chapitre 4
Charlotte Dams était une femme grande et fine, qui semblait pouvoir se glisser entre toutes les robes de sa petite boutique.
Elle saisit ses cheveux roux bouclés, qu'elle releva en un chignon rapide. Edna sentit qu'elle allait se faire un plaisir de travailler sur sa nouvelle tenue. La vendeuse la poussa dans la cabine et lui tendit un corset et des collants.
Elle s'éclipsa ensuite entre les rayonnages pour saisir la robe qu'Edna avait vue dans la vitrine. D'un geste agile, elle lança la tenue par-dessus le rideau.
- Elle t'ira bien, mais il manque quelques accessoires, ma chérie. Essaye ça, je reviens.
Edna enfila la robe avec soin, appréciant la douceur du tissu contre sa peau. Le bleu profond du vêtement s'étendait en une large jupe qui tombait en plusieurs couches légères, un peu ondulées au bas. La broderie argentée, minutieusement appliquée, suivait des motifs élégants sur le devant, ajoutant un éclat subtil mais raffiné. Chaque détail était soigneusement pensé : des petites fleurs stylisées aux volutes décoratives qui longeaient les bords.
Edna se regardait dans le miroir, les yeux brillants de satisfaction. La robe s'ajustait bien, ni trop serrée ni trop ample, et elle toucha du doigt la chaîne argentée qui traversait le haut en écharpe. Jamais elle n'avait porté de vêtements aussi beaux. Elle bougea un peu les bras pour vérifier que le bustier ne glissait pas trop, retenu par deux larges bretelles qui lui tombaient sur les épaules.
Cependant, elle n'oubliait pas qu'elle était en voyage. Elle sortit de la cabine, en veillant à ne pas être vue par la vendeuse, et chercha parmi les capes celle qui ferait l'affaire.
Soudain, quelqu'un toussota derrière elle. Edna lâcha la cape grise qu'elle était en train d'observer.
- Il y a des hommes qui vous cherchent. Je leur ai dit que je ne vous avais pas vue. Vous avez volé un lapin ? demanda la femme.
- Euh non, c'est un malentendu, madame...
La vendeuse se mit à rire gentiment.
- Appelle-moi Charlotte. Je pense qu'il est bon de se faire voir, mais je suppose que vous allez beaucoup bouger ces prochains jours. J'ai la cape parfaite pour vous.
Elle rapporta alors un tissu bleu foncé dans une boîte raffinée. Edna saisit le vêtement et se tourna vers le miroir. Le capuchon, qu'elle laissa retomber sur ses épaules, était orné de dentelle blanche qui encadrait parfaitement la bordure, s'accordant élégamment avec la robe.
Elle sourit à Charlotte, se demandant pourquoi, dans ce pays, on pouvait poursuivre une jeune femme aussi longtemps pour un lapin qu'elle avait sauvé.
Elle paya la vendeuse avant de s'enfuir par la porte de derrière, que celle-ci lui ouvrit gracieusement. Edna jeta un œil à sa montre ; le temps avait passé bien vite, et elle devait retourner au train.
Cette fois, elle se glissait parmi les passants sans se faire remarquer, recevant même des regards polis. Elle espérait également que les gendarmes ne la retrouveraient pas dans cette tenue. L'avaient-ils vraiment suivie jusque dans cette boutique à cause d'un lapin ?
Edna aperçut la gare, où l'effervescence était intense. Il y avait tellement de monde et de fumée provenant des trains qu'elle ne voyait plus lequel elle devait prendre.
Soudain, une vague de voyageurs la poussa de tous côtés. Ils semblaient beaucoup plus modestes que les habitants de la capitale et sortaient tous du même train.
- La moitié du pays au nord fuit le secteur pour venir s'installer ici.
- Ils ont peur que la guerre approche ?
- La question ne se pose pas, monsieur, la guerre est là ; elle arrive à notre frontière.
- Et tous ces riches de la capitale, incultes, qui ne s'en soucient pas ! Aucun logement n'est prévu pour nous. Où va-t-on aller ?
- Ma famille et moi allons continuer jusqu'au Kanta, en espérant qu'ils nous accueillent.
- Quittez le continent, ce serait encore mieux, surtout si vous avez des enfants. La Manse est terriblement dangereuse.
Edna réajusta sa cape et se dirigea vers l'embarquement, où il n'y avait que quelques personnes et divers soldats. C'était son train, en direction de l'Isère, le pays tampon entre la Manse et l'Igerie. Personne ne se rendait là-bas ; tout le monde fuyait le front. Mais elle, elle s'y jetait. Pourtant, ce n'était pas à la guerre qu'elle allait, mais en Manse. On disait que les Mansiens vivaient normalement depuis le début du conflit, bien que leurs hommes aient quelque peu disparu du territoire. Ils semblaient tous happés par leur roi, unis dans un accord tacite face aux horreurs qui se déroulaient au loin. Peut-être trop loin pour eux, étaient-ils au moins au courant ?
Elle monta à bord du train et eut le loisir de s'asseoir où elle le souhaitait. Cependant, elle s'éloigna des soldats et réalisa que les quelques voyageurs civils s'étaient regroupés naturellement dans le même wagon.
Ils s'éloignaient à présent de Dippe, pour se diriger vers la prochaine capitale, Kalif. L'atmosphère était redevenue calme.
Non, elle était lourde. Et pour la première fois, Edna douta de son voyage. Peut-être s'était-elle lancée trop rapidement dans cette aventure ? L'angoisse et la tristesse l'avaient poussée dans ses pulsions. Et la voilà, bien loin de chez elle, se jetant dans le gouffre.
Allait-elle au moins trouver ce qu'elle cherchait ? Le dernier membre de sa famille encore en vie. Les derniers membres... Sa mère avait un frère, quelque part, mais elle ne savait où. Et cet homme, le père de sa mère, dont elle ne connaissait rien. Même pas le nom...
Maintenant qu'elle était là, elle devait aller jusqu'au bout. Elle ne se voyait pas revenir, et Jacobe devait être inquiet, ce qui lui fit honte. Elle n'était même pas restée pour régler les dernières affaires de sa famille.
Les larmes coulèrent sur ses joues, mais personne dans le wagon ne la jugea. Tous semblaient avoir leurs propres problèmes.
Dans deux heures, ils arriveraient à Kalif.
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