Chapitre 4
– Tss… Chris, réveille-toi.
Une main chaude se posa sur son bras. Chris frissonna, prenant conscience de son corps. Il faisait froid, il était frigorifié. Il fronça les sourcils et ouvrit les paupières. Sa vision, d'abord floue, s'accommoda sur Peter qui avait reculé d'un pas. Chris ignorait depuis combien de temps le soleil inondait la pièce mais, il devait être encore tôt, s'il se référait aux teintes orangées de celui-ci.
– J'ai dû m'endormir, ronchonna le chasseur.
– Oui, c'est assez imprudent de la part d'un chasseur. Qui sait ce que j'aurais pu faire…
– Tu l'as dit, tu as besoin de moi.
Chris tira le plaid sur ses épaules comme un fin bouclier face à la fraîcheur matinale. Cela ne suffisait pas à combattre sa chair de poule. Peter l'observait sans bouger, il semblait analyser la situation. Enfin, il soupira, enleva son pull et le tendit à son colocataire.
– Tiens, grogna-t-il. Je n'en ai pas besoin. Mais pourquoi tu n'as pas fait de feu hier si tu avais si froid ?
– Tu veux que je mette ton… ?
– L'offre va expirer dans quelques secondes. Dépêche-toi.
– Mmh. Merci.
Chris ravala son ego et passa le vêtement qui, grâce à la chaleur du lycan, se révélait être une bénédiction.
– Alors ? interrogea Peter.
– Hein ? Ah oui. Tu en as peur non ?
– Je ne veux pas de ta fausse gentillesse ou même de ta pitié.
Visiblement énervé, Peter se retourna et partit fouiller dans les placards à la recherche du petit déjeuner. Chris ne saisissait pas les raisons qui le poussaient à être si agressif. Enfin, il ne s'en formalisait pas. Au contraire, il y voyait une opportunité de le pousser encore un peu plus dans ses retranchements.
– La majorité des gens ressentent ce qu'on appelle de l'empathie tu sais ? Se mettre à la place de l'autre, tout ça… Ce n'est pas quelque chose que tu maîtrises mais ça existe.
– Garde-le pour les autres vu que tu ne me supportes pas. Je n'ai pas besoin de ça.
Chris allait répliquer quand Peter tourna le visage vers les escaliers, apparemment, il entendait une sonnerie téléphonique. Le chasseur chuchota un « Jeremy » avant de s'élancer vers sa chambre. Il enjambait les marches avec facilité pour ne pas manquer l'appel. Il décrocha juste à temps.
– Allô, Jeremy ?
– Salut Chris, je me doutais que tu ne dormirais pas. Comment tu vas ?
– Ça va et toi ?
– Je m'inquiète pour toi mais tout se déroule bien ici.
– C'est ce qui compte.
– Tu arrives à te reposer un peu ?
– Je dors.
– Chris… Tu peux me parler, je ne te jugerai pas, jamais.
– Je sais, merci d'être là. Mais vraiment rien de nouveau, les cauchemars habituels.
– Je vois…
– Les cachets m'aident.
– Tant mieux. Et avec Peter, ça se passe comment ?
– On est encore vivants, donc je dirais correctement. Mais je commence à me demander si j'ai fait le bon choix. J'aurais dû t'écouter. Ça aurait été plus facile avec toi.
– Peut-être ou peut-être pas. Je sais juste que ton instinct ne te trompe que très rarement. Je te fais entièrement confiance. N'oublie pas, un mot, un geste et je te rejoins.
– Ça ira, je t'assure.
– Fais attention à toi, patron.
– Toi aussi. Je te tiens au courant.
Une fois raccroché, Chris respira profondément en serrant son téléphone, seul moyen de communication en sa possession. Comment avait-il pu l'oublier ? Un relâchement ? Ses médicaments ? Possible, certains effets secondaires le dérangeaient énormément, ses tremblements aux mains par exemple. Ils arrivaient épisodiquement, sans facteur déclenchant. Lorsque ses doigts s'enroulaient autour de la poignée de son arme, ils disparaissaient, sûrement éclipsés par son adrénaline. Alors, tant que cela n'affectait pas son travail, il préférait se taire, trouvant des subterfuges pour le dissimuler. D'ailleurs, il sentait la crise arriver, il se dépêcha de préparer ses affaires pour se rendre dans la salle de bain. Éviter Peter à tout prix.
Il eut juste le temps de fermer le loquet et de déposer ses vêtements avant que ses paumes ne soient prises de soubresauts. À sa droite, un miroir de taille humaine l'obligea à s'observer entièrement. Les bras le long de son corps, il les voyait s'animer sans pouvoir les contrôler. Il ravala son sentiment d'impuissance et alluma la douche. Elle était séparée du reste de la pièce par une paroi noire surplombée de verre. C'était plutôt raffiné. L'eau chaude, presque brûlante, se déversa sur sa peau. Ça changeait de son Motel désastreux, il en profita pour se détendre un peu. Rares moments où Chris lâchait prise, où il laissait ses émotions prendre le dessus. Tristesse, rancœur, amertume s'entremêlaient, il les mettait souvent de côté pour continuer à avancer, pour ne pas céder. Rester fort quelles que soient les circonstances. Et pourtant, sa peine s'agrandissait de jour en jour, se transformant petit à petit en une colère sourde. Cette sensation, il ne la connaissait que trop bien, parfois envers les autres, souvent envers lui-même. Il ricana, se rendant compte de sa propre hypocrisie. Bien sûr il était dans ce chalet pour sauver des vies mais s'il avait accepté de se retrouver seul avec Peter pendant un an, c'était uniquement pour que la rage que lui inspirait le lycan fasse taire celle qu'il éprouvait quotidiennement à son encontre.
Évidemment, à cause de son sens moral, utiliser Peter pour tenter de se sentir moins minable le faisait culpabiliser. Néanmoins, il connaissait le caractère manipulateur de son colocataire, c'était peut-être la personne la moins vulnérable de son entourage. Arrivé à cette conclusion, il éteignit la douche et se rhabilla. Le pull de Peter à la main, il descendit à la cuisine. Le lycan ne paraissait pas avoir remarqué sa présence, il sirotait le contenu de son mug, un livre à la main. Ses sourcils froncés, il dévorait avidement les mots écrits. Le voir aussi sérieux n'était pas habituel, Chris en profita. Silencieusement, les bras croisés, il s'appuya contre le mur et détailla la musculature de ses bras dénudés, les rides qui apparaissaient sur son front, la délicatesse de sa bouche qui s'ouvrait machinalement au contact du liquide chaud. Vision presque agréable. Son attention se porta ensuite sur la couverture du roman, il souffla du nez malgré lui. Il s'agissait du même ouvrage qu'il avait expérimenté cette nuit. Le lycan redressa la tête, surpris, tandis que le chasseur se détacha sans tarder de la cloison, espérant ne pas avoir été démasqué.
– Tiens, ton pull, dit-il d'une voix rauque après s'être raclé la gorge. Il y a du café ?
– Oui, dans la… Cafetière, tu veux que je te serve ou tu vas y arriver tout seul comme un grand ?
– J'apprécie grandement ton offre, cependant, je préfère remplir ma tasse moi-même. La simple idée que tu la touches me dégoûte…
– Tes douces paroles me vont droit au cœur, sourit faussement Peter en portant son nez sur le haut précédemment rendu. Par contre, je suis contraint de te faire cadeau de ce vêtement.
– Pourquoi ?
– Ton odeur s'y est incrustée.
– Tu le laves.
– Même en le faisant, il restera un peu de toi. À part le brûler…
– Fais attention, un accident est si vite arrivé… Ça serait dommage que tu te retrouves encore défiguré ou plongé dans le coma.
– Merci pour tes conseils chaleureux.
L'ambiance électrique qui régnait désormais dans le chalet semblait pouvoir exploser à tout moment. La main de Chris glissa involontairement sur sa ceinture, à la recherche de son arme. Elle était bien là, à attendre d'être utilisée. Rassuré, il se versa le liquide noir dans sa tasse et se positionna face à la baie vitrée. Tout était recouvert d'une pellicule de flocons blanc, cachant le moindre petit défaut. Pour l'instant, la vue était magnifique mais il suffisait d'un soleil un peu trop insistant pour noircir le tableau. Peut-être était-ce ce côté éphémère qui lui donnait cette beauté si particulière. En revanche, elle pouvait très bien se dresser entre eux et leur but. Il suffisait de quelques centimètres pour recouvrir les traces les plus fraîches. Il n'avait pas pourchassé des êtres surnaturels dans ce froid depuis un long moment. Il soupira, avouant intérieurement que venir bien avant se révélait être une excellente idée.
– J'aimerais aller explorer les environs, murmura-t-il.
– C'est pour ça que tu es là, chuchota Peter près de son oreille, le faisant ainsi sursauter.
– Qu'est ce que tu fous ?
– Tu es bien distrait pour un chasseur expérimenté.
– Recommence ça encore une fois et je te colle une balle entre les deux yeux.
– Je tremble de peur… Tu te ramollies Chris, la vieillesse ? Bientôt la retraite.
– Même sur mon lit de mort, j'aurais assez d'énergie pour t'abattre.
– Si ce n'est pas moi qui abrège tes souffrances en premier.
– Plus que trois cent cinquante-neuf jours.
– Tu me détestes tant que ça, rit Peter en marchant jusqu'à l'escalier.
– Plus que tu ne l'imagines.
– Pourtant je ne suis pas celui qui a accusé à tort un pauvre citoyen, me semble-t-il.
– Tu es le contraire d'un « pauvre citoyen ».
Toujours le sourire aux lèvres, Peter monta les marches. Chris combattait son envie de le laisser moisir seul ici et de s’isoler dans le paysage Canadien. Il enfila son manteau, son écharpe, ses chaussures et se dégourdit un peu les jambes à l'extérieur. La matinée était particulièrement froide. La brise matinale lui mordit le visage lui arrachant quelques larmes qui s'écoulaient le long de sa joue. Il les essuya distraitement, s'avança jusqu'à la neige et, persuadé d'être seul, il retomba en enfance. Il enfonça doucement son pied dans le sol blanc, s'amusant du bruit qui craquait sous lui. Petits, lui et sa sœur jouaient à se courir après, l'un représentait le chasseur tandis que l'autre le loup-garou. Ils riaient naïvement, ignorant que cela les préparait à leurs vies futures. Rares moments de complicité avec Kate, avant que l'adolescence n’arrive et que tout ne se dégrade. Innocemment, il réunit des blocs de neige au creux de ses paumes pour en faire deux boules bien rondes et lisses. Il visa un arbre à quelques mètres devant lui et lança l'un des projectiles dessus. Il explosa au contact de l'écorce. Il n'avait pas perdu de sa dextérité légendaire, l'une des seules qualités que son père voulait bien lui octroyer d'ailleurs.
– Trajectoire parfaite, complimenta une voix derrière lui.
Par réflexe, Chris se retourna et envoya sa deuxième balle neigeuse sur le cou de Peter. Ce dernier n'esquiva pas l'attaque et grimaça à son contact froid. Argent le regardait avec attention, hésitant entre méfiance et hilarité. Quelques secondes après, le lycan grogna de mécontentement, tapota sa veste longue alors que ses traits se durcissaient.
– Abrutis de chasseur, réfléchir deux secondes te grillerait le peu de neurones que tu as ?
– Tu n'as pas à surgir comme ça, c'est de ta faute.
– Je suis à trois mètres de toi, tu veux que je te prévienne comment ?
– Monsieur le loup-garou qui pleurniche pour un peu de neige, c'est pathétique.
– Pas plus que tes échanges avec ce qui te sert de coéquipier.
– Ne pense même pas à t'en prendre à lui.
– Sinon quoi ? nargua Peter de toute sa hauteur.
Le sang de Chris ne fit qu'un tour, il perdit tout désir de paix et s'approcha hâtivement de son interlocuteur. Ils n'étaient qu'à cinq centimètres l'un de l'autre. Leurs yeux se connectèrent, exprimant la haine qu'il se portait mutuellement. Chris fulminait intérieurement, sa main droite le démangeait, elle était prête à distribuer le châtiment funeste.
– Je passerai le restant de mes jours à te pourchasser jusqu'à ce que je vois ton minable petit esprit s'échapper de ton corps.
– Décidément, la perspective de me traquer est une idée fixe.
Le chasseur ne bougeait pas, ses muscles tendus passeraient à l'action au moindre signal d'alarme. Le lycan resta stoïque, une lueur bleue polaire illuminait ses iris, lui aussi se laissait dominer par sa colère. Ils n'entendaient que le bruit de leurs respirations saccadées alors que les fumées blanches qui sortaient de leurs bouches s'entremêlaient. Poussés par leur fierté, aucun des deux ne voulait abandonner, pourtant Chris le savait, cette animosité entre eux ne présageait rien de bon. Il aurait aimé être totalement insensible aux remarques acerbes de Peter comme il pouvait l'être face aux autres mais non, c'était plus fort que lui. S'opposer à Peter lui renvoyait une image qui le dérangeait tout en lui donnant l'impression d'être en vie, d’assumer qui il était. C'était d'ailleurs sûrement pour cela qu'il n'arrivait pas à se détacher de ce regard profond.
– Bon, maintenant qu'on s'est bien complimenté, on y va ? demanda le lycan en désignant la forêt.
Argent hocha la tête et suivit son guide en fixant le sol. Il était rassuré que cette altercation ne se soit pas aggravée, tout ça pour une balle perdue. Peter avait décidément un sale caractère, ce n'était que de l'eau, certes fraîche mais que de l'eau. Au moins, ce désaccord l'avait échauffé, il se sentait prêt à crapahuter entre les arbres.
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