, ils observaient simplement l'horizon, simples spectateurs de la grandeur marine. Quand il crut qu'elle ne lui répondrait pas, Catriona ouvrit la bouche :

— Neil a reparlé de ce qu'Ishbell a dit ?

— Nay. Il a parlé des chevaux, des tartes, de sa collection de galets et des chevaliers qui sauvaient le roi.

Son énumération un peu hasardeuse eut le mérite de lui soutirer une réaction. Catriona vrilla son regard au sien, le nez plissé.

— De quoi parles-tu ?

— Comme nous avions beaucoup de temps avant que vous n'arriviez, je l'ai emmené au cuisine. Nous avons mangé un peu de tarte et discuté. Il voulait une histoire, mais le seul conteur que je connais est Guillaume et il a dû s'attarder au village puisqu'il n'est toujours pas revenu.

— Il ont atteint Dun Ringill au même moment que nous. Je crois qu'ils ont discuté avec quelques femmes du village. Enfin... l'un d'entre eux.

Darren.

Ça ne pouvait être que lui. Il aimait autant les femmes que la réciproque était vraie. Sans exagérer, Lachlan l'avait déjà vu en changer chaque soir pendant près de dix jours sans se fatiguer. Il ne savait plus s'il devait se montrer admiratif ou réprobateur.

— Donc tu lui a raconté quelque chose ? le relança Catriona comme il ne poursuivait pas son histoire.

— J'ai un peu revisité notre aventure à Guillaume, Darren et moi. Des chevaliers qui libèrent un roi, je crois que ça lui a plu.

— Ça ne me surprend pas, il aime beaucoup ce genre d'histoire.

Catriona dériva vers l'horizon, lui offrant son profil à admirer. Lachlan appréciait la vue. Peut-être encore plus dans cette atmosphère paisible et détendue. Depuis son retour, ils n'avaient eu que peu d'échanges aussi intimes. Eux seuls face à la mer. Le genre de situation qui battait la routine de leur ancienne vie. Ou du moins de la sienne. Lachlan avait l'impression d'avoir vécu au moins trois existences distinctes. C'était d'ailleurs plutôt étrange lorsqu'il s'attardait sur ce sentiment.

— Tu ne m'as pas dit comment tu te sentais, se permit-il d'insister puisqu'elle ne parlait toujours pas.

Catriona haussa les épaules. C'était une bonne question. Face à Ishbell, elle avait été incapable de réagir, pétrifiée par l'intensité des mots qu'elle prononçait. Un membre de l'Église d'un peu trop mauvaise humeur pourrait la sanctionner gravement pour moins que ça. Avec un type de punition dont on ne revenait pas indemne.

Ou dont on ne revenait pas du tout.

— Que veux-tu que je te dise ? Je suis terrifiée qu'Ishbell finisse par monter le village contre moi. Keir parvenait à la contenir, ça faisait partie de notre accord. Mais elle est bien décidée à se venger. Elle me hait trop pour cesser de me harceler.

— Je te protègerai.

Son amie d'enfance le fusilla immédiatement du regard. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'y croyait plus. Et si sa mémoire ne lui jouait pas de tours, la dernière fois que Lachlan lui avait dit ça, il avait échoué en beauté.

— Tu ne pourrais pas.

— Bien sûr que si ! s'écria-t-il avec véhémence. Je suis son laird, elle doit m'obéir !

Catriona leva les yeux au ciel. On aurait dit un gamin trop gâté qui tenait à prouver un pouvoir inexistant. Bon, en l'occurrence c'était bien loin d'être un gamin et il tenait entre ses mains un vrai pouvoir. Elle avait simplement l'impression d'avoir l'ancien Lachlan face à elle.

— La menacer ne servira à rien, Lachlan.

— Il faut essayer !

— Parce que tu crois que ça fera passer la douleur de la perte de son enfant ? Elle veut me la faire payer, et elle finira par y parvenir.

Il eut l'air sonné par l'information. Eh oui, son rôle de guérisseuse n'était pas toujours couronné de succès. Le fils d'Ishbell était impossible à soigner. Même s'il était arrivé plus tôt, Catriona n'aurait rien pu faire. Mais ça, Ishbell refusait de l'entendre. Et mine de rien, Catriona était en mesure de le comprendre. Elle n'imaginait même pas la douleur qu'elle ressentirait si on lui retirait Neil. Il était tout son monde.

— Tu... elle n'aura pas le choix. Je la pousserai à mettre de côté sa rancœur !

— Mais bon Dieu, Lachlan ! explosa Catriona en sautant sur ses pieds. Comment ferais-tu, hein ? Tu ne fais pas de magie. Comment peux-tu croire tes propres mots ?

Lachlan l'imita et croisa les bras sur son torse.

— Je veux juste te protéger, Cat. C'est tout.

— Et pourquoi tu y tiens tant ? C'est parce que tu as échoué il y a cinq ans ? Je ne t'ai jamais tenu pour responsable. Je te délie de ta promesse, si c'est ce qui compte.

— Ce qui compte c'est toi ! Laisse-moi t'aider, Catriona. Laisse-moi au moins essayer.

Un pic glacé traversa douloureusement le cœur de Catriona. Ça faisait bien longtemps qu'elle n'acceptait plus l'aide de n'importe qui. Surtout lorsque ça concernait sa sécurité. Elle faisait confiance à Lachlan, mais il allait se mettre trop de pression. Elle refusait catégoriquement qu'il se sente coupable au cas où il en était incapable.

— Je ne veux pas de ton aide, cingla-t-elle, et encore moins de ta protection.

— Parce que tu penses pouvoir y arriver seule ?

Si elle ressentait encore une once de culpabilité, celle-ci venait de disparaître. Catriona pouvait accepter beaucoup de choses, mais certainement pas que l'on doute de sa capacité à s'assurer seule et à protéger son fils.

— Je n'ai pas eu besoin de toi jusqu'ici, ce n'est pas près de changer !

— Regarde où ça t'a menée.

Catriona reçut cette remarque comme une gifle. Elle le dévisagea avec dégoût, une lèvre retroussée et cracha :

— Si c'est toute l'estime que tu as pour moi, Lachlan, va au diable !

— Parce que tu crois que ta quête stupide d'indépendance ne va pas t'y mener ? La dernière fois que tu as cherché à te protéger toute seule, j'ai passé cinq ans à voir la mort de près, alors excuse-moi d'être un peu dubitatif.

— Arrête de me prendre pour une imbécile, grinça Catriona entre ses dents serrées.

— Alors ne te comporte pas comme telle.

Lachlan ne vit pas le coup venir. Sa tête partit sur le côté droit avec beaucoup plus de force qu'il ne l'aurait cru. Il posa sa main sur son menton en se redressant, un goût âcre et métallique dans la bouche. Catriona était déjà bien loin, ses jupes dans les mains et sa tresse au vent, elle s'enfuyait en direction du broch.

La mâchoire du laird se contracta. Non pas sous le coup de l'humiliation, mais surtout des remords. Il voulait bien reconnaître qu'il était allé trop loin. S'il y avait bien une chose qu'il ne pouvait pas lui retirer, c'était la vivacité de son esprit. Malgré tout, la colère continuait de pulser en lui. Même des respirations posées ne parvenaient pas à le calmer.

Décidé à faire passer cette émotion désagréable, Lachlan s'immergea dans l'eau glacée sans prendre le temps de retirer ses vêtements. Le froid lui fit l'effet d'un électrochoc. Une fois que Catriona serait un peu redescendue, il irait s'excuser.

Faire le premier pas ne lui avait jamais fait peur, ça n'allait pas commencer maintenant.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top