Chapitre 7

La pluie tombait dru sur Bakun, le village près duquel été installés les baraquements d'un bataillon de la Timor. Les tintements de lames, cris et halètements couvraient les clapotis, emplissaient l'espace et l'atmosphère angoissante.

Nataniel scruta la vingtaine de recrues qui l'entouraient. Des hommes, pour la plupart de son âge. Certains avaient l'air assuré, d'autres tremblaient, le regard baissé. Certains étaient volontaires, d'autres enrôlés de force, comme lui.

Il notifia des armes luxueuses que de jeunes hommes portaient : ils étaient sûrement les derniers-nés de grandes fratries bourgeoises, cherchant à faire carrière dans l'armée. Pas de futurs frères d'armes, mais des adversaires. Tous. Il dissimula sa main mutilée, dans l'espoir qu'elle soit découverte au plus tard par ses opposants.

Quelques mètres plus loin, un combat s'arrêta alors qu'un homme tombait au sol, le visage en sang. Les duels permettaient de déterminer les capacités de chaque recrue, pour organiser différents groupes. Les hommes sachant se battre formeraient de nouvelles troupes, ou en renforceraient. Quant aux autres, ils suivraient une formation basique. Il était évident que bon nombre de jeunes hommes n'avaient jamais manié une arme de leur vie, qu'ils avaient passée aux champs, ou dans d'autres travaux de labeur.

Le lieutenant passa devant le groupe, afin de choisir les deux prochains combattants. Son regard acéré balaya chaque homme, comme s'il parvenait à dénicher la moindre de leur faiblesse. Il s'arrêta devant Nataniel.

— Toi. Quel est ton nom ?

— Nataniel.

— Arrêté pour quel motif ? demanda le Timorien en désignant la marque sur sa nuque.

— J'ai rompu un couvre-feu.

— Un métier ?

— Forgeron.

— Tu sais combattre ?

— Oui.

— On va voir ça.

Le lieutenant choisit un des jeunes bourgeois que Nataniel avait déjà repérés. Un Timorien s'avança pour donner une épée émoussée aux deux recrues. Alors que Nataniel s'emparait de la sienne, le lieutenant avisa sa main mutilée, rictus aux lèvres.

— Un rebelle estropié face à un nobliau. Intéressant.

Nataniel se força à ne pas répliquer. Il soupesa l'arme, et ne put réprimer une grimace en constatant qu'elle serait trop lourde pour sa seule main. Il devrait gagner au plus vite avant d'épuiser son bras valide.

Il se plaça face à son adversaire, auquel il eut aussitôt envie de faire ravaler son air fier et dédaigneux. Le compte à rebours n'était pas terminé qu'il se lança vers le jeune homme et porta une attaque sur son flanc gauche, parée maladroitement sous la surprise.

Tu fais moins le fier ! Tes maîtres d'armes ne t'ont pas renseigné sur les vrais combats, ceux où aucune règle ne prédomine.

Encouragé par le sursaut de peur qu'il avait vu poindre, Nataniel enchaîna les offensives, sans économiser sa force, qu'il savait inférieure sur le long-terme. Cependant, son adversaire parait chacune de ses attaques, gagnant en assurance au fil du combat. La tendance s'inversait. Nataniel sentait l'arme commencer à peser lourd dans son bras gauche. Le jeune homme s'enhardit et profita de la fatigue qui planait sur lui pour prendre l'initiative. Nataniel esquiva le premier coup d'une parade, mais sut qu'il ne pourrait faire de même avec le suivant. Il évita la lame qui plongeait droit vers son épaule en se jetant au sol. Avant que son adversaire puisse protéger ses jambes, il frappa le genou de son opposant, qui cria sous la douleur et perdit l'équilibre. Rasséréné, Nataniel bondit sur lui. Tous deux roulèrent dans la boue. Nataniel prit le dessus et, d'un coup de poing sec, lui brisa le nez. Il se releva ensuite, essoufflé, les vêtements tâchés de sang, mais ne put se garder de décocher un regard arrogant vers le lieutenant.

— Le rebelle estropié vous salue.

Le Timorien eut un rictus.

— Tu combats comme la vermine qu'on écrase de nos talons. Mais tu feras l'affaire. (Il se tourna vers ses subalternes). Affectation aux patrouilles. Conduisez-le au deuxième baraquement, et équipez-le.

Nataniel, après une courbette moqueuse, suivit les soldats. Les gémissements de son adversaire lui parvinrent, vite rabroués par les injonctions du lieutenant.

***

L'auberge était située dans le plus pauvre quartier de Bakun, peuplé de tavernes mal famées et de maisons closes. Nombre d'hommes s'y rendaient le soir et déambulaient dans les rues désertes au petit matin, ivres. Le crépuscule venait seulement de tomber, mais déjà des chants paillards résonnaient. Nataniel lut Les Quatre Chopes d'Or sur un écriteau à moitié rongé par les mites. Un nom bien présomptueux, ou alors ironique, quand on voyait la façade décrépite et les volets écaillés.

Un joyeux désordre y régnait quand la demi-douzaine de Timoriens entra dans l'établissement. Il avisa des hommes éméchés, braillant à tue-tête pour demander à boire aux serveuses, tandis que d'autres s'insultaient copieusement.

— Voilà les vaillants défenseurs d'Irlondor ! cria un homme, avant d'éclater d'un rire sonore. Toujours pas d'mages à chasser ?

Son compagnon de table, manifestement plus sobre, lui décocha un coup de coude. La joute verbale n'était cependant pas passée inaperçue. Un silence tendu tomba, alors que le sous-lieutenant se tournait vers l'ivrogne.

— Peut-être que vous pourriez nous parler d'eux. Vous avez l'air d'en savoir plus que nous.

— J'fréquente pas c'te vermine, mais encore moins votre racaille !

— S'cusez-le, il se rend pas compte de c'qu'il dit, intervint son voisin.

— Au contraire, rétorqua le sous-lieutenant Deyton, avec un calme inquiétant. Bakun est proche d'anciens foyers de mages. Vous devez en connaître, faites donc fonctionner votre mémoire embrumée. L'exercice est difficile, mais ça pourrait effacer l'outrage que vous nous avez fait.

L'homme déglutit, sembla se rendre compte de son erreur, et accueillit l'arrivée de l'aubergiste avec un soulagement manifeste. Le gérant, un homme ventripotent habitué aux situations délicates, s'interposa.

— Cet homme a trop bu, ses paroles ne sont pas sincères. Veuillez le pardonner, nous savons tous à Bakun que votre travail est essentiel pour le bien du royaume.

Le sous-lieutenant s'approcha du tenancier, qui soutint bravement son regard.

— Pourtant, nous ne rencontrons pas la bonne volonté souhaitée. Je doute que mes supérieurs soient satisfaits en entendant notre rapport.

— Je vous assure que...

— Des noms. Des noms et je passerai l'éponge sur les insultes entendues. Vous ne voulez pas que votre établissement ferme ? Vous ne tiendriez pas l'hiver.

L'aubergiste, le front luisant de sueur, finit par obtempérer.

— Un homme est arrivé, voilà deux jours. Il a prétendu rendre visite à de la famille, mais il a plutôt l'air d'un vagabond. Il boite, il est sûrement blessé à la jambe. Il loge ici, chambre sept.

Le Timorien fit volte-face, enjoignant ses hommes de la suivre. Nataniel, la main sur la garde de l'épée courte qu'on lui avait fournie, sentit l'adrénaline pulser dans ses veines. Ils empruntèrent l'escalier, puis se dirigèrent vers la chambre indiquée. Un signe de Deyton, et les hommes enfoncèrent la porte, avant de se précipiter dans la pièce. L'occupant, allongé dans son lit, s'était levé brusquement pour faire face aux soldats. Il tendit la main, et les premiers Timoriens furent repoussés, plaqués au mur. Le mage chancela. Nataniel remarqua des taches de sang, qui maculaient le sol, et les paroles de l'aubergiste lui revinrent. Sa cuisse gauche était enserrée d'un bandage de fortune.

Le rempart érigé s'estompa. Le fugitif avisa la fenêtre, mais Nataniel fut plus prompt. D'un geste rendu mécanique par l'habitude, il s'empara du poignard accroché à sa ceinture et le lança de sa main mutilée. L'arme siffla et se ficha dans la cuisse blessée du mage, qui s'effondra dans un cri. Aussitôt, les Timoriens l'encerclèrent. Le sous-lieutenant l'assomma du pommeau de l'épée. Un sourire flottant aux lèvres, il se tourna vers Nataniel.

— Belle précision.

Le jeune homme haussa les épaules. Il avait agi sans réfléchir, mû par son instinct. Mais la vue du captif le ramena à Mia, et à sa magie. Il étouffa son sentiment de culpabilité. Il avait eu affaire à un mage dangereux, pas à son amie. Il récupéra sa lame, l'essuya et la remit dans son fourreau. Deux Timoriens trainèrent le captif hors de la chambre. Le silence tomba dans l'auberge quand les soldats apparurent.

— Désormais, vous nous informerez quand un individu suspect se présente ici, ordonna Deyton à l'aubergiste. Que nous n'ayons pas de raison de douter de votre loyauté.

L'homme se ratatina, heureux de s'en tirer à bon compte. Il respira de nouveau quand les soldats sortirent enfin de son établissement.

— Que se passe-t-il, si nous ne sommes pas certains que la personne dénoncée est mage ? s'enquit Nataniel, que son succès avait mis dans les bonnes grâces du sous-lieutenant.

— Nous les emmenons vers Oriem, que leur pouvoir soit prouvé ou non. Je ne sais pas ce qu'il advient d'eux. Pour les plus récalcitrants, ils sont tués. Trop dangereux. L'homme que nous venons de capturer nous avait échappé quelques jours avant ton arrivée. Il peut s'estimer heureux d'être vivant.

— Mais si certains n'ont pas commis d'actes contre Irlondor...

— Les mages ont été responsables de la Guerre Pourpre, de la mort de feu le roi Martian et sa fille. Crois-moi, cette engeance ne mérite pas de bienveillance. Elle nous la ferait regretter à la moindre occasion.

Perplexe, Nataniel pensa à Mia. Il y a toujours des exceptions. Elle n'a jamais nui de sang-froid à quiconque. Une autre voix, insidieuse, lui murmura qu'elle ne lui avait jamais parlé de sa magie. Elle m'a assuré n'en rien savoir ! se persuada-t-il. Et, même si ce n'était pas le cas, elle aurait menti pour se protéger. Nous avions chacun nos secrets.

Il chassa son amie de ses pensées quand ils arrivèrent au camp. Il ne pouvait plus être d'aucune aide à Mia, et devait réussir à sortir son épingle du jeu de la situation. Il n'avait pas l'intention de rester sous les ordres de Timoriens incapables ou parvenus qui semblaient pulluler.

Nataniel avait capturé un mage pour la première fois. Une nouveauté qui deviendrait banalité.

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Que pensez-vous de Nataniel, et que pensez-vous qu'il se passera pour lui ensuite ? Dites-moi tout, je suis friande de théories ! ;)

Merci d'avoir lu !

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