Chapitre 5
Dans la salle du Conseil étaient assis trois mages, deux hommes et une femme, sur des fauteuils formant un demi-cercle au centre de la pièce. À chaque fois qu'il avait le privilège d'entrer, Ewann contemplait les centaines de volumes, miraculeusement conservés au fil des âges, des guerres, des purges. Peuplant des étagères sculptées à même la pierre, ils formaient l'héritage des mages, un savoir d'une valeur inestimable.
Ewann reporta son attention sur les mages en face de lui. Il hocha la tête à leur intention, avant de prendre place, imité par Lénor.
— Nous sommes heureux de vous trouver sains et saufs. Cela semblait inespéré pour toi, Ewann.
Le mage avait une voix profonde. Sa carrure et la puissance qui se dégageait de lui intimidaient de nombreux interlocuteurs. Ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules, accordés à ses yeux, d'une étrange couleur dorée qui donnait l'impression que chaque endroit où son regard se portait était éclairé de mille feux.
— Le risque était calculé, Aldwin, sourit Ewann, feignant de n'avoir pas senti le reproche sous-jacent. Quant à Elihan, il est resté patienter avec la princesse.
— Très bien, nous les ferons venir après toi. Bien que nous ayons eu quelques bribes quand Elihan et Lénor ont été envoyés en urgence pour Oriem, peux-tu nous relater les derniers évènements ?
— J'étais dans le sud d'Irlondor quand j'ai détecté un fort potentiel magique. J'ai pu m'en approcher, et j'ai alors compris que j'avais trouvé un de ces fameux convois de mages, emmenés par la Timor. Pour découvrir le sort de ces mages, je me suis laissé capturer. Dans la charrette se trouvait Mia.
— Comment l'as-tu reconnue ? s'enquit Aldwin, les sourcils froncés.
— Elle m'a dit se nommer Mia, soit un possible diminutif de Miana, et a nommé sa ville d'origine, Vorne, qui est en bordure du fleuve Abuntia, celui-là même par lequel elle s'est échappée lors de la Révolte. De plus, son fort potentiel magique correspond à nos prévisions. J'en ai déduit que c'était bien elle. Après de longs jours de trajet, nous sommes arrivés à Oriem, plus précisément au château royal. Nous avons été enfermés dans les cachots, où se trouvaient déjà d'autres mages. Emmenés un par un, les mages ne revenaient jamais. Mia a été prise avant moi et, quand ce fut mon tour, j'ai pu me libérer. Je l'ai alors retrouvée. Elle était dans une chambre gardée. Nous nous sommes enfuis.
— Elle t'a suivi de son plein gré ? s'étonna Aldwin.
— Non. Le temps pressait, et je lui ai forcé la main. Ensuite, nous avons retrouvé Elihan et Lénor, avant de quitter Oriem. Notre retour s'est déroulé sans événement notable.
— Très bien, merci. Lénor, as-tu quelque chose à rajouter ?
La mage secoua la tête.
— Comment s'est-elle comportée ?
— Elle est méfiante, et n'a pratiquement pas décroché un mot de tout le voyage, répondit Ewann. J'imagine qu'elle est bouleversée, mais elle s'efforce de n'en rien laisser paraître.
— As-tu pu obtenir des informations sur ses dix dernières années ?
— Elle a vécu à Vorne et a mentionné une famille adoptive, mais c'est tout ce que je sais.
— Nous allons devoir l'interroger à ce propos. Nous te sommes reconnaissant pour tous les risques encourus, Ewann. Tu t'es acquitté de ta mission avec brio. Peux-tu aller chercher Elihan et Miana ? Il est temps pour nous de découvrir l'héritière légitime d'Irlondor.
***
Les quatre membres étaient présents quand Mia entra dans la salle du Conseil, suivie par Elihan. Mia scruta nerveusement la pièce, son regard balayant la bibliothèque, puis les mages. Elle reconnut Lénor. À sa gauche, Aldwin se leva et prit la parole.
— Ewann et Lénor ont effectué leur rapport. Nous te remercions pour ton engagement, Elihan.
Elihan inclina la tête puis sortit après avoir salué le Conseil, laissant Mia seule. Le mage se tourna vers elle. La jeune fille ne ploya pas sous la puissance de son regard doré, malgré l'appréhension qui la saisit.
— Je me nomme Aldwin. Je suis navré de la façon dont nous t'avons amenée jusqu'à nous, Miana. Mais nous n'avions pas d'autre choix.
— Miana appartient au passé. Je me nomme Mia. Que me voulez-vous ?
— Très bien, Mia. Je vais être aussi direct que toi. Nous avons besoin de ta magie. Et de ton statut. Ils représentent notre seule chance de salut.
— Jamais je n'aiderai les assassins de mon père ! cingla Mia.
— Il semblerait que Jarle ait eu le temps de lui dire je ne sais quels mensonges, intervint Lénor.
— C'était prévisible, soupira Aldwin. Jarle t'a trompée. Nous ne sommes pas les instigateurs de la Révolte. C'est lui.
Il avait prononcé ces paroles avec une assurance qui perturba Mia plus qu'elle ne le montra. Se pouvait-il que Jarle fût le commanditaire ? Elle avait des doutes sur sa sincérité. Mais il était son oncle... Le lien du sang n'est pas synonyme de confiance et d'honnêteté. Je ne peux pas me permettre d'être naïve. Où est passée ma méfiance ? se morigéna Mia.
Mais comment savoir qui des deux opposants disait la vérité ?
— Prouvez-le, exigea-t-elle.
— Très bien. Nous avons un argument infaillible. Un témoin de la Révolte, reprit Aldwin, et conseiller de feu ton père.
Il désigna un homme d'un âge avancé, à sa droite, dont les cheveux blancs et les favoris contrastaient avec l'air vif qu'il arborait. Malgré les sillons creusés sur son visage, témoins des années passées, Mia le reconnut.
— Pierrick... murmura-t-elle, le souffle coupé.
La vue du vieil homme la ramena dix ans plus tôt, quand son précepteur lui faisait les leçons. Patient face à la fougue de la jeune princesse qu'elle était, il lui parlait souvent de sa mère. Et elle, avide d'en apprendre plus, buvait ses paroles. Une forte complicité s'était nouée entre l'enfant et le vieil homme.
— Vous... Vous êtes un mage !
— En effet, Mia. Je suis heureux de te revoir enfin, même si je peine à reconnaître la princesse intrépide d'il y a dix ans, sourit-il.
Mia grimaça à l'entente du titre. Mais une question plus préoccupante lui traversa l'esprit.
— Mais alors, pourquoi étiez-vous au château ? Je pensais que les mages étaient proscrits.
— Il n'en a pas été ainsi durant le règne de Martian. Il m'avait nommé conseiller, et je représentais notre communauté. Ce n'est pas sans raison. Bien avant ta naissance, une guerre interne terrible a éclaté entre l'armée d'Irlondor et les mages. Les pertes ont été colossales, la population a énormément souffert. Le roi a d'ailleurs été tué. La guerre a duré cinq ans. S'en sont ensuivis des temps de famine, de pillages et de terreur. Nous n'avons même pas pu savoir quel camp était vainqueur, tellement il y avait de victimes. De nombreux mages se sont enfuis dans le royaume voisin, en Almar.
Le vieil homme se tut un instant. La souffrance se lisait dans son regard à l'évocation de ces souvenirs douloureux qui avaient marqué le royaume entier.
— Cette guerre a été appelée la Guerre Pourpre reprit-il. Le nom est sans conteste équivoque. Le roi successeur se nommait Edouard. C'était ton grand-père. Il fit tout pour ramener la paix dans le royaume. En gage de diplomatie, il envoya ses deux fils, Martian et Jarle, dans la communauté des mages, pendant la majeure partie de leur adolescence. Edouard mourut peu après, alors que Martian et Jarle n'avaient même pas atteint leur majorité. Martian succéda à son père.
— Mais ils étaient jumeaux...
— Là résidait le problème. Le choix d'Edouard s'était porté sur le fils qui partageait le plus ses valeurs, j'imagine. La rivalité entre les deux frères atteignit un point de non-retour. Martian régna avec une grande sagesse en dépit de son jeune âge. Une paix relative fut donc assurée durant des années, mais Jarle la brisa en s'emparant du trône.
Mia avait écouté le récit avec un grand intérêt. Elle possédait peu d'informations sur sa famille, et n'avait entendu que des bribes de récits sur la Guerre Pourpre. Les habitants préféraient oublier les douleurs de la guerre.
— Et la nuit de sa mort, que s'est-il passé ? Jarle m'a dit que les mages avaient attaqué le château, et que l'un deux en était responsable.
— C'est faux, intervint Aldwin. Ce sont des soldats corrompus par Jarle qui ont perpétré ce coup d'État.
— En effet, reprit Pierrick. La fortune ou les dissidences politiques ont convaincu ces traîtres. Ton père avait une politique pacifique envers nous, qui faisait face à de nombreuses protestations. Jarle a pu se servir des convictions des soldats pour qu'ils lui obéissent. Depuis qu'il est au pouvoir, il a essayé par tous les moyens de nous exterminer. Lors d'une attaque baptisée la Grande Purge, il y a quatre ans, la moitié d'entre nous a péri.
Il y eut un moment de silence, pendant lequel Mia assimila toutes ces informations. Ces explications étaient aussi crédibles que celles de Jarle... Comment démêler le vrai du faux ? Son instinct lui soufflait que Pierrick était digne de confiance, mais qu'en était-il des autres mages ?
— Nous avons répondu à tes questions, déclara Aldwin. À toi d'en faire de même. Où as-tu vécu ?
Mia avait l'impression de revivre l'interrogatoire mené par Jarle. Elle leur conta sa vie à Vorne et sa capture, puis l'arrivée à Oriem.
— Ewann nous a dit t'avoir retrouvée dans une des suites royales. Je ne pense pas que les autres mages se soient vu offrir une telle hospitalité. Comment t'y es-tu retrouvée ?
— J'ai rencontré Jarle. Il... Il m'a reconnue.
— Il t'a laissée en vie, alors que tu représentes un danger pour son règne. Pourquoi ?
— Il m'a dit que ma magie était puissante, et qu'il m'aiderait à la maîtriser avant qu'elle ne devienne dangereuse pour moi.
Les mages échangèrent un regard sombre.
— Tu as donc accepté.
— Il s'est montré convainquant.
Sentant leur méfiance s'accroître, Mia ne put retenir ses protestations.
— Je n'avais aucune raison de refuser ! Il se défiait de moi et craignait que je sois liée aux mages rebelles.
Aldwin leva les mains en signe d'apaisement.
— Oublions ça pour le moment. Es-tu prête à nous aider ?
— Peut-être que Jarle a menti, mais je ne vous fais pas confiance pour autant.
— Tu es notre seul espoir de ne pas finir tués un par un. Jarle essayera de te retrouver, comme il le fait avec nous. Tu ne pourras fuir éternellement. Tu as besoin de nous, autant que nous avons besoin de toi.
— Vous voulez vous servir de moi.
— Nous ne te l'avons pas caché. Nous sommes prêts à tout pour survivre, ta réaction face à Jarle prouve que tu ferais de même. Nos mages ont pris d'énormes risques pour te ramener ici. Crois-moi, ils auraient très bien pu t'ôter la vie, mais ils t'ont laissé une chance. Tu as jusqu'à demain pour la considérer. Pas plus.
L'entrevue était close. La porte s'ouvrit. Elihan se tenait sur le seuil, le visage neutre.
— Tu peux la reconduire à sa chambre, déclara Aldwin. Nous la reverrons demain.
Après un dernier regard aux membres du Conseil, Mia suivit Elihan.
***
Dès que Mia fut sortie, les voix s'élevèrent parmi les membres du Conseil. L'arrivée de la jeune mage avait soulevé une véritable tempête au sein de la communauté.
— Elle ne nous a pas tout dit, affirma Lénor.
— Tout comme nous, argua Pierrick. Nous obtiendrons d'elle plus d'informations en temps voulu.
— C'est plus le comportement de Jarle qui m'intrigue, avoua Aldwin. Pourquoi proposer un enseignement à Mia ? Il n'a sûrement pas les connaissances pour. Il aurait même jugé la magie de Mia puissante, comme Ewann.
— Il a pu acquérir plus de pouvoir, ou se faire aider... conjectura Lénor.
— Dans les deux cas, cela impliquerait la présence d'un mage allié. D'autre part, c'est un grand risque qu'il a pris. Pensez-vous qu'il y ait un quelconque lien avec la prophétie ?
À cette simple évocation, tous les mages se raidirent, puis se tournèrent de concert vers la mage qui était restée silencieuse jusqu'à présent. Élancée, la peau brune, son regard acéré avait le don de mettre mal à l'aise ses interlocuteurs. Son visage fin, encadré d'une cascade de cheveux d'un noir de jais, conservait un air austère.
— C'est possible, déclara Aloïse. Jarle serait lui-aussi arrivé à la conclusion que Mia est concernée. Ce qui ne la rend que plus dangereuse.
— Nous avons pris l'ascendant sur Jarle en lui soustrayant Mia, avant qu'il ne l'influence, contesta Pierrick.
— Je suis d'accord avec Pierrick, Aloïse. Mia est jeune et a vécu à l'abri des machinations de son oncle. Nous pouvons la rallier à nous.
— Et si elle refuse ?
— Elle ne le fera pas, assura Pierrick. Je la connais mieux que quiconque ici. Dix années ont passé, je le sais. Mais elle n'est, aujourd'hui, qu'une jeune fille bouleversée par le tour radical qu'a pris sa vie. Il faut lui laisser le temps d'assimiler tout ce qui lui a été révélé.
— Le temps n'est pas un luxe que nous pouvons nous offrir, lança Lénor.
— Demain ne me semble pas être un délai lointain, cingla Pierrick. Elle acceptera. J'en suis convaincu.
— Puisses-tu avoir raison, soupira Aldwin.
Il préféra ne pas penser aux conséquences d'un refus.
----------------------------------------------
Un chapitre un peu plus long, et primordial pour faire connaissance avec les membres du Conseil. Tous méfiants envers Mia, surtout quand une prophétie entre en jeu ! ^^ Des avis ou hypothèses dessus ? Sur ces mages ? (même si on en sait peu sur eux à ce stade.)
Pensez-vous que Mia coopérera ?
Merci d'avoir lu !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top