Chapitre 3


Chris Argent se réveilla en sursaut, son cœur tambourinait dans sa poitrine et un poids oppressait son ventre. Il mit quelques secondes à comprendre où il était. Son regard bleuté se tourna sur sa gauche, de mémoire, il n'avait jamais été aussi soulagé de voir Peter Hale à ses côtés. Il passa ses doigts rugueux dans sa barbe et s'octroya une gorgée d'eau fraîche pour se rattacher à la réalité.

– J'ai dormi longtemps ? grommela-t-il.

– Une heure, tout au plus, mais ça n'avait pas l'air très reposant.

– Mmh.

Autour d'eux défilait maintenant une forêt luxuriante aux branches nues. Des conifères apportaient une légère teinte verte sous une couche de blanc immaculé. Il avoua intérieurement trouver cela magnifique, dans une autre vie, il aurait aimé s'y installer. Peut-être qu'Allison s'y serait plu aussi, son rire lumineux aurait été suffisant pour réchauffer instantanément le cœur de Chris. Oui, si seulement le destin n'avait pas été si cruel avec sa fille, si seulement elle l'avait accompagné aujourd'hui, alors respirer lui semblerait sûrement plus facile. Il ravala sa tristesse et dans un sursaut de clairvoyance soudain, il chercha hâtivement son smartphone.

« Merci de m'avoir prévenu patron. Je ne quitte pas mon téléphone. Courage avec l'autre. » Reçu de Jeremy.

Trois petites phrases qui relâchèrent immédiatement les muscles tendus de Chris. La boule nerveuse qui tapissait son estomac s'évapora et ses battements cardiaques retrouvèrent leur calme. Il rangea son objet technologique sans répondre, de peur de déranger.

– C'était ton collègue ?

– Oui.

– Il est rassuré ? Le grand méchant loup n'a pas touché aux cheveux de son patron adoré. C'est mignon votre relation, vous êtes frères d'armes, amis, amants ?

– Ça te regarde pas. Juste conduis et tais-toi.

– On va s'ennuyer si on ne peut même pas discuter.

– Peter, te voir tous les jours est une torture. Si en plus je dois t'écouter, je préfère me tirer une balle dans le crâne tout de suite.

– Je prends ça en note. Ça pourrait servir quand je n'aurais plus besoin de toi.

L'ambiance aussi glaciale que le paysage laissait un silence pesant. Chris préférait cela que d'entendre les élucubrations de son voisin. Il n'avait pas l'intention de se rapprocher de lui pendant leur séjour. Son but était de le surveiller afin de venir à bout de leur ennemi commun. Enfin, ça, c'était dans le meilleur des cas, si l'un ne tuait pas l'autre avant la fin des un an. Aucun des deux ne pouvait le promettre. Aussi, l'ignorance se présentait comme l'option la plus favorable. Toutefois, il ne put en abuser très longtemps. Le décor aussi sublime soit-il, se répétait inlassablement et Peter montrait des signes de fatigue équivoque. À la réflexion, Chris ne se souvenait pas l'avoir vu énormément dormir. Sa nature bienveillante refit surface l'espace d'une seconde et, pour contrer l'animosité palpable, il sélectionna une musique sur son téléphone après l'avoir connecté à la voiture. La guitare électrique, la batterie, la basse et une voix cassée envahirent l'habitacle. Le chasseur bougeait ses lèvres au rythme des paroles tandis que le loup tapotait sur sa cuisse. Au moins, ils semblaient partager les mêmes goûts musicaux, tout n'était peut-être pas perdu.

Une demi-heure plus tard, ils échangèrent leurs places. Chris, galvanisé par la mélodie, se réjouissait de prendre le volant. Peter, lui, ferma les paupières rapidement. La route n'était pas mauvaise, cela en devenait presque plaisant, si on retirait les meurtres et son futur colocataire de l'équation. Il ne s'était pas pris de vacances depuis une éternité, il n'en voyait pas l'intérêt. Alors, cette fois, il s'autorisa à apprécier ce sentiment de liberté qui l’accompagnait tout le long du trajet et ce, jusqu'au terminus.

Bien qu'il s'attendait à une bâtisse perdue au milieu des bois où l'électricité n'était pas envisageable, il se gara devant un grand chalet, certes entouré d'arbres, mais qui dégageait un  luxe remarquable. Il possédait deux étages, le rez-de-chaussée était agrémenté d'une baie vitrée ouvrant sur une terrasse en pierre où reposait, en son centre, un salon de jardin. La couleur marron foncée et beige du revêtement extérieur apportait une touche de raffinement que Chris ne connaissait pas chez Peter.

Tandis qu'il se retournait pour en faire la remarque, il tomba sur le lycan encore endormi. Son visage ainsi exposé, où aucune mimique condescendante ne venait l'habiter, lui parut soudainement beau. Ses longs cils ornaient ses yeux fermés, ses cheveux en bataille lui donnaient l'air insouciant et sa barbe épaisse entourait ses lèvres fines. Il n'avait pas fini de détailler les traits de Peter qu'ils commencèrent à bouger. Rapidement, le chasseur détourna le regard pour fixer de nouveau la maison qui leur faisait face.

– On est arrivé ? lança le lycan, la voix endormie.

– Ouais.

– Génial !

Peter sortit de la voiture en s'étirant, bailla et inspira profondément l'odeur du bois, comme s'il rentrait chez lui. Chris, exténué, se détendit les jambes avant de s'appuyer contre le véhicule. Son énergie commençait à diminuer drastiquement, il avait trop tiré sur la corde et son corps le lui rappelait. Machinalement, il ouvrit le coffre pour en retirer les bagages. Ils étaient lourds et son dos en pâtissait, Chris ne s'en plaindrait pas. Il ne le faisait jamais, cela ne servait à rien. Il prenait son mal en patience et tout finissait par passer, sauf peut-être une fracture qui le tiraillait encore ou cette blessure qui lui avait valu une belle cicatrice. Sans qu'il ne le sente arrivé, Peter se tenait à ses côtés. Celui-ci ne lui jeta pas le moindre regard, s'empara des valises et sacs pour les tracter vers le chalet. Chris protesta inutilement. Ils entrèrent à l'intérieur et le chasseur ne résista pas à pousser un sifflement d’admiration.

Tout était moderne, les murs blancs, le mobilier d'une finesse exemplaire alliait du bois massif à une teinte noire. Sauf vers la cheminée où là, la décoration tirait vers le rustique avec les pierres apparentes.

– C'est par là, expliqua Peter en avançant.

Il traversèrent un escalier et un couloir tout aussi luxueux avant d'arriver devant une série de portes sombres à leur gauche et blanches à leur droite.

– Tu as le choix entre celle-ci et celle-ci, moi je prends celle du fond, reprit le lycan en designant les ouvertures noires. Je te laisse décider.

– Tu n'avais pas dit qu'il y avait seulement deux chambres ? s'étonna le chasseur.

Peter s'arrêta, haussa les épaules et lança tout simplement « j'ai menti ». Il déposa ensuite ses bagages et observa son colocataire choisir sa literie. Bien qu'il avait déjà choisi la plus proche de Peter, il ouvrit la première porte et découvrit un décor très somptueux à l'image du lycan. Il se dirigea ensuite vers la seconde pour y trouver un endroit légèrement plus sobre, s'approchant plus de l'ambiance chaleureuse du feu au rez-de-chaussée.

– Et ben tu ne rigoles pas toi, commenta Chris.

– Je suis sûr que tu pensais qu'on allait dans une cabane perdu dans les bois où un truc de ce genre.

– Non…

– C'est ça, c'est ça, railla Peter. Je ne suis pas Derek tu sais, j'aime le confort.

– J'aurais dû m'en douter. Toujours te démarquer, faire voir aux autres que tu es riche hein.

– Quand tu auras dormi dans ce lit, tu me donneras raison.

– On est l'opposé l'un de l'autre.

– C'est bien pour ça que tu me détestes.

Le sourire condescendant de Peter était de retour. Manquant de patience dû à son piteux état, Chris ne sut quoi répondre, pénétra dans sa chambre et prévint son voisin :

– Tu ne sors pas sans me le dire.

– Oui, « patron », j'ai compris.

– Va te faire voir Peter.

Il ferma la porte derrière lui, se débarrassa de ses chaussures, avala un cachet avec sa bouteille d'eau et s'effondra sur le lit. Bien que  la lumière du jour s'engouffrait dans la pièce et que la faim lui triturait l'estomac, il ne pouvait pas bouger, glissant petit à petit dans un sommeil sans rêve.

Lorsqu'il se réveilla, le soleil avait cédé sa place à la lune. Il grimaça, son crâne semblait vouloir s'ouvrir en deux et ses muscles lui rendaient au centuple son obstination. Il se releva non sans avoir poussé un soupir de douleur et sortit de sa chambre. La maison était calme, presque trop. Plongé dans l'obscurité, il alluma le couloir, descendit les marches afin de rejoindre la cuisine. Son ventre criait encore famine mais surtout, il cherchait Peter. Il le trouva assis dans le canapé devant une cheminée éteinte. Au moins, il était encore là. Lorsque le chasseur s'approcha, le lycan se redressa rapidement.

– Qu'est-ce que tu fais là, dans le noir ? interrogea Chris.

– Je médite, je suis un nouveau loup ! mentit son interlocuteur un sourire narquois au visage.

– Si tu le dis. On a quelque chose à manger ?

– Dans le frigo. Comme j'ai déjà dîné, je te laisse.

Avant de s'engager dans les escaliers, Peter déclara en ricanant :

– Je n'ai rien empoisonné… Ou peut-être que si…

– Je vais commander.

– Ici ? se moqua Peter avec suffisance. Bonne chance, tu me raconteras.

– Tant pis, j'attendrai demain.

– Demain, on est dimanche, tout est fermé. Haliburton n'est pas une ville où tu pourras profiter honteusement de tes passe-droits de chasseur. Oh, je t'ai vexé ? Rassure-toi, tu ne risques rien avec moi… Tant que j'ai besoin de toi. Après ça, si tu meurs, ça m'arrangerait plutôt. Allez, bonne nuit.

Le loup le laissa seul. Chris jura à haute voix puis se promit de ne plus jamais avoir à faire à Peter Hale une fois cette histoire terminée. Cela ne faisait que quelques heures et il regrettait déjà son choix. Il ouvrit le réfrigérateur pour découvrir une assiette de spaghettis bolognaises sous un cellophane. Il hésita quelques secondes, pas par peur de se retrouver agonisant à cause d'un quelconque poison mais par surprise. Peter lui avait cuisiné un repas. Après tout, derrière ce côté manipulateur et froid se cachait un être vivant avec des émotions. Ou alors, il allait vraiment mourir après avoir ingéré ces pâtes. Il pouffa de rire, Peter empathique ? C'était purement et simplement impossible même si, il devait bien l'avouer, l'imaginer était ironiquement drôle. Il s'installa sur la grande table en bois, avec appréhension, il goûta une première fourchette. Les saveurs se mélangèrent, c'était bon et raffiné, du fait maison. Affamé, il termina rapidement son plat.

Il soupira, face à sa vaisselle salie. Ce dîner lui avait laissé un goût amer. Cette attention lui aurait fait plaisir si seulement il ne cachait pas une tentative habile pour l'amadouer. Pourquoi fallait-il que Peter soit si… Lui-même ? Ne pouvait-il pas prendre soin de quelqu'un juste par gentillesse ? Non, assurément non. Et Chris n'allait pas se faire avoir. Si le lycan pensait se débarrasser aussi facilement de lui, il se trompait lourdement. Chris ne lâcherait rien, pas cette fois. Il alla laver ses couverts et regarda l'heure sur une horloge murale en métal noir. Deux heures du matin, la nuit était bien avancée et, c'était une certitude, le sommeil le fuirait encore jusqu'au petit matin. Alors, il entreprit d'allumer un feu avant de se rappeler la phobie plus que compréhensible de Peter. Il se ravisa, se munit d'un plaid et d'un livre pris au hasard sur la grande bibliothèque avant de s'asseoir sur le canapé.

L'histoire contait une romance impossible entre deux personnes qui les menait au suicide. Triste, sombre, sans aucun espoir de fin heureuse. Mais là où l'auteur se différenciait, c'était par la beauté de sa plume. Puissante lorsqu'elle décrivait les émotions profondes des personnages, douce dans les rares moments d’intimités et sans pitié face au destin tragique qui les attendait. Argent se laissa conquérir par cette œuvre, si bien que les lignes devinrent des images et le roman un film. Au final, il incarnait lui-même le rôle principal alors que devant lui une silhouette au visage flouté représentait son complice.

Ce sentiment d'amour voué à l'échec, il l'avait déjà connu, il comprenait l'étendue de la souffrance des protagonistes. Chez lui, la seule chose qui le maintenait en vie était le souvenir de sa fille, il s’interdisait de franchir la ligne irréparable pour elle. Toutefois, il y avait déjà pensé, partir pour ne plus subir la douleur d’exister. Là, où la réalité et la fiction s'entremêlait, il observait sans crainte son trépas. Il suffisait d'une falaise trop haute, d'une voiture trop rapide et il tomberait dans l'oubli. Si seulement cet enfer pouvait s'arrêter ce soir, si seulement il pouvait rejoindre Allison, tout ceci prendrait fin instantanément. Il l'avait déjà espéré si fort, ne pas se réveiller et la revoir. Sa fille lui manquait terriblement et le vide qu'elle avait laissé ne se comblerait sûrement jamais.

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