Chapitre 10

Catriona profitait des températures clémentes et de la morsure agréable du soleil pour s'adonner à une petite marche en compagnie de Neil, d'Aigneas et de ses quatre enfants. En tout, les bambins avaient entre trois et douze ans et courraient un peu partout autour d'elles. Ils s'amusaient comme ils le pouvaient tandis que les deux matrones discutaient de tout et de rien. Elles se voyaient plus depuis que Catriona s'était installée à Dun Ringill avec son fils.

Puisqu'elle tenait déjà partiellement ce rôle au village, Lachlan avait proposé à Aigneas d'officiellement s'occuper des enfants en journée. Petit à petit, le clan retrouvait une structure un peu plus communicante. Après seulement un mois, les changements se voyaient déjà. La Grande Salle redevenait plus vivante et les membres du clan se plaisaient à se réunir pour se sustenter tous ensemble. Si Catriona n'avait que peu vu le laird ces dernières semaines, elle ne masquait pas son admiration lors de ses échanges avec son amie.

— Tu te rends compte que le laird m'a même proposé une chambre à Dun Ringill ? répéta pour la quarantième fois.

— Aye, même que Ferghus n'aurait pas apprécié de devoir quitter la maison qu'il a bâti de ses mains.

À force de l'entendre, elle connaissait les moindres détails de l'histoire. Ainsi Aigneas porta une main à ses lèvres, les joues légèrement rougies.

— Je suis navrée, c'est juste que je suis tellement heureuse de tous ces changements.

— Je sais bien, l'excusa Catriona avec un petit signe de la main, moi aussi.

— Lachlan n'a rien en commun avec Douglas.

— Ah ça non !

Elles échangèrent un regard entendu avant d'éclater de rire. Il y avait des remarques qui se passaient de mots. Un léger pincement planta ses griffes dans le cœur de Catriona. Quand allait-il revenir ? Cela faisait déjà près d'une semaine qu'il avait quitté le clan, accompagné de ses amis et de quelques autres hommes du clan pour faire le tour des terres MacKinnon. Il voulait s'assurer que son autorité serait bien entendue partout dans les alentours et surtout prouver aux membres du clan qu'il serait un laird attentif.

Ça ne l'en rendait que plus admirable.

— D'ailleurs tu as entendu les rumeurs qui court à son sujet ? lança Aigneas pour rompre le court silence qui venait de s'installer.

— Au sujet de Douglas ?

— Nay, de notre laird. On dit qu'il aurait combattu les Anglais, sauver le roi d'une mort certaine et fait partie des grands stratèges de nos armées.

Catriona sourit. Cela l'amusait de voir comme une simple étincelle pouvait devenir un feu de forêt sous la force de l'esprit humain. Les gens aimaient amplifier la réalité pour lui donner plus de poids, mais les exploits de Lachlan, même sous leur forme originelle, restaient honorables.

— Je pense que tu devrais faire attention aux propos auxquels tu prêtes foi et à ceux que tu véhicules, Aigneas, prévint Catriona sur le ton de la plaisanterie.

Son amie allait répondre quand, surgissant de nulle part, Ishbell leur bloqua la route. Elles n'étaient pourtant plus si loin de Dun Ringill, sur la route en pierre à quelques pas de l'entrée du village. La vieille femme ne s'arrêta qu'une demie seconde sur les enfants et Aigneas pour ensuite se fixer sur Catriona. Ses yeux de grés reflétaient tant de haine qu'elle en frémit.

Ce n'était pas pour rien qu'elle évitait la vieillarde comme la peste depuis près de trois ans. Après la mort de Logan, on lui avait rapporté des plaintes de sa part et l'énergie qu'elle mettait à ternir sa réputation poussait Catriona à rechercher l'isolement. Lorsque le mot « sorcière » vous collait au dos, il fallait être sûre des personnes devant qui on le prononçait. Le père Pierre la toisait déjà avec beaucoup de méfiance. Mère, veuve et guérisseuse elle avait toutes les qualités pour lui déplaire.

— T'les manipules tous, hein ? cracha Ishbell à son attention.

— Je suis ravie de vous voir aussi, Ishbell. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu ce plaisir. Maintenant, si vous voulez bien...

Elle essaya de passer, mais la commère du village lui attrapa le bras pour l'arrêter. Sous sa force insoupçonnée, Catriona pinça les lèvres afin de ne rien laisser voir de sa douleur.

— Logan, Keir, le laird, comment tu fais, sorcière ?

À ce mot, son cœur manqua un battement. Elle criait si fort que déjà, quelques personnes s'avançaient pour voir ce qu'il se passait.

— Je vous prierais de me lâcher et de ne pas m'appeler comme ça, énonça calmement Catriona, aussi sûre d'elle que possible.

— Tout va bien ? intervint la voix masculine d'un des hommes du clan.

S'il avait l'air de se méfiait de la vieille Ishbell, Catriona préférait ne pas se sentir tirée d'affaires tout de suite. Les doigts osseux de son agresseuse s'enfoncèrent dans sa chair tandis qu'elle la secouait en direction de l'homme.

— C'te sorcière a rien à faire ici. Brûlez-la. C'est elle qu'a tué Logan, foi d'Ishbell.

Elle ponctua sa phrase en crachant un ignoble molard sur le sol. Catriona en profita pour se défaire de son emprise et se reculer. Neil choisit cet instant pour se précipiter vers elle et nicher son petit nez dans le tissu de ses jupes.

— Et c'gamin ! s'écria-t-elle en faisant mine de s'approcher de Neil. Qui dit qu'elle l'a pô volé ? Elle l'a p'tête vendu au diable ! Elle...

— Silence ! s'interposa l'homme pour l'empêcher d'avancer.

Catriona avait instinctivement pivoté de façon à protéger son enfant. Elle avait posé les mains sur le dessus de sa tête pour l'apaiser. Les tremblements qu'elle percevait lui morcelaient la poitrine, mais elle ne pouvait malheureusement pas s'en occuper tant que le danger n'était pas écarté.

Que pouvait-elle dire ? Elle était pétrifiée par les mots qu'elle entendait. Bien sûr qu'ils étaient insensés ! Personne ne pouvait croire ça ! Et pourtant elle avait si peur que ce fut le cas. Que ferait-elle si son clan se retournait contre elle ? Depuis la mort de Logan, cette crainte l'habitait nuit et jour. Keir l'en avait menacée. Pouvait-il mener son plan à exécution même depuis Dun Haakon ?

Le bourdonnement qui lui emplit les oreilles la coupa du fil de ses pensées ainsi que de celui de la conversation. Quand elle se reconnecta, peu de choses avaient changées. Ishbell continuer de lui vociférer dessus, Aigneas tentait de répondre et d'argumenter, aidée par celui qui était intervenu.

Dès que Lachlan avait entendu les éclats de voix, il avait décidé d'accélérer le pas, au plus grand bonheur de Teàrlach. L'étalon partit comme une furie pour rejoindre le chemin de pierres claires. Quand les silhouettes d'un petit groupe se dessinèrent un peu plus loin, Lachlan reconnut immédiatement celle de Catriona. Complètement immobile, elle tentait de protéger ce qu'il devinait être son fils.

Au moment où il aperçut le visage de la vieille folle qui lui avait parlé du meurtre de Logan, il donna un coup de talon dans le flanc de Teàrlach. Quoi qu'il soit en train de se passer, sa présence n'augurait rien de bon. Lorsque le vent lui apporta le mot « sorcière » comme indice, son sang ne fit qu'un tour.

— Oh là ! les interrompit-il. Que se passe-t-il ?

L'un de ses hommes, Cailean, s'avança vers lui. D'âge mûr, il l'avait tout de suite rallié et avait, jusque-là, fait preuve d'une loyauté et d'un discernement louables.

— J'ai séparé ces deux femmes laird, elles...

La vieille Ishbell se remit à crier et fit un pas vers Catriona, l'obligeant à sauter à bas de sa monture :

— C'te sorcière a r'en à faire là ! On aurait dû la brûler pour...

— Cessez ! la coupa Lachlan en s'interposant.

Tout de suite, face à lui, elle se ratatina un peu plus. Pourtant la lueur de rage qui embrasait son visage ne disparut pas. Elle était tellement décidée à faire tomber Catriona... pourquoi ? Quel passif entre les deux femmes avait pu causer une telle animosité ?

— Vous n'êtes ni juge ni maîtresse de ce clan, Ishbell, tonna-t-il. Je vous impose donc le silence au sujet de toute cette affaire. Je vous ordonne de vous tenir éloignée de Catriona et si je vous surprends à colporter la moindre rumeur à son sujet, qu'elle soit vraie ou fausse, je ferai en sorte que vous ne soyez plus en mesure de colporter quoi que ce soit. C'est clair ?

Comme la vieillard acquiesça sans fournir de véritable réponse, il réitéra :

— Je ne vous ai pas entendue. Avez-vous compris ?

Aye, grinça Ishbell entre ses dents serrées.

— Éloignez-vous, maintenant. Et que je n'ai pas à intervenir de nouveau dans ce genre de situation. Je n'ai aucune envie de devoir vous sanctionner, mais je le ferai, Ishbell.

Les poings contractés par la hargne, elle partit aussi vite que ses jambes faiblardes le lui permettaient. Lachlan ne lui accorda pas plus d'attention. Il espérait que ses menaces suffiraient et qu'il n'aurait jamais à les mettre à exécution. Un espoir sans doute bien utopique...

Il posa une main sur l'épaule de Cailean.

— Merci d'être intervenu, Cailean. Je savais que je pouvais compter sur toi.

— C'est normal, mon laird. Mesdames, se tourna-t-il vers Aigneas et Catriona pour les saluer.

Il repartit en direction du village pour faire fuir les derniers curieux qui cherchaient à savoir ce qu'il se passait. Quand Lachlan se tourna vers les deux femmes et les enfants, Catriona était agenouillée par terre, en train de bercer son fils. Il accepta le signe de remerciement d'Aigneas avec un sourire, sans oser répondre à voix haute.

Neil se détacha de sa mère, les larmes aux yeux et demanda d'une voix fluette :

— T'es pas vraiment ma maman ?

L'inquiétude sertie de candeur qui transparaissait dans ces mots libérèrent un flot de larmes silencieuses sur le visage de Catriona. Elle serra de nouveau le gamin contre sa poitrine et murmura quelques mots à son oreille. Lachlan se concentra sur autre chose pour ne pas entendre. Il ne voulait pas s'immiscer dans quelque chose de si intime.

Quand il sentit l'atmosphère retomber, il se tourna vers Aigneas :

— Vous avez besoin d'aide pour quelque chose ? Rentrer à Dun Ringill, prendre un enfant sur un cheval ?

— C'est...

— Non merci, Lach, intervint Catriona en se levant, une main de Neil fermement serrée dans la sienne.

Elle essuya ses larmes d'un revers de la main et lui adressa un sourire triste.

— Tu es sûre que...

— Je t'ai dit que c'était bon, nous ne sommes pas si loin du broch. D'ici une bonne demi-heure nous devrions arriver.

— Bien.

Il appela Teàrlach d'un sifflement. L'étalon s'approcha lentement en soufflant par ses naseaux. Lachlan surpris le regard émerveillé du petit Neil.

— Toi, as-tu envie de monter ? proposa-t-il avec un air attendri.

L'enfant acquiesça puis regarda sa mère pour obtenir son autorisation. C'était impressionnant de voir un si jeune bambin se montrer si bien éduqué. Catriona ne paraissait clairement pas emballée par la situation. Lachlan pouvait voir les rouages de son cerveau marcher à plein régime.

— Tu fais attention, Lach. Pas de galop.

Le laird leva les yeux au ciel. Il n'était pas complètement inconscient. Il savait qu'un enfant de cet âge était fragile.

— Je ne prendrai pas de risque.

Lachlan monta en selle et tendit les bras en direction de Catriona pour qu'elle lui donne Neil. Il s'assura que le petit était bien installé avant de se mettre en route.

— On se retrouve à la crique, Cat, lança Lachlan en s'éloignant.

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